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08/12/2011 | LUXEMBOURG | N°27619

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 décembre 2011, 27619


Tribunal administratif Numéro 27619 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 janvier 2011 2e chambre Audience publique du 8 décembre 2011 Recours formé par la société anonyme …, … et Monsieur …, … contre une décision du ministre des Classes moyennes et du Tourisme en matière d’autorisation d’établissement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27619 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 janvier 2011 par Maître Romain Lancia,

avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société ...

Tribunal administratif Numéro 27619 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 janvier 2011 2e chambre Audience publique du 8 décembre 2011 Recours formé par la société anonyme …, … et Monsieur …, … contre une décision du ministre des Classes moyennes et du Tourisme en matière d’autorisation d’établissement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27619 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 janvier 2011 par Maître Romain Lancia, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … établie et ayant son siège social à …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, et de Monsieur …, demeurant à …, tendant à l’annulation de la décision du 8 octobre 2010 du ministre des Classes moyennes et du Tourisme portant refus de faire droit à la demande en obtention d’une autorisation d’établissement ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 avril 2011 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 4 mai 2011 par Maître Romain Lancia pour compte de la société anonyme … et de Monsieur … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 juin 2011 ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision attaquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en ses plaidoiries.

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Le 3 août 2010, Monsieur … introduisit auprès du ministre des Classes Moyennes et du Tourisme, ci-après désigné par « le ministre », une demande en autorisation gouvernementale en vue de l’exercice de l’activité suivante : « … » sous la forme d’une société commerciale dénommée …, ci-après dénommée « la société … ».

Par décision du 8 octobre 2010, le ministre se rallia à l’avis négatif émis le 5 octobre 2010 par la commission consultative prévue à l’article 2 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 1.

réglementant l'accès aux professions d'artisan, de commerçant, d'industriel ainsi qu'à certaines professions libérales; 2. modifiant l'article 4 de la loi du 2 juillet 1935 portant réglementation des conditions d'obtention du titre et du brevet de maîtrise dans l'exercice des métiers, ci-après désignée par « la loi du 28 décembre 1988 », et indiqua à la société … que « Monsieur … ne présente plus, en raison de son implication dans les faillites des sociétés …, … et …, la garantie nécessaire d'honorabilité professionnelle » en ce qu’il aurait été une personne interposée dans le cadre des faillites des sociétés … et … et que des manquements auraient également été soulevés par le Parquet dans le cadre de la faillite des sociétés … (même si ces manquements n’auraient pu être pris en compte en raison de leur ancienneté, ils seraient révélateurs de l'approche et de l'attitude de Monsieur …), de sorte que ne montrant aucun respect pour les lois et règlements qui régissent sa profession, il ne satisferait plus aux exigences d'honorabilité professionnelle légalement requises.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 janvier 2011, la société … et Monsieur … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle de refus de délivrance d’une autorisation d’établissement pour l’exercice de l’activité de … du 8 octobre 2010.

Il échet encore de relever que bien que les demandeurs n’aient comparu à l’audience des plaidoiries, la procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, elle peut se poursuivre et le présent jugement est réputé être rendu contradictoirement entre les parties dès lors que la requête introductive d’instance a été déposée suivie du dépôt d’un mémoire en réponse et en réplique1.

Etant donné que l’article 2 dernier alinéa de la loi du 28 décembre 1988 dispose que le tribunal administratif statue comme juge d’annulation en matière d’octroi, de refus ou de révocation d’autorisation d’établissement, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

L’examen de la légalité externe d’une décision déférée au tribunal précédant celui de sa légalité interne, le tribunal est tout d’abord amené à examiner les moyens des demandeurs relatifs d’une part à la notification de la décision déférée au prétendu mauvais destinataire et d’autre part à l’absence de motivation de la décision exigée par la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse et par le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes .

A l’appui de leurs recours les demandeurs contestent tout d’abord la légalité externe de la décision déférée en ce qu’elle aurait été adressée au mauvais destinataire. Ils font valoir que ce serait Monsieur … qui aurait sollicité l’autorisation d’établissement en son nom personnel et non la société …, de sorte qu’en notifiant la décision déférée de refus à la société .., alors qu’elle aurait été introduite par Monsieur … en son nom personnel et alors que ladite décision se fonderait sur des motifs tenant à des agissements de Monsieur …, le ministre aurait confondu les qualités des parties en cause.

