La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/06/2011 | LUXEMBOURG | N°27422

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 juin 2011, 27422


Tribunal administratif N° 27422 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 octobre 2010 3e chambre Audience publique 8 juin 2011 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du Conseil de discipline des fonctionnaires communaux en présence de l’administration communale de Sanem en matière de discipline

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27422 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2010 par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mon

sieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une déc...

Tribunal administratif N° 27422 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 octobre 2010 3e chambre Audience publique 8 juin 2011 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du Conseil de discipline des fonctionnaires communaux en présence de l’administration communale de Sanem en matière de discipline

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27422 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2010 par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du 20 juillet 2010 du Conseil de discipline des fonctionnaires communaux, prononçant à son égard la sanction disciplinaire de la révocation ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Martine Lisé, demeurant à Esch/Alzette, du 3 novembre 2010, portant signification de ce recours à l’administration communale de Sanem, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, ayant sa maison communale à L-4477 Belvaux, 60, rue de la Poste ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 16 décembre 2010 ayant déclaré non fondée une demande tendant à voir prononcer le sursis à exécution de la prédite décision du 20 juillet 2010 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2011 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 31 janvier 2011 par Maître Romain Adam au nom de l’administration communale de Sanem, lequel mémoire a été notifié le même jour par acte d’avocat à avocat au mandataire du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jonathan Holler, en remplacement de Maître Jean-Marie Bauler, Maître Julien Konsbrück, en remplacement de Maître Romain Adam, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy Schleder en leurs plaidoiries respectives.

Monsieur …, … dans la carrière de l’expéditionnaire administratif auprès de la recette communale de la commune de Sanem, entra au service le … et obtint sa nomination définitive le ….

En date du 3 mai 2010, le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Sanem saisit le commissaire du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire, ci-après désigné par « le commissaire du gouvernement », d’une instruction disciplinaire à l’encontre de Monsieur … du fait de détournements de fonds et du fait d’une absence non autorisée.

En date du 6 mai 2010, ledit collège des bourgmestre et échevins saisit le Parquet des faits ainsi constatés.

En date du 21 mai 2010, le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Sanem informa Monsieur … qu’il était suspendu de ses fonctions pendant la procédure disciplinaire.

Par décision du 20 juillet 2010, le Conseil de discipline des fonctionnaires communaux, ci-après désigné par « le Conseil de discipline », prononça la sanction disciplinaire de la révocation à l’égard de Monsieur ….

Cette décision est fondée sur les considérations suivantes :

«Vu le courrier du 3 mai 2010 par lequel l'Administration communale de Sanem a saisi le Commissaire du Gouvernement chargé de l'Instruction disciplinaire aux fins de procéder à une instruction disciplinaire à l'encontre de …, … auprès de la recette communale, classé au grade … ;

Vu le courrier du 10 mai 2010 par lequel l'Administration communale de Sanem a fait parvenir au Commissaire du Gouvernement les pièces soumises par …, receveur communal, déterminant la somme d'argent que … s'est frauduleusement appropriée ;

Vu le dossier disciplinaire constitué en l'espèce, notamment le rapport d'instruction dressé en date du 21 mai 2010 ;

Entendu … à l'audience publique du Conseil de discipline du Mardi 6 juillet 2010.

Il est reproché à …:

1. d'avoir, à un moment non déterminé mais se situant postérieurement au 8 janvier 2009, détourné une somme d'argent non déterminée mais s'élevant à au moins 4.397,06 euros de la caisse communale de Sanem ;

2. d'avoir été absent de son poste sans autorisation depuis le 27 avril 2010.

Il ressort des éléments du dossier administratif et notamment des déclarations de … devant le Commissaire du Gouvernement. et à l'audience publique du Conseil de discipline qu'il s'est approprié frauduleusement des deniers publics appartenant à la commune pour la première fois en 2008. Il prit une somme de 4.000.- euros du coffre-fort de la commune auquel il avait accès de par ses fonctions. Le collège échevinal n'a pas donné de suites disciplinaires à cet incident parce que ses collègues de travail se sont portés fort pour lui.

L'inculpé a fait valoir auprès du collège échevinal que s'il s'est approprié cet argent, c'est parce qu'il est dépendant aux jeux (spielsüchtig). Il a expliqué avoir joué depuis juillet 2001.

