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19/10/2011 | LUXEMBOURG | N°28528

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 octobre 2011, 28528


Tribunal administratif Numéro 28528 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 avril 2011 3e chambre Audience publique du 19 octobre 2011 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 28528 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2011 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, assist

é de Maître Christine Freymuth, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avoca...

Tribunal administratif Numéro 28528 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 avril 2011 3e chambre Audience publique du 19 octobre 2011 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 28528 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2011 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, assisté de Maître Christine Freymuth, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Serbie), et de son épouse, Madame …, née le … à …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur …, né le … à Luxembourg, tous de nationalité serbe, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 16 mars 2011 portant refus de leur accorder le statut de la protection internationale, et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 mai 2011 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Christine Freymuth, en remplacement de Maître Olivier Lang, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 7 avril 2010, Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

En date du même jour, les consorts … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Monsieur … fut entendu en date du 21 février 2011 et Madame … fut entendue en date du 22 février 2011 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur les motifs à la base de leur demande de protection internationale.

Par décision du 16 mars 2011, notifiée par lettre recommandée remise à la poste le 18 mars 2011, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », rejeta la demande des consorts …. Cette décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 7 avril 2010.

En application de la loi précitée, vos demandes de protection internationale ont été évaluées par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 27 avril 2010 (sic) et les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères des 21 et 22 février 2011.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous êtes en possession de passeports serbes, établis le 23 février 2010, respectivement le 4 mars 2010 par les autorités serbes de Novi Pazar desquels il résulte que vous êtes entrés en territoire communautaire le 3 avril 2010. Le dépôt de vos demandes de protection internationale date du 7 avril 2010. En entretien, vous précisez avoir voyagé en bus moyennant le paiement de 300 euros. Madame, vous auriez séjourné du 13 février 2009 au 12 mai 2009 en Allemagne chez votre sœur. Vous lui aviez rendu visite à plusieurs reprises.

Monsieur, il ressort de vos déclarations que depuis 10 ans vous auriez vécu à Novi Pazar avec vos parents, votre frère et votre sœur. Vous auriez travaillé en privé en tant que forgeron. Depuis cinq à six ans vous seriez simple membre adhérant du parti politique SDA. Cette adhésion ne vous aurait pas causé de problèmes.

Vers 1987-1988 un cousin paternel aurait commencé à vivre avec votre famille à Novi Pazar. Il se serait livré à du trafic d'armes et il aurait été suivi par des policiers en civil. La police aurait engagé un indic du village d'à côté, un certain … pour avoir des informations sur votre cousin. Ce dernier en aurait pris connaissance et aurait voulu le chercher. Le 17 janvier 1993 votre cousin aurait été tué par balle par … qui aurait été condamné à sept ans de prison ferme pour meurtre et deux ans pour avoir blessé un autre homme. Mais vous dites que cela n'aurait été que la version officielle, cet homme n'aurait jamais fait de la prison. Il aurait travaillé à la prison même et aurait pu rentrer tous les soirs. En 1995 le frère de votre cousin aurait été blessé par … qui aurait tiré sur lui alors qu'il conduisait une moto. Pendant le procès ayant eu lieu en 1998 ce même cousin aurait tué …. Votre cousin aurait alors été condamné à 14 ans et 8 mois de prison.

Vous dites que depuis cinq à six ans vous auriez constamment des problèmes à cause de ces deux affaires. La police fouillerait souvent votre maison parentale à la recherche d'armes et en raison de votre nom vous seriez souvent arrêté par la police.

Vous seriez une petite famille, il n'y aurait pas beaucoup de … à Novi Pazar. Les … seraient considérés comme terroristes par les policiers. Vous dites qu'à deux reprises, en 2007 ou 2008 et en juillet 2009 vous auriez été frappé et insulté sans raison par les policiers en civil, des inspecteurs, uniquement à cause de votre nom. Vous n'auriez pas osé porter plainte contre les agissements de certains policiers et vous n'auriez pas contacté la presse, alors que vous auriez voulu le faire, par manque de preuve. Ces cinq à six dernières années vous seriez souvent emmené au poste de police où on vous interrogerait sur votre cousin, on vous ferait peur ou on vous retiendrait pour rien. Vous parler (sic) de « maltraitance psychologique ».

