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19/10/2011 | LUXEMBOURG | N°27547

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 octobre 2011, 27547


Tribunal administratif N° 27547 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 décembre 2010 3e chambre Audience publique du 19 octobre 2011 Recours formé par Madame …, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt commercial communal

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27547 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2010 par Maître Jean-Pierre Winandy

, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …...

Tribunal administratif N° 27547 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 décembre 2010 3e chambre Audience publique du 19 octobre 2011 Recours formé par Madame …, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt commercial communal

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27547 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2010 par Maître Jean-Pierre Winandy, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, agissant en tant que gérante de la société civile immobilière …, établie et ayant son siège social à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 10 novembre 2010 portant rejet de sa réclamation introduite contre les bulletins d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriété 2005 à 2008, les bulletins de l’impôt commercial communal 2005 à 2008, émis le 16 juin 2010 et les bulletins d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2004 et au 1er janvier 2005, émis le 4 juin 2008 par le bureau d’imposition Sociétés … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2011 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 1er avril 2011 par Maître Jean-Pierre Winandy au nom de Madame … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Georges Simon, en remplacement de Maître Jean-Pierre Winandy, en sa plaidoirie.

Suite au dépôt des déclarations pour l’établissement en commun d’entreprises collectives et de copropriétés pour les années 2005 à 2008, le bureau d’imposition Sociétés … de l’administration des Contributions directes émit le 4 juin 2008 à l’égard de la société … les bulletins d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2004 et au 1er janvier 2005. En date du 16 juin 2010, ledit bureau d’imposition émit à l’égard de la société … les bulletins d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés pour les années 2005 à 2008 et les bulletins de l’impôt commercial communal pour les mêmes années.

Contre ces bulletins, la société …, agissant par le biais de sa gérante Madame …, fit introduire le 13 août 2010, par courrier de son conseil du 11 août 2010, une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé « le directeur ».

Par une décision du 10 novembre 2010, n° C 16133 du rôle, le directeur rejeta cette réclamation comme non fondée au terme de la motivation suivante :

« (…) Quant au fond Considérant que les bénéfices en cause ont été établis séparément et en commun conformément au § 215, alinéa 2, de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d'imposition des sociétés compétent, établissement portant notamment qualification des revenus (§ 216 (1) 1. AO) ;

Considérant que, d'une manière générale, une société civile est considérée, en vertu du § 11 bis de la loi d'adaptation fiscale (StAnpG), comme n'ayant pas de personnalité juridique distincte de celle des associés ;

Considérant que la société civile immobilière … a été constituée en date du 25 octobre 1999 ; qu'aux termes de ses statuts, elle « a pour objet la mise en valeur et la gestion de tous immeubles qu'elle pourrait acquérir » (article 1 er) et que « le ou les gérants peuvent acheter et vendre tous les immeubles, contracter tous prêts et consentir toutes hypothèques. Ils administrent les biens de la société et ils la représentent vis-à-vis des tiers et toutes administrations, ils consentent, acceptent et résilient tous baux et locations, pour le terme et le prix, charges et conditions qu'ils jugent convenables (article 11) ; que « les articles 1832 et 1872 du Code Civil trouveront leur application partout où il n'y est pas dérogée par les présents statuts (article 18) » ;

Considérant qu'en l'espèce, la réclamante a inscrit dans ses statuts que les gérants, investis des pouvoirs les plus étendus, peuvent acheter et vendre tous immeubles, activités susceptibles de ranger parmi les activités commerciales et dégageant, dès lors, la réalisation d'un bénéfice commercial au sens de l'article 14 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.);

Considérant qu'en date du 3 février 2010, le bureau d'imposition avait informé la réclamante, conformément aux prescriptions du § 205 AO et préalablement à l'imposition des années en cause, de tous les redressements envisagés et notamment du fait qu'il entendait qualifier les revenus réalisés comme bénéfice commercial ;

