Tribunal administratif Numéro 28628 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mai 2011 3e chambre Audience publique du 19 octobre 2011 Recours formé par Monsieur … et consort, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 28628 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2011 par Maître Katia Aïdara, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Serbie), et de son épouse Madame …, née le … à …, tous de nationalité serbe, demeurant ensemble à L-…, tendant, d’une part, à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 15 avril 2011, portant rejet de leur demande de protection internationale, et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juin 2011 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-
Paul Reiter en sa plaidoirie.
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Le 17 février 2011, Monsieur … et son épouse Madame …, accompagnés de leurs filles …, …, … et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Les époux … furent entendus séparément le 3 mars 2011 par un agent du prédit ministère sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.
Par une décision du 15 avril 2011, notifiée par envoi recommandé à la poste du 26 avril 2011, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts … que leur demande de protection internationale était rejetée comme non fondée. Cette décision est libellée comme suit :
«Par la présente, j'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 17 février 2011.
En mains les rapports d'entretien du 3 mars 2011 et le rapport du service de Police Judiciaire daté du 17 février 2011 duquel il ressort que vous êtes en possession de passeports et que vous seriez venus de manière légale en passant par la Hongrie.
Monsieur, vous seriez rom de Serbie et il ressort de vos déclarations que vous auriez quitté la Serbie parce que vos voisins serbes, vous insulteraient quotidiennement et parce que vous et votre famille seriez discriminés en tant que roms, notamment au niveau des aides sociales. Vous expliquez avoir déposé une demande de protection internationale pour les mêmes motifs en Suède, où vous aurez vécu entre septembre et décembre 2010, cependant votre demande aurait été refusée et vous seriez retourné en Serbie. Puis, après votre retour vous auriez fait une recherche internet et vous auriez découvert que Luxembourg est un « bon » pays pour y déposer une demande de protection internationale.
Vous ajoutez être membre du parti politique dénommé l'Union des roms, mais vous ne faites pas état de problème particulier en raison de cette adhésion.
Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous ajoutez qu'à votre retour de Suède la situation se serait empirée et qu'une de vos filles aurait été une fois harcelée sexuellement par un de vos voisins, qui est alcoolique, mais que vous l'auriez caché à votre mari de peur qu'il s'en prenne à ce dernier et qu'il soit ensuite mis en prison. Vous n'auriez jamais été agressée mais vous dites que vos enfants auraient peur de sortir de la maison.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Il convient de remarquer que les faits invoqués ne sont pas d'une gravité telle qu'ils peuvent fonder à eux seuls une demande en obtention d'une protection internationale. En effet, des discriminations ressenties de manière générale traduisent plutôt un sentiment général d'insécurité qu'une crainte de persécution. Or, un sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte fondée de persécution.
De plus, depuis la chute du régime Milosevic, la situation des minorités s'est fortement améliorée en Serbie. Ainsi, parallèlement à l'adoption de la loi sur la protection des minorités nationales en 2002, les Roms ont été reconnus en tant que groupe ethnique. Aussi, la nouvelle constitution serbe de novembre 2006, interdit toute forme de discrimination directe et indirecte de membres de communautés ethniques et autres ou de minorités. Les actes de discriminations contre les minorités sont donc considérés comme étant illégaux. A côté des dispositions constitutionnelles, des lois interdisent explicitement la discrimination des minorités ethniques. En mars 2009, une loi anti-discrimination a été promulguée et un commissaire à l'égalité des chances a été mis en place début 2010. On peut donc en conclure que la Serbie est un Etat multiethnique dont la politique intérieure est stable et qui proscrit les discriminations. Selon les documents consultés, toutes les minorités nationales jouissent aujourd'hui en Serbie des mêmes droits que les citoyens serbes. Ainsi, par exemple vous avez pu obtenir un passeport de la part des autorités serbes.
En ce qui concerne plus généralement la situation des Roms en Serbie, il résulte de nos recherches que, s'il est vrai qu'il existe encore dans l'esprit des populations des clichés négatifs vis-à-vis des Roms, les difficultés ou discriminations dont ils pourraient faire l'objet ne sont pas d'une intensité telle qu'elles constituent des persécutions au sens de la Convention de Genève. A cet effet, il convient de citer les conclusions d'un rapport autrichien : « Serbien hat seit dem Jahre 2000, also nach dem Sturz Milosevic's stufenweise ein normatives und institutionnelles Rahmenwerk zur Verbesserung der sozio-ökonomischen Situation der Roma in Serbien errichtet.