Par ailleurs, vous auriez entendu dire que les enfants de …, actuellement âgés d'une vingtaine d'années voudraient se venger de vous. Mais ce ne serait qu'une rumeur, vous n'auriez jamais été personnellement menacé par ces derniers. Vous auriez évité de sortir de la maison. Six mois avant votre départ de la Serbie, vous auriez entendu un coup de feu sortant d'une voiture. Votre frère aurait également quitté la Serbie, il aurait déposé une demande d'asile aux Pays-Bas vers février 2010.

Vous ajoutez que pour obtenir un passeport il faut passer par la police, mais la police n'aurait pas voulu vous faire de passeport. Par l'intervention d'une connaissance vous avez finalement obtenu un passeport établi le 23 février 2010. Vous dites que vous auriez déjà voulu quitter la Serbie il y a six à sept ans, mais vous n'auriez pas eu la possibilité, surtout financièrement. Vous dites que des fois il serait difficile d'obtenir des documents, par exemple du tribunal en raison de votre nom, mais vous dites également que tous ne seraient pas pareil (sic). Vous ne voudriez pas continuer à vivre ainsi et devoir demander des faveurs à d'autres personnes.

Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Votre belle famille serait stressée en raison du passé de la famille, votre époux n'aimerait pas sortir de la maison pour se promener. Il dormirait mal et serait nerveux. Vous n'auriez plus supporté cette situation psychologiquement et en souffririez physiquement. Huit mois avant votre départ de la Serbie vous auriez loué un appartement à Novi Pazar. Votre mari aurait désiré que vous soyez éloignée de la maison familiale pour votre bien. Il ne serait venu que rarement vous rendre visite. De même, vous auriez quelques problèmes avec la première épouse de votre mari, mais ces problèmes ne seraient pas à l'origine de votre départ de la Serbie.

Enfin, vous ne seriez pas membre d'un parti politique.

La reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Madame, Monsieur, force est de constater que les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécutés dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

En effet, vous auriez quitté la Serbie en raison des problèmes que Monsieur … aurait eus avec la police en raison du passé de deux de ces (sic) cousins. Les … seraient mal vus et considérés comme des terroristes par la police. Ainsi, Monsieur vous faites état de chicaneries par la police depuis cinq à six ans. La maison familiale serait souvent fouillée par la police. Vous seriez souvent arrêté sans raison et emmenés au poste de police où on vous aurait retenu et interrogé. De même entre 2007 et 2009 vous auriez été frappé par certains policiers. Or, tous ces faits ne sont pas d'une gravité telle pour être considérés comme des actes de persécution. En effet, il y a lieu de rappeler que selon une jurisprudence constante des chicaneries quotidiennes par les autorités de police et les coups infligés lors d'un contrôle de police constituent des pratiques certes condamnables, mais ne sont pas d'une gravité telle qu'ils justifient une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. De même, il y a lieu d'ajouter que Monsieur vous ne vous seriez pas plaint du comportement de certains policiers auprès de leur (sic) supérieurs hiérarchiques ou après (sic) des autorités compétentes en matière d'inspection de la police.

De même, vous dites que vous auriez eu certaines difficultés pour obtenir des documents par les autorités. Or, à part de problèmes connus lors de la demande de votre passeport, que vous auriez finalement obtenu grâce à l'intervention d'une connaissance, vous ne faites pas état de problèmes concrets. Par ailleurs, il n'est pas exclu que cette même connaissance aurait pu vous aider à nouveau ou même intervenir auprès de la police.

