Tribunal administratif Numéro 28745 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juin 2011 3e chambre Audience publique du 23 novembre 2011 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 28745 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2011 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, assisté de Maître Cigdem Kutlar, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Guinée), de nationalité guinéenne, demeurant actuellement à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 9 mai 2011 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 octobre 2011 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Cigdem Kutlar, en remplacement de Maître Olivier Lang, et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives.
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Le 8 février 2010, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « loi du 5 mai 2006 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et sur l’itinéraire de voyage suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Il fut encore entendu les 15 février et 2 juin 2010 par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 9 mai 2011, envoyée le lendemain par lettre recommandée à la poste, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 8 février 2010.
En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 8 février 2010 et les transcriptions d'entretien des 15 février 2010 et 2 juin 2010.
Il résulte du rapport du Service de Police Judiciaire du 8 février 2010 que vous auriez quitté … par voie aérienne le 7 février 2010 en compagnie d'un homme blanc au nom de … qui aurait été en possession de documents de voyage. Vous ignorez où vous auriez atterri. Par la suite vous auriez pris un train pour le Luxembourg où vous auriez déposé une demande de protection internationale en date du 8 février 2010. Vous présentez un extrait d'acte de naissance établi le … à …. Vous n'auriez jamais été en possession d'un passeport.
Il résulte de vos déclarations que vous seriez né à … où vous auriez vécu depuis 2006 dans la commune de Ratoma, quartier Koloma à majorité peul avec votre frère et sa famille.
Votre frère, …, serait militaire, un béret rouge du grade d'adjudant chef et aurait travaillé au camp Koundara. Vous-même auriez suivi des études de génie électrique à l'université de …. Vous auriez de temps en temps travaillé en tant qu'électricien.
Vous précisez que vous ne seriez pas membre d'un parti politique, mais que vous auriez été président par intérim d'une association à but non lucratif au nom de « Jeunesse pour la vision du futur ». Cette association, qui ne serait pas ralliée à un parti politique, se serait occupée de l'assistance de femmes non scolarisées, de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture à des personnes analphabètes, mais également du nettoyage des caniveaux avant l'arrivée des grandes pluies. L'association aurait également organisé des tournois de football entre quartiers et des soirées dansantes.
En tant que étudiant vous auriez participé en janvier-février 2007 à une grande manifestation ayant eu lieu dans le cadre de la « ville morte ». Les gens seraient descendus dans les rues pour manifester leur ras-le-bol au gouvernement et pour dénoncer les conditions de vie.
Des militaires auraient sillonné dans les quartiers pour arrêter des personnes. Cette manifestation aurait été réprimée par les forces de l'ordre et il y aurait eu des affrontements. Des personnes seraient décédées. Vous auriez été arrêté avec d'autres (…) personnes et mis en garde à vue pendant quelques heures au commissariat de Dixin. Vous auriez été frappé lors de votre détention avant d'être libéré.
Dans la nuit du 4 décembre 2009 un grand nombre de militaires seraient entrés dans votre domicile. Vous auriez eu peur et vous vous seriez caché sous votre lit. Vous auriez entendu un militaire dire « trouvez-le, embarquez-le », ils auraient été à la recherche de votre frère. Vous auriez été arrêté, ensemble avec la cousine de votre belle-sœur. Les militaires auraient braqué leur arme contre vous et auraient crié et demandé de voir votre frère. Or, ce dernier aurait été absent. Vous auriez dit aux militaires que peut être ce serait son jour de garde. Les militaires vous auraient alors giflé, frappé et donné des coups de pieds. La cousine de votre belle-sœur aurait également été frappée. Par la suite, vous auriez tous les deux été embarqués dans un pick-
up et emmenés dans la gendarmerie de Matam où vous auriez été séparés et mis dans une cellule.
Trois autres personnes y auraient été présentes.