Die gesetzlichen Rahmenbedingungen, die Serbien zur Frage der Roma Integration eingeführt hat, sind eine umfassende Mischung nationaler und internationaler Gesetze, wobei zahlreiche internationale und regionale Menschenrechtsabkommen ratifiziert und in nationales Recht übernommen wurden …. D.h, man kann den serbischen Behörden, der serbischen Regierung keinesfalls den Willen absprechen, sich um die Anliegen der Roma und deren vordringlichsten Probleme zu kümmern"1. A cet effet, il est aussi intéressant de citer les conclusions de l'Operational Guidance Note Serbia de la UK Border Agency qui ne nie certes pas les discriminations sociales vécues par les Roms, mais: «However, in general this discrimination does not amount to persecution and the authorities are willing to offer sufficiency of protection although the effectiveness of this protection may be limited by the actions of individual police officers/government officials… Therefore the majority of claims from this category are unlikely to qualify for a grant of asylum or Humanitarian Protection and are likely to be clearly unfounded"2.
De plus, en vertu du règlement grand-ducal du 1er avril 2011 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, la République de Serbie est désormais considérée comme un pays d'origine sûr. La Suisse, la France, la Bulgarie et l'Autriche la considèrent également comme un pays d'origine sûr.
S'agissant de vos voisins qui vous insulteraient et dont vos enfants auraient peur, vous n'apportez aucun élément pouvant expliquer votre impossibilité de vous installer dans une autre ville de Serbie à forte communauté rom comme par exemple à Nis. Le fait de ne pas avoir les moyens pour vous loger n'est pas suffisant pour justifier une impossibilité de vous rendre ailleurs en Serbie avant de partir si loin.
Par ailleurs, vos voisins, auteurs des menaces, injures et harcèlement, sont de personnes privées et ne sauraient être considérées comme des agents de persécution au sens de la 1 Bundesasylamt, Analyse der Staatendokumentation, Die Lage der Roma in Serbien, 19.01.2010 2 Operational Guidance Note, Serbia, Home Office, UK Border Agency, September 2008 Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006. En outre, en application de l'article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l'espèce, il ne ressort pas du rapport d'entretien que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection. Madame, Monsieur, vous prétendez ne jamais avoir osé vous plaindre auprès de la police, de sorte qu'il n'est pas établi que si vous vous étiez adressés aux autorités serbes suite aux problèmes rencontrés avant votre départ, elles auraient refusé leur protection. Il y a lieu de rappeler dans ce contexte que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.
Monsieur, concernant les aides sociales pour rénover votre maison et le fait que vous n'auriez pas eu de réponse, ceci n'est pas de nature à fonder une demande de protection internationale, et de plus rien ne démontre que l'absence de réponse constitue une discrimination à votre égard. Quant au refus d'aides sociales pour la scolarisation de vos enfants parce que vous êtes rom, non seulement vous n'apportez aucune preuve à cela, mais de plus ce fait est insuffisant pour se voir octroyer une protection internationale. A cela s'ajoute que vous montrez en entretien deux jugements du tribunal qui vous condamnent pour des factures d'électricité et de charges communales impayées et vous vous plaignez de la venue d'huissiers qui vous auraient coupé l'électricité. Or, ces personnes ne font qu'appliquer la loi qui est la même pour tout le monde, ce n'est pas parce que vous êtes rom que vous êtes dispensé de payer l'électricité, ou les charge (sic) communales. Le fait par contre que vous n'ayez pas d'argent est d'un autre ordre, mais ne relève manifestement pas de la Convention de Genève.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande, à savoir des insultes de vos voisins et des discriminations générales, ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En effet, il n'existe aucun motif sérieux et avéré qui nous permet de penser que vous risquiez réellement en cas de retour de subir des traitements inhumains ou dégradants. En outre, notons que vous n'avez été condamnés à aucune peine et que la Serbie ne connaît à l'heure actuelle pas de conflit armé. Par conséquent, vous ne remplissez pas les critères prévus à l'article 37 de la loi précitée.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
La présente décision vaut ordre de quitter le territoire. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2011, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre du 15 avril 2011 par laquelle ils se sont vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale, et un recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.
1. Quant au recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, seul un recours en réformation a pu être introduit contre la décision ministérielle déférée, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est dès lors recevable.
A l’appui de leur recours, les demandeurs, déclarant être de nationalité serbe et d’origine ethnique rom, exposent qu’ils auraient quitté la Serbie en raison de persécutions liées à leur origine rom. Ils soutiennent qu’ils auraient été quotidiennement insultés en raison de leur origine rom et qu’ils auraient subi des discriminations au niveau des aides sociales. Ils précisent que leur situation se serait détériorée après leur retour de Suède. Ainsi, une de leurs filles auraient été harcelée sexuellement par un voisin alcoolique. Ils précisent qu’ils ne pourraient pas compter sur la protection des autorités de police serbes qui considéreraient cela comme des problèmes de nature privée.