A cela s'ajoute que pour éviter tous ces problèmes avec la police, il vous aurait été possible de vous installer dans une autre région de la Serbie. Comme vous dites, la famille … serait connue à Novi Pazar en raison des faits divers concernant vos deux cousins. Vous dites que vous seriez musulman et que Novi Pazar aurait une forte habitation de musulmans. Selon vos dires vous ne pourriez pas « aller quelque part d'autre où je me sentirais à l'aise ». Or cet argument ne saurait jouer. En effet, Novi Pazar n'est pas la seule ville serbe habitée majoritairement par des musulmans. Ainsi, dans la région du Sandjak les villes Sjenica, Tutin, Prijepolje, Nova Varos et Priboj connaissent un nombre important d'habitants musulmans. Il vous aurait donc été possible de vous installer dans une de ces villes où votre famille ne serait pas si connue qu'à Novi Pazar ou pas connue du tout pour y profiter d'une possibilité de fuite interne.

Enfin, Monsieur vous faites état d'une rumeur selon laquelle les enfants de … voudraient se venger de vous. Or, vous le dites vous-même, il ne s'agirait que d'une simple rumeur basée sur aucun fait réel ou concret, mais reste à l'état de la pure allégation. De même, vous faites état d'un incident où vous auriez entendu un coup de feu. Or, il n'est pas établi que ce tir vous aurait été destiné (vous ne faites pas état de blessures) ou que ce feu aurait été tiré par des membres de la famille …. Vous dites vous-

même qu'avoir (sic) vu une voiture. De même vous ne vous seriez pas adressé à la police pour faire état de cet incident. Quoi qu'il en soit, les membres de la famille … ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En application de l'article 28 de la cette (sic) loi au cas de l'espèce, il ne ressort pas de vos rapports d'entretien que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection contre l'agissement de ces personnes.

Par tout ce qui précède force est donc de conclure que vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d'insécurité qu'une crainte de persécution. Or, un sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte fondée de persécution.

Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible de fonder raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, vos récits ne contiennent pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de vos demandes ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Etant donné que les faits invoqués à la base de votre demande de protection internationale ne sauraient être actuellement admis comme justifiant à suffisance une crainte de persécution ; dès lors, et a fortiori, l'absence matérielle de crainte actuelle fondée s'impose également en ce qui concerne la demande tendant à obtenir la protection subsidiaire.

En effet, Madame, Monsieur, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. Par ailleurs, la Serbie a aboli la peine capitale pour tous les délits en date du 26 février 2002. Vous ne faites également pas état de risque réel de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou de risques réels émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international. La situation actuelle en Serbie ne saurait être considérée comme conflit armé interne ou international.

Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

La présente décision vaut ordre de quitter le territoire. ( ) » Par requête déposée le 21 avril 2011 au greffe du tribunal administratif, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre du 16 mars 2011, par laquelle ils se sont vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale, et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à leur égard l’ordre de quitter le territoire.

1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, seul un recours en réformation a pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs déclarent être d’origine serbe, de confession musulmane et être originaires de Novi Pazar.

Le demandeur expose qu’à l’époque de son enfance, un cousin dénommé … se serait installé dans la maison de sa famille à Novi Pazar. Il explique que ledit cousin se serait adonné à des activités illégales, que la police aurait été à la recherche de ce cousin et que, dans ce contexte, la police serait régulièrement venue au domicile de la famille ….

En 1993, la police aurait fait appel à un indic dénommé …. Ledit … aurait tué le cousin … par une arme à feu et il aurait été condamné à une peine d’emprisonnement de 9 ans qu’il n’aurait cependant pas purgée en intégralité. Malgré le décès du cousin …, la police aurait continué à faire irruption au domicile familial du demandeur et elle aurait ravagé la maison à chaque passage. La famille … aurait ressenti à chaque fois l’angoisse et la terreur. Elle aurait par ailleurs été informée de l’existence d’une liste qui devrait servir à l’assassinat de tous les membres de la famille. Deux ans après sa condamnation, … aurait tiré un coup de feu sur un autre cousin du demandeur, à savoir le dénommé …. Ce dernier aurait réussi à se sauver et aurait porté plainte contre …, mais l’affaire ne serait passée au tribunal que trois ans plus tard.

Le demandeur relate que lors de ce procès, son cousin … aurait tiré sur … qui serait décédé sur le champ. … aurait alors été condamné à 15 ans d’emprisonnement ferme. Dans la suite, une rumeur selon laquelle les frères de … prépareraient une vengeance contre la famille … aurait circulé dans Novi Pazar. Les parents du demandeur qui aurait eu 18 ans à cette époque auraient alors insisté pour qu’il ne sorte de la maison qu’en cas de nécessité absolue.