1 trib. adm. 6 octobre 2004, n° 18377 du rôle, Pas. adm. 2010, V° Procédure contentieuse n° 672 et autres références y citées Le délégué du gouvernement fait valoir qu’il ressortirait du formulaire de demande d’autorisation d’établissement que Monsieur … aurait indiqué que l’établissement se ferait sous la forme d’une société commerciale dont les statuts, par ailleurs versés à l’appui de la demande, renseignent qu’il en est le gérant et non que l’établissement se ferait en nom personnel, de sorte que l’argumentation des demandeurs serait en contradiction avec les éléments de fait ressortant du dossier. Par ailleurs, cette argumentation serait juridiquement fausse car l’article 3 de la loi du 28 décembre 1988 disposerait que si une personne physique introduit une demande d’autorisation d’établissement, celle-ci lui est délivrée en nom personnel dès qu’il est établi qu’elle satisfait à toutes les exigences légales, dont notamment celles de la qualification et de l’honorabilité professionnelles, tandis que si une personne morale introduit une demande d’autorisation d’établissement, celle-ci ne pourra lui être délivrée que si la personne morale est représentée par une personne physique répondant aux exigences légales précitées, auquel cas l’autorisation d’établissement est délivrée à la personne morale avec la mention qu’elle n’est valable que pour autant que la gestion journalière effective est assurée par ladite personne physique. En l’espèce, il ressortirait des éléments du dossier que Monsieur … serait intervenu en qualité de gérant de la société … pour introduire la demande d’autorisation au nom et pour compte de cette dernière, de sorte que le moyen des demandeurs tiré de la nullité de la décision au motif d’une confusion entre les parties doit être rejeté, le ministre ayant à juste titre pris une décision de refus à l’encontre de la société … fondée sur le défaut d’honorabilité professionnelle de Monsieur … agissant en qualité de gérant technique de ladite société au sens de l’article 3 précité.

Il échet de rappeler que l’article 3 dispose que « L´autorisation ne peut être accordée à une personne physique que si celle-ci présente les garanties nécessaires d´honorabilité et de qualification professionnelles. (…) S´il s´agit d´une société, les dirigeants devront satisfaire aux conditions imposées aux particuliers. Il suffit que les conditions de qualification professionnelle soient remplies par le chef d´entreprise ou par la personne chargée de la gestion ou de la direction de l´entreprise. (…). L´honorabilité s´apprécie sur base des antécédents judiciaires du postulant et de tous les éléments fournis par l´enquête administrative (…)».

Ainsi, toute personne physique et morale tombant dans le champ d’application de la loi du 28 décembre 1988 doit être détentrice d’une autorisation d’établissement délivrée soit à son nom personnel, lorsqu’il s’agit d’une personne physique, soit au nom de la société en présence d’une personne morale, auquel cas les conditions d’honorabilité et de qualifications professionnelles doivent être réunies dans le chef du dirigeant de la société.

Il ressort des pièces versées au dossier que la demande d’autorisation d’établissement en vue de l’exercice de l’activité de … a été introduite par le biais d’un formulaire signé par Monsieur … et daté du 3 août 2010 en sa qualité de gérant (tel que ce terme est repris dans la rubrique ad hoc dudit formulaire) pour la société … (sous la rubrique ad hoc du formulaire intitulée « En cas d’établissement sous forme d’une société commerciale ») dont un extrait des statuts, versés en annexe à ladite demande, renseigne qu’il en est l’administrateur-délégué.

Partant, le ministre en adressant sa décision de refus de délivrer une autorisation d’établissement à la société … ne s’est pas trompé quant à l’identité du destinataire, la demande ayant été introduite au nom et pour le compte de ladite société par Monsieur …, son représentant légal, de sorte que le moyen tenant à la nullité de la décision pour avoir été adressée au mauvais destinataire doit être rejeté pour être non fondé.