Depuis 2005 il a joué 2.000.- euros par semaine. Les fonds provenaient de son traitement et de l'argent épargné par son père, environ 4.000.000 LUF. Suite à ces faits ses collègues l'ont aidé à gérer son argent. Il a commencé un traitement à … en Allemagne, traitement qu'il admet avoir abandonné sur sa propre initiative et contre l'avis des médecins. Il a de même arrêté de fréquenter l'asbl des joueurs anonymes et le traitement qu'il avait commencé auprès du docteur …. En juillet 2009 il a recommencé à jouer. A un certain moment il a emprunté de l'argent en Belgique. En février 2010 il a commencé à faire plusieurs fois la tournée des retardataires pour encaisser des factures de redevances communales. Il a fait cela de sa propre initiative sans que ses collègues et supérieurs en aient eu connaissance. Il admet ne pas avoir été mandaté pour aller encaisser cet argent. Il avoue ne même pas savoir dire chez combien de gens il avait encaissé de l'argent. Il évalue le montant illégalement encaissé pour le compte de la commune depuis février 2010 à environ 10.000.- euros. Il est également en aveu d'avoir été absent de son poste sans autorisation depuis le 27 avril 2010 jusqu'au 12 mai 2010, date à laquelle il a remis un certificat médical à son employeur. En date du 21 mai 2010 les autorités communales ont informé l'inculpé de leur décision de le suspendre de l'exercice de ses fonctions pendant tout le cours de la procédure disciplinaire jusqu'à la décision définitive.

Il découle des développements qui précèdent que les griefs libellés à charge de … se trouvent établis par les débats menés devant le Conseil de discipline, par les pièces du dossier administratif, ainsi que par l'aveu de ….

Le Conseil de discipline retient d'ailleurs que lors de son audition par Monsieur le Commissaire de gouvernement en date du 20 mai 2010, l'inculpé a reconnu ces reproches.

Lors de l'instruction de l'affaire devant le Conseil de discipline, … n'a pas non plus émis de contestations quant aux griefs émis à son égard.

Les faits ainsi prouvés et retenus constituent des manquements disciplinaires au sens de l'article 11 paragraphe 1 et 2, de l'article 12 paragraphe 1 et de l'article 14 paragraphe 1 du statut général des fonctionnaires communaux.

Quant à la peine disciplinaire à appliquer, il convient de relever que le détournement de deniers publics constitue un manquement grave aux obligations du fonctionnaire communal de nature à ébranler irrémédiablement la confiance de l'administration communale dans la personne de … et à compromettre définitivement toute possibilité de continuation de la relation de travail. A cela s'ajoute que tout au long des années l'inculpé n'a pas réellement tenté de se soumettre à un traitement efficace afin de se faire soigner pour ses problèmes de dépendance au jeu. Ainsi il a abandonné son traitement en Allemagne contre l'avis du médecin traitant et il n'a plus fréquenté l'asbl des « Anonym Glecksspiller ».

Actuellement il ne suit plus de traitement médical et il est conscient que le risque de récidive existe réellement.

Au vu de ces éléments, le Conseil de discipline estime qu'il y a lieu d'infliger à … la peine disciplinaire de la révocation (…). ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2010, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision précitée du Conseil de discipline du 20 juillet 2010.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 décembre 2010, et inscrite sous le numéro 27560 du rôle, Monsieur … a fait introduire une demande tendant à voir prononcer un sursis à exécution de la décision précitée du 20 juillet 2010. Par ordonnance du président du tribunal administratif du 16 décembre 2010, ladite demande a été déclarée non fondée.

L’article 66, point 2. de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, ci-après désignée par « le statut général », prévoit contre les décisions du Conseil de discipline, en dehors des cas où celui-ci statue en appel, un recours au tribunal administratif qui statue comme juge du fond, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal contre la décision du Conseil de discipline du 20 juillet 2010. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Le recours en réformation dirigé contre la décision du Conseil de discipline du 20 juillet 2010 est recevable pour avoir été introduit suivant les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur invoque en premier lieu différentes irrégularités au niveau de la procédure d’instruction.