Malgré le temps qui passait, la police aurait continué à perquisitionner la maison familiale du demandeur et ces incidents auraient marqué le demandeur. Il expose ensuite qu’il se serait marié une première fois en 2005 et qu’à compter de cette période, il aurait été harcelé régulièrement. Il aurait été fréquemment arrêté sans aucune raison, contrôlé et emmené au poste de police de Novi Pazar où il aurait subi des interrogatoires douteux, ce qui l’aurait conduit à ne sortir pratiquement plus de chez lui.

En 2006, le demandeur aurait causé un accident de la circulation et se serait alors trouvé incarcéré avec les pires criminels de la région pendant un mois.

Après être sorti de la prison, le demandeur aurait divorcé de sa première épouse et se serait alors marié avec la demanderesse qui se serait installée dans la maison de la famille …. Le 31 mai 2008, la demanderesse aurait été agressée par sa première épouse, ce qui aurait causé la perte de l’enfant qu’elle portait. La police de Novi Pazar n’aurait engagé aucune poursuite, malgré la plainte de la demanderesse. Le demandeur donne à considérer que la manière dont cette affaire aurait été traitée par la justice serbe aurait contribué à sa décision de fuir son pays d’origine.

Le demandeur déclare encore qu’en juillet 2008, il aurait fait l’objet d’un contrôle de police alors qu’il se trouvait sur le chemin de retour de ses vacances. Il explique que quand la police aurait appris qu’il s’appelait …, il aurait été emmené au bureau de police où on lui aurait porté un coup tellement violent à la tête qu’il aurait perdu connaissance.

Un policier particulièrement agressif et brutal l’aurait interrogé et lui aurait porté d’autres coups.

Au courant de la seconde moitié de l’année 2008, une rumeur aurait circulé selon laquelle les enfants de … cherchaient à venger l’assassinat de leur père. A force de vivre dans la peur, le demandeur aurait alors décidé, fin 2008, début 2009, de se procurer un passeport afin de pouvoir quitter la Serbie et sauver sa vie. Le demandeur soutient qu’il aurait rencontré de nombreux problèmes lors des démarches administratives pour se faire délivrer un passeport à cause de son nom de famille, de sorte qu’il aurait abandonné ce projet.

En juillet 2009, le demandeur aurait une fois de plus été arrêté par la police et emmené au poste de police où il aurait été frappé et détenu arbitrairement.

En août 2009, la demanderesse serait tombée enceinte. Le demandeur l’aurait alors obligée à déménager dans un appartement qu’il aurait loué pour elle, mais il ne serait venu la voir que très rarement et aurait à chaque fois été très angoissé.

En octobre 2009, alors que le demandeur serait rentré d’une visite de sa sœur qui habiterait à environ 300 mètres de chez lui, des coups de feu auraient été tirés dans sa direction depuis une voiture. Il aurait alors réalisé qu’il devrait quitter la Serbie d’urgence. Une connaissance de la famille l’aurait aidé à obtenir des passeports. Le 3 avril 2010, les demandeurs auraient finalement quitté la Serbie.

En droit, les demandeurs soulignent que le ministre n’aurait à aucun moment remis en cause leur crédibilité. Ils font remarquer qu’ils seraient crédibles dans leurs déclarations et que les faits qu’ils avanceraient ne seraient pas contestés par le ministre, de sorte qu’ils seraient avérés en l’espèce. A cet égard, ils citent encore l’article 26 (5) de la loi du 5 mai 2006.

Les demandeurs soulignent en outre qu’il conviendrait d’analyser leur situation individuelle dans le contexte général de leur pays d’origine dans lequel elle s’inscrirait, conformément à l’article 26 (3) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006, et non pas, tel qu’indiqué par le ministre dans sa décision litigieuse, de faire dépendre l’analyse de leur demande de protection internationale surtout de leur situation individuelle particulière, alors que la situation générale du pays d’origine et la situation particulière du demandeur d’asile seraient indissociablement liées l’une à l’autre.

