Tribunal administratif Numéro 29418 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 octobre 2011 2e chambre Audience publique du 27 octobre 2011 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 29418 du rôle et déposée le 25 octobre 2011 au greffe du tribunal administratif par Maître Barbara Najdi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Tunisie), de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 26 septembre 2011 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention, pour une durée d’un mois à partir de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 octobre 2011 ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Barbara Najdi et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 octobre 2011.
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En date du 31 août 2011, Monsieur … fut interpellé par la police grand-ducale, unité SREC de la section des stupéfiants.
En date du même jour, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », prit une décision de retour à l’égard de Monsieur … en retenant que l’intéressé n’est pas en possession d’un passeport en cours de validité, qu’il n’est pas en possession d’un visa en cours de validité, ni en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail et que par conséquent il existe un risque de fuite dans son chef.
Egalement en date du 31 août 2011, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification. Ledit arrêté, qui fut notifié à l’intéressé en date du même jour, est basé sur les considérations et motifs suivants :
«Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le procès-verbal SREC-LUX/JDA 16545-1 du 31 août 2011 établi par la Police grand-ducale, Unité SREC Section stupéfiants ;
Vu ma décision de retour du 31 août 2011 ;
Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable :
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ».
En date du 26 septembre 2011, le ministre prorogea la mesure de placement en rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification. Ladite décision, qui fut notifiée à l’intéressé en date du 30 septembre 2011, est basée sur les considérations et motifs suivants :
«Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté notifié en date du 31 août 2011 décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;
Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 31 août 2011 subsistent dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que les démarches en vue de l’éloignement ont été engagées ;
Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ».
Par requête déposée le 25 octobre 2011 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la prédite décision ministérielle de placement du 26 septembre 2011.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
Un recours au fond étant prévu en la matière, il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que si la décision déférée était motivée par la nécessité d’engager des démarches nécessaires en vue de son éloignement, il ignorerait quelles démarches auraient été entreprises par le ministre, en faisant allusion à cet égard à un courrier du 2 septembre 2011 à travers lequel il aurait demandé communication de son dossier administratif. Il souligne encore qu’il serait injuste qu’il subisse la lenteur des administrations luxembourgeoise et tunisienne.
Il fait ensuite valoir qu’il n’aurait encore jamais été confronté à un « emprisonnement », et qu’il supporterait psychologiquement très mal le fait d’être enfermé.
Il souligne en outre que rien dans son « historique » ou dans son comportement ne permettrait de retenir qu’il refuserait de quitter immédiatement le pays par ses propres moyens, de sorte que la mesure de rétention ne se trouverait pas justifiée de ce fait.
Enfin, il donne à considérer qu’une privation de liberté du fait d’une mesure de rétention ou de détention ne devrait se faire que dans la mesure strictement nécessaire, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, et que cette privation de liberté porterait atteinte à sa dignité humaine.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Les contestations soulevées par le demandeur ont trait en substance, d’une part, aux diligences entreprises en vue de procéder à son éloignement, et, d’autre part, à la nécessité de la mesure prise au regard du fait qu’il est privé de sa liberté.
Il appartient au tribunal de déterminer l’ordre de l’examen des moyens et arguments des parties compte tenu de la logique juridique dans laquelle ils s’insèrent, sans être lié par l’ordre dans lequel les moyens ont été présentés par les parties.
Il convient dès lors d’examiner en premier lieu les contestations du demandeur ayant trait à la « nécessité » de la prise de la mesure privative de liberté, en ce qu’il soutient qu’une mesure privative de liberté ne devrait se faire que dans la mesure strictement nécessaire.
A cet égard, il convient de relever que dans la mesure où le tribunal est saisi d’un recours ayant pour objet une décision de prorogation de la mesure de rétention, son examen ne portera pas sur les conditions de la prise de la mesure de placement initiale, mais se limitera à l’examen de la nécessité de la prise de la décision de prorogation lui déférée.
Aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée (…).
Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) ».
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. Cette mesure peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
En l’espèce, la décision de prorogation de la mesure de rétention déférée est motivée par la considération que les motifs à la base de la mesure de placement initiale du 31 août 2011 subsistent dans le chef du demandeur, à savoir le constat que le demandeur, ayant fait l’objet d’une décision de retour, est démuni de documents d’identité et de voyage et qu’il y a risque de fuite dans son chef.
Il n’est pas contesté que le demandeur se trouve en situation illégale sur le territoire luxembourgeois et qu’il est démuni de documents d’identité et de voyage valables et que, de ce fait, il a fait l’objet d’une décision de retour en date du 31 août 2011. Il se dégage encore des explications fournies par le délégué du gouvernement ainsi que des pièces du dossier administratif que les démarches entreprises par le ministre en vue de l’obtention de documents de voyage pour pouvoir exécuter la mesure d’éloignement n’ont pas encore abouti.