A cet égard, il fait d’abord état d’une partialité objective du commissaire du gouvernement. Ainsi, il soutient que sur le fondement de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’homme, l’article 6 (1) de la Convention européenne des Droits de l’homme (CEDH) serait applicable en la matière. Il donne à considérer que le commissaire du gouvernement remplirait en fait et en droit trois fonctions incompatibles, à savoir celle de juge d’instruction, en ce qu’il instruirait à charge et à décharge sur le fondement de l’article 68 (2) du statut général, ensuite, celle de procureur, puisque le rapport du commissaire du gouvernement pourrait être assimilé à une citation introductive d’instance et en ce qu’il donnerait une appréciation sur la gravité de la faute commise et, enfin, celle de juge, en ce que le commissaire du gouvernement aurait un pouvoir décisionnel de classer une affaire ou de la renvoyer devant l’autorité administrative pour l’application de sanctions mineures. Le demandeur soutient ainsi qu’objectivement les conditions d’impartialité de la mission dont le commissaire du gouvernement est investi ne seraient pas garanties.

Ensuite, le demandeur reproche au commissaire du gouvernement une partialité subjective au motif, d’une part, que celui-ci n’aurait à aucun moment recherché d’éventuelles circonstances atténuantes en sa faveur, notamment par l’audition de ses collègues de travail et/ou de ses supérieurs hiérarchiques pour l’appréciation de ses qualités professionnelles et humaines, bien qu’il ait une ancienneté de plus de 30 ans auprès de la commune sans le moindre antécédent disciplinaire, et par la prise en compte de l’incidence de son addiction au jeu sur les faits lui reprochés, et, d’autre part, qu’il aurait donné son appréciation personnelle concernant la gravité de la faute et des faits. En ce faisant, le commissaire du gouvernement aurait contrevenu aux principes généraux de droit, sans cependant préciser lesquels principes il entend viser, à l’article 6 de la CEDH et à l’article 68 du statut général.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet des moyens fondés sur une irrégularité procédurale, tandis que la commune de Sanem se rapporte à prudence de justice quant à la question de la régularité de la procédure d’instruction.

Quant au moyen fondé sur une prétendue impartialité objective du commissaire du gouvernement, il convient de relever que, d’après les dispositions du statut général, le commissaire du gouvernement est essentiellement un organe d’instruction procédant à charge et à décharge qui, à la fin de l’instruction, peut prendre une triple décision suivant les options posées par l’article 26 (5), consistant soit à classer l’affaire, soit à transmettre le dossier au collège des bourgmestre et échevins lorsqu’il estime que les faits établis par l’instruction constituent des manquements mineurs à sanctionner par les peines du bas de l’échelle y énoncées, soit encore à transférer le dossier au Conseil de discipline lorsqu’il estime que les mêmes faits établis par l’instruction constituent des manquements devant être sanctionnés par des sanctions plus sévères.

En instruisant à charge et à décharge, d’un côté, et en jouant le rôle d’organe de classement, sinon de transmission à la fin de l’instruction, de l’autre côté, le commissaire de gouvernement ne prend pas de décision dirimante en défaveur du fonctionnaire soumis à l’instruction disciplinaire, seul le classement mettant fin à la procédure et les transmissions suivant les deux autres options de la loi laissant en principe pleine liberté de jugement aux organes de décision respectivement saisis (cf. Cour adm. 17 décembre 2009, n° 25839C du rôle, Pas. adm. 2010, V° Fonction publique, n° 183). Dans ce contexte, c’est encore à juste titre que le délégué du gouvernement a souligné que le commissaire du gouvernement ne siège pas comme juge au Conseil de discipline. La seule circonstance que le commissaire du gouvernement donne son appréciation sur la gravité de la faute commise ne permet pas de retenir une impartialité objective, mais ne constitue que la justification dans son chef de son choix de saisir le Conseil de discipline plutôt que de classer ou de saisir le collège des bourgmestre et échevins en vue de l’application éventuelle d’une sanction moins sévère.

Il s’ensuit que la tâche du commissaire du gouvernement, telle qu’organisée par le statut général, ne révèle pas une impartialité objective, de sorte que le moyen afférent est à rejeter comme non fondé.

Quant au reproche d’une impartialité subjective du commissaire du gouvernement, il convient de relever qu’en vertu de l’article 68 (2) du statut général, celui-ci instruit - à charge et à décharge - par rapport à des éléments susceptibles d’avoir une influence sur la mesure à prendre. Il ne lui appartient cependant pas de se prononcer sur la sanction à appliquer, sous réserve de l’appréciation de la gravité de la faute qu’il est amené à faire sur le fondement de l’article 68 (5) du statut général afin de prendre la décision de classer l’affaire, de saisir le collège des bourgmestre et échevins ou le Conseil de discipline. Dans ce contexte, parmi les circonstances susceptibles d’avoir une influence sur la sanction à prononcer, il lui appartient de relever la nature et le grade des fonctions ainsi que les antécédents du fonctionnaire ceci en vertu de l’article 64 du statut général, mais sans qu’il lui appartienne de se prononcer sur l’implication concrète des éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes sur la sanction à appliquer.