Concernant leur situation individuelle, les demandeurs font valoir que les faits dont ils craindraient faire l’objet seraient des actes de persécution au sens de l’article 31 (2) a) et b) de la loi du 5 mai 2006. Ils soutiennent encore qu’ils rempliraient les conditions pour se voir accorder le statut de réfugié, étant donné que les motifs de ces persécutions seraient d’ordre politique au sens de l’article 32 (1) e) de la loi du 5 mai 2006 et, d’autre part, qu’ils seraient menacés de persécutions en raison de leur appartenance à un certain groupe social, à savoir celui de la famille … de Novi Pazar, au sens de l’article 32 (1) d) de la loi du 5 mai 2006.

Les demandeurs estiment par ailleurs que les faits à l’appui de leur demande de protection internationale seraient suffisamment graves du fait de leur nature, de leur caractère répété et du fait de leur accumulation au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 au point de constituer des violations graves de leurs droits fondamentaux et notamment des articles 2 et 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, ci-

après désignée par « la CEDH ».

Les demandeurs donnent à considérer, tout en faisant référence aux articles 28 c) et 29 (2) de la loi du 5 mai 2006, que les auteurs des persécutions seraient à la fois des agents étatiques, à savoir des membres de la police serbe, et des agents non étatiques.

Les demandeurs soutiennent ensuite que tous les mauvais traitements dont ils auraient été victimes risqueraient certainement de se reproduire s’ils venaient à être renvoyés dans leur pays d’origine et que le ministre n’aurait pas rapporté la preuve de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas, conformément à l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006.

Enfin, les demandeurs contestent la possibilité d’une fuite interne dans leur chef.

En ordre subsidiaire, les demandeurs affirment qu’ils rempliraient les conditions pour se voir accorder le bénéfice de la protection subsidiaire. En renvoyant à leurs développements présentés à l’encontre de la décision portant refus du statut de réfugié au regard de l’article 3 de la CEDH, ils estiment qu’ils rempliraient les conditions prévues à l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006. A cet égard, ils font également état de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 pour soutenir que l’existence d’une crainte fondée de subir des atteintes graves serait démontrée par les atteintes graves dont ils auraient déjà été victimes en Serbie. Ils ajoutent que même si les menaces ne venaient pas à se réaliser, le fait de vivre constamment dans la crainte et de rester cloîtré chez eux constituerait de véritables tortures, sinon des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 de la CEDH.

Les demandeurs reprochent encore au ministre de ne pas avoir procédé à l’examen de leur demande du statut conféré par la protection subsidiaire et de ne pas avoir motivé sa décision de refus de la protection subsidiaire, pour conclure à une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes et de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut ainsi au rejet du recours.

Il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle fondée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.

Les demandeurs font en substance état de craintes de persécutions en raison d’activités illégales commises par un membre de leur famille pendant la période remontant à la fin des années 1980 jusqu’au début des années 1990. Ils expliquent que ces activités illégales seraient à l’origine de chicaneries policières subies par les membres de la famille …. Par ailleurs, ils font encore état de craintes de persécutions en raison de prétendus plans de vengeance de la part d’une famille dénommée … désireuse de venger l’assassinat d’un des leurs commis par un membre de la famille …. En outre, ils donnent à considérer que des coups de feu auraient été tirés sur Monsieur … depuis une voiture.

Il convient dès lors d’examiner si, en l’espèce, les événements dont les demandeurs font état sont susceptibles de justifier dans leur chef une crainte fondée de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006.

En ce qui concerne les chicaneries policières que les demandeurs invoquent en raison de leur appartenance à une famille particulière, force est au tribunal de constater que si une accumulation de diverses mesures peut constituer une persécution au sens de l’article 31 (1) b) de la loi du 5 mai 2006, il faut toutefois, en vertu de l’article 31 (1) a) de la même loi, que ces actes soient suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme.

