Numéro 27313 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 septembre 2010 1re c hambre Audience publique du 10 octobre 2011 Recours formé par Monsieur …, … (France) contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 27313 du rôle et déposée le 17 septembre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Dieter Grozinger de Rosnay, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, avocat à la Cour, demeurant à F-… (France), …, tendant à la réformation partielle d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 8 juin 2010 (n° C 13293) ayant rejeté comme non fondée sa réclamation dirigée contre les bulletin de l'impôt sur le revenu des années 2001, 2002 et 2004 et ayant dit la réclamation contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2003 partiellement fondée ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2010 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Philippe Hallez, en remplacement de Maître Dieter Grozinger de Rosnay, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 juin 2011.
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A défaut de déclarations d’impôt déposées pour les années 2001, 2002, 2003 et 2004, le bureau d’imposition Luxembourg X de la section des personnes physiques du service d’imposition de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé « le bureau d’imposition », émit à l’égard de Monsieur … le 22 mars 2006 les bulletins de l’impôt sur le revenu relatifs aux années précitées.
Monsieur … introduisit le 10 avril 2006 une réclamation à l’encontre de ces bulletins d’impôt.
Par décision datée au 8 juin 2010, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé « le directeur », rejeta ladite réclamation comme non fondée en ce qui concerne les années 2001, 2002 et 2004 et reçut la réclamation pour l’année 2003 comme étant partiellement fondée. La décision directoriale prévisée est libellée comme suit :
« […] Vu la requête introduite le 10 avril 2006 par le sieur …, demeurant à F- …, ayant élu domicile au Luxembourg, pour réclamer contre les bulletins de l'impôt sur le revenu des années 2001, 2002, 2003 et 2004, tous émis le 22 mars 2006 ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu les §§ 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;
Considérant que l'introduction par une requête unique de plusieurs demandes distinctes, mais néanmoins semblables, empiète sur le pouvoir discrétionnaire du directeur des contributions de joindre des affaires si elles sont connexes, mais n'est incompatible en l'espèce avec les exigences d'une procédure ordonnée ni dommageable à une bonne administration de la loi; qu'il n'y a pas lieu de la refuser ;
Considérant que le réclamant fait grief au bureau d'imposition d'avoir établi les bases d'imposition par voie de taxation ;
Considérant qu'en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens du requérant, la loi d'impôt étant d'ordre public (décision dir. du 9.9.1991 n° C 7640 du rôle) ;
qu'à cet égard le contrôle de la légalité externe de l'acte doit précéder celui du bien-
fondé (décision dir. du 21.5.1993 n° C 7444 du rôle) ;
qu'en l'espèce la forme suivie par le bureau d'imposition ne prête pas à critique ;
Considérant que le contribuable n'a réservé aucune suite au rappel émis le 20 septembre 2005, l'invitant au dépôt des déclarations des années litigieuses ;
Considérant qu'en conséquence le bureau d'imposition était tenu, conformément au § 217 AO, à établir les bases d'imposition par voie de taxation ;
En ce qui concerne l'impôt sur le revenu des années 2001, 2002 et 2004 Considérant que les revenus imposables des années 2001, 2002 et 2004 ont été taxés par le bureau d'imposition, le réclamant étant resté à défaut de fournir des déclarations pour les années litigieuses ;
que dans sa requête introductive d'une réclamation devant le directeur, le réclamant a affirmé vouloir déposer des déclarations pour les années 2001, 2002 et 2004 afin de fournir des éléments établissant que les taxations pour ces années se seraient écartées de la réalité de ses revenus; qu'il n'y a cependant donné aucune suite jusqu'à ce jour, de sorte que les affirmations contenues dans sa lettre de réclamation, introduite il y a plus de quatre ans, sont restées à l'état de pure allégation ;
Considérant qu'il s'ensuit que le réclamant n'a pas rapporté la preuve de l'inexactitude de la taxation par rapport à ses revenus réels (CA du 19.05.2009 n° 25152C du rôle); que dès lors les taxations pour l'impôt sur le revenu des années 2001, 2002 et 2004 sont à confirmer ;
Considérant pour le surplus que les contribuables ne doivent s'imputer qu'à eux-
mêmes les conséquences éventuellement désavantageuses de la taxation, lorsque c'est par suite de leur propre comportement fautif qu'il a été nécessaire de recourir à cette mesure (C.E. arrêts du 11.4.1962, n°5742; du 13.12.1968 n° 5611 et n° 5446; du 8.12.1970, n° 6042;
