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17/08/2011 | LUXEMBOURG | N°28932

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 août 2011, 28932


Tribunal administratif Numéro 28932 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 août 2011 Audience publique du 17 août 2011 Recours formé par Monsieur … … …, Schrassig contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 10 L. 5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 28932 du rôle et déposée le 8 août 2011 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à

la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … … …, né...

Tribunal administratif Numéro 28932 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 août 2011 Audience publique du 17 août 2011 Recours formé par Monsieur … … …, Schrassig contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 10 L. 5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 28932 du rôle et déposée le 8 août 2011 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … … …, né le … à … (Mexique), actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du 28 juillet 2011 du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée de trois mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 août 2011 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en ses plaidoiries à l’audience publique du 17 août 2011.

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Monsieur … … … déposa une première demande en obtention de la protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection en date du 1er avril 2011, demande à laquelle il renonça cependant en date du 5 avril 2011, au motif qu’il ne souhaitait pas demeurer au Luxembourg ;

par ailleurs, les recherches effectuées au sein du système EURODAC révélèrent qu’il avait précédemment déjà introduit infructueusement une demande de protection internationale en Allemagne, où il faisait l’objet d’une interdiction d’entrée, ainsi qu’aux Pays-Bas, et qu’il avait encore séjourné irrégulièrement en Espagne et en France.

Monsieur … … … déposa ensuite en date du 6 avril 2011 une demande en obtention de la protection internationale en Belgique et, en date du 4 mai 2011, une même demande aux Pays-

Bas.

Monsieur … … … fut ensuite appréhendé le 19 mai 2011 en Allemagne et fut transféré au Luxembourg par les autorités allemandes en application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 en date du 8 juillet 2011.

En date du même jour, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après « le ministre », refusa à Monsieur … … le séjour sur le territoire luxembourgeois en application des articles 100 et 109 à 115 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, et par décision séparée du même jour, le ministre ordonna sur base des articles 120 à 123 de la même loi du 29 août 2008 la rétention administrative de Monsieur … … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, dans l’attente de son éloignement du territoire luxembourgeois.

En date du 19 juillet 2011, Monsieur … … déposa par l’intermédiaire de son conseil à nouveau une demande en obtention de la protection internationale.

Par arrêté du 28 juillet 2011, le ministre rapporta l’arrêté de placement en rétention du 7 juillet 2011 et plaça Monsieur … … en rétention sur base de l’article 10 (1) a) de la loi modifiée du 5 mai 2006 précitée au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

Cet arrêté est fondé sur les considérations et motifs suivants :

« Vu l'article 10 (1) a) de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu mon arrêté de placement en rétention du 7 juillet 2011 ;

Considérant que l'intéressé a déposé une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 25 juillet 2010 ;

-

que cette demande a été déposée dans le but de prévenir son éloignement du territoire luxembourgeois ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à l’instruction de la demande de protection internationale (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 août 2011, Monsieur … … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision de placement ci-avant visée du 28 juillet 2011.

Etant donné que l’article 10 (4) de la loi modifiée du 5 mai 2006 précité, tel que modifié par l’article 155-2° de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration institue, par renvoi à l’article 123 (1) de la loi du 29 août 2008 précitée, un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur expose être entré sur le territoire luxembourgeois dans l’intention d’y trouver une protection alors qu’il fuirait les cartels de drogue mexicains qui le persécuteraient.

Après avoir relevé que la base légale de la décision déférée, à savoir l’article 10 (1) a) de la loi modifiée du 5 mai 2006 précitée, ne prévoirait dans le chef du ministre que la faculté de placer un demandeur en protection internationale en rétention, il considère qu’une telle faculté accordée au ministre ne saurait être une faculté discrétionnaire, mais plutôt une faculté qu’il conviendrait de motiver à suffisance, ce qui en l’espèce ne serait cependant pas le cas, l’arrêté ministériel déféré, qui se bornerait à énoncer un risque de fuite, n’étant en effet de l’avis du demandeur pas suffisamment motivé.

A titre subsidiaire et pour autant que les motivations contenues dans l’arrêté ministériel seraient déclarées suffisantes par le tribunal, Monsieur … … conteste lesdites motivations.