Les demandeurs contestent encore la légalité externe de la décision pour défaut de motivation de la décision déférée quant à la circonstance que Monsieur … aurait agi comme personne interposée dans le cadre de la société anonyme …, ci-après dénommée « la société … », en ce que le ministre se serait contenté de cette affirmation, sans pour autant motiver sa décision sur ce point, alors même que le rapport du curateur de la faillite ne permettrait pas d’arriver à cette conclusion.

Le délégué du gouvernement fait valoir qu’il ressortirait des pièces du dossier que les autorisations d’établissement délivrées à la société … se basent sur la qualification et l’honorabilité professionnelles de Monsieur …, lequel aurait été dirigeant en charge des affaires journalières de la société jusqu’à une période remontant à huit mois précédant la date de la faillite et que lesdites autorisations d’établissement seraient restées actives jusqu’au jour de la faillite de la société. S’il est vrai que le rapport du curateur ne mentionnerait à aucun endroit le nom de Monsieur …, il n’en resterait pas moins que les constatations du curateur seraient en contradiction avec les informations pertinentes disponibles auprès du registre de commerce et des sociétés et celles versées au dossier du ministère des Classes moyennes et du Tourisme, de sorte qu’il faudrait en conclure que l’absence de mention dans le rapport du curateur d’activités de Monsieur … au sein de la société …, alors même qu’il en fut le dirigeant en charge des affaires journalières aux termes de l’article 5 précité et que d’autres personnes sont mentionnées en lieu et place pour avoir dirigé la société, serait la preuve qu’il aurait agi en tant que personne interposée. Par conséquent, il n’appartiendrait pas au ministre de fournir d’autres éléments visant à démontrer que Monsieur … n’aurait pas dirigé la société mais qu’en revanche, il incomberait à ce dernier de rapporter la preuve de sa gestion effective des affaires journalières de la société au moyen de commandes, de déclarations d’impôts, de déclarations de TVA et d’autres factures signées par ses soins.

Quant au moyen de légalité externe ayant trait au défaut de motivation de la décision déférée au sujet des agissements de Monsieur … en tant que personne interposée dans le cadre de la faillite de la société …, le tribunal constate que la décision déférée fonde son refus de délivrer l’autorisation d’établissement sollicitée sur un défaut d’honorabilité du demandeur dû, notamment, à son intervention en tant que personne interposée dans le cadre de la faillite de la société …, dans les termes suivants : « Ainsi, depuis la constitution de la société … et jusqu'au 13 mai 2004, donc peu avant la faillite, Monsieur … était gérant technique et titulaire de l'autorisation d'établissement. Conformément à l'article 5 de la loi de 1988, il aurait dû exercer la gestion journalière des affaires de la société. Or d'après le curateur, les dirigeants effectifs étaient d'autres personnes.

Il est donc établi que Monsieur … n'était qu'une personne interposée (TA 107-97 (9573);

TA 6-5-99 (10882); TA 15-12-03 (16674)) ».

Partant le tribunal ne peut se rallier à l’argument des demandeurs selon lequel le ministre n’aurait pas motivé son refus, lequel ressort à suffisance de la constatation faite par le curateur que la société faillie était dirigée par des personnes autres que Monsieur … sur lequel reposait cependant l’autorisation d’établissement, en raison de sa qualification et de son honorabilité professionnelles. En tout état de cause, le tribunal constate que le ministre a, au plus tard étayé sa motivation au cours de la procédure contentieuse, démarche qui s’inscrit dans l’interprétation que la Cour administrative fait de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dans son arrêt du 20 octobre 20092, lorsqu’elle retient que « par souci de protéger les intérêts bien compris du justiciable » il appartiendrait plutôt au juge de la légalité, statuant en matière d’annulation, de permettre à l’administration de produire ou de compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois pendant la phase contentieuse. Le moyen est partant à rejeter pour ne pas être fondé.

Les demandeurs contestent encore la légalité externe de la décision quant à la circonstance que Monsieur … aurait également agi comme personne interposée dans le cadre de la société à responsabilité limitée …, ci-après dénommée « la société … », en ce que le ministre se serait contenté de cette affirmation sans pour autant motiver sa décision sur ce point alors même que le curateur n’aurait fait état d’aucune intervention de Monsieur …, Monsieur … ayant été le gérant unique de la société.