du 20.2.1975, n° 5937, jugement Tribunal administratif du 19.06.2000, no 11295 du rôle) ;
En ce qui concerne l'impôt sur le revenu de l'année 2003 Considérant que le réclamant n'ayant réservé aucune suite aux mandements, l'invitant à remettre la déclaration pour l'impôt sur le revenu de l'année 2003, le bureau d'imposition avait dû recourir à la taxation conformément au § 217 AO ;
Considérant que, tout comme le bureau d'imposition, le directeur doit instruire (§ 204 AO) sur le revenu imposable; que c'est par la consécration du principe du réexamen intégral et d'office de l'imposition litigieuse dans les dispositions combinées des §§ 204, 243 et 244 AO que le législateur a exprimé sa volonté qu'aucun impôt que celui qui est légalement dû ne puisse être réclamé au contribuable; que rien ne s'oppose donc à ce que le réclamant présente dans le cadre de sa réclamation des éléments nouveaux, sous réserve d'abattements ou de bonifications à accorder sur demande, tendant à apporter des modifications à sa déclaration d'impôt ;
Considérant que s'il est loisible au contribuable, sous l'empire de la loi générale des impôts, de s'opposer à une surtaxe, il lui incombe toutefois d'infirmer la taxation par des allégations circonstanciées qui permettent, dans le cadre du § 243 AO, de mieux asseoir l'impôt ;
Considérant que la déclaration de l'année 2003 ainsi que les pièces versées en date du 10 avril 2006 constituent autant de preuves et de la nature et du montant de ces dépenses, susceptibles d'influer sur l'assiette de l'impôt de l'année litigieuse; que le réclamant a dès lors prouvé suffisamment l'écart significatif entre les revenus soumis à l'impôt fixé à travers le bulletin litigieux, établi par voie de taxation, et les revenus réels de 2003; qu'en conséquence il y a lieu d'ajuster la taxation sur base de ces données, sous réserve des observations suivantes ;
Considérant que les cotisations versées à un établissement de sécurité sociale luxembourgeois s'élevant à 2.704,91 euros sont déductibles en vertu de l'article 110 alinéa 2 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.) et ne représentent pas des dépenses d'exploitation au sens de l'article 45 L.I.R. ;
Considérant qu'aux termes de l'article 45 L.I.R. sont considérées comme dépenses d'exploitation déductibles les dépenses provoquées exclusivement par l'entreprise alors qu'en vertu de l'article 12 L.I.R. les dépenses de train de vie du contribuable ne sont pas déductibles; toutefois pour être déductibles il faut pouvoir documenter leur existence par des moyens probants ;
Considérant que les frais concernant les déplacements sont en principe déductibles, sous réserve de la présentation d'éléments de preuve établissant leur relation avec les revenus professionnels; qu'un carnet de bord dûment tenu est susceptible de constituer un tel élément et permet une séparation nette, aisément et objectivement contrôlable entre déplacements privés et professionnels; qu'il permet, de plus, de distinguer entre les déplacements professionnels entre le domicile et le lieu de travail et les autres déplacements professionnels ;
Considérant qu'à défaut de la présentation d'annotations permettant un contrôle selon des règles objectives, une ventilation nette des frais de voiture s'avère impossible de sorte que ces dépenses sont à ranger parmi les dépenses de la sphère privée non déductibles en vertu de l'article 12 alinéa 1 L.I.R.; que, néanmoins, les frais de déplacements, en dehors du forfait, sont taxés à 250 euros ;
Considérant que les assurances déclarées sont déductibles jusqu'au plafond annuel déterminé par l'alinéa 5 de l'article 111 L.I.R., en l'occurrence 672 euros ;
Considérant que le redressement de l'impôt sur le revenu de l'année 2003 fait l'objet de l'annexe qui constitue une partie intégrante de la présente décision ;
PAR CES MOTIFS reçoit les réclamations en la forme, rejette comme non fondées les réclamations contre les bulletins de l'impôt sur le revenu des années 2001, 2002 et 2004, dit la réclamation contre le bulletin de l'impôt sur le revenu de l'année 2003 partiellement fondée, réformant, ramène l'impôt sur le revenu dû, y compris la contribution au fonds pour l'emploi, pour l'année 2003 à 1.995 euros ;
renvoie au bureau d'imposition pour exécution, notamment pour imputation des retenues. […] » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 septembre 2010, Monsieur … a introduit un recours contentieux tendant à la réformation partielle de la décision directoriale du 8 juin 2010.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, ci-après dénommée « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin de l’impôt sur le revenu. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions directoriales du 8 juin 2010.
