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03/11/2011 | LUXEMBOURG | N°27571

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 novembre 2011, 27571


Tribunal administratif Numéro 27571 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 décembre 2010 2e chambre Audience publique du 3 novembre 2011 Recours introduit par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Santé en matière d’exercice de la profession de médecin

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27571 du rôle et déposée le 14 décembre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Fernand Entringer, assisté de Maître Benoît Entringer, tous

deux avocats à la Cour, inscrits au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

Tribunal administratif Numéro 27571 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 décembre 2010 2e chambre Audience publique du 3 novembre 2011 Recours introduit par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Santé en matière d’exercice de la profession de médecin

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27571 du rôle et déposée le 14 décembre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Fernand Entringer, assisté de Maître Benoît Entringer, tous deux avocats à la Cour, inscrits au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, …, demeurant à …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Santé du 10 décembre 2010, prononçant la suspension pour la durée de trois mois avec effet immédiat de l’autorisation dont il bénéficiait d’exercer la profession de … ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 24 décembre 2010 par laquelle il a été décidé d’autoriser le docteur … à continuer l’exercice de sa profession de … en attendant que le tribunal ait statué au fond sur le mérite du recours ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 mars 2011 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 avril 2011 par Maître Fernand Entringer, assisté de Maître Benoît Entringer, pour compte de Monsieur … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 mai 2011 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, Maître Benoît Entringer et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives.

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Par décision du 10 décembre 2010, le ministre de la Santé prit l'arrêté suivant:

« Vu la requête du 10 novembre 2010 du Collège médical tendant au retrait temporaire de l'autorisation d'exercer la profession de … de Monsieur le docteur …, demeurant à … ;

Vu la lettre recommandée du 23 novembre 2010 par laquelle le docteur … est informé quant à l'objet de la requête émanant du Collège médical ainsi que sur l'intention du soussigné de procéder à la suspension de l'autorisation d'exercer la profession de … ;

Vu la prise de position écrite du conseil du docteur … émise en date du 3 décembre 2010 à l'égard de la lettre recommandée précitée;

Vu la loi modifiée du 29 avril 1983 concernant l'exercice des professions de médecin, de médecin-dentiste et de médecin-vétérinaire, et notamment les articles 16 et 8;

Considérant que les différents documents ayant composé le courrier du 21 octobre 2010, et qui furent envoyés sous forme de télécopie au Collège médical par le docteur …, laissent supposer tant par leur nature et par leur contenu que par leur forme que le médecin précité souffre d'un état de confusion;

Considérant que le résultat de l'entrevue du Collège médical avec le docteur … du 27 octobre 2010 conforte les inquiétudes tirées par ledit collège de la lecture du courrier visé ci-dessus;

Considérant que dans ces conditions :

- la poursuite de l'exercice professionnel du docteur … risque d'exposer la santé ou la sécurité des patients ou de tiers à un dommage grave;

- le docteur … ne remplit plus les conditions de santé psychique nécessaires à l'exercice de la profession de … ;

Considérant qu'il y a péril en la demeure au sens de l'article 16, paragraphe (2) de la loi modifiée du 29 avril 1983 précitée;

Arrête:

Art. 1er : L'autorisation d'exercer la profession de médecin en qualité de …, accordée en date du 22 décembre 1988 à M. le Dr …, demeurant à …, est suspendue pour la durée de trois mois avec effet immédiat.

Art. 2 : La reprise de l'activité professionnelle de M. le Dr … est subordonnée à la constatation de l'aptitude de l'intéressé par une expertise. Cette expertise sera effectuée dans le mois qui précède l'expiration de la suspension ; ceci dans les conditions de l'article 16, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 avril 1983 concernant l'exercice des professions de médecin, de médecin-dentiste et de médecin-vétérinaire.

Art. 3 : Le présent arrêté est communiqué sous pli recommandé à M. le Dr … pour exécution.

Une copie en est adressée pour information et gouverne à Monsieur le Président du Collège médical, à Madame le Directeur de la Santé et à Monsieur le Président de la Caisse Nationale de Santé. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2010, le docteur … a introduit un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision ministérielle précitée du 10 décembre 2010.