Force est au tribunal de constater qu’il ne peut déceler, en l’espèce, aucun élément permettant de retenir une impartialité subjective dans le chef du commissaire du gouvernement en ce qu’il aurait instruit uniquement à charge du demandeur. Il se dégage en effet du rapport d’instruction que le commissaire du gouvernement a relevé à la fois l’addiction au jeu du demandeur et son ancienneté de service, ainsi que l’absence d’antécédents disciplinaires, étant relevé, tel que cela a été retenu ci-dessus, qu’il ne lui appartient pas de donner son appréciation sur l’incidence de ces circonstances sur la sanction à appliquer, au-delà de ce qui lui est permis sur le fondement de l’article 68 (5) du statut général, en vertu duquel le commissaire du gouvernement transmet le dossier uniquement au Conseil de discipline s’il estime que les faits établis par l’instruction constituent un manquement à réprimer par une sanction plus sévère que celles de l’avertissement, de la réprimande ou de l’amende ne dépassant pas le cinquième d’une mensualité brute du traitement de base. Eu égard à cette dernière considération, c’est encore en vain que le demandeur reproche au commissaire du gouvernement d’avoir donné son appréciation personnelle sur la gravité de la faute commise, cette appréciation constituant en réalité la justification de son choix de saisir le Conseil de discipline.

Il s’ensuit que le moyen fondé sur une prétendue impartialité subjective du commissaire du gouvernement est à rejeter.

A côté des moyens tenant à la régularité de la procédure, le demandeur critique la sanction prononcée.

Ainsi, il invoque en premier lieu une violation de l’article 14 de la CEDH, en donnant à considérer que ladite disposition garantirait la jouissance des droits et libertés sans distinction aucune, et en soutenant qu’il serait discriminatoire de révoquer une personne pour des faits liés à des problèmes de santé, malgré l’existence des dispositions nationales, internationales et communautaires protégeant les personnes malades ou affectées d’un handicap. Dans ce contexte, le demandeur invoque encore la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, ainsi qu’un programme anti-discrimination (2001-2006) adopté par l’Union européenne dans le cadre d’une politique globale de lutte contre les discriminations fondées notamment sur le handicap, sur l’âge ou sur l’orientation sexuelle.

Le délégué du gouvernement rétorque que la situation du demandeur ne rentrerait pas dans le champ d’application de l’article 14 de la CEDH.

Le demandeur invoque ensuite une violation de l’article 4 du Protocole n° 7 à la CEDH. A cet égard, il donne à considérer que la commune de Sanem aurait saisi également le procureur d’Etat des faits lui reprochés. D’autre part, en ce qui concerne les absences lui reprochées, la commune aurait procédé à des retenues sur salaire, de sorte que la sanction de la révocation ferait double emploi avec la sanction financière appliquée. Le demandeur ajoute qu’en faisant l’objet d’une révocation, il aurait été doublement sanctionné puisqu’il perdrait définitivement son emploi et que, d’autre part, en application de l’article 2 (1) du statut général, il n’aurait plus le droit de briguer à un poste auprès d’une commune.

Le représentant étatique fait état de l’autonomie du droit disciplinaire en se référant à la jurisprudence administrative à cet égard. Il conteste encore que le demandeur ait été sanctionné doublement au regard du fait que le statut général lui interdirait d’être réengagé dans le secteur communal, en soulignant que l’interdiction d’emploi litigieuse ne constituerait qu’une conséquence de la sanction prononcée par le Conseil de discipline.