Le lendemain, on vous aurait bandé les yeux et emmené dans une maison. On vous aurait interrogé sur votre frère. Vous dites que les interrogations auraient eu des connotations ethniques et politiques. On vous aurait menacé et dit que les peuls seraient des traîtres, des lâches qui ne mériteraient pas la vie. On vous aurait dit que les policiers auraient des informations sur vous, que vous auriez tenu des réunions dans votre quartier pour le parti politique peul de Cellou Dalein, ce qui ne serait pas vrai. On vous rallierait à un parti politique parce que vous seriez peul et parce que vous auriez été membre de cette association. Il y aurait des rivalités entre les ethnies des différentes régions guinéennes. Votre famille serait accusée d'avoir voulu éliminer le président suite à la tentative d'assassinat du capitaine Moussa Daddis Camara lors de la mutinerie qui aurait lieu au camp Koundara où votre frère aurait travaillé. On vous aurait accusé d'avoir aidé votre frère à s'enfuir. Selon vos interrogateurs vous lui auriez donné de l'argent et parlé avec lui au téléphone. L'arme de votre frère avec des balles manquantes aurait été retrouvée dans la maison ainsi qu'une enveloppe avec 3000 euros dans la chambre de votre frère. On vous aurait questionné sur cette somme d'argent et vous indiquez qu'on aurait voulu que vous disiez que votre frère aurait eu cet argent d'un politicien. De même, on vous aurait accusé d'avoir organisé le coup d'Etat depuis longtemps. Comme vous n'auriez pas su qui aurait donné cet argent à votre frère vous auriez été frappé et vous auriez finalement dit où se trouverait la femme de votre frère. Elle n'aurait pas été présente lorsque les militaires seraient venus à votre domicile.
Vous dites que vous n'auriez pas parlé avec votre frère. Vous ne sauriez pas si votre frère aurait été impliqué dans le coup d'Etat. Personnellement, vous ne croyez pas que votre frère aurait été capable d'être impliqué dans un coup d'Etat. Vous seriez sans ses nouvelles, mais vous pensez qu'il aurait été arrêté. Votre frère n'aurait pas beaucoup parlé sur son travail à l'armée.
De même, vous ignorez comment il serait entré dans l'armée et si en tant que peul comme vous, il aurait eu des difficultés pour entrer dans l'armée ou s'il aurait eu des problèmes au sein de l'armée même à cause de son ethnie. Il n'y aurait pas beaucoup de communications entre vous et votre frère.
Vous dites que vous vous seriez évadé de la gendarmerie le 16 janvier 2010. La nuit le chef de poste serait venu avec un homme en tenu (sic), vous pensez un militaire et vous aurait fait sortir de la cellule. Il aurait dit que vous alliez être transféré dans un camp. Vous auriez pris place dans une voiture entre deux personnes armées. Vous auriez pensé devoir mourir parce que lors de votre détention on vous aurait dit que vous alliez mourir à la place de votre frère, que vous seriez éliminé. On vous aurait fait signer des documents dont vous auriez ignoré le contenu.
Après un moment, le militaire, parlant à une personne au téléphone aurait fait arrêter la voiture et serait descendu. Il serait revenu avec une enveloppe et vous aurait dit d'entrer dans un taxi où vous auriez trouvé le comptable de votre oncle. Il vous aurait dit que tout serait fini, que tout irait bien. Il vous aurait emmené à Coyah où vous seriez resté caché dans une maison jusqu'à votre départ de la Guinée. Le comptable de votre oncle vous aurait dit que votre maison ainsi que des documents auraient été confisqués.
Vous seriez resté dans cette maison jusqu'à votre départ en date du 7 février 2010. Vous y auriez été soigné par une femme pour des irritations de la peau que vous auriez attrapées en prison et pour des problèmes de constipation. Vous ne seriez pas sorti de la maison. Vous ne seriez pas libre, vous auriez dû quitter la Guinée parce que votre famille serait menacée en raison de la mutinerie qui aurait eu lieu au camp Koundara. Votre vie serait en danger, vous auriez peur de vous faire tuer en raison du fait que votre frère serait militaire et pour votre rôle joué dans cette association. Vous ajoutez que vous auriez été abusé sexuellement par trois codétenus, des bandits arrêtés qui auraient partagé votre cellule.
Votre oncle vous aurait dit que la femme de votre frère et son enfant auraient été sauvés.
Par contre, la cousine de la belle-sœur serait portée disparue avec son enfant.
La reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.
Ainsi, en ce qui concerne votre arrestation lors d'une manifestation en janvier-février 2007, il y a d'abord lieu de constater que cet incident est trop loin dans le temps pour fonder actuellement une demande en obtention d'une protection internationale. A cela s'ajoute que cette arrestation a eu lieu dans un contexte bien particulier, lors d'une période mouvementée de la Guinée et que vous auriez été immédiatement libéré. Les violences que vous auriez subies sont à condamner.
