Tribunal administratif N° 28670 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mai 2011 3e chambre Audience publique du 19 octobre 2011 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
__________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 28670 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 mai 2011 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 27 avril 2011 rejetant sa demande en obtention d’une protection internationale comme n’étant pas fondée et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 septembre 2011 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Christian Barandao-
Bakele, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives.
___________________________________________________________________________
En date du 1er octobre 2009, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
En date du même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Madame … fut encore entendue en date du 30 novembre 2009 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 27 avril 2011, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée remise à la poste en date du 2 mai 2011, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-
après dénommé « le ministre », informa Madame … de ce que sa demande avait été rejetée comme non fondée. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 1er octobre 2009.
En application de la loi précitée, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains le rapport d'entretien de la Police judiciaire du 6 octobre 2009, ainsi que le rapport de l'agent du Ministère des Affaires étrangères du 30 novembre 2009.
Il ressort de vos déclarations auprès de la Police judiciaire que vous auriez quitté l'Albanie en date du 28 septembre 2009 et que vous seriez arrivée au Luxembourg en date du 30 septembre 2009. Vous dites avoir été cachée à bord d'un camion, mais que vous ne pourriez pas donner des détails quant au trajet. Vous précisez qu'en 2004, votre frère … aurait également déposé une demande d'asile au Luxembourg, mais qu'il aurait été rapatrié.
Selon vos explications, vous auriez séjourné en Allemagne au mois d'octobre 2008. Vous dites avoir reçu un visa, valable pour 30 jours, de l'Ambassade danoise à Tirana. Après votre séjour, vous seriez rentrée en bus dans votre pays d'origine. Lorsque l'agent de la Police judiciaire vous demande pourquoi vous ne seriez pas retournée en avion, vous n'arrivez plus à donner des explications valables. Vous insistez que vous seriez retournée en Albanie et que vous n'auriez plus séjourné en Allemagne avant de venir au Luxembourg. A noter qu'il n'y a aucun tampon dans votre passeport indiquant que vous auriez vraiment quitté l'Allemagne.
Vous présentez votre passeport albanais.
Madame, il résulte de vos déclarations auprès de l'agent du Service des Réfugiés que vous auriez vécu, ensemble avec vos parents, à Shkoder. Vous auriez été membre du Parti socialiste et vous précisez que durant les élections du 28 juin 2009, vous auriez été dans la commission responsable pour compter les votes. Selon vos dires, des inconnus vous auraient demandé de remplacer des bulletins blancs et nuls par des bulletins remplis en faveur du parti démocratique. En échange, on vous aurait offert beaucoup d'argent. Vous ajoutez que vous ne pourriez donner aucun détail quant aux personnes qui vous auraient demandé à manipuler les votes, étant donné qu'elles n'auraient pas fait partie de l'équipe qui aurait travaillé au bureau de vote. Vous dites avoir refusé de manipuler les votes et vous indiquez que vous auriez même refusé de signer les procès verbaux de votre bureau de vote. Selon vos dires, vous auriez également informé le chef du bureau ; cependant ce dernier ne vous aurait même pas répondu. Quand vous auriez quitté le bureau, deux inconnus vous auraient menacée de mort. Vous continuez vos dires en indiquant que vous auriez informé les médias qu'on vous aurait demandé de manipuler les votes. Cependant, vous ajoutez que vous ne seriez pas sûre à qui vous auriez donné ces interviews, comme vous n'auriez pas demandé quels médias les journalistes représenteraient.
Depuis le jour des élections, vous auriez régulièrement reçu des menaces, toujours par d'autres personnes. On vous aurait même menacée à ne pas vous adresser à la police, sinon votre famille serait tuée. En date du 3 juillet 2009, trois inconnus auraient battu vous et votre père. Des personnes qui se seraient trouvées dans la rue auraient appelé une ambulance et ainsi, votre père et vous auriez été hospitalisés. Vous auriez tout de suite pu quitter l'hôpital ; cependant votre père y serait resté pendant deux semaines. Depuis le trois juillet 2009, vous ne seriez plus retournée à la maison, mais vous auriez vécu chez votre tante jusqu'au 28 septembre 2009, date à laquelle vous auriez quitté l'Albanie en direction du Luxembourg. Vous dites que votre tante ne vivrait pas loin de chez vous, mais qu'on ne vous aurait pas retrouvée chez elle. Selon vos dires, le plus important aurait été de quitter la maison parentale et la famille proche.