Le délégué du gouvernement fait valoir qu’il ressortirait des pièces du dossier que les trois autorisations d’établissement délivrées à la société … se baseraient sur la qualification et l’honorabilité professionnelles de Monsieur …, lequel aurait été seul gérant de la société jusqu’au jour de la faillite. Il relève que d’après le rapport du curateur, le gérant unique serait un dénommé …, lequel aurait été absent de la conduite de la société pour cause de maladie prolongée, circonstance qui serait à l’origine de la faillite. Il fait encore valoir que le Parquet aurait indiqué qu’aucun document ne mentionnerait le nom de Monsieur … et qu’il n’y aurait aucune trace d’une intervention de sa part dans la société, de sorte qu’il serait avéré de ces circonstances que Monsieur … aurait mis l’autorisation d’établissement délivrée à la société … en considération de sa qualification et de son honorabilité professionnelles à disposition du dénommé …, agissement qui répondrait à la qualification de « personne interposée ».

Quant au moyen de légalité externe ayant trait au défaut de motivation de la décision déférée s’agissant des agissements de Monsieur … en tant que personne interposée dans le cadre de la faillite de la société …, le tribunal constate que la décision déférée fonde son refus de délivrer l’autorisation d’établissement sollicitée sur un défaut d’honorabilité du demandeur dû, notamment, à son intervention en tant que personne interposée dans le cadre de la faillite de la société … que le ministre motive comme suit « Dans la faillite de la société … en 2002, Monsieur … n'apparaît même pas dans le rapport du curateur et ce malgré qu'il était l'unique titulaire de l'autorisation. Les reproches érigés à son encontre dans la faillite … sont donc également vrais pour la société … ».

Partant le tribunal ne peut se rallier à l’argument des demandeurs selon lequel le ministre n’aurait pas motivé son refus en ce que la motivation ressort à suffisance de la constatation faite par le curateur de la société faillie que le nom de Monsieur …, sur lequel reposait l’autorisation d’établissement en raison de sa qualification et de son honorabilité professionnelles n’apparaîtrait pas dans le rapport du curateur de sorte qu’il convient d’en déduire que la société a dû poursuivre ses activités par le truchement d’un tiers, élément qui qualifie Monsieur … de « personne interposée ». En tout état de cause, le tribunal constate que le ministre a étayé sa motivation au cours de la procédure contentieuse conformément à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 2 Cour adm. 20 octobre 2009, N° 25783C du rôle, Pas. adm. 2010, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 37 et autres références y citées 1979 et à son interprétation telle que retenue par la Cour administrative dans son arrêt précité du 20 octobre 2009 de sorte que le moyen est à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision déférée pour erreur manifeste du ministre dans l’appréciation des faits, alors que, dans le cadre de la faillite de la société …, le rapport du curateur ne permettrait pas d’affirmer que Monsieur … aurait agi en qualité de personne interposée et que, dans le cadre de la faillite de la société …, il ressortirait des pièces du dossier que le curateur n’aurait jamais formulé le moindre reproche à l’encontre de Monsieur …. Enfin, ils critiquent la décision du ministre pour avoir tiré la conclusion des circonstances ci-avant décrites et de l’implication de Monsieur … dans la faillite de la société à responsabilité limitée … que ce dernier n’aurait aucun respect pour les lois et les règlements qui régissent la profession.

Selon le délégué du gouvernement, le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation et il conclut au rejet du recours.

Lorsque le juge administratif est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés3.

Les conditions d’octroi d’une autorisation sont fixées à l’article 3 alinéas 1er de la loi du 28 décembre 1988 qui dispose pour les personnes morales que: « (…) S´il s´agit d´une société, les dirigeants devront satisfaire aux conditions imposées aux particuliers. Il suffit que les conditions de qualification professionnelle soient remplies par le chef d´entreprise ou par la personne chargée de la gestion ou de la direction de l´entreprise. (…) étant précisé que la première phrase dudit article prévoit que : « l’autorisation ne peut être accordée à une personne physique que si celle-ci présente les garanties nécessaires d’honorabilité et de qualification professionnelles », l’honorabilité s’appréciant, en vertu du dernier alinéa dudit article 3 « sur base des antécédents judiciaires du postulant et de tous les éléments fournis par l’enquête administrative ».