Vous faites état du coup d'Etat contre Moussa Dadis Camara de décembre 2009 dans lequel votre frère militaire aurait été soupçonné d'avoir été impliqué. Des militaires seraient venus à votre domicile, à la recherche de votre frère. Vous auriez été soupçonné d'avoir aidé votre frère à s'enfuir, de même on vous aurait accusé de soutenir le parti politique peul de Cellou Dalein.
Sans mettre en doute la réalité du coup d'Etat manqué contre Moussa Dadis Camara en date du 4 décembre 2009, les faits que vous relatez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.
En effet, dans un premier temps, il y a lieu de soulever que l'aide de camp de Moussa Dadis Camara au nom de Abubakar Toumba Diakite a admis avoir tiré sur ce dernier, parce que Moussa Dadis Camara l'aurait voulu rendre responsable du massacre de septembre 2009 au stade de …. Abubakar Toumba Diakite se serait senti trahi par Dadis. Ainsi il ressort également d'un article du « Guardian » que « Human rights groups have named Diakite as one of the commanders most responsible for the massacre. Witnesses told the Associated Press they saw him ordering the killings inside a stadium. But human rights groups also hold Camara responsible, given that the presidential guard is under his command. Diplomats and people close to the junta say Camara probably gave the order for the killings and Diakite executed the plan ».
De même, il ressort d'un autre article de presse du site « Guineaoye.wordpress.com » de février 2010 que « The man who tried to assassinate Guinea's now-exiled junta leader and has been blamed for a September massacre says he's ready to face international justice. Lt. Abubakar "Toumba" Diakite, in an interview with, Radio France International aired Friday, said he was only following orders and is willing to go in front of an international commission or court. He also asked Guinea's transitional leader to pardon him. An investigative commission in Guinea on Tuesday blamed Diakite and a group of soldiers from the presidential guard for the massacre ».
Force est donc de constater que le principal responsable du coup d'Etat contre le chef de la junte militaire à l'époque au pouvoir Moussa Dadis Camara est connu et a même reconnu les faits. Il est également établi qu'après cette tentative de coup d'Etat que le gouvernement guinéen a exprimé sa volonté de poursuivre les personnes responsables d'attentat du chef de l'Etat et de les poursuivre devant les juridictions. Ainsi, selon un rapport de « Human Right Watch » Numerous soldiers and civilians allegedly involved in the December 2009 assassination attempt against Dadis Camara were beaten, assaulted and in the case of at least seven soldiers, tortured to death, inside the Alpha Yaya Diallo military camp in … ».
En l'espèce, il n'est pas établi si votre frère … en tant que militaire aurait été impliqué ou non dans le coup d'Etat. Vous seriez sans ses nouvelles et pensez qu'il aurait été arrêté. Dans un autre contexte vous dites que les militaires seraient à la recherche de votre frère et vous auraient également dit que vous seriez tué à sa place. Quoi qu'il en soit il y a lieu de constater que vous avez été arrêté dans un contexte bien particulier dans la nuit même de la tentative d'assassinant contre le chef de l'Etat de l'époque. Sans vouloir excuser les violences que vous auriez subies lors de votre arrestation, il est légitime que le gouvernement procède à des enquêtes et arrestations dans le but de trouver les responsables, d'autant plus que votre frère aurait été militaire.
Par la suite, les certains responsables (sic) ont pu être déterminés et il n'est pas établi qu'à l'heure actuelle vous seriez toujours soupçonné d'avoir joué un rôle quelconque dans la tentative d'assassinant de décembre 2009 et recherché par le gouvernement guinéen.
A cela s'ajoute que depuis décembre 2009 la situation a beaucoup évalué (sic) et changé en Guinée. En effet après la tentative d'assassinat contre lui, Moussa Dadis Camara a été remplacé par Sekouba Konté qui a conduit la Guinée vers des élections présidentielles. En décembre 2010, à l'issu (sic) de deux tours électoraux Alpha Condé, ethnie malinké, grand opposant de l'ancien président guinéen Lansana Conté s'est vu emporté (sic) les élections contre Cellou Dalein, un peul, ancien premier ministre de 2004 à 2006. Malgré les violences qui ont éclatées (sic) autour des élections présidentielles, celles-ci ont été estimées justes et transparentes par la communauté internationale qui parle de « transition vers la démocratie », «retour à l'ordre constitutionnel » et d'un premier président librement élu en Guinée. En décembre 2010 l'Union africaine a levé les sanctions qui ont pesé sur la Guinée depuis 2 ans, pour ainsi soutenir l'élection d'un président civil. De même, fin mars 2011 le Représentant spécial de l'ONU pour l'Afrique de l'Ouest, Said Djinnit, a salué le lancement du processus de réforme du secteur de la sécurité en Guinée et réitéré la volonté des Nations Unies de soutenir «la Guinée nouvelle dans ses autres efforts de réforme et de redressement institutionnel et économique pour faire face aux aspirations légitimes de son peuple au changement et au bien-
être ». Pour saluer le bon déroulement de l'élection présidentielle en Guinée et apporter le soutien de Bruxelles à Alpha Condé, Andris Piebalgs, le commissaire européen au développement, se rendra à …, le 6 mai 2011.