Le demandeur invoque ensuite une violation de l’article 10bis de la Constitution, en faisant plus particulièrement état d’une discrimination par rapport aux salariés travaillant auprès de n’importe quel employeur, que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé, et qui ont été licenciés pour faute grave, en ce qu’en vertu de l’article 2 (1) du statut général, précité, il ne pourrait plus briguer un poste auprès d’une commune en raison de la révocation prononcée à son égard. Il souligne qu’il se trouverait dans une situation comparable à celle de toute autre personne bénéficiant d’un régime de droit privé, disposant des mêmes qualifications professionnelles et exerçant des fonctions identiques ou analogues aux siennes et ayant été licenciée pour faute grave. Il ajoute qu’une différenciation des fonctionnaires communaux ne serait ni rationnellement justifiée, ni adéquate, ni proportionnée au but poursuivi. Dans le même contexte du moyen fondé sur une violation de l’article 10bis de la Constitution, le demandeur reprend son argumentation déjà développée par rapport à l’article 14 de la CEDH, en soulignant que le fait d’admettre un licenciement pour les faits constatés dus à son addiction au jeu serait discriminatoire par rapport aux personnes malades ou handicapées.

Le délégué du gouvernement donne à considérer que l’interdiction d’emploi résultant de la sanction de la révocation n’aurait pas encore été appliquée en l’espèce. Ce ne serait qu’une fois qu’une décision sur base de l’article 2 (1) du statut général aurait été prise, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, que la question de la conformité de cette disposition avec la Constitution puisse être examinée de façon incidente. Le délégué du gouvernement ajoute que même une fois l’article 2 (1) du statut général appliqué, ladite disposition n’entraînerait pas une disparité qui ne serait pas rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but, étant donné que la différence de traitement par rapport aux salariés du secteur privé serait rationnellement justifiée par le fait qu’un emploi public comporterait d’autres responsabilités qu’un emploi privé et notamment le maniement des deniers publics. La mesure serait encore adéquate et proportionnée, étant donné que les fonctionnaires disposeraient d’une sécurité d’emploi dont ne disposeraient pas les employés privés, de sorte qu’il serait indiqué que l’employeur public puisse imposer des conditions de sélection plus rigoureuses que l’employeur privé.

Enfin, le demandeur invoque une violation de l’article 55 du statut général. A cet égard, il se réfère à des critères auxquels la Cour constitutionnelle se serait référée dans un arrêt numéro 41/07 du 14 décembre 2007 par rapport à l’article 14 de la Constitution, sans cependant en tirer une conclusion. Il soutient encore qu’il aurait appartenu au Conseil de discipline de s’enquérir sur ses qualités professionnelles et humaines, ainsi que sur l’incidence de sa maladie sur les faits, ce d’autant plus que l’article 36 du statut général protègerait la santé du fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions. Il ajoute qu’eu égard à l’incident qui s’est produit en 2008 et à son addiction connue au jeu, il aurait été judicieux de le changer de fonction ou de service. Enfin, il se réfère à des attestations testimoniales qui feraient preuve de ses qualités humaines et professionnelles qui seraient exemplaires.

Le délégué du gouvernement demande à ce que ce moyen soit écarté pour libellé obscur, au motif qu’il serait dans l’impossibilité d’y prendre position d’une manière adéquate.

Il ajoute que pour autant que l’intention du demandeur puisse être devinée, il semblerait que celui-ci invoque le principe de la légalité des peines, principe dont l’application au droit disciplinaire aurait été clairement défini dans l’arrêt de la Cour constitutionnelle cité par le demandeur, en ce que la Cour aurait retenu que par rapport à des comportements fautifs, une certaine marge d’indétermination est acceptable en droit disciplinaire et que, d’autre part, les peines disciplinaires sont fixées avec la précision requise à l’article 47 du statut général, dans le cas soumis à la Cour constitutionnelle des fonctionnaires de l’Etat.

En ce qui concerne la sanction prononcée par le Conseil de discipline, la commune de Sanem, tout en relevant que les faits mis à charge du demandeur seraient établis et non contestés, donne à considérer que la mise à la retraite d’office aurait été une sanction suffisante et appropriée compte tenu des mérites du demandeur et de ses bons services rendus depuis son entrée en service le 1er mai 1979 jusqu’à la révélation des faits.

Quant au moyen fondé sur une violation de l’article 14 de la CEDH, respectivement de la directive 2000/78/CE, tel que soulevé par le demandeur, celui-ci se résume en substance à l’affirmation par le demandeur qu’il aurait été discriminé par le fait qu’une sanction disciplinaire aurait été prononcée à son égard pour des faits liés à des problèmes de santé.