Conformément à l’article 3 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif n’est compétent pour connaître comme juge du fond que des recours en réformation dont les lois spéciales lui attribuent connaissance.

La loi modifiée du 29 avril 1983 concernant l’exercice des professions de médecin, de médecin-dentiste et de médecin-vétérinaire, ci-après dénommée « la loi du 29 avril 1983 », prévoyant en son article 35 un recours en réformation contre toute décision de retrait de l’autorisation d’exercer, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal introduit par le demandeur. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Le tribunal est amené dans un premier temps à examiner la recevabilité du recours en réformation au regard de l’intérêt à agir du demandeur, étant donné que le délégué du gouvernement a soulevé dans son mémoire en réponse le moyen selon lequel le recours serait devenu sans objet au motif que l’ordonnance du président du tribunal administratif du 24 décembre 2010 a autorisé le demandeur à poursuivre l’exercice de sa profession en attendant que le tribunal administratif se soit prononcé au fond sur le mérite du recours.

Le demandeur soutient en revanche que l’ordonnance présidentielle ne serait pas de nature à ôter à la décision déférée son caractère illégal. Au cours de l’audience des plaidoiries, sur question afférente du tribunal, le demandeur a également précisé que si le ministre a, par décision du 9 mai 2011, levé la décision ministérielle sous examen le restaurant avec effet au 10 mars 2011 dans ses droits d’exercer la profession de …, il n’en resterait pas moins que cette décision ne serait pas de nature à couvrir l’illégalité dont serait entachée la décision sous examen, laquelle lui aurait porté préjudice pendant toute sa durée de validité de trois mois, soit du 10 décembre 2010 au 10 mars 2011, nonobstant la suspension de ladite décision prononcée par ordonnance présidentielle le 24 décembre 2010.

Si l’intérêt à agir s’analyse, au regard de la recevabilité de la demande, au jour du dépôt de la requête introductive d’instance, encore faut-il en effet que cet intérêt se maintienne tout au long de l’instance, voire en instance d’appel sous peine de voir devenir la demande sans objet1.

En l’espèce, le tribunal est amené à constater que suite à la décision ministérielle du 9 mai 2011 levant la décision ministérielle sous examen, le demandeur est restauré avec effet au 10 mars 2011 dans ses droits d’exercer la profession de … . Partant, le recours visant à la réformation de la décision du ministre déférée afin de lever l’interdiction d’exercice de la profession du demandeur est devenu sans objet. Il n’en reste cependant pas moins que le demandeur allègue l’illégalité de la décision déférée lui ayant porté préjudice pendant une période de trois mois de sorte qu’il y a lieu de retenir que le demandeur conserve un intérêt à agir contre la décision déférée, laquelle sera examinée par le tribunal dans le cadre des moyens de légalité soulevés par le demandeur.

Le moyen d’irrecevabilité est partant à rejeter pour ne pas être fondé.

Il suit des développements qui précèdent que le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle déférée est partant recevable dans la limite des moyens de légalité invoqués pour avoir également été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours en réformation est à déclarer sans objet pour le surplus.

Le tribunal n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent2.

Le demandeur reproche au ministre de la Santé, qui se réfère expressément dans la décision sous examen à l’article 16 (2) de la loi du 29 avril 1983, d’avoir commis une violation de ce même article. Cet article prévoirait qu’en cas de péril en la demeure, lorsque la poursuite de l’exercice professionnel par un … ou un … risque d’exposer la santé ou la sécurité des patients ou de tiers à un dommage grave, le ministre peut prononcer la suspension de l’exercice de la profession ou l’assortir de conditions, avec effet immédiat, sur avis du collège médical, lequel n’aurait été, en l’espèce, ni sollicité, ni émis après saisine du ministre. Il fait valoir que la décision déférée préciserait que le ministre aurait été saisi d'une requête dudit collège suite à laquelle le ministre l’aurait enjoint de prendre position alors que cette requête ne lui aurait jamais été transmise. Il en conclut que ladite requête ne saurait dès lors être qualifiée d’avis tel que visé à l'article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après dénommé « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », en ce qu’il ne remplirait pas les conditions de forme y visées. Par conséquent, la décision ministérielle serait illégale au vu du non-respect d’une formalité essentielle.