Aplha (sic) Condé a proclamé vouloir promouvoir l'unité nationale et créer une commission indépendante pour investiguer sur les violences ethniques pré-électorales et sur les violences de ces dernières années. Il y a également lieu de citer à nouveau le rapport de « Human Right Watch » selon lequel « At year's end there was considerable optimism that the new government would begin to address Guinea's deeply entrenched human rights problems, notably a longstanding culture of impunity, a bloated and poorly managed army, criminal acts in the face of inadequate policing, striking deficiencies within the judicial system, weak rule of law, and endemic corruption that deprives Guineans of key economic rights. Some of the officers who assumed control of the security forces in late 2009 made a concerted effort to instill discipline within the ranks. The new constitution, adopted in April by the ad hoc parliamentary body, the National Transition Council, includes several provisions which, if implemented, could increase respect for human rights and good governance. These include establishing Guinea's first independent national human rights institution, requiring public asset declarations by the president and his ministers, and creating a Court of Audit mandated to conduct yearly financial audits of public institutions. The constitution also strengthened the independence of the High Council of Judges, responsible for the discipline, selection, and promotion of judges ».
Vous dites être d'ethnie peul. Sans mettre en doute les rivalités ethniques qui existent en Guinée, il y a lieu de citer le nouveau Alpha Condé en ce qu'il a proclamé en août 2010 : « Mon combat n'est pas dirigé contre les Peuls, mais contre une mafia qui veut s'accaparer le pays », déclarait Alpha Condé, le 11 août dernier à …. À l'approche du second tour de la présidentielle, prévu le 19 septembre prochain, ces propos du candidat malinké appelé à affronter le Peul Cellou Dalein Diallo sonnent comme une mise au point alors que beaucoup redoutent des affrontements communautaires ». Dans ce contexte, rappelons également que votre frère, peul a réussi à entrer dans l'armée guinéenne.
Enfin, en ce qui concerne les abus sexuels que vous auriez subis en détention par des codétenus ils doivent être considérés comme des délits de droit commun et non comme des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006.
Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays.
Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Etant donné que les faits invoqués à la base de votre demande de protection internationale ne sauraient être actuellement admis comme justifiant à suffisance une crainte de persécution ; dès lors, et a fortiori, l'absence matérielle de crainte actuelle fondée s'impose également en ce qui concerne la demande tendant à obtenir la protection subsidiaire.
En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort, ni de risques concrets et probables de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour en Guinée. Vous dites être recherché sans apporter la moindre preuve. Par ailleurs, vous ne faites pas état de risques émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international. La situation actuelle s'est nettement améliorée en Guinée et la situation actuelle est calme.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
La présente décision vaut ordre de quitter le territoire. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2011, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 9 mai 2011, par laquelle il s’est vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale, et un recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, inclus dans le même document.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, un recours en réformation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée, lequel recours est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il serait originaire de … en Guinée, d’origine ethnique peul et de confession musulmane. Jusqu’à son départ de la Guinée, il aurait vécu chez son grand frère qui serait son tuteur, et avec la femme de ce dernier et leur enfant. Il précise que son frère serait militaire de carrière et aurait notamment fait partie de la garde rapprochée du Président Lansana Conté. Pendant ses études universitaires, vers la fin de l’année 2005, début 2006, il aurait fondé avec d’autres étudiants une association dénommée « Jeunesse pour la vision du futur », dont il aurait été le président par intérim au début de l’année 2007.
Cette association, dont les objectifs auraient été de venir en aide aux plus démunis et de promouvoir les jeunes, aurait été opposée au régime du Président Conté. En 2007, il aurait pris part à une grande manifestation organisée pour protester contre la flambée du prix du riz. Il aurait également participé à la manifestation du début de l’année 2007, et aurait été arrêté et emmené avec d’autres manifestants au commissariat de Dixinn où il aurait été frappé, puis relâché après plusieurs heures de garde à vue. En 2009, il aurait fait irruption sur un plateau de télévision avec quelques amis pour protester contre le régime du nouveau Président Moussa Dadis Camara, incident au cours duquel il aurait certainement été filmé. En septembre 2009, il aurait participé à un rassemblement dans un stade au cours duquel les militaires auraient tiré sur la foule causant de nombreuses victimes, mais aurait réussi à s’enfuir. En décembre 2009, il aurait été arrêté par des militaires alors qu’il se trouvait au domicile de son frère avec la cousine de sa belle-sœur et son enfant. Les militaires auraient été à la recherche de son frère, soupçonné d’avoir pris part la veille à une tentative d’assassinat contre le Président Camara. Le demandeur et la cousine auraient été frappés et interrogés sur son frère pour être finalement emmenés au poste de gendarmerie où il aurait été séparé de la cousine, et jeté dans une cellule où se trouvaient déjà trois détenus qui l’auraient violé toutes les nuits pendant sa détention. Le lendemain, les militaires l’auraient informé qu’ils auraient trouvé au domicile familial l’arme de son frère et la somme de trois mille euros et que son frère serait accusé d’avoir participé à la tentative d’assassinat contre le Président Camara. Durant sa détention, il aurait subi de mauvais traitements et aurait été soumis à des interrogatoires pour connaître les noms des complices de son frère et aurait même été accusé d’être le complice de son frère. Il aurait ainsi fini par leur révéler l’endroit où sa belle-sœur et son enfant se trouvaient la nuit de l’arrestation. Il serait ensuite resté incarcéré dans des conditions inhumaines durant un mois, et que pendant tout ce temps, il aurait été victime de sévices sexuels de la part de ses codétenus. Le 16 janvier 2010, il aurait pu s’évader grâce à l’aide de son oncle qui aurait payé pour le faire sortir de prison. Il aurait alors appris que sa belle-sœur et l’enfant seraient sains et saufs, mais que son frère serait introuvable, tout comme la cousine et son enfant.
Il serait resté caché durant trois semaines avant de prendre l’avion le 7 février 2010 pour un pays inconnu avec un passeur qui l’aurait accompagné en train au Luxembourg.
En droit, le demandeur souligne tout d’abord que sa crédibilité n’aurait pas été remise en cause par le ministre.
Il estime ensuite que la méthode d’examen de sa demande employée par le ministre ne serait pas conforme à l’article 26 (3) de la loi du 5 mai 2006, et notamment à ses points a), b) et c), en ce que le ministre devrait procéder à l’évaluation de sa situation individuelle dans le contexte général de son pays d’origine dans lequel elle s’inscrirait, et non pas, tel qu’indiqué par le ministre dans sa décision litigieuse, de faire dépendre l’analyse de sa demande de protection internationale surtout de sa situation individuelle particulière, alors que la situation générale du pays d’origine et la situation particulière du demandeur d’asile seraient indissociablement liées l’une à l’autre. Il critique ainsi le ministre de ne pas avoir appréhendé les faits qu’il invoque à l’appui de sa demande de protection internationale dans le cadre du contexte général qui prévaut en Guinée.
Quant à la situation générale en Guinée, le demandeur décrit l’évolution de la situation politique en Guinée depuis son accès à l’indépendance en 1958, en se prévalant notamment d’un rapport du 24 mai 2011 de Human Rights Watch intitulé « Nous avons vécu dans l’obscurité ». Il procède ensuite à une analyse critique des rapports et autres documents cités par le ministre à l’appui de sa décision. Il se prévaut des mauvaises conditions de détention en Guinée telles que rapportées par différentes ONG. Il conclut que ce serait à la lumière de cette situation générale telle que décrite par les sources d’information que le ministre aurait dû procéder à l’évaluation individuelle de sa demande, tout en relevant que les éléments de la situation générale dont le ministre se serait prévalu ne seraient pas pertinents au regard de son histoire personnelle, tandis que les éléments pertinents auraient tout simplement été ignorés par le ministre.