Or, au-delà du constat que le demandeur reste en défaut d’indiquer de quel droit ou de quelle liberté garantis par la CEDH il serait privé en violation de l’article 14 de la CEDH, et que, d’autre, il omet d’indiquer quelle disposition exacte de la directive 2000/78/CE, précitée, aurait été violée en l’espèce, force est de constater que le demandeur n’a pas été sanctionné pour des problèmes de santé et plus précisément parce qu’il souffre d’une addiction au jeu. Au contraire, il a été sanctionné pour avoir manqué aux devoirs et obligations lui incombant en tant que fonctionnaire communal, en l’occurrence, puisqu’il a soustrait des deniers publics, d’une part, et puisqu’il s’est rendu coupable d’une absence non autorisée, d’autre part.

L’addiction au jeu est tout au plus susceptible d’influencer la nature de la sanction à appliquer à titre de circonstance atténuante, mais ne permet pas de justifier le reproche d’une discrimination tel qu’il a été soulevé par le demandeur. Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter.

Le demandeur invoque ensuite une violation de l’article 4 du Protocole n° 7 à la CEDH, consacrant le principe du non bis in idem.

Force est de constater, tel que cela a été relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, que l’autonomie du droit disciplinaire et les caractères propres à la faute disciplinaire font que celle-ci est déterminée selon des critères qui sont différents de ceux qui permettent de définir l’infraction pénale. Cette indépendance se manifeste notamment du point de vue qu’un même fait peut s’analyser à la fois en une faute pénale et en une faute disciplinaire, entraînant les deux formes de poursuites. Les sanctions pénales et les sanctions disciplinaires poursuivent des objectifs distincts et sont de nature différente. Dès lors, ces sanctions peuvent être prononcées à l’encontre d’un fonctionnaire cumulativement pour un même fait sans que soit méconnu le principe du non bis in idem.

Il convient encore d’ajouter que l’affirmation du demandeur selon laquelle il aurait été sanctionné deux fois puisque la commune de Sanem aurait procédé à « des retenues sur salaire » en rapport avec ses absences injustifiées n’est pas de nature à affecter la légalité de la sanction disciplinaire prononcée, étant donné que la perte du droit au salaire pendant le temps d’une absence non autorisée découle directement de l’article 14 (3) du statut général, qui permet expressément le cumul de cette mesure avec l’application d’une sanction disciplinaire.

Enfin, tel que cela a été relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, le refus d’admission au service des communes prévu à l’article 2 (1) du statut général n’est que la conséquence attachée à la sanction de la révocation, mais ne permet pas de conclure qu’en prononçant la sanction de la révocation, l’article 4 du Protocole n° 7 à la CEDH aurait été violé en ce qu’une deuxième sanction serait prononcée pour les mêmes faits.

Le moyen fondé sur une violation de la règle du non bis in idem est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant au moyen fondé sur prétendue violation du principe d’égalité consacré par l’article 10bis de la Constitution, force est de constater que ledit moyen repose sur le constat que le demandeur, outre le fait de perdre son emploi, se verrait opposer un refus d’admission au service des communes sur le fondement de l’article 2 (1) du statut général et ceci contrairement à un salarié licencié du secteur privé. Or, le tribunal est amené à relever que la question de la constitutionnalité est soulevée en l’espèce par rapport à l’article 2 (1) du statut général, qui en l’espèce, n’a pas encore été appliqué. La question de la constitutionnalité de cette disposition est cependant sans lien avec l’application de la sanction de la révocation.

Le moyen tiré d’une violation de l’article 10bis de la Constitution est dès lors à rejeter comme étant dénué de pertinence, étant relevé que le tribunal est, en vertu de l’article 6 a) de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, dispensé de saisir la Cour constitutionnelle lorsque la question soulevée n’est pas nécessaire pour rendre son jugement.

Le moyen fondé sur une violation de l’article 10bis de la Constitution au motif d’une prétendue discrimination par rapport à des personnes malades ou handicapées est pareillement à rejeter pour être manifestement dénué de tout fondement au sens de l’article 6 b) de la loi du 27 juillet 1997, précitée. En effet, tel que cela a été retenu ci-avant, le demandeur n’a pas été licencié pour des considérations tenant à son état de santé, mais en raison de ses manquements aux devoirs lui incombant en tant que fonctionnaire communal, de sorte qu’aucune discrimination par rapport à des personnes malades ou handicapées et licenciées de ce fait, par rapport auxquelles le demandeur se trouve dès lors manifestement dans une situation différente, ne peut être constatée.