Considérant que la réclamante affirme que les opérations de ventes d'immeubles litigieuses s'inscriraient dans le cadre de la gestion d'un patrimoine privé et que les plus-

values en résultant ne sauraient être imposées en tant que bénéfice commercial ; que contrairement aux affirmations du bureau d'imposition, l'activité de la réclamante ne serait pas constituée par l'achat et la vente d'immeubles, mais par la gestion d'un patrimoine immobilier privé ; que « la décision qui se trouve à l'origine des opérations de vente réalisées a été incitée par la Loi du 30 juillet 2002 déterminant différentes mesures fiscales destinées à encourager la mise sur le marché et l'acquisition de terrains à bâtir et d'immeubles d'habitation. Etant donné que le taux d'imposition prévu par cette loi était très attrayant, et lorsqu'une opportunité de vente se présentait, nous l'avons saisie. La recherche d'une telle imposition favorable ne peut être reprochée au contribuable dans la mesure où elle est justement l'intention du législateur. » ;

Considérant que malgré cette affirmation de la réclamante, il n'en reste pas moins qu'aux termes de l'article 11 de ses statuts, le ou les gérants peuvent acheter et vendre tous immeubles, contracter tous prêts et consentir toutes hypothèques ;

Considérant que si la notion de gestion du patrimoine privé ne fait pas l'objet d'une définition légale, elle est cependant délimitée par le biais de deux exemples au paragraphe 7 (4) de l'ordonnance du 16 décembre 1941 relative à l'exécution des paragraphes 17 à 19 de la loi d'adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934:

«Vermögensverwaltung liegt in der Regel vor, wenn Vermögen genutzt wird, zum Beispiel wenn Kapitalvermögen verzinslich angelegt oder unbewegliches Vermögen vermietet oder verpachtet wird» ;

Considérant que le concept de gestion d'un patrimoine privé ne se limite pas aux exemples de jouissance sus-énoncés, mais que d'une manière générale, il y a administration du patrimoine privé aussi longtemps que les activités de construction et de vente s'analysent en de simples accessoires d'une jouissance des fruits d'un patrimoine immobilier privé dont la substance est conservée; qu'au contraire, de telles activités dépassent le cadre de la gestion du patrimoine privé lorsque le contribuable recherche une exploitation de la substance de son patrimoine par transfert (« Umschichtung ») d'éléments substantiels de sa fortune ;

Considérant qu'aux termes de l'article 14 n° 1er L.I.R., est réputée entreprise commerciale, industrielle, minière ou artisanale toute activité indépendante à but de lucre exercée de manière permanente et constituant une participation à la vie économique générale, lorsque ladite activité ne forme ni une exploitation agricole ou forestière ni l'exercice d'une profession libérale ;

Qu'il est constant en cause que les opérations immobilières d'achat et de vente ne constituent ni une exploitation agricole ou forestière ni l'exercice d'une profession libérale;

Considérant également que le législateur ne s'est pas prononcé en ce qu'il entend par une gestion normale du patrimoine privé ; que cette qualification reste donc à apprécier de cas en cas et selon les données particulières aux différents contribuables ;

Considérant que la vente immobilière est constitutive d'une entreprise commerciale du moment qu'il s'agit d'une activité persistante, effectuée dans un but de lucre et constituant une participation à la vie économique générale, lorsque ladite activité ne forme ni une exploitation agricole ou forestière ni l'exercice d'une profession libérale; que dès lors les ventes d'objets immobiliers constituent des opérations commerciales pour autant que ces ventes se sont déroulées d'après un schéma planifié et ne résultent pas d'une mise à profit en conséquence d'une opportunité se présentant fortuitement;

Considérant que la réclamante a procédé aux achats et ventes d'objets immobiliers suivants :

Immeuble Achat Vente Studio à … 25/11/99 Appartement, … 24/02/00 27/10/03 Appartement, … (resté sans locataire) 20/03/01 21/10/05 Garage, … (sans recettes de location) 20/03/01 26/03/07 Appartement, … 22/06/01 23/07/03 Appartement, … (resté sans locataire) 02/02/02 03/10/02 Appartement, … 10/09/04 Qu'en l'espèce, on ne peut guère affirmer que les opérations de ventes effectuées à moyen terme ne soient que le fruit d'une mise à profit occasionnelle ;