Or, si le fait d’être arrêté et contrôlé à plusieurs reprises et même le fait d’être frappé par les autorités policières est certes condamnable, il n’en demeure pas moins que les actes dont font état les demandeurs, même pris dans leur ensemble, ne revêtent pas du fait de leur nature un degré de gravité suffisant pour constituer une violation grave des droits fondamentaux et pour être considérés comme actes de persécution au sens de l’article 31 (1) a) de la loi du 5 mai 2006, respectivement pour pouvoir retenir dans le chef des demandeurs l’existence d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève justifiant la reconnaissance du statut de réfugié.

Quant aux menaces de vengeance pesant sur la famille …, force est de constater que ces craintes reposent exclusivement sur une rumeur non étayée par un quelconque élément de fait, de sorte qu’elles doivent être considérées comme purement hypothétiques.

En ce qui concerne le coup de feu qui aurait été tiré sur le demandeur, le tribunal est amené à retenir qu’il n’est pas établi que le demandeur ait été personnellement visé par ce coup de feu. A défaut de plus précisions fournies par le demandeur, cet incident isolé ne peut pas être considéré comme un acte de persécution au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 ou de la Convention de Genève.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que les faits mis en avant par les demandeurs ne sont pas suffisamment graves - même pris globalement - pour pouvoir être qualifiés comme des actes de persécution, il devient sans pertinence d’examiner les moyens des demandeurs fondés sur la présomption de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 ou encore la question de savoir si, d’une manière générale, une protection suffisante leur est offerte dans leur pays d’origine.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié des demandeurs.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c) « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En ce qui concerne le moyen tiré d’un défaut de motivation du volet de la décision portant refus de la protection subsidiaire, il y a lieu de rappeler que si, en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, d’une manière générale, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux, et que certaines catégories de décisions, dont celles refusant de faire droit à une demande, tel que c’est le cas en l’espèce, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, il suffit que ces indications soient sommaires. Quant à l’article 19 de la loi du 5 mai 2006 qui requiert que le ministre statue sur la demande de protection internationale par une décision motivée, cette disposition n’indique pas le degré de précision auquel cette motivation doit répondre, de sorte qu’il y a lieu d’admettre qu’une motivation sommaire est suffisante, pour autant que plus particulièrement le destinataire de la décision comprenne les motifs à la base de la décision.

Force est de constater que le ministre a retenu en l’espèce que le récit des demandeurs, décrit en détail en introduction de la décision, ne permet pas de retenir que ceux-ci courent un risque de subir une des catégories d’atteintes graves définies à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.

Il s’ensuit que la décision ministérielle est motivée à suffisance au regard des exigences tant de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, précité, que de l’article 19 de la loi du 5 mai 2006, de sorte que le moyen afférent doit être rejeté pour ne pas être fondé.

Le tribunal constate que les demandeurs fondent leur demande d’une protection subsidiaire sur les mêmes faits que ceux exposés à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié et plus particulièrement au vu des considérations ayant trait à l’appréciation de la gravité des faits dont font état les demandeurs, respectivement au caractère sérieux des craintes invoquées, force est de constater que les risques invoqués par les demandeurs de subir des traitements inhumains ou dégradants de la part de la police serbe ne sont pas suffisamment sérieux et avérés pour justifier l’octroi du statut de protection subsidiaire, alors que les actes invoqués par les demandeurs, même pris dans leur globalité, ne revêtent pas un degré de gravité suffisant pour pouvoir être qualifiés de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 37 précité.

Quant aux menaces de vengeance pesant sur la famille …, le tribunal est amené à retenir que ces craintes restent purement hypothétiques, alors qu’elles ne sont appuyées par aucun élément de fait. Quant au coup de feu qui aurait été tiré sur le demandeur, alors qu’il n’est même pas établi que ce coup de feu visait effectivement le demandeur, les craintes que cet incident aurait causées restent elles aussi purement hypothétiques. Les demandeurs restent également en défaut d’établir qu’en cas de retour en Serbie, ils risqueraient la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des actes susceptibles d’être analysés comme des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Etant donné que le tribunal vient de retenir que les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils ont fait l’objet d’atteintes graves, il devient sans pertinence d’analyser s’il existe des raisons de croire que ces atteintes graves ne se reproduiront pas, par application de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006.