En droit, les demandeurs soutiennent avoir établi dans leur chef l’existence d’une crainte fondée de persécution en cas de retour en Serbie. Ils reprochent notamment au ministre d’avoir fondé sa décision sur un examen superficiel et insuffisant des faits et d’avoir retenu l’absence de crédibilité de leur récit. D’après les demandeurs, ce serait également à tort que le ministre aurait considéré que les actes de persécution invoqués par eux n’émaneraient pas d’acteurs de persécution au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et de la loi du 5 mai 2006, alors qu’une persécution commise par des tiers devrait être prise en compte en cas de défaut de protection par les autorités étatiques contre les agissements dénoncés.
Or, ils estiment avoir établi le défaut de protection des autorités de leur pays. Ils se prévalent encore de la situation générale des Rom en Serbie qui, d’après eux, seraient victimes de nombreuses atteintes aux droits de l’homme, de discriminations et d’exclusions. Ils font valoir que leur crainte serait liée au défaut de protection de leurs autorités nationales, bien que cette obligation de protection soit prévue par la Déclaration universelle des droits de l’homme et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Les demandeurs concluent partant, à titre principal, à la réformation de la décision ministérielle et à la reconnaissance de la qualité de réfugié. En ordre subsidiaire, les demandeurs sollicitent le bénéfice de la protection subsidiaire.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
En ce qui concerne tout d’abord la demande de reconnaissance du statut de réfugié, l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 précise que le terme de « réfugié » s’applique à « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent : a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, (…) ».
Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, tout en prenant en considération la situation générale, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.
Concernant tout d’abord la crédibilité du récit des demandeurs, il convient de relever que le ministre, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs dans leur requête, n’a pas remis en cause la crédibilité des déclarations des demandeurs, de sorte que le reproche afférent formulé par les demandeurs est à rejeter pour manquer en fait.
Cela étant, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène cependant le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle et fondée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
Les demandeurs invoquent divers problèmes qu’ils auraient rencontrés dans leur pays en raison de leur origine ethnique rom.
En ce qui concerne tout d’abord la situation générale de la communauté rom en Serbie, il ressort des informations soumises au tribunal qu’il n’existe pas en Serbie des violations systématiques des droits de l’homme à l’égard des Roms de la part des autorités serbes. S’il ne peut être nié que les Rom sont en proie à des discriminations, des insultes et des exclusions sociales en Serbie, il ressort toutefois des explications du délégué du gouvernement que les autorités serbes ont entrepris des efforts pour améliorer les conditions de vie de la population rom. Ainsi, il ressort d’un rapport intitulé « Operational Guidance Note Serbia » de la UK Border Agency de septembre 2008 que les discriminations envers les Rom n’atteignent en général pas le niveau de persécution et que les autorités sont disposées à offrir une protection suffisante même si l’efficience de la protection peut être limitée par les actes individuels de certains policiers. De même, il ressort d’un rapport du Bundesamt für Migration und Flüchtlinge de juin 2010 que les Rom, à condition d’être déclarés et de disposer de papiers d’identité, ont droit à la couverture sociale et qu’ils ont accès aux soins de santé, à des indemnités de chômage et de pension et à l’éducation.
Ce constat n’est pas énervé par les documents produits par les demandeurs à l’appui de leur recours, étant donné qu’un article d’Amnesty International du 1er octobre 2010 publié sur internet concernant l’expulsion forcée de Rom d’un quartier de Belgrade pour faire place à la construction d’une voie d’accès à un pont, et un article d’Amnesty International d’octobre 2010 sur la situation des Rom en général et non pas spécialement dédié à la situation des Rom en Serbie, ne permettent pas de considérer que la situation des Rom en Serbie soit telle que tout membre de cette communauté risquerait des persécutions au sens de la loi du 5 mai 2006, et ne permettent ainsi pas d’invalider la conclusion du ministre quant à la situation générale en Serbie.
Il convient dès lors d’examiner si, en l’espèce, compte tenu de la situation particulière des demandeurs, les problèmes dont ils font état sont susceptibles de justifier dans leur chef une crainte actuelle et fondée de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006.
Les demandeurs déclarent craindre leurs voisins qui les auraient insultés et menacés en raison de leur origine ethnique rom. Ils craignent tout particulièrement un de leurs voisins, un jeune homme alcoolique souffrant de problèmes psychologiques qui aurait harcelé l’une de leurs filles.
Or, force est de relever que les demandeurs n’ont pas démontré que ces insultes et maltraitances, même par leur caractère répété et leur nature, aient atteint un niveau tel qu’elles puissent être qualifiées de persécutions.