Considérant encore que le critère essentiel d'une activité commerciale doit consister dans la réalisation, éventuellement à long terme, de bénéfices, c'est à dire d'un excédent des recettes sur les dépenses, d'un gain ou d'autres avantages économiques; que le but principal de toute entreprise commerciale est de retirer un profit ;

Considérant qu'en l'espèce le caractère de l'indépendance se trouve vérifié alors que la réclamante a déployé l'activité d'achat et de vente d'immeubles afin d'en tirer un profit, qu'elle l'a également exercée dans un but de lucre et à ses propres risques et périls; que l'on ne peut guère affirmer que la réclamante ait acquis les différents immeubles pour en garder la substance dans son patrimoine et d'en tirer une jouissance sous forme de revenu de location mais qu'elle les a considérés comme biens négociables dans le cadre d'une entreprise commerciale ;

Considérant qu'il en résulte à suffisance que les activités de la réclamante répondent aux critères d'une entreprise commerciale ;

Considérant que pour le surplus, les impositions sont conformes à la loi et aux faits de la cause et ne sont d'ailleurs pas contestées ; (…). » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2010, Madame …, agissant en sa qualité de gérante de la société …, a introduit un recours tendant, d’après le dispositif de la requête auquel le tribunal peut seul avoir égard, principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision directoriale précitée du 10 novembre 2010.

Il convient tout d’abord de relever que si, d’après les termes de la requête introductive, le recours est introduit par Madame … agissant en tant que gérante de la société …, il y a toutefois lieu d’admettre, malgré cette formulation quelque peu malencontreuse, que le présent recours a été introduit par la société …, représentée par sa gérante Madame ….

Quant à la compétence d’attribution du tribunal administratif pour statuer sur le présent recours, il résulte d’une lecture combinée des dispositions du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif que le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre des bulletins d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés, des bulletins de l’impôt commercial communal et des bulletins d’établissement de la valeur unitaire. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre subsidiaire contre la décision directoriale du 10 novembre 2010. Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre principal.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est dès lors recevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse reproche au directeur d’avoir retenu, dans sa décision litigieuse, que les critères de l’activité commerciale seraient remplis dans son chef et notamment que les ventes immobilières se seraient déroulées « d’après un schéma planifié ». Elle conteste cette affirmation en faisant valoir qu’au moment de l’achat des immeubles, elle n’aurait pas pu prévoir l’adoption de la loi du 30 juillet 2002 déterminant différentes mesures fiscales destinées à encourager la mise sur le marché et l’acquisition de terrains à bâtir et d’immeubles d’habitation, désignée ci-après par la « loi du 30 juillet 2002 ». Par ailleurs, cette loi n’aurait pas amené la société … à céder tous ses immeubles, mais seulement ceux qui n’auraient pas pu être loués. Ainsi, faute de trouver un locataire, les appartements situés à …, auraient été vendus afin de profiter des mesures fiscales avantageuses prévues par la loi du 30 juillet 2002. En revanche, les immeubles qui auraient été loués n’auraient pas été vendus, à savoir un studio sis à … et un appartement sis à ….

En ordre subsidiaire, la demanderesse se réfère à la théorie allemande de la « Drei-Objekt-Grenze », selon laquelle pas plus de trois objets ne peuvent être revendus sur un laps de temps de cinq ans, sinon la limite de la gestion du patrimoine privée serait excédée, telle que consacrée par le Bundesfinanzhof dans un arrêt du 9 décembre 1986.