Il s’ensuit que c’est à juste titre que le ministre a refusé d’accorder aux demandeurs la protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a, au terme de l’analyse de la situation des demandeurs, déclaré la demande de protection internationale comme non justifiée.

Le recours en réformation est partant à rejeter comme étant non fondé.

2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être introduit, lequel recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Les demandeurs soutiennent en premier lieu que si la décision de refus d’octroi du statut de protection internationale encourrait la réformation, l’ordre de quitter le territoire devrait également être annulé.

En ordre subsidiaire, ils concluent à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire au motif qu’il violerait de façon autonome tant l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration que l’article 3 de la CEDH.

Les demandeurs soutiennent que ce n’est pas parce qu’ils ont été déboutés de leur demande de protection internationale qu’ils ne seraient pas exposés à un risque de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Serbie. Ils font valoir que le champ d’application de l’article 3 de la CEDH serait plus large que celui de l’article 2 c) et e) de la loi du 5 mai 2006. Ils considèrent que le degré du risque de faire l’objet de mauvais traitements exigé pour obtenir la reconnaissance d’une protection internationale serait beaucoup plus élevé que celui requis pour interdire l’éloignement de l’étranger vers le pays dans lequel ce risque existe et que l’on ne saurait automatiquement conclure qu’un demandeur de protection internationale débouté ne puisse pas faire valablement état d’un risque de traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine qui interdirait son éloignement vers ce pays. Les demandeurs donnent encore à considérer qu’ils auraient établi ce risque grâce à un faisceau d’indices, constitué par tous les mauvais traitements dont ils auraient été victimes et par l’absence de protection de la part des autorités contre ces mauvais traitements. Enfin, ils soutiennent que l’article 3 de la CEDH, combiné à l’article 129 de la loi précitée du 29 août 2008, poserait un principe absolu d’interdiction de refoulement vers un pays où la personne concernée risque de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.

En outre, les demandeurs concluent encore à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire au motif qu’il ne serait assorti d’aucun délai en violation de l’article 7, paragraphe 1er de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 du Parlement Européen et du Conseil relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres du retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après dénommée « la directive 2008/115/CE ».

Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, dans la version applicable au jour de la prise de la décision litigieuse, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire.

Pour ce qui est des moyens d’annulation fondés sur les prétendues violations des articles 129 de la loi modifiée du 29 août 2008, précitée, et 3 de la CEDH, ceux-ci sont inopérants, étant donné que le caractère automatique de l’ordre de quitter le territoire, retenu par le législateur à travers les dispositions claires et précises de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006 en cas de rejet d’une demande de protection internationale, implique que la légalité de l’ordre de quitter le territoire ne saurait être remise en cause que pour un vice qui lui est propre et qu’il ne saurait être question d’admettre que les demandeurs tiennent indirectement en échec le refus de protection internationale.

Ainsi, sans préjudice de ce que les dispositions invoquées puissent, le cas échéant, être pertinentes en dehors de demandes de protection internationale dans d’autres procédures, toujours est-il que, dans le cadre d’une décision de refus de protection internationale, l’ordre de quitter le territoire n’en constitue que la conséquence automatique et légale.

Il s’ensuit que les moyens fondés sur une violation des articles 129 de la loi modifiée du 29 août 2008, précitée, et 3 de la CEDH sont à rejeter comme non fondés.

Quant à la violation alléguée de l’article 7, paragraphe 1er de la directive 2008/115/CE, il convient, avant tout examen au fond dudit moyen, d’analyser si la disposition invoquée de la directive européenne est directement applicable en droit national, c'est-à-dire si elle peut produire un effet direct et le cas échéant être appliquée en lieu et place du droit national existant, à savoir de la loi du 5 mai 2006.