Vous dites que vous n'auriez pas osé porter plainte comme vous auriez eu peur qu'on fasse du mal à votre famille. Finalement, sans indication d'une date, vous dites qu'un visa vous aurait été refusé par les autorités allemandes. Cependant, l'ambassade danoise vous aurait accordé un visa et ainsi vous auriez pu séjourner pendant trente jours en Allemagne.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, fonder dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi modifiée du 5 mai 2006.
En premier lieu, force est de constater que vous restez assez vague quant à vos soi-
disant problèmes. Ainsi, vous dites ne pas savoir qui vous aurait demandé de manipuler les votes, qui vous aurait menacé par téléphone et dans la rue et qui vous aurait battu.
En deuxième lieu, vous dites qu'il se serait toujours agi de personnes différentes qui vous auraient menacée, ce qui est serait assez étonnant. Quant aux présumées interviews que vous auriez données aux médias, notons qu'il est peu crédible que vous n'auriez pas su à qui vous auriez parlé. A cela s'ajoute qu'il est surprenant que vous dites être épouvantée devant les inconnus qui vous menaceraient, cependant, vous dites avoir informé les médias que des personnes auraient voulu manipuler les élections en faveur du parti démocratique. Ainsi, vous affirmez « dans les médias, dans les journaux, de ce qui paraît, c'est sorti le fait que Mademoiselle …, elle a été menacée. » Or, il est peu crédible que vous auriez eu peur de sortir de chez vous, mais qu'en même temps, vous auriez donné des interviews. A cela s'ajoute qu'il est étonnant que vous n'auriez d'un côté pas peur de parler avec les médias et rendre l'affaire publique, mais d'un autre côté, vous auriez peur de vous adresser à la police pour demander une protection quelconque à l'égard des présumées menaces de mort que vous auriez reçues de la part de personnes inconnues.
Or, même en supposant que vous auriez vraiment eu des problèmes avec des personnes non autrement identifiées, vous auriez pu vous installer ailleurs en Albanie ou même ailleurs à Shkoder. Vous dites vous-même qu'il aurait suffi de quitter votre maison parentale et vous installer chez votre tante, pour que les personnes qui vous auraient menacée ne vous aient plus retrouvée. Notons également qu'il ressort de votre passeport que vous avez voyagé pendant ces dernières années presque mensuellement au Monténégro. Par conséquent, vous n'apportez aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer dans une autre région de votre pays d'origine, ou bien au Monténégro chez votre frère, pour ainsi profiter d'une fuite interne. Votre indication que les inconnus qui vous menaceraient pourraient également vous retrouver au Monténégro sont peu crédibles (sic).
Toutefois, même à supposer avérés les faits que vous décrivez, ces derniers ne pourront être considérés comme actes de persécution ou craintes de persécution au sens de la Convention de Genève. Ces faits constituent en effet des délits de droit commun commis par des personnes privées du ressort des autorités de votre pays et punissables en vertu de la législation albanaise. En outre, en application de l'article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l'espèce, il ne ressort pas du rapport d'audition que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l'encontre des personnes, non autrement identifiés, qui vous menaceraient. Vous avez par ailleurs refusé à demander la protection des autorités de votre pays et par conséquent, il n'est pas démontré que les autorités albanaises seraient dans l'incapacité de vous fournir une protection quelconque.
Enfin, en vertu de l'article 21 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection et du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, la République d'Albanie doit être considérée comme pays d'origine sûr où il n'existe pas, généralement et de façon constante de persécution au sens de la Convention de Genève. Ce constat n'a pas pu être contredit par l'examen individuel de votre demande de protection internationale.