S’y ajoute que ces agissements émanent d’acteurs non étatiques, en l’occurrence de leurs voisins serbes.
Or, conformément à l’article 28 c) de la loi du 5 mai 2006, les acteurs non étatiques ne peuvent être des acteurs de persécutions que pour autant qu’il puisse être démontré que l’Etat, respectivement les partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions. L’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 précise encore que la victime de persécutions peut être considérée comme étant protégée non seulement lorsque l’Etat prend des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’il dispose d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, mais encore lorsque le demandeur a accès à cette protection.
Il convient dès lors d’examiner si les conditions de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 sont remplies en l’espèce, et plus particulièrement d’apprécier si les demandeurs démontrent que l’Etat serbe ne peut ou ne veut pas leur accorder une protection contre les persécutions dont ils prétendent être victimes.
Il ne ressort cependant pas des informations soumises au tribunal et versées au dossier administratif que l’Etat serbe ne voudrait pas ou ne pourrait pas accorder une protection aux membres de la minorité rom. Ainsi, il ressort d’un rapport intitulé « Operational Guidance Note Serbia » du mois de septembre 2008 de la UK Border Agency que « the authorities are willing to offer sufficiency of protection although the effectiveness of this protection may be limited by the actions of individual police officers/government officials ».
Il ressort des déclarations des demandeurs en audition qu’ils n’ont pas tenté de recourir à la protection de leurs autorités suite à ces menaces et problèmes par crainte de représailles et par crainte d’aggraver leur situation. Or, la seule affirmation des faiblesses du système ne saurait être retenue comme preuve suffisante d’une absence de protection concrète dans le chef des demandeurs, lorsque ceux-ci, comme en l’espèce, ne se sont même pas adressés aux autorités, et ce sans motif précis et circonstancié autre qu’une vague crainte de représailles qui, en l’état actuel du dossier, ne repose sur aucun élément concret.
Il s’ensuit que les demandeurs ne démontrent pas qu’ils n’auraient pas eu accès à une protection effective de la part des autorités serbes.
Quant au problème concernant l’obtention d’une aide sociale pour la rénovation de leur maison et le financement des études de leurs enfants, le demandeur a déclaré en audition s’être vu refuser ces aides par les autorités communales en raison de son origine rom. Les demandeurs n’ont toutefois pas apporté des éléments permettant de démontrer que ces discriminations, par leur gravité ou leur systématicité, atteignent le niveau de persécutions au sens de la loi du 5 mai 2006.
Il n’est pas non plus exclu que des considérations d’ordre économique aient motivé le départ des demandeurs de la Serbie, étant donné que les demandeurs ont déclaré en audition avoir quitté la Serbie pour avoir une vie normale et pour pouvoir financer les études de leurs enfants.
En outre, le demandeur a produit des factures d’électricité et de charges communales qu’il n’arriverait pas à payer. Or, des considérations d’ordre économique ne peuvent pas être assimilées à des persécutions au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié des demandeurs.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c) « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Le tribunal constate que les demandeurs fondent leur demande d’une protection subsidiaire sur les mêmes faits que ceux exposés à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Or, au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que les faits et motifs invoqués par les demandeurs manquent de fondement, il y a lieu de retenir qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes événements ou arguments, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’ils encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, précité, à savoir la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants. Par ailleurs, il ne ressort ni du dossier, ni des arguments des parties que la situation qui prévaut actuellement en Serbie correspond à un contexte de violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens de l’article 37 précité.
Il s’ensuit que c’est à juste titre que le ministre a refusé d’accorder aux demandeurs la protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 15 avril 2011 est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
Les demandeurs sollicitent l’annulation de l’ordre de quitter le territoire au motif qu’un retour dans leur pays aurait pour eux de graves conséquences.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, dans sa version applicable au jour de la décision en cause, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire.
Il résulte de cette disposition que l’ordre de quitter le territoire constitue une conséquence automatique de la décision de refus de protection internationale. Il s’ensuit que dans le cadre d’un recours en annulation dirigé contre un ordre de quitter le territoire pris par application des dispositions de la loi du 5 mai 2006, la légalité de cette décision ne peut être attaquée que pour un vice qui lui est propre, et non pas pour tenir indirectement en échec le refus de protection internationale.
Le tribunal ayant retenu ci-avant que les demandeurs ne remplissent pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il n’y a pas lieu, en l’état actuel du dossier et en l’absence de moyens invoqués en cause ayant trait à la légalité intrinsèque de l’ordre de quitter le territoire, de remettre en cause la légalité de la décision portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle déférée du 15 avril 2011 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit contre la même décision ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 15 avril 2011 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 19 octobre 2011 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19.10.2011 Le Greffier du Tribunal administratif 11