Quant à la condition tenant à l’existence d’un risque de fuite, il convient de relever que la loi du 29 août 2008 pose en son article 111 (3) c) concernant les décisions de refus de séjour et l’obligation de quitter le territoire y attachée, une présomption de l’existence d’un risque de fuite, présomption simple pouvant être renversée (cf. doc. parl. n° 6218, avis du Conseil d’Etat, page 5; rapport de la commission des Affaires Etrangères et Européennes, de la Défense, de la Coopération et de l’Immigration, page 7). Ainsi, le risque de fuite est présumé notamment si l’étranger ne peut justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage en cours de validité. A défaut de restriction prévue par la loi, cette présomption peut être transposée également à la notion de risque de fuite telle que mentionnée à l’article 120, précité, de la loi du 29 août 2008 (cf. doc. parl. 6218, rapport de la commission des Affaires Etrangères et Européennes, de la Défense, de la Coopération et de l’Immigration, page 7).
Le demandeur ne disposant pas, tel que cela vient d’être retenu, de documents d’identité et de voyage valables, et ce défaut étant toujours vérifié à l’heure actuelle, le risque de fuite, condition de la prorogation de la mesure de rétention, est présumé dans son chef.
Force est de constater que le demandeur est resté en défaut de fournir des éléments permettant de renverser cette présomption, la seule affirmation, non autrement expliquée ou étayée, que rien dans son comportement ou dans son « historique » ne permettrait de présumer qu’il refuserait de quitter le territoire luxembourgeois de façon volontaire étant insuffisante à cet égard. Il s’ensuit que le ministre pouvait en principe valablement proroger la mesure de rétention.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation du demandeur qu’il supporterait mal psychologiquement la mesure privative de liberté ou encore celle qu’une mesure privative de liberté ne devrait se faire que dans la mesure strictement nécessaire. En effet, dans la mesure où le législateur a expressément prévu la possibilité de retenir un étranger dans une structure fermée afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, impliquant forcément une privation de liberté de l’intéressé, et dans la mesure où, en l’espèce, les conditions légales de la prise d’une décision de prorogation de la mesure de rétention sont remplies, tel que cela vient d’être retenu ci-avant, les contestations du demandeur, à défaut d’autres précisions, ne sont pas de nature mettre en doute la légalité de la mesure prise. Par ailleurs, le demandeur reste en défaut d’expliquer en quoi, concrètement, la mesure prise à son égard porterait atteinte à sa dignité humaine.
Quant aux contestations du demandeur ayant trait aux démarches entreprises par le ministre en vue de son éloignement, il convient de rappeler que la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour la durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite. En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
En ce qui concerne les démarches concrètement entreprises en l’espèce par le ministre pour organiser l’éloignement du demandeur, il se dégage des éléments du dossier et des explications fournies par la partie étatique que dès le lendemain de la prise de la décision de placement initiale, la police grand-ducale a été chargée de prendre des photos et les empreintes du demandeur. En date du 19 septembre 2011, des recherches ont été effectuées dans le système EURODAC, et le même jour, les autorités tunisiennes ont été saisies en vue de l’obtention d’un laissez-passer. En date du 4 octobre 2011, le vice-consul auprès du consulat général de Tunisie à Bruxelles a été contacté et a confirmé que la demande est en cours d’instruction. Enfin, par un courrier du 19 octobre 2011, un rappel a été adressé audit consulat.
Le tribunal est partant amené à retenir que les démarches entreprises en l’espèce par les autorités luxembourgeoises doivent être considérées comme suffisantes, de sorte qu’il y a lieu de conclure que l’organisation de l’éloignement est exécutée en l’espèce avec toute la diligence requise au regard des exigences de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008. Dans ce contexte, il convient encore de souligner que le mandataire du demandeur a confirmé à l’audience des plaidoiries qu’il a entretemps reçu communication du dossier administratif lui permettant ainsi d’examiner quelles démarches ont été entreprises par le ministre, de sorte que les allusions faites par le demandeur dans la requête introductive à un défaut de communication du dossier administratif sont devenues sans objet.
Il s’ensuit que le moyen du demandeur fondé sur un défaut de diligences en vue d’exécuter son éloignement est à rejeter pour ne pas être fondé.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut d’autres moyens, que le recours est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare compétent pour statuer sur le recours principal en réformation ;
reçoit ledit recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, premier juge, Anne Gosset, juge, et lu à l’audience publique du 27 octobre 2011, à 17 :45 heures par le vice-président, en présence du greffier assumé Sabrina Knebler.
s. Sabrina Knebler s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 octobre 2011 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 6