A cet égard, il échet de rappeler qu’une directive européenne ne peut bénéficier d’un effet direct que dans les seules hypothèses où un Etat membre aurait omis de transposer la directive en droit interne, qu’il aurait procédé à une transposition incomplète ou qu’il aurait adopté des mesures non conformes à la directive. Par ailleurs, l’effet direct en droit national d’une directive européenne ne peut être invoqué et le juge n’est obligé de l’appliquer qu’à partir du moment où la directive exprime une obligation claire, précise et inconditionnelle, ne supposant aucune mesure d'exécution, ni de la part des institutions communautaires, ni de la part des Etats et sans laisser un pouvoir discrétionnaire à l'Etat membre chargé de sa transposition en droit national. Dès lors, le juge national est tenu d’écarter la norme nationale et d’appliquer la directive européenne en présence de dispositions législatives ou administratives qui ne seraient pas conformes à une obligation inconditionnelle et suffisamment précise de la directive.1 En ce qui concerne la directive 2008/115/CE, il échet d’abord de constater qu’en vertu de son article 20, le délai accordé aux Etats membres pour procéder à sa transposition en droit national a expiré le 24 décembre 2010. Il est constant qu’au moment de la prise de la décision litigieuse, à savoir le 16 mars 2011, ladite directive n’a pas encore été transposée en droit national luxembourgeois, la transposition n’étant intervenue qu’à travers la loi du 1er juillet 2011 modifiant la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration et la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.

Le demandeur reproche au ministre d’avoir adopté la décision déférée en violation de l’article 7, paragraphe 1er de la directive 2008/115/CE.

L’article 7, paragraphe 1er de la directive 2008/115/CE dispose que : « La décision de retour prévoit un délai approprié allant de sept à trente jours pour le départ volontaire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 et 4. Les États membres peuvent prévoir dans leur législation nationale que ce délai n’est accordé qu’à la suite d’une demande du ressortissant concerné d’un pays tiers. Dans ce cas, les États membres informent les ressortissants concernés de pays tiers de la possibilité de présenter une telle demande. » 1 Trib. adm. 16 mai 2011, n° 27060 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu Cette disposition, prévoyant en termes non équivoques que l’ordre de quitter le territoire doit être assorti d’un délai approprié allant de sept à trente jours pour le départ volontaire, ne suppose aucune mesure supplémentaire en vue de son exécution. En effet, ladite disposition est claire, précise et inconditionnelle dans la mesure où elle ne laisse pas de marge d’appréciation aux autorités nationales quant à l’obligation d’instaurer un délai pour le départ volontaire, et que leur application ne suppose aucune intervention supplémentaire d’une autorité dotée d’un pouvoir normatif discrétionnaire.

Dès lors que la disposition invoquée de la directive 2008/1115/CE remplit les conditions exigées pour qu’elle puisse produire un effet direct, le tribunal est tenu de procéder à son application immédiate et directe, de sorte qu’il est amené à vérifier si la décision déférée est conforme à cette disposition européenne.

L’article 19 de la loi du 5 mai 2006, dans sa version applicable à la date de la décision en cause, ne prévoit pas que l’ordre de quitter le territoire doit être assorti d’un délai approprié pour le départ volontaire du demandeur d’asile débouté et est partant incompatible avec l’article 7, paragraphe 1er de la directive 2008/1115/CE.

En l’espèce, force est au tribunal de constater que l’ordre de quitter le territoire attaqué n’est pas assorti d’un délai de retour approprié. Dès lors, la décision déférée du 16 mars 2011 portant ordre de quitter le territoire méconnaît l’article 7, paragraphe 1er de la directive 2008/115/CE, de sorte qu’elle encourt l’annulation.

Eu égard à l’issue du litige, il y a lieu de faire masse des frais et de les imposer pour moitié aux demandeurs et pour moitié à l’Etat.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 16 mars 2011 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

au fond, le déclare justifié ;

partant annule le volet la décision ministérielle du 16 mars 2011 relatif à l’ordre de quitter le territoire ;

donne acte aux demandeurs qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;

fait masse des frais et les impose pour moitié aux demandeurs et pour moitié à l’Etat.

Ainsi jugé par :

Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 19 octobre 2011 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19.10.2011 Le Greffier du Tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 28528
Date de la décision : 19/10/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2011-10-19;28528 ?

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