Indépendamment de l'absence d'un quelconque élément de preuve de vos déclarations, les craintes que vous exprimez s'analysent en l'expression d'un simple sentiment général d'insécurité face à des individus non identifiés. Or, de simples craintes hypothétiques, qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient cependant constituer des motifs visés par la Convention de Genève.
Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Etant donné que les faits invoqués à la base de votre demande de protection internationale ne sauraient être actuellement admis comme justifiant à suffisance une crainte de persécution ; dès lors, et a fortiori, l'absence matérielle de crainte actuelle fondée s'impose également en ce qui concerne la demande tendant à obtenir la protection subsidiaire. En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. Vous ne faites également pas état de risque réel de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou de risques réels émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international. En s'appuyant sur tous les rapports et jurisprudence cités, la situation actuelle en Albanie ne saurait être considérée comme conflit armé interne ou international.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à dès formes complémentaires de protection.
La présente décision vaut ordre de quitter le territoire. (…) » Par une requête déposée le 27 mai 2011 au greffe du tribunal administratif, Madame … a fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision ministérielle précitée du 27 avril 2011 portant refus de sa demande en obtention d’une protection internationale et, d’autre part, un recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, inscrit dans le même document.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, un recours en réformation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, la demanderesse déclare être de nationalité albanaise et être membre du parti socialiste en Albanie. Pendant les élections en juin 2009, elle aurait travaillé dans un bureau de vote en tant que membre de la commission chargée de comptabiliser les votes. A cette occasion, des personnes inconnues lui auraient demandé, contre paiement d’une somme d’argent, de truquer le résultat des votes en procédant au remplacement des bulletins se trouvant dans les urnes remplis en faveur du parti démocrate par des bulletins blancs et nuls. La demanderesse aurait cependant refusé de collaborer à une telle pratique et aurait immédiatement relaté cet incident à son chef de bureau qui n’aurait cependant pas réagi. Elle aurait pareillement informé les média de ces agissements.
La demanderesse explique qu’au moment de quitter le bureau de vote, deux individus inconnus l’auraient suivie et l’auraient menacée de mort. Depuis le jour des élections, elle aurait ainsi continuellement fait l’objet de menaces et d’insultes de la part de personnes inconnues qui lui auraient fait comprendre qu’il ne serait pas dans son intérêt de contacter la police.
Suite à la victoire du parti démocratique lors des élections, la demanderesse aurait eu peur pour sa vie compte tenu des menaces de la part des membres de ce même parti à son égard.
Le 3 juillet 2009, trois individus lui auraient infligé des coups ainsi qu’à son père, à un point tel que la demanderesse et son père auraient dû être hospitalisés. La demanderesse déclare que depuis cette agression, elle aurait été contrainte de vivre récluse chez sa tante.
Elle conclut que l’ensemble de ces faits constitueraient des éléments de persécutions morales et physiques et qu’ainsi elle ne pourrait pas retourner dans son pays d’origine puisque sa vie y serait en danger.
Elle ajoute que la situation actuelle en Albanie serait très tendue, tout en soulignant que la situation de tension favoriserait l’impunité des partisans du parti démocratique, qui pourraient procéder à des agressions et à des intimidations sur les personnes ne partageant pas les mêmes opinions, ce qui serait son cas puisqu’elle aurait refusé de manipuler les votes en faveur du parti démocratique.
La demanderesse en conclut que ses droits les plus élémentaires auraient été régulièrement bafoués, tant par des groupes d’individus que par l’appareil étatique albanais qui se serait révélé impuissant à protéger ses citoyens.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Une crainte de persécution au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur de protection internationale risque de subir des persécutions.
Aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent : a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, (…) ».
L’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène toutefois le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état de façon crédible et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
Le ministre a élevé des doutes quant à la crédibilité du récit de la demanderesse en lui reprochant, d’une part, d’être restée vague sur ses problèmes et, d’autre part, d’avoir adopté un comportement contradictoire en ce qu’elle aurait eu peur de sortir de chez elle, mais aurait donné en même temps des interviews aux média.