C’est ainsi qu’il conteste formellement avoir déposé sa demande en protection internationale dans le seul but de prévenir son éloignement du territoire national ; s’il admet n’avoir introduit officiellement sa demande afférente qu’après avoir été placé en rétention, il affirme cependant être arrivé sur le territoire luxembourgeois avec l’intention de demander une protection internationale au Luxembourg, mais que comme il n’aurait pas su matérialiser sa demande, alors qu’il n’aurait pas été au courant de la procédure à suivre, il n’aurait pu déposer de demande en protection internationale qu’après avoir consulté son conseil juridique et les services sociaux du centre de rétention.

Quant au risque de fuite mis en avant par le ministre, Monsieur … … affirme qu’il ne serait pas dans son intention de quitter le territoire luxembourgeois, étant donné qu’il s’y serait réfugié pour fuir les cartels de drogue mexicains. Il donne encore à considérer que toute fuite vers un autre pays européen serait dénuée de tout sens dans la mesure où il serait confronté dans tous les autres pays d’Europe à la même problématique quant aux conditions d’entrée et de séjour sur le territoire. Enfin, il relève que sa fuite serait encore moins plausible dans la mesure où il n’aurait commis aucun délit sur le sol luxembourgeois, circonstance qui seule l’aurait le cas échéant poussé à quitter le territoire grand-ducal pour se soustraire à une éventuelle condamnation.

Le délégué du gouvernement, de son côté, après avoir rappelé les antécédents procéduraux du demandeur, insiste sur les nombreuses demandes de protection internationale précédemment introduites par le demandeur dans d’autres pays européens et sur le fait qu’il n’aurait déposé sa dernière demande qu’après avoir été placé en rétention et s’être vu notifier un arrêté de refus de séjour ; par ailleurs, le délégué du gouvernement affirme que le risque de fuite ne serait pas une condition légale, mais qu’au vu du comportement du demandeur, un tel risque serait néanmoins donné en l’espèce.

Force est de constater en l’espèce que Monsieur … … a fait l’objet d’une mesure de rétention sur base de l’article 10 (1) a) de la loi modifiée du 5 mai 2006 précitée qui autorise notamment le ministre à placer un demandeur en protection internationale dans une structure fermée pour une durée maximale de trois mois renouvelable lorsque « la demande de protection internationale a été déposée dans le but de prévenir un éloignement de la personne concernée alors que celle-ci se trouve en séjour irrégulier ».

En ce qui concerne le moyen du demandeur basé sur un défaut de motivation suffisante de la décision querellée, force est cependant de constater qu’il se dégage du libellé ci-avant transcrit de l’arrêté ministériel du 28 juillet 2011 que ce dernier est motivé, certes très succinctement, à suffisance tant en droit qu’en fait, l’arrêté ministériel, outre de préciser sa base légale - à savoir l’article 10 (1) a) de la loi modifiée du 5 mai 2006 -, précisant encore qu’au vu de la demande de protection internationale déposée en date du 25 juillet 2010, le ministre estimerait que cette demande aurait été déposée dans le but de prévenir l’éloignement du demandeur du territoire luxembourgeois et qu’il existerait un risque de fuite, l’intéressé étant susceptible de se soustraire à l’instruction de sa demande de protection internationale.

Le demandeur n’ayant dès lors nullement pu se méprendre sur ses nature et portée et ayant pu assurer en parfaite connaissance de cause la sauvegarde de ses intérêts légitimes, la décision de placement déférée est du point de vue formel motivée à suffisance de fait et de droit.

En ce qui concerne le bien-fondé de cette motivation, le tribunal est de prime abord appelé à constater une contradiction dans le raisonnement de la partie étatique, qui tout en motivant l’arrêté ministériel par un prétendu risque de fuite, oppose néanmoins au demandeur dans son mémoire le fait qu’un tel risque de fuite ne serait pas prévu par la loi.

Au-delà de ce constat, le tribunal est encore amené à retenir que la condition d’un risque de fuite ne figure effectivement pas parmi les différentes conditions inscrites à l’article 10 (1) de la loi modifiée du 5 mai 2006, de sorte que l’existence d’un tel risque, à la supposer établie, ne saurait en tout état de cause motiver le placement du demandeur dans le cadre légal invoqué en l’espèce.