En appliquant cette théorie au cas d’espèce et en faisant démarrer la période de cinq ans lors du premier achat réalisé par la société …, soit le 25 novembre 1999, la période quinquennale s’arrêterait donc le 24 novembre 2004. Or, sur cette période, la société … n’aurait vendu que trois immeubles, à savoir le 27 octobre 2003, le 23 juillet 2003 et le 3 octobre 2002. En faisant débuter une seconde période quinquennale le 25 novembre 2004 qui s’achèverait le 24 novembre 2009, la société … aurait cédé durant cette période deux immeubles, à savoir le 21 octobre 2005 et le 26 mars 2007.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement rétorque qu’il n’y aurait pas seulement lieu de tenir compte des deux opérations immobilières effectuées par la société … au cours des années 2005 à 2008, lesquelles ne pourraient pas, à elles seules, être considérées comme étant imprimées de la permanence requise pour être constitutive d’une activité commerciale, mais il y aurait également lieu de tenir compte de toutes les autres opérations réalisées par les « copropriétaires » non seulement à travers la société …, mais à travers toutes les formes de personnes juridiques dans lesquelles ils détiendraient un intérêt ou une participation. Ces deux opérations s’inséreraient ainsi dans le cadre d’une multitude d’opérations immobilières réalisées par les deux copropriétaires de la société …, qui opéreraient à travers différentes entités économiques. Le délégué du gouvernement énumère ensuite toutes les opérations immobilières ainsi réalisées par les copropriétaires de la société …. Il soutient que comme les opérations immobilières de la société … s’inséreraient pour les parts indivises respectives dans le patrimoine immobilier des deux copropriétaires et dans le contexte de l’ensemble de leurs opérations immobilières, elles devraient être considérées, même sans présenter en elles-mêmes le caractère de permanence tel qu’énoncé à l’article 14, alinéa 1er, de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu (LIR), comme revêtant cette qualité du fait de leur insertion dans le cadre général des opérations immobilières à caractère commercial des deux copropriétaires. De même, le critère de la participation à la vie économique générale se trouverait vérifié en l’espèce, tout comme le critère de l’indépendance et celui du but de lucre, de sorte qu’il y aurait lieu de conclure, en l’espèce, à l’existence d’une entreprise commerciale au sens de l’article 14, alinéa 1er LIR. En effet, l’activité de la société … ne pourrait plus être regardée comme simple accessoire d’une jouissance des fruits d’un patrimoine immobilier privé dont la substance est conservée, dès lors que la demanderesse aurait manifestement recherché une exploitation de la substance de son patrimoine par transfert (« Umschichtung ») d’éléments substantiels de sa fortune. Ce serait partant à bon droit que le bureau d’imposition et le directeur ont qualifié les revenus litigieux de bénéfice commercial.

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse souligne le fait que le délégué du gouvernement admettrait lui-même que les opérations immobilières de la société … ne seraient pas suffisantes pour justifier la requalification de ses revenus en bénéfice commercial. Elle fait ensuite valoir que la thèse du délégué du gouvernement selon laquelle il y aurait également lieu de tenir compte de toutes les autres opérations immobilières dans lesquelles les associés de la société … seraient impliqués, ne s’appuierait ni sur un texte, ni sur une jurisprudence ou une doctrine. Or, en vertu de l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, la charge de la preuve pour les faits déclenchant l’obligation fiscale incomberait à l’administration. Elle conclut partant au rejet de cette argumentation. Elle fait encore valoir que la loi fiscale exigerait que les activités des sociétés civiles et des sociétés de personnes soient considérées chacune en elles-mêmes et que le statut des associés et leurs autres activités seraient sans incidence.

En ordre subsidiaire, la demanderesse fait valoir que la thèse de l’Etat serait à écarter en ce qui concerne les sociétés de capitaux telles que la société … S.A., dès lors que cette société serait un contribuable distinct de ses associés, et dont les revenus seraient imposables dans son chef et non pas dans celui de ses actionnaires, d’autant plus que les associés de la société … ne détiendraient qu’une faible participation dans ladite société. La demanderesse soutient ensuite qu’il faudrait également tenir compte des divergences existant entre les associés de la société … dans la mesure où Madame … ne détiendrait que 50% du capital de la société …, les autres 50% appartenant à Monsieur …, et que Madame … n’aurait pas de participation dans d’autres sociétés civiles immobilières. La demanderesse conclut que comme l’implication de Monsieur … dans des activités commerciales serait plus grande que celle de Madame …, le raisonnement de l’administration fiscale conduirait, le cas échéant, à considérer l’activité de la société … comme commerciale à l’égard de l’un des associés et non à l’égard de l’autre, ce qui ne serait pas possible.

La demanderesse critique ensuite le directeur en ce qu’il a reproché à Monsieur … d’être encore associé dans huit autres sociétés civiles immobilières qui seraient sans activité et dont il entendrait se servir le moment venu et parmi lesquelles figurerait la … et … SC qui serait une entreprise de profession libérale. Elle conteste également l’affirmation de l’administration fiscale selon laquelle Monsieur … aurait réalisé pendant les années 1999 à 2002, par le biais de la société …, onze opérations immobilières d’achat-vente. Elle estime que ces opérations remonteraient trop loin dans le temps et ne pourraient pas conférer un caractère commercial à une vente immobilière réalisée en 2007, surtout lorsqu’il s’agirait d’une personne juridique différente. Elle se réfère encore à cet égard à la théorie allemande de la « Drei-Objekt-Grenze ». Enfin, elle donne à considérer que l’acquisition par les deux associés de la société … d’un immeuble de commerce à …, grevé d’un bail de treize ans, serait la meilleure preuve que la motivation des deux associés de la société … serait la location à long terme et non pas l’activité de promotion immobilière.

En substance, la demanderesse reproche au directeur d’avoir rejeté sa réclamation et d’avoir confirmé la décision du bureau d’imposition Sociétés … qui a requalifié le revenu net déclaré par la société … dans la catégorie du revenu provenant de la location de biens en bénéfice commercial.

Aux termes de l’article 14, alinéa 1er, LIR, est à considérer comme bénéfice commercial, le revenu net provenant d’une entreprise commerciale, industrielle, minière ou artisanale, l’entreprise commerciale étant définie comme « toute activité indépendante à but de lucre exercée de manière permanente et constituant une participation à la vie économique générale, lorsque ladite activité ne forme ni une exploitation agricole ou forestière ni l’exercice d’une profession libérale ».

Une activité consistant en des transactions immobilières ne peut partant être qualifiée d’entreprise commerciale dépassant le cadre de la simple gestion de la fortune privée que si les quatre critères énoncés par la disposition légale précitée se trouvent simultanément réunis.

Parmi ces quatre critères, il convient d’examiner en premier lieu celui de la permanence de l’activité litigieuse, la délimitation entre l’activité commerciale et la simple gestion du patrimoine privé impliquant une appréciation de l’activité développée par le contribuable à la lumière de l’ensemble des circonstances de la cause.

Il résulte des travaux préparatoires concernant l’article 14 LIR que « le caractère de permanence n’implique pas nécessairement que l’activité se répète. Pour qu’il y ait permanence, il suffit que l’activité ait lieu avec l’intention de la répéter si l’occasion s’en présente et de constituer de la sorte une source de revenu sur la base d’opérations répétées », le même commentaire de l’article 14 précisant encore que « le caractère de permanence sépare l’activité commerciale … d’actes similaires isolés qui ont lieu dans le cadre de l’administration du patrimoine privé du contribuable » (Projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, doc. parl. n° 5714, commentaire des articles, p. 18).

En l’espèce, il ressort des pièces du dossier fiscal que la société … a acheté le 25 novembre 1999 un studio situé à …. Elle a ensuite acquis un appartement en voie de construction le 24 février 2000 à … qu’elle a revendu le 27 octobre 2003. L’année suivante, le 20 mars 2001, la société … a acheté un appartement ainsi qu’un garage en voie de construction à …, qu’elle a revendu le 21 octobre 2005, le garage ayant été vendu plus tard, à savoir le 26 mars 2007. La même année, le 22 juin 2001, elle a acquis un appartement à … qu’elle a cédé le 23 juillet 2003. Elle a acquis le 2 février 2002 un appartement à … qu’elle a cédé le 3 octobre 2002. Le 10 septembre 2004, elle a encore acquis un appartement situé à ….