Enfin, le demandeur invoque une violation de l’article 55 du statut général, qui dispose que « tout manquement à ses devoirs au sens du présent statut expose le fonctionnaire à une sanction disciplinaire, sans préjudice de l’application d’une éventuelle sanction pénale ».

Le tribunal est amené à relever que le demandeur se contente de citer les dispositions de l’article 55 du statut général, pour ensuite se référer d’une manière générale à un arrêt de la Cour constitutionnelle du 14 décembre 2007 et à des « critères prévus par le statut », dans une phrase d’ailleurs incomplète, sans en tirer une conclusion en droit, au-delà de l’affirmation non autrement soutenue d’une prétendue violation de l’article 55 du statut général.

C’est à juste titre que le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce « moyen » pour libellé obscur. Le tribunal n’est en effet pas en mesure de répondre à des moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement. Il ne suffit pas d’affirmer qu’une disposition légale serait violée, mais il appartient au demandeur de préciser concrètement en quoi il estime que tel serait le cas. Il convient encore d’ajouter qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence du demandeur et de supposer le sens qu’un plaideur a entendu donner à ses déclarations au risque non seulement de dénaturer le moyen que le demandeur a entendu soulever, mais encore au risque d’une violation des droits de la défense, ceci d’autant plus que le demandeur a omis, face aux contestations du délégué du gouvernement, d’éclairer son moyen à travers la production d’un mémoire en réplique, permettant ainsi à la partie étatique de prendre utilement position dans un mémoire en duplique.

Le moyen fondé sur une prétendue violation de l’article 55 du statut général est dès lors à écarter pour libellé obscur.

Sous le chapitre du recours intitulé « violation de l’article 55 du statut », le demandeur affirme encore que le Conseil de discipline aurait dû s’enquérir sur ses qualités professionnelles et humaines et sur l’incidence de sa maladie sur les faits, ceci d’autant plus que selon l’article 36 du statut général la commune devrait protéger la santé du fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions par des contrôles périodiques, et que, d’autre part, eu égard à l’incident ayant eu lieu en 2008 et à son addiction au jeu, il aurait été judicieux de le changer de fonction ou de service. Enfin, il renvoie à des attestations testimoniales démontrant qu’il aurait fait preuve de qualités humaines et professionnelles exemplaires tout au long de son occupation auprès de la commune de Sanem. Si ces affirmations ne permettent pas davantage d’éclairer le sens que le demandeur a voulu donner à son moyen fondé sur ledit article 55, elles tendent cependant en substance à mettre en cause l’adéquation de la sanction prononcée au regard des circonstances ainsi invoquées par le demandeur qui d’ailleurs au dispositif de la requête introductive d’instance, demande au tribunal de prononcer une sanction autre que celle de la révocation ou de la mise à la retraite d’office.

En vertu de l’article 64 du statut général, l’application des sanctions se règle notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé.

Dans le cadre d’un recours en réformation, le tribunal est amené à apprécier les faits commis par le demandeur en vue de déterminer si la sanction prononcée par l’autorité compétente a un caractère proportionné et juste, en prenant notamment en considération la situation personnelle et les antécédents éventuels du demandeur.

En l’espèce, il est reproché au demandeur d’avoir, d’une part, détourné la somme totale de 14.000 euros, soit en 2008 un montant de 4.000 euros, et en avril 2010 un montant de 10.000 euros, en usant de ses fonctions au sein du service de la recette de la commune de Sanem, la première fois en détournant des fonds du coffre-fort de la commune à l’aide d’une clé à laquelle il avait accès grâce à ses fonctions, et, la deuxième fois, en faisant, à l’insu de ses supérieurs et de ses collègues, la tournée des retardataires pour encaisser des redevances communales. Il est en outre reproché au demandeur d’avoir été absent, sans autorisation, de son travail du 27 avril 2010 jusqu’au 12 mai 2010.

La réalité des faits n’est pas contestée par le demandeur. Il n’est pas non plus contesté que ces faits sont à considérer comme des manquements aux devoirs lui incombant en tant que fonctionnaire communal au sens des articles 11 (1) et (2), 12 (1) et 14, paragraphe 1. du statut général, tel que cela a été retenu par le Conseil de discipline.

La gravité des fautes commises ne saurait être déniée eu égard plus particulièrement au fait que le demandeur a soustrait des fonds publics en usant de ses fonctions, qu’il n’a pas saisi la chance qui lui avait été accordée par la commune de Sanem après la découverte des faits en 2008, mais qu’au contraire, