Tribunal administratif Numéro 28498 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 avril 2011 2re chambre Audience publique du 24 novembre 2011 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 28498 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2011 par Maître Stéphanie Jacquet, avocat à la Cour, assistée de Maître Laure Willing, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, à … (Kosovo), de nationalité kosovare, demeurant actuellement à …, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 2 mars 2011 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 mai 2011 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Stéphanie Jacquet et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 4 février 2011, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par la « loi modifiée du 5 mai 2006 ».
Monsieur … fut entendu le 16 février 2011 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 2 mars 2011, notifiée en mains propres le 16 mars 2011, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci après le « ministre » informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée, la décision étant libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 4 février 2011.
En application de la loi précitée, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 4 février 2011 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères du 16 février 2011.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté la ville de … cinq jours avant votre arrivée au Luxembourg. Le voyage, dont le prix se serait élevé à ….- euros, aurait été effectué en camion respectivement camionnette. Comme les passeurs seraient en possession de vos passeports, vous disposez seulement de votre carte d'identité.
Il ressort de vos déclarations que vous appartiendriez à l'ethnie des albanais et que vous auriez vécu en dernier lieu avec votre mère à … . Vous précisez que vous seriez au Luxembourg depuis une semaine et demie, mais que vous ne vous rappelleriez plus la date d'arrivée exacte.
En ce qui concerne votre situation familiale, vous déclarez que vous seriez divorcé depuis trois ans et qu'un enfant serait issu de votre premier mariage. Un des vos frères serait actuellement au Luxembourg.
Quant au voyage vers le Grand-Duché, vous précisez que vous et votre cousin auriez dû payer ….- euros ; de plus, les passeurs vous auraient demandé ….- euros supplémentaires au cours du trajet. Les passeurs vous auraient pris votre passeport.
En ce qui concerne votre parcours scolaire, il ressort de vos propos que vous auriez d'abord fait huit années de l'enseignement primaires (sic) ; ensuite, vous auriez fait une formation en mécanique d'une durée de quatre ans. En dernier lieu, vous auriez travaillé pour la société « … ». Cette dernière vous aurait engagé en 2008 et vous auriez travaillé pendant 11 mois et demi au … . Vous seriez retourné au Kosovo en date du 13 juillet 2009. Votre cousin … (…) aurait aussi travaillé pour « … » au …, mais il serait retourné plus tôt au Kosovo.
Après le séjour au …, vous auriez ouvert un cybercafé, mais à cause de menaces, vous auriez dû fermer cet établissement en novembre ou décembre 2010. Vous auriez certes gagné bien gagné (sic) votre vie, mais vous auriez été victime de racket. Vous n'auriez pas dénoncé ces agissements à la police, car selon vous, les autorités et ces personnes se partagent l'argent.
Depuis un an et demi ou deux ans, vous seriez simple sympathisant du parti …. Comme la parti ne vous intéresserait guère, vous ne seriez pas devenu membre de cette formation politique.
Cependant, grâce à l'…, vous auriez trouvé un emploi au ….
En ce qui concerne les motifs qui sous-tendent votre demande de protection internationale, vous expliquez que des menaces de mort auraient été proférées à votre encontre.
Ces menaces émaneraient de personnes proches du parti … . Lors des élections du 12 décembre 2010, où vous auriez assumé la fonction d'observateur, quatre personnes auraient voulu manipuler ou voler les bulletins de vote en échangeant des boîtes électorales. Le même jour, vous auriez informé les responsables du parti … des dysfonctionnements constatés. Afin de pouvoir briguer la fonction d'observateur lors des élections, vous auriez dû seulement fournir vos coordonnées personnelles et vous auriez reçu un badge par la suite. Votre cousin qui se trouverait actuellement en Albanie pourrait vous faire parvenir ce badge. Quelques jours après avoir dénoncé les dysfonctionnements aux responsables du parti …, vous et votre voisin auriez été arrêtés par deux des quatre personnes sur la voie publique et vous auraient menacé avec une arme. Pendant la semaine suivant les élections, vous auriez de nouveau été accosté par ces mêmes personnes et elles auraient proféré des menaces de mort à votre encontre. Après ces incidents, vous vous seriez caché un peu partout. Vous n'auriez pas porté plainte, car selon vos dires, la police et ces personnes, qui feraient la loi dans la ville, seraient liées.
Comme il s'agirait de personnes dangereuses, vous redoutez que ces personnes puissent vous tuer dès votre retour au Kosovo. En raison de l'exiguïté du territoire kosovar, ces individus pourraient vous retrouver partout, même au Luxembourg.
Vous ajoutez que vous auriez aussi connu des problèmes familiaux. Ainsi, deux mois avant arrivée au Luxembourg, le copain de votre cousine qui vous aurait soupçonné d'être à l'origine d'une relation de cette fille avec un de vos amis (sic), aurait proféré des menaces à votre encontre.
Vous n'avez pas invoqué d'autres raisons pour lesquelles vous avez quitté le Kosovo.
Enfin, vous admettez n'avoir subi aucune persécution ni mauvais traitement.
Monsieur, il y a d'abord de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
En effet, en l'espèce, force est de constater que vous restez très vague en ce qui concerne les soi-disant problèmes qui vous auraient poussé à quitter le Kosovo. En outre, vos déclarations sont très confuses et manquent souvent de cohérence. Vous avez aussi du mal à établir une chronologie tangible dans les faits que vous évoquez lors de l'entretien avec l'agent du Ministère des Affaires étrangères, vous hésitez souvent sur les dates des faits évoqués et à certaines reprises, vous n'êtes pas du tout en mesure de situer les événements dans le temps (par exemple, vous ne vous souvenez plus la date de votre arrivée toute récente au Luxembourg).
Aussi, vous avez induit en erreur les autorités en présentant de fausses indications de sorte qu'elles laissent planer des doutes concernant la véracité de votre récit. Ainsi, selon les informations recueillies par le Bureau de liaison du Grand-Duché de Luxembourg au Kosovo auprès de la Central Election Commission, vous n'auriez pas assuré la fonction d'observateur lors des élections de décembre 2010. Aussi, le parti … vous n'aurait pas délégué en tant qu'observateur pour les élections de décembre 2010.
Il convient aussi de citer l'appréciation faite par le Bureau de liaison concernant le déroulement des élections à … : « .. there was quite a bit of manipulation going on during the elections, and yes, probably in … the … was trying to cheat (likely with success), but most probably not specifically against the …, but just in general to get as many votes as possible.
Anyway, the … finally is not in the governing coalition, but the … is, and probably (we are waiting for a confirmation any moment1), Mr. … will become the President of Kosovo under a coalition deal with Prime Minister …. So if he is with the …, clearly one reason less to leave Kosovo".
En outre, les agents du Bureau de liaison ont indiqué que vous seriez toujours sous contrat de la société « … ». Ce fait jette donc des doutes sur la véracité de vos déclarations et notamment celles relatives à l'exploitation d'un cyber-café après votre retour du ….
Monsieur, vous faites état de quelques menaces proférées à votre égard. Or, ces faits, qui constituent certes des pratiques condamnables, ne sont pas d'une gravité telle pour fonder à eux seuls une demande en obtention d'une protection internationale. En force (sic), force est de constater que les quelques faits dont vous faites mention constituent des délits de droit commun commis par des personnes privées du ressort des autorités de votre pays et punissables en vertu de la législation kosovare.
En outre, en application de l'article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l'espèce, il ne ressort pas du rapport d'audition que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection. Or, en l'espèce, vous restez en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l'ordre publics au Kosovo ont refusé ou ont été incapables de vous assurer un niveau de protection suffisant. Dans ce contexte, il convient de noter que la notion de protection de la part des autorités étatiques ou même non-étatiques n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tous actes de violence et qu'une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel. Il ne saurait en être autrement qu'en cas de défaut de protection, dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d'asile. Or, vous restez en défaut de démontrer concrètement que les autorités locales chargées du maintien de la sécurité et de l'ordre publics ne soient (sic) ni disposées ni capables de vous assurer un niveau de protection suffisant face aux agissements de quelques personnes. Il ressort aussi clairement du rapport d'entretien que vous n'avez pas requis la protection des 1 Le 22 février 2011, Monsieur Pacolli a été élu nouveau président du Kosovo.
autorités de votre pays. Or, vous vous contentez de dire que les autorités policières et les personnes à l'origine des menaces seraient liées et que la police « fait ce que ces personnes demandent » (p.10/14 du rapport d'entretien). Il n'est cependant pas démontré que les autorités policières seraient dans l'incapacité de vous fournir une protection contre les agissements des personnes proches du parti ….
Force est aussi de constater que les problèmes d'un ordre purement privé et familial ne constituent pas un motif d'obtention du statut de réfugié, au sens de la loi relative au droit d'asile.
En outre, le Kosovo doit également être considéré comme territoire où il n'existe en règle générale pas de risques de persécutions pour les Albanais. Même à supposer que les menaces à votre encontre s'étaient (sic) avérées, vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d'insécurité. Or, un sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Finalement, il ne ressort pas du dossier qu'il vous aurait été impossible de vous installer ailleurs au Kosovo pour ainsi profiter d'une possibilité de fuite interne.
Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays.
Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Etant donné que les faits invoqués à la base de votre demande de protection internationale ne sauraient être actuellement admises (sic) comme justifiant à suffisance une crainte de persécution ; dès lors, et a fortiori, l'absence matérielle de crainte actuelle fondée s'impose également en ce qui concerne la demande tendant à obtenir la protection subsidiaire.
En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. Vous ne faites également pas état de risque réel de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou de risques réels émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
La présente décision vaut ordre de quitter le territoire (…). » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2011, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 2 mars 2011, par laquelle il s’est vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale, et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à son égard l’ordre de quitter le territoire.
A l’appui de son recours, le demandeur explique que des menaces de mort auraient été proférées à son encontre. Ces menaces auraient émané de personnes proches du parti …, alors que le demandeur, lors des élections du 12 décembre 2010, pendant lesquelles il aurait assumé la fonction d'observateur, aurait dénoncé quatre personnes qui auraient voulu manipuler, voire voler des bulletins de vote en échangeant des boîtes électorales. Quelques jours après avoir dénoncé ces dysfonctionnements aux responsables du parti …, parti dont le demandeur affirme être simple sympathisant et non pas membre, il aurait été accosté à deux reprises par deux des quatre personnes susmentionnées et menacé avec une arme. Le demandeur affirme ne pas avoir porté plainte, car selon ses dires, la police et ses agresseurs, seraient liés.
Le demandeur soutient encore qu’il aurait dû fermer en novembre, voire en décembre 2010 son cybercafé, ouvert en juillet 2009 suite à son séjour au …, à cause de menaces, alors qu’il aurait été victime de racket. Le demandeur n'aurait pas dénoncé ces agissements à la police, car selon lui, les autorités et ces personnes se partageraient l'argent.
Le demandeur craint finalement, en cas de retour au Kosovo, d’être exposé à des persécutions qui, pour le moins, rendraient sa vie intolérable et, pour le pire, lui feraient courir de graves risques pour sa vie.
En droit, il critique la décision ministérielle pour n’avoir effectué qu’un examen insuffisant des faits en rejetant ses demandes respectives au seul motif qu’il serait resté en défaut d’invoquer, de manière crédible, une crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine.
Concernant le volet de sa demande en obtention du statut de protection subsidiaire, le demandeur estime remplir les conditions telles que prévues à l’article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006, alors qu’au regard des menaces et de l’arrestation subies au courant du mois de décembre 2010, il existerait un risque réel qu’il subisse des atteintes graves en cas de retour au Kosovo.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … et conclut au rejet du recours, en soulignant, d’une part, le manque de crédibilité des déclarations du demandeur concernant son degré d’adhésion au parti politique …, ainsi que sa prétendue qualité d’observateur aux élections législatives du 12 décembre 2010 et, d’autre part, le fait que le demandeur serait resté en défaut de faire appel aux autorités étatiques suite aux deux agressions du mois de décembre 2010 dont il aurait été victime.
1.
Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi modifiée du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi modifiée du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire, tandis que la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de la même loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) ».
L’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 définit les actes de persécution et dispose ce qui suit : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent : a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme (…) ».
Une crainte de persécution au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur de protection internationale risque de subir des persécutions. Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.
Force est en effet au tribunal de relever que les motifs qui sous-tendent la demande de protection internationale du demandeur, à savoir les menaces de mort proférées à son encontre par des personnes proches du parti politique … du fait qu’il aurait dénoncé leur fraude électorale, ainsi que les menaces de racket, ne constituent pas des motifs justifiant la reconnaissance de statut de réfugié, alors qu’il s’agit d’infractions de droit commun pour lesquelles la motivation des auteurs de ces infractions ne se fonde nullement sur un des critères de l’article 2 c) de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social. Il y a lieu de constater que l’origine de ces menaces provient du fait que le demandeur a dénoncé les agissements frauduleux de quatre personnes lors des élections législatives du 12 décembre 2010, alors que ces dernières avaient tenté de manipuler, voire de voler des bulletins de vote en échangeant des boîtes électorales. La qualité de simple sympathisant d’un parti politique n’est en l’espèce pas mis en avant par le demandeur pour justifier sa prétendue crainte de persécution de la part des auteurs des menaces.
Concernant les menaces de racket qui ont conduit le demandeur à fermer son cybercafé au mois de novembre, respectivement au mois de décembre 2010, il n’est pas non plus établi en l’espèce que les auteurs de ces agissements aient agi à l’encontre du demandeur pour des motifs de race, de religion, de nationalité, d’opinions politiques ou d’appartenance à un certain groupe social.
Il convient encore de constater que comme les auteurs des persécutions alléguées, à savoir les individus ayant menacé de mort le demandeur à deux reprises au mois de décembre 2010, sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat, la crainte d’être persécuté ne saurait être considérée comme fondée que si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution2.
L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. A cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 reconnaît la possibilité pour des personnes persécutées par des acteurs non étatiques d’obtenir une protection internationale si l’Etat ne veut ou ne peut lui accorder une protection, tandis que l’article 29 (2) définit la protection comme suit : « Une protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » Force est tout d’abord de constater que, contrairement aux affirmations contenues dans la requête introductive d’instance, faisant état de ce que le demandeur aurait subi des menaces de mort lors d’une prétendue arrestation par les personnes proches du parti …, et, au regard des déclarations du demandeur lors de son entretien du 16 février 2011, ce dernier n’a qu’été accosté en pleine rue par des personnes dont il avait dénoncé les agissements frauduleux lors des élections législatives du 12 décembre 2010, sans pour autant avoir rapporté avoir été à un quelconque moment détenu en captivité.
Force est encore de constater que le demandeur n’apporte aucun élément de nature à démontrer que l'Etat du Kosovo, voire ses autorités policières, ne prendrait pas des mesures raisonnables pour empêcher des agissements tels que ceux dont il se prétend victime, ni qu'il ne dispose pas d'un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner de tels actes. Il ne démontre pas davantage qu'il n'aurait pas eu accès à cette protection, le simple fait d’affirmer qu’il n’aurait pas porté plainte, alors qu’il craignait des représailles, voire que les autorités policières seraient liées à ses agresseurs, étant insuffisant à cet égard.
L’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition, ainsi que les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amènent le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié du demandeur.
2 Trib. adm. 13 juillet 2009, n° 25558, Pas. adm. 2010, V° Etrangers, n° 100.
En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi modifiée du 5 mai 2006, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi précitée, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Le tribunal constate que le demandeur fonde sa demande d’une protection subsidiaire sur les mêmes faits que ceux exposés à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Il y a tout d’abord lieu de relever que, contrairement aux affirmations contenues dans la requête introductive d’instance, faisant état d’un climat politique sous réelle tension pour en conclure que le demandeur, du fait de sa dénonciation de fraudes électorales, encourrait un risque réel d’atteintes graves sur sa personne, la situation au Kosovo ne peut en aucune manière être assimilée à un conflit armé interne ou international, alors que les tensions politiques existant actuellement au Kosovo sont d’ordre purement social, une partie de la population, opposée à la campagne du gouvernement de privatisation du secteur public, manifestant leur mécontentement par une vague de grèves dans le secteur public, tel que cela résulte des pièces déposées par le demandeur à l’appui de son recours, de sorte que l’existence de menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne pesant sur le demandeur en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international n’est pas établie.
Force est encore de constater qu’au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été retenu que les faits et motifs invoqués par le demandeur ne peuvent être assimilés à des persécutions, le tribunal n’aperçoit aucun élément susceptible d’établir, sur base des mêmes événements, qu’il existerait un risque de subir des atteintes graves, telles que la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants au sens de l’article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006.
Il s’ensuit que c’est à juste titre que le ministre a refusé d’accorder au demandeur la protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a, au terme de l’analyse de la situation du demandeur, déclaré la demande de protection internationale comme non justifiée.
Le recours en réformation est partant à rejeter comme étant non fondé.
2.
Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi modifiée du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 2 mars 2011 a pu valablement être dirigé contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en annulation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, dans sa version applicable à la date de la décision attaquée, une décision négative du ministre vaut ordre de quitter le territoire.
Le tribunal vient cependant de retenir que le demandeur ne remplit pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que le ministre pouvait a priori valablement assortir le refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire. A défaut d’un quelconque moyen, le tribunal ne saurait en l’état actuel du dossier mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision portant ordre de quitter le territoire.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs ;
le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement à l’égard de toutes les parties, reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 2 mars 2011 portant rejet d’un statut de protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision ministérielle du 2 mars 2011 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Marc Feyereisen, président, Anne Gosset, juge Paul Nourissier, juge, Et lu à l’audience publique du 24 novembre 2011 par le président, en présence du greffier assumé Sabrina Knebler.
s. Sabrina Knebler s. Marc Feyereisen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 novembre 2011 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 11