Le délégué du gouvernement s’est abstenu de prendre position quant au moyen de 1 Cour adm. 13 juillet 2006, n° 211555 C du rôle, Pas. adm. 2010, V° Procédure administrative contentieuse, n° 20 2 trib. adm. 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2010, V° Procédure administrative contentieuse, n° 376 et les références y citées la violation de l’article 16 (2) précité.

Il échet de rappeler que l’article 16 (2) de la loi du 29 avril 1983 dispose que :

« S’il y a péril en la demeure, lorsque la poursuite de l’exercice professionnel par un médecin ou un … risque d’exposer la santé ou la sécurité des patients ou de tiers à un dommage grave, le ministre peut, sur avis du Collège médical et l’intéressé dûment mis en mesure de présenter ses observations, suspendre avec effet immédiat le droit d’exercer ou le soumettre à certaines restrictions. La décision de suspension doit être motivée et ne peut dépasser trois mois. Avant l’expiration de ce délai le ministre, sur base d’un rapport d’expertise tel que prévu au paragraphe qui précède, décide soit de restaurer l’intéressé dans son droit d’exercer, soit de prolonger la mesure de suspension, soit de prononcer le retrait de l’autorisation d’exercer. » Aux termes de l’article précité, le ministre peut suspendre avec effet immédiat le droit d’exercer la profession de … ou de … ou le soumettre à certaines restrictions s’il y a péril en la demeure, lorsque la poursuite de l’exercice professionnel par un … ou par un … risque d’exposer la santé ou la sécurité des patients ou de tiers à un dommage grave après avoir obtenu l’avis du Collège médical.

Il échet par ailleurs de rappeler que l’article 4 du règlement précité dispose que :

« Les avis des organismes consultatifs pris préalablement à une décision doivent être motivés et énoncer les éléments de fait et de droit sur lesquels ils se basent.

Lorsqu´il s´agit d´un organisme collégial, l´avis doit indiquer la composition de l´organisme, les noms des membres ayant assisté à la délibération et le nombre de voix exprimées en faveur de l´avis exprimé. Les avis séparés éventuels doivent être annexés, sans qu´ils puissent indiquer les noms de leurs auteurs ».

Ainsi, tout avis rendu par un organe consultatif et pris préalablement à une décision, sans distinction du caractère obligatoire ou facultatif de la saisine, doit être motivé et énoncer les éléments de fait et de droit sur lesquels il se base et doit indiquer, dans le cas d’un organisme collégial, la composition de l’organisme, les noms des membres ayant assisté à la délibération et le nombre de voix exprimées en faveur de l’avis exprimé. Par ailleurs, tout avis séparé doit être annexé sans pouvoir indiquer les noms de leurs auteurs.

Il est constant en l’espèce que la décision sous examen fait référence à « la requête du 10 novembre 2010 du Collège médical » mais ne mentionne pas un avis du Collège médical. Il est également constant en la cause que ladite requête n’était pas jointe à la décision ministérielle déférée de sorte que le demandeur n’a pas pu prendre connaissance de son contenu. Etant donné que ledit document n’a pas non plus été versé au dossier administratif, le tribunal n’a pas été mis en mesure d’en vérifier l’existence et le contenu.

Force est partant au tribunal de conclure de ces constatations que l’avis légalement requis par l’article 16 (2) de la loi du 29 avril 1983 n’a pas été pris, de sorte que le ministre a manifestement violé ledit article 16 (2) sur lequel il s’est basé pour prendre la décision sous examen et que la décision déférée encourt l’annulation pour avoir été prise sur base d’une procédure ainsi viciée.

Au vu des conclusions ci-dessus dégagées, il n’y a pas lieu d’examiner les autres moyens et arguments invoqués.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation dans la limite des moyens de légalité invoqués et le déclare sans objet pour le surplus ;

au fond, le déclare justifié, partant annule la décision du ministre de la Santé du 10 décembre 2010 ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, juge, André Gindt, juge et lu à l’audience publique du 3 novembre 2011 par André Gindt, juge délégué à cet effet, en présence du greffier assumé Sabrina Knebler.

s. Sabrina Knebler s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 novembre 2011 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 27571
Date de la décision : 03/11/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2011-11-03;27571 ?

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