Ainsi, il s’agit d’apprécier dans le cas d’une autorisation d’établissement sollicitée par une personne morale si le dirigeant de cette dernière remplit les conditions de qualification et d’honorabilité professionnelles requises par la loi. Seule l’honorabilité de Monsieur … ayant été mise en cause en l’espèce, le tribunal limitera son examen à cette condition.

Il échet de rappeler que le régime de l’autorisation d’établissement délivré à une personne morale conformément à l’article 3 sus-visé est notamment réglé par l’article 5 de la loi du 28 décembre 1988 qui dispose que « L´autorisation d´établissement est strictement personnelle. Nul ne peut exercer une des activités ou professions visées par la présente loi sous le couvert d´une autre personne ou servir de personne interposée dans le but d´éluder les dispositions de la 3 Cf. Cour adm. 4 mars 1997, n° 9517C du rôle, Pas. adm. 2009, V° Recours en annulation, n° 15 et autres références y citées.

présente loi. A cette fin, il devra assurer personnellement et de manière régulière la gestion ou la direction journalières de l’entreprise ».

Il ressort de l’article précité que la volonté du législateur a été de veiller à ce qu’une personne morale, être immatériel, fasse l’objet d’une direction et d’une gestion effectives et continues par une personne physique dûment autorisée à exercer l’activité ou la profession concernée de façon à éviter à ce que, sous couvert d’exercice de ladite activité ou profession sous la forme sociétale, l’obligation d’être titulaire d’une autorisation d’établissement puisse être contournée. Ainsi, l’article 5 dispose que l’autorisation est personnelle afin d’éviter le « prêt d’autorisation d’établissement », consistant en l’exercice d’une activité ou d’une profession soumise à autorisation d’établissement par une personne physique ne réunissant pas les conditions légales de qualification et d’honorabilité professionnelles posées à l’article 3 précité, mais qui bénéficierait de l’autorisation d’établissement d’un tiers, appelé personne interposée.

Les travaux préparatoires sont explicites sur cette question lorsqu’ils indiquent que : « Les dispositions de l’article 5 dans sa nouvelle mouture prévoient encore nommément l’obligation d’une activité effective du titulaire de l’autorisation d’établissement ou de la personne chargée de la gestion ou de la direction d’une société. Cette activité effective est notamment matérialisée par le caractère personnel et permanent de la gestion ou de la direction des affaires quotidiennes. Cette précision est importante dans la pratique, car si l’on n’attend pas systématiquement du titulaire de l’autorisation ou de celui qui gère ou dirige une société une présence à tous les instants, notamment lorsque la personne en question est responsable de plusieurs entreprises, ce qui est parfaitement légitime, du moins ne peut-on que se montrer circonspect à l’égard de personnes qu’aucun élément du dossier administratif ne rattache concrètement et sérieusement à l’activité censée être poursuivie au Grand-Duché de Luxembourg, si ce n’est précisément leur autorisation ou leur mandat social. Ces personnes doivent pouvoir être écartées, ou l’autorisation refusée, lorsqu’il s’avère notamment qu’elles habitent trop loin du lieu présumé de leurs affaires quotidiennes pour permettre une gestion journalière réelle, lorsque ces personnes multiplient les mandats sociaux, se réfugient derrière des sociétés écrans off-shore, ou lorsque des contrôles font apparaître une absence de gestion effective et à caractère permanent ».4. Ainsi, le critère déterminant afin d’apprécier le caractère effectif de l’activité du titulaire de l’autorisation d’établissement ou de la personne chargée de la gestion ou de la direction d’une société est celui du caractère personnel et permanent de la gestion ou de la direction des affaires quotidiennes, lequel fait notamment défaut lorsque des contrôles révèlent une absence permanente de gestion effective.

En l’espèce, étant rappelé que le tribunal statue en tant que juge de la légalité, c’est-à-dire que sa mission n’inclut pas l’appréciation des faits, mais la vérification de l’exactitude matérielle des faits et de leur nature à motiver légalement la décision litigieuse, force est de constater que les éléments relevés par le ministre pour apprécier l’honorabilité professionnelle de Monsieur … sont de nature à conclure que celle-ci est définitivement entachée et va à l’encontre des critères retenus comme caractérisant l’honorabilité professionnelle.