En ce qui concerne le second motif avancé par le ministre, motif cette fois-ci explicitement prévu par la loi, à savoir le fait que la demande de protection internationale aurait été déposée dans le but de prévenir un éloignement de la personne concernée, le tribunal ne saurait non plus suivre le raisonnement du délégué du gouvernement consistant à vouloir déceler une telle intention frauduleuse dans le chef du demandeur du seul fait que la demande en protection internationale n’aurait été introduite par le demandeur qu’après avoir été placé en rétention. En effet, il y a lieu de relever qu’en l’espèce, Monsieur … … n’est pas entré de son plein gré au Luxembourg et n’y a pas demeuré librement, mais qu’il a été transféré au Luxembourg par les autorités allemandes et a immédiatement été placé en rétention, de sorte qu’il n’avait, en tout état de cause, pas d’autre possibilité que d’introduire sa demande en protection internationale qu’une fois retenu au centre de séjour.

En revanche, il est constant en cause que Monsieur … … avait précédemment multiplié les demandes de protection internationale dans d’autres pays européens, et ce sans attendre l’issue de ses demandes respectives. C’est ainsi, comme relevé ci-avant, que Monsieur … …, après avoir déposé une demande afférente au Luxembourg en date du 1er avril 2011, déposa ensuite le 6 avril 2011 une même demande en Belgique et le 4 mai 2011 aux Pays-Bas, pays dans lequel il avait, au cours des années précédentes, d’ores et déjà introduit infructueusement plusieurs demandes de protection internationale.

Il est encore constant en cause que le demandeur avait explicitement renoncé à sa première demande afférente introduite au Luxembourg en date du 1er avril 2011, au motif qu’il ne souhaitait pas demeurer au Luxembourg.

Force est encore de constater que si le demandeur a été placé en rétention le 8 juillet 2011, et qu’il s’est vu notifier le même jour un arrêté de refus de séjour, lui enjoignant de quitter le territoire sans délai à destination du Mexique, il a attendu le 19 juillet 2011 pour introduire une nouvelle demande de protection internationale, alors qu’il aurait pu et dû déposer une telle demande dès son entrée sur le territoire, concomitamment avec son placement en rétention.

Or, le fait d’attendre que le ministre ait entamé les démarches en vue d’assurer l’éloignement du demandeur en séjour irrégulier pour déposer une demande de protection internationale doit être considéré comme manœuvre dilatoire destinée, comme relevé par le ministre, à prévenir son éloignement, cette conclusion étant encore renforcée par les explications du demandeur selon lesquelles il n’aurait pas été au fait de la procédure à engager pour introduire une demande en protection internationale, mais qu’il aurait dû attendre les conseils de son avocat et des services sociaux, de telles explications, compte tenu du fait que le demandeur avait précédemment déjà déposé près d’une dizaine de demandes de protection internationale, dont une récemment au Luxembourg, ne soulignant que sa mauvaise foi.

Cette même conclusion s’impose encore au vu des autres explications du demandeur, à savoir qu’il ne serait venu au Luxembourg que dans le seul but de déposer une demande de protection internationale, le demandeur ayant au contraire expressément renoncé à sa première demande déposée au Luxembourg parce qu’il ne souhaitait pas y rester ; s’il est ensuite revenu au Luxembourg, ce retour, comme retenu ci-avant, ne l’a pas été à l’initiative du demandeur, mais du fait de son transfert contraint à partir de l’Allemagne, de sorte qu’il ne saurait soutenir être entré sur le territoire luxembourgeois avec l’intention d’y déposer une demande de protection internationale.

Dès lors, au vu de ces circonstances, c’est à bon droit que le ministre a estimé que la demande de protection internationale introduite le 19 juillet 2011 par Monsieur … … a été déposée dans le seul but de prévenir son éloignement vers le Mexique.

Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 août 2011 par :

Marc Sünnen, vice-président, Thessy Kuborn, juge, Andrée Gindt, juge, en présence du greffier en chef de la Cour administrative Erny May, greffier assumé.

s. May s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original.

Luxembourg, le 22 novembre 2016 le greffier assumé 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 28932
Date de la décision : 17/08/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2011-08-17;28932 ?

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