S’il est vrai, comme le soutient la demanderesse, que durant les années d’imposition litigieuses, à savoir les années 2005 à 2008, la société … n’a acquis aucun immeuble et elle n’a cédé que deux immeubles, à savoir un appartement en 2005 et un garage en 2007, situés à …, et acquis en 2001, et que ces deux cessions, à elles seules, de par leur nombre, ne peuvent pas être considérées comme un indice suffisant de la permanence requise pour être constitutive d’une activité commerciale, il n’en demeure pas moins que, sur les sept immeubles acquis entre 1999 et 2004 par la société …, celle-ci en a cédé cinq entre 2002 et 2007, ne conservant que le studio acquis en 1999 et situé à …, ainsi qu’un appartement acquis en 2004 et situé à ….

Force est dès lors au tribunal de constater que considérées globalement, ces opérations immobilières ont impliqué des mutations importantes au niveau du patrimoine immobilier de la société …, puisqu’elle n’a gardé que deux immeubles sur un total de sept.

Le but ainsi recherché semble avoir été moins la recherche d’une conservation et d’une jouissance à long terme desdites propriétés immobilières par la mise en location, mais essentiellement une valorisation rapide du patrimoine moyennant ces mutations ce qui constitue une caractéristique d’un esprit de lucre et d’une entreprise commerciale.

Dans ce contexte, les affirmations de la partie demanderesse selon lesquelles elle n’aurait pas trouvé de locataire pour les immeubles cédés et qu’elle aurait voulu tirer avantage des dispositions favorables de la loi du 30 juillet 2002 ne font que confirmer cette analyse.

Il s’ensuit que l’activité de la société … présente le caractère de permanence requis pour la faire qualifier d’activité commerciale.

En ce qui concerne ensuite le critère de la participation à la vie économique, il y a lieu de souligner que ce critère implique que le contribuable prenne part, d’une façon perceptible au public intéressé, à l’échange général des biens et prestations et qu’il soit prêt à entrer en relation d’affaires avec un nombre indéterminé de personnes, compte tenu naturellement de l’étendue et du genre de son entreprise et de sa propre capacité de prestation. Ainsi, le commerçant prend part au trafic économique général en approvisionnant le marché en biens pour lesquels il existe un besoin et en les échangeant contre des équivalents en nature ou en argent. Cet élément de la participation est à apprécier dans chaque cas d’espèce en considération du but recherché ainsi que de la nature des opérations exécutées1.

En l’espèce, force est de constater qu’à travers les opérations réalisées, la demanderesse a participé à la vie économique générale, étant donné qu’elle a acquis ces immeubles pour les donner en location à des tiers et pour les revendre, participant de la sorte à l’échange général des biens et prestations, de manière perceptible au public.

Quant au critère de l’indépendance, celui-ci est également donné en l’espèce, puisque la société civile immobilière, en tant que société, est par définition une entité indépendante, c’est-à-dire non sujette aux liens d’une occupation salariale.

Enfin, en ce qui concerne le critère du but lucratif, un tel but est encore avéré, étant donné que la partie demanderesse a elle-même déclaré avoir procédé à ces ventes d’immeubles afin de profiter des mesures fiscales favorables de la loi du 30 juillet 2002.

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que toutes les conditions pour qualifier d’entreprise commerciale les opérations de la société … au titre des années 2005 à 2008, se trouvent réunies, de sorte que c’est à bon droit que le directeur a rejeté la réclamation de la société ….

Aucun autre moyen n’ayant été invoqué en cause, le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

1 Trib. adm. 21 juin 2000, n° 11582, Pas. adm. 2010, V° Impôts, n° 78.

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y pas lieu de statuer sur le recours en annulation ;

condamne la partie demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 19 octobre 2011 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19.10.2011 Le Greffier du Tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 27547
Date de la décision : 19/10/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2011-10-19;27547 ?

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