S’agissant de l’évaluation individuelle de sa demande, le demandeur reproche au ministre d’avoir retenu que son arrestation de 2007 serait trop éloignée dans le temps pour pouvoir être prise en considération, alors qu’une telle considération serait contraire à l’article 26 (3), c) de la loi du 5 mai 2006, tout en relevant que cette arrestation lui aurait été rappelée par les militaires lors des interrogatoires durant sa dernière détention.
Le demandeur souligne ensuite qu’il aurait été victime de violences physiques et mentales très graves de la part des militaires guinéens pendant sa détention durant plus d’un mois, tout comme il aurait été victime de viols commis par des codétenus sur une base quotidienne.
Il déclare ainsi craindre des persécutions en raison de ses opinions politiques ou du moins en raison de celles qui lui seraient prêtées par ses persécuteurs, en ce que ceux-ci lui reprocheraient d’être lié d’une manière ou d’une autre à la tentative d’assassinat contre le président guinéen ainsi que sa participation aux manifestations de 2007 et 2009. Il relève que les militaires lui auraient également reproché au cours des interrogatoires son origine ethnique peul.
Il conclut qu’il serait persécuté dans son pays d’origine en raison de ses opinions politiques, de sa nationalité et de son appartenance à un groupe social, conformément aux dispositions de l’article 32 (1) de la loi du 5 mai 2006.
Il critique ensuite le ministre d’avoir retenu que les violences sexuelles subies en prison de la part de codétenus seraient des délits de droit commun, alors que les militaires n’auraient rien fait pour le protéger contre de tels sévices, en relevant encore que les violences sexuelles constitueraient une arme du régime au pouvoir contre les contestataires.
Le demandeur conclut que les actes dont il aurait été victime et dont il craindrait d’être à nouveau victime en cas de retour en Guinée seraient suffisamment graves pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution conformément aux dispositions de l’article 31 de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils constitueraient des actes de torture, sinon des traitements inhumains ou dégradants interdits par les articles 2, 3 et 5 de la Convention européenne des droits de l’homme ci-après dénommée « CEDH », et qui auraient fini par briser sa résistance morale. Il déclare souffrir actuellement encore d’un syndrome de stress post traumatique nécessitant une prise en charge médicale.
Il se prévaut ensuite de la présomption de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 alors que les persécutions dont il aurait d’ores et déjà été victime feraient présumer que ces persécutions se reproduiraient, et que le ministre n’aurait pas rapporté la preuve de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiraient pas, la simple référence faite par le ministre à l’évolution favorable de la situation politique en Guinée serait infirmée par sa description de la situation générale actuelle dans ce pays, tout en se prévalant du rapport de Human Rights Watch de janvier 2011 sur la Guinée. Par ailleurs, même à supposer établie cette évolution favorable, cela ne suffirait pas à démontrer qu’il n’encourrait plus de risque en Guinée, étant donné que les militaires le considéreraient comme un traître pour avoir aidé son frère et un opposant politique et qu’il aurait signé sous la torture des documents sans connaître leur contenu.
Il relève encore que son frère et la cousine de la femme de son frère et son enfant auraient disparu sans donner plus aucune nouvelle.
En ordre subsidiaire, le demandeur soutient qu’il remplirait toutes les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection subsidiaire et notamment celles de l’article 37 b), tout en renvoyant à ses développements présentés dans le contexte du volet de la décision refusant le statut de réfugié. Il se prévaut également de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, tout en soulignant que la peine de mort serait toujours en vigueur en Guinée.
Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que son recours serait à rejeter comme non fondé. Il entend réfuter tout reproche visant la façon dont le dossier du demandeur a été instruit en soulignant que le ministre aurait procédé à une analyse et évaluation individuelle de la situation du demandeur et du contexte général de son pays d’origine. Il relève ensuite que le principal responsable du coup d'Etat contre le Président Camara serait connu et aurait même reconnu les faits et qu'après cette tentative de coup d'Etat, le gouvernement guinéen a exprimé sa volonté de poursuivre les personnes responsables d'attentat du chef de l'Etat. Il estime ainsi qu’il ne serait pas établi que le frère du demandeur aurait été impliqué ou non dans le coup d'Etat et souligne que le demandeur aurait été arrêté dans un contexte bien particulier dans la nuit même de la tentative d'assassinant contre le chef de l'Etat de l'époque. Sans vouloir excuser les violences, il estime qu’il serait légitime que le gouvernement procède à des enquêtes et arrestations dans le but de trouver les responsables. Il soutient en outre qu’il ne serait pas établi que le demandeur soit encore actuellement recherché pour implication dans le coup d'Etat, étant donné que certains responsables ont pu être déterminés. Il fait encore valoir que depuis décembre 2009, la situation aurait beaucoup évolué et changé en Guinée, en ce qu’en décembre 2010, à l'issue de deux tours électoraux, Alpha Condé, ethnie malinké, grand opposant de l'ancien président guinéen Lansana Conté a remporté les élections contre Cellou Dalein, un peul, ancien premier ministre de 2004 à 2006. Malgré les violences qui ont éclaté autour des élections présidentielles, celles-ci auraient été estimées justes et transparentes par la communauté internationale qui parlerait de « transition vers la démocratie », de « retour à l'ordre constitutionnel » et d'un premier président librement élu en Guinée. En décembre 2010, l'Union africaine aurait levé les sanctions qui ont pesé sur la Guinée depuis deux ans, pour ainsi soutenir l'élection d'un président civil. De même, fin mars 2011, le Représentant spécial de l'ONU pour l'Afrique de l'Ouest, Said Djinnit, aurait salué le lancement du processus de réforme du secteur de la sécurité en Guinée. Le délégué du gouvernement donne encore à considérer que Alpha Condé aurait proclamé vouloir promouvoir l'unité nationale et créer une commission indépendante pour investiguer sur les violences ethniques pré-électorales et sur les violences de ces dernières années. En ce qui concerne l'appartenance du demandeur à l'ethnie peul, le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre soulevé que concernant les rivalités ethniques qui existent en Guinée depuis des années, Alpha Condé aurait proclamé en août 2010: « Mon combat n'est pas dirigé contre les Peuls, mais contre une mafia qui veut s'accaparer le pays », pour en déduire que le demandeur n'aurait pas démontré pour quelles raisons exactement sa vie serait actuellement en danger en Guinée en raison de sa seule appartenance ethnique.
En guise de conclusion, le délégué du gouvernement estime que le demandeur n’a pas apporté d'éléments probants pouvant faire penser qu'à l'heure actuelle, au regard de la situation en octobre 2011, il risquerait de subir une nouvelle arrestation, détention ou des atteintes graves à l'égard de sa personne.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
Il est constant en l’espèce que la crédibilité du récit du demandeur n’est point contestée.
Quant à la méthode d’examen de la demande telle que critiquée par le demandeur, force est au tribunal de constater à la lecture de la décision incriminée que le ministre n’a pas procédé à une séparation artificielle de la situation générale en Guinée et de la situation personnelle du demandeur, comme le suggère celui-ci, mais il a affirmé à juste titre que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine d’un demandeur, mais également par la situation particulière de celui-ci, lequel doit établir concrètement que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte fondée de persécution. S’y ajoute qu’en substance le ministre a procédé à l’évaluation de la situation individuelle du demandeur dans le contexte de la situation générale prévalant dans son pays d’origine. Il a dès lors été suffi aux exigences de l’article 26 (3) de la loi du 5 mai 2006, et plus particulièrement de ses points a) à c), de sorte que le moyen afférent est à rejeter comme non fondé.
Quant au bien-fondé de la décision de refus du statut de réfugié, le demandeur fait état de craintes de persécution en raison, d’une part, de ses opinions politiques du fait d’avoir été soupçonné d’être impliqué dans la tentative d’assassinat du Président Camara en décembre 2009, du fait d’avoir participé aux manifestations de 2007 et 2009 et du fait de son activisme dans le cadre d’une association pour les jeunes et, d’autre part, en raison de son origine ethnique peul. Il a ainsi fait état de mauvais traitements qu’il aurait subis durant sa dernière détention de la part des militaires et de la part des codétenus qui l’auraient violé.
Or, conformément à l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, le fait qu’un demandeur a déjà été persécuté ou a déjà fait l’objet de menaces directes d’une telle persécution est considéré comme un indice sérieux de la crainte fondée du demandeur d’être persécuté, sauf s’il existe de bonnes raisons de penser que cette persécution ne se reproduira pas, la charge de la preuve de l’absence de telles bonnes raisons incombant au ministre.
A cet égard, le ministre a fait état de l’élection en décembre 2009 du Président malinké Alpha Conté comme premier président civil librement élu qui devrait marquer un tournant de la situation en Guinée ainsi que du fait que le principal responsable du coup d’Etat contre le Président Camara a été identifié en la personne de l’aide de camp du président.