Ledit recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que contrairement aux affirmations du directeur, il aurait expédié au bureau d’imposition Luxembourg X ses déclarations de revenus pour les années 2001, 2002 et 2004 en date du 13 avril 2006, qu’il aurait sollicité et obtenu par décision du 24 juillet 2006 un sursis-exécution au regard des déclarations déposées, de sorte que la décision directoriale déférée serait manifestement entachée d’une erreur factuelle.
Le délégué du gouvernement estime qu’aucune déclaration en due forme n’aurait été déposée pour les années 2001 et 2002, tandis que pour l’année 2004 une déclaration aurait été adressée au bureau d’imposition en date du 19 avril 2006, de sorte que la décision directoriale déférée serait à réformer en ce sens.
S’il est exact que pour les années 2001 et 2002, les déclarations pour l’impôt remises par Monsieur … en date du 19 avril 2006 ne revêtent pas la forme de formulaires pré-
imprimés habituellement remis à l’administration des Contributions directes, force est au tribunal de constater qu’il ressort des pièces déposées en cause et notamment du dossier fiscal que l’administration des Contributions directes a accepté ces écrits remis par le demandeur en date du 19 avril 2006 comme valant déclarations pour l’impôt pour les années 2001 et 2002.
En effet, il ressort tant d’une note manuscrite contenue dans le dossier fiscal, que d’un courrier de l’administration des Contributions directes, bureau d’imposition Luxembourg X, du 24 juillet 2006, que les déclarations pour les années 2001 à 2004 ont été remises par le demandeur, suite auxquelles la prédite administration lui a accordé un sursis-exécution.
Partant, en vertu du principe de la confiance légitime qui protège l'administré contre les changements brusques et imprévisibles de l'administration, ni le directeur, ni le délégué du gouvernement ne sauraient revenir sur cette acceptation, dans la mesure où il ne saurait être admis qu’une administration prenne un acte administratif sur base de faits reconnus par elle, en l’occurrence accordé un sursis-exécution sur base de déclarations qu’elle admet avoir reçues, pour nier par après ces mêmes faits.
Force est dès lors au tribunal de constater que la décision déférée, fondée sur l’absence de déclarations, encourt la réformation, de sorte qu’il y a lieu de conclure que les déclarations pour l’impôt des années 2001, 2002 et 2004 remises par le demandeur sont à prendre en considération pour la fixation de l’impôt pour les années 2001, 2002 et 2004 et de renvoyer le litige devant le directeur afin que ce dernier puisse en tirer les conclusions qui s’imposent en conformité avec les principes ci-avant retenus.
En effet, lorsqu’une affaire soumise à la juridiction administrative n’a pas encore fait l’objet d’une instruction par le directeur, étant donné que celui-ci comme en l’espèce n’a pas été amené à analyser le fond de l’affaire pour les années d’impositions par rapport auxquelles la décision est querellée, il est dans l’intérêt à la fois d’un bon traitement à un niveau administratif et d’une bonne administration de la justice de renvoyer l’affaire devant ledit directeur, pareil renvoi respectant encore l’exigence du préalable administratif prévu à l’article 8 (3) 1. de la loi du 7 novembre 1996, tout en étant en outre de nature à sauvegarder le droit du contribuable à l’accès à toutes les instances de décision et de recours prévues par la loi.
En ce qui concerne la demande en allocution d’une indemnité de procédure de 1000.-
euros formulée par le demandeur sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée « la loi du 21 juin 1999 », force est au tribunal de constater qu’au vu des circonstances particulières du présent litige et notamment en raison de son issue, du fait que le demandeur a été obligé de se pourvoir en justice avec l’assistance d’un avocat, et de l’absence de toute contestation de la part de la partie étatique, il serait inéquitable de laisser à charge de la demanderesse l’intégralité des frais et honoraires non compris dans les dépens.
Compte tenu des éléments d’appréciation en possession du tribunal, des devoirs et degré de difficulté de l’affaire ainsi que du montant réclamé, et au vu de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999, il y a lieu d’évaluer ex æquo et bono l’indemnité à allouer au demandeur à un montant de 750.- €.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, par réformation de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 8 juin 2010, dit qu’il y lieu de prendre en compte les déclarations pour l’impôt sur le revenu des années 2001, 2002 et 2004 pour la fixation de l’impôt des années 2001, 2002 et 2004 ;
renvoie le dossier en prosécution de cause devant ledit directeur ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 octobre 2011 par :
Marc Sünnen, vice président, Claude Fellens, premier juge, Annick Braun, premier juge en présence du greffier Arny Schmit.
s. Arny Schmit s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11.10.2011 Le Greffier du Tribunal administratif 6