En effet, il est constant pour ressortir des pièces soumises à l’examen du tribunal que les autorisations d’établissement ont été délivrées aux sociétés … et … en considération des garanties d’honorabilité présentées par Monsieur ….

4 doc. parl. n° 5147, Chambre des Députés, Session ord. 2002-2003 p. 6 Or, les éléments relevés par l’autorité ministérielle à l’occasion des faillites des sociétés … et … quant au comportement de Monsieur … constituent des manquements d’une gravité incontestable. Ceci étant, si le seul fait d’avoir été impliqué dans une faillite n’entraîne pas nécessairement et péremptoirement le défaut d’honorabilité professionnelle dans le chef d’un demandeur d’une autorisation d’établissement, toujours est-il que des faits permettant de conclure dans le chef d’un dirigeant d’entreprise à l’existence d’actes personnels portant atteinte à l’honorabilité professionnelle, constituent des indices suffisants pour refuser l’autorisation sollicitée5.

Par ailleurs, les éléments fournis par un curateur de faillite, le procureur général d’Etat et le procureur d’Etat constituent une base suffisante pour apprécier l’honorabilité professionnelle d’une personne, même en l’absence de poursuites pénales6.

En l’espèce, il ressort du rapport du curateur dans le cas des deux sociétés faillies, que le nom de Monsieur …, dirigeant desdites sociétés et garant en tant que tel notamment de la condition d’honorabilité posé par l’article 5 de la loi du 28 décembre 1988, n’y est en aucune mesure cité. Or, s’il avait exercé une gestion effective desdites sociétés comme le lui impose l’article 5 précité, le rapport du curateur n’aurait pas manqué de confirmer ou d’infirmer son implication personnelle dans les faillites desdites sociétés ou aurait dû à tout le moins mentionner son nom. L’absence de toute trace de Monsieur … dans la gestion et la direction desdites sociétés est révélatrice d’un manquement à l’article 5 précité qui impose l’obligation personnelle d’assurer la gérance d’une société tel que cela ressort sans aucune équivoque des travaux préparatoires dudit article en vue d’éviter qu’une personne, bénéficiaire à titre personnel d’une autorisation d’établissement ne mette celle-ci à disposition d’une société donnée dont elle n’assurerait pas la gérance7. Or, une personne ayant servi de personne interposée pour la direction d’une société, fait incriminé de sanctions pénales, ne jouit plus de l’honorabilité professionnelle requise en vue de remplir des fonctions de gestion ou de direction d’une entreprise8. Force est ainsi de constater qu’en l’absence d’éléments probants rapportés par les demandeurs que Monsieur … aurait effectivement géré les deux sociétés sus-visées par des actes qui auraient matérialisé son pouvoir d’engager la société (tel que factures, déclarations de TVA, commandes etc…), ce dernier a itérativement agi en tant que personne interposée.

La gravité des faits ci-avant relevés par le tribunal constituant des manquements fautifs, caractéristiques d’une violation flagrante des conditions d’honorabilité professionnelle posées à l’article 3 de la loi du 28 décembre 1988, le ministre compétent a pu, sans outrepasser les limites de son pouvoir d’appréciation, estimer qu’ils étaient de nature à entacher de manière définitive l’honorabilité professionnelle de Monsieur … de sorte à refuser de délivrer une autorisation d’établissement à la société ….

Au vu des développements qui précèdent, le recours est à rejeter pour ne pas être fondé 5 v. trib. adm. 5 mars 1997, Pas. adm. 2010, V° Autorisation d’établissement n° 160 et autres références y citées 6 v. trib. adm. 22 mars 1999, Pas. adm. 2010, V° Autorisation d’établissement n° 163 et autres références y citées 7 v. trib. adm. 13 novembre 2006, Pas. adm. 2010, V° Autorisation d’établissement n° 174 8 v. trib. adm. 10 juillet 1997, Pas. adm. 2010, V° Autorisation d’établissement n° 175 et autres références y citées Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Marc Feyereisen, président Anne Gosset, juge, Paul Nourissier, juge et lu à l’audience publique du 8 décembre 2011 par le président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Marc Feyereisen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 décembre 2011 Le Greffier du Tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 27619
Date de la décision : 08/12/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2011-12-08;27619 ?

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