Force est au tribunal de constater que les rapports et articles de presse déposés par les deux parties renseignent que la Guinée a connu de graves violations des droits de l’homme commises par les forces de l’ordre guinéennes au cours de ces dernières années, l’attentat contre le Président Camara ayant encore accentué ce climat d’insécurité. Par ailleurs, les élections présidentielles de juin et décembre 2010 ayant opposé un candidat malinké et un candidat peul ont été entourées d’actes de violence et de tensions politico-ethniques. S’y ajoute que d’après l’article publié sur le site internet afrik.com versé par le demandeur, la situation des membres de l’ethnie peul reste fragile en Guinée.
S’il est vrai que la simple invocation de rapports, faisant état d’une manière générale de violations des droits de l’homme dans un pays, ne suffit pas à établir que tout ressortissant de ce pays encourt un risque d’être persécuté, il n’en demeure pas moins que le demandeur a été arrêté et détenu dans le contexte du coup d’Etat contre le Président Camara, qu’il est connu comme un militant politique et qu’il est d’origine ethnique peule. Tous ces éléments permettent de retenir que le demandeur pourrait être personnellement ciblé par les autorités guinéennes pour des considérations politiques et ethniques, le ministre n’ayant pas démontré en l’espèce qu’il existe de bonnes raisons de penser que la persécution subie par le demandeur ne se reproduirait pas, les seules promesses d’un président nouvellement élu de vouloir sortir le pays de la crise, en l’absence d’autres précisions, ne permettant pas de croire à une amélioration de la situation sécuritaire actuelle en Guinée.
Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à retenir que le demandeur a établi à suffisance qu’il a des raisons de craindre d’être persécuté dans son pays du fait de ses opinions politiques combinées à son origine ethnique.
En conséquence, le demandeur prétend à juste titre à la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef et la décision critiquée du 9 mai 2011 encourt la réformation en ce sens.
Eu égard à la reconnaissance de la qualité de réfugié au demandeur, l’analyse du volet du recours concernant le refus du ministre d’accorder au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire devient surabondante.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 9 mai 2011 est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de ce recours, le demandeur soutient à titre principal que comme la décision de refus d’une protection internationale devrait encourir la réformation, l’ordre de quitter devrait en conséquence être annulé.
En ordre subsidiaire, il conclut à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, au motif qu’il violerait de façon autonome tant l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration que l’article 3 de la CEDH. Le demandeur estime en effet que le champ d’application de ces dispositions serait plus large que celui de l’article 2 c) et e) de la loi du 5 mai 2006. Il considère que le degré du risque de faire l’objet de mauvais traitements exigé pour obtenir la reconnaissance d’une protection internationale serait beaucoup plus élevé que celui requis pour interdire l’éloignement de l’étranger vers le pays dans lequel ce risque existe et que l’on ne saurait automatiquement conclure qu’un demandeur de protection internationale débouté ne puisse pas faire valablement état d’un risque de traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine qui interdirait son éloignement vers ce pays. Le demandeur donne encore à considérer qu’il aurait établi ce risque grâce à un faisceau d’indices, constitué par les menaces et exactions dont il aurait déjà été victime de la part des militaires guinées et par le fait qu’il serait un fugitif. Enfin, il soutient que l’article 3 de la CEDH, combiné à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, poserait un principe absolu d’interdiction de refoulement vers un pays où la personne concernée risque de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.
Le demandeur conclut encore à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire au motif qu’il ne serait assorti d’aucun délai en violation de l’article 7, paragraphe 1er de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 du Parlement Européen et du Conseil relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres du retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, dans sa version applicable au jour de la décision litigieuse, une décision négative du ministre en matière de protection internationale valait ordre de quitter le territoire.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-dessus que le demandeur est fondé à se prévaloir du statut de réfugié et que la décision de refus de la protection internationale est à réformer dans cette mesure, il y a lieu d’annuler l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la décision ministérielle déférée du 9 mai 2011.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 9 mai 2011 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, par réformation de la décision ministérielle déférée du 9 mai 2011, accorde à Monsieur … le statut de réfugié au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle déférée portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare justifié ;
partant annule l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la décision ministérielle du 9 mai 2011 ;
renvoie le dossier devant le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration pour exécution ;
donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 23 novembre 2011 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23.11.2011 Le Greffier du Tribunal administratif 14