Il convient de prime abord de relever une contradiction entre les déclarations de la demanderesse lors de son audition et les explications contenues dans la requête introductive, suivant laquelle il aurait été demandé à la demanderesse de remplacer des bulletins contenant des votes en faveur du parti démocrate par des bulletins nuls, alors que dans son audition elle a déclaré l’inverse. Dans la mesure où il se dégage à la fois de la requête introductive et de son audition que la demanderesse aurait été incitée à manipuler les bulletins en faveur du parti démocrate, il convient de retenir que les explications contenues dans la requête introductive quant au remplacement de bulletins en faveur du parti démocrate par des bulletins blancs sont le fruit d’une erreur matérielle, et que la contradiction relevée ci-avant n’est pas de nature à porter à conséquence.
Néanmoins, au-delà de ce constat, le tribunal est amené à soulever des sérieux doutes quant au récit de la demanderesse en général et quant au caractère fondé de ses craintes.
En effet, c’est ainsi à juste titre que le ministre a relevé que la demanderesse est restée assez vague quant aux personnes qui lui auraient demandé de manipuler les votes, respectivement qui l’auraient menacée par après. D’autre part, tel que cela a été retenu à juste titre par le ministre, il est pour le moins contradictoire que la demanderesse déclare, d’un côté, éprouver une crainte telle qu’elle se sent obligée de se cloîtrer chez elle et qu’elle n’oserait même pas s’adresser à la police, mais que, d’un autre côté, elle n’a pas hésité à s’adresser aux média en permettant que son nom soit rendu public et à donner des interviews. Cette incohérence, qui n’a pas été levée par la demanderesse à travers des explications concordantes, est de nature à semer un sérieux doute sur le bien-fondé de ses craintes. S’y ajoute que lors de l’entretien au ministère des Affaires étrangères, la demanderesse est restée vague quant à la description exacte des média auxquels elle se serait adressée. Enfin, il convient de relever qu’il est peu probable que toujours à l’heure actuelle, soit deux ans après les élections, des partisans du parti démocrate qui auraient demandé à la demanderesse de fausser les élections en faveur de leur parti, soient encore à la recherche de celle-ci, ceci d’autant plus que ledit parti a remporté les élections. Il s’ensuit que des sérieux doutes doivent être émis quant au caractère fondé et actuel des craintes dont la demanderesse fait état. Les affirmations de la demanderesse quant à la situation actuelle en Albanie, qui d’ailleurs ne sont étayées par aucune pièce, ni par l’indication des références des citations reprises dans la requête introductive, ne sont pas de nature à invalider cette conclusion.
Il se dégage des développements qui précèdent que le récit de la demanderesse manque de crédibilité, de sorte que c’est à juste titre que le ministre a refusé à la demanderesse l’octroi du statut de réfugié.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, peut bénéficier de la protection subsidiaire « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 (…) ».
L’article 37 de la loi du 5 mai 2006 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, la demanderesse n’invoque aucun moyen spécifique, de sorte qu’il y a lieu de conclure que ladite demande est basée sur les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Or, au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que les faits et motifs invoqués par la demanderesse manquent de crédibilité, il y a lieu de retenir qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir de façon crédible, sur la base des mêmes événements ou arguments, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’elle encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité. Plus particulièrement, la demanderesse reste en défaut d’établir de façon crédible qu’en cas de retour dans son pays d’origine, elle risquerait la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Il s’ensuit que, et en l’absence d’autres éléments, c’est à juste titre que le ministre a retenu que la demanderesse n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’elle courrait le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il lui a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 27 avril 2011 est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.
La demanderesse se limite à solliciter l’annulation de l’ordre de quitter le territoire sans formuler un quelconque moyen à l’appui de sa demande.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006 dans sa teneur applicable au jour de la décision déférée, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire.
Le ministre ayant rejeté la demande de protection internationale de la demanderesse, il pouvait dès lors a priori valablement assortir le refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire. A défaut d’un quelconque moyen dans la requête, le tribunal ne saurait en l’état actuel du dossier mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision portant ordre de quitter le territoire.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 27 avril 2011 portant rejet d’un statut de protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 27 avril 2011 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 19 octobre 2011 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19.10.2011 Le Greffier du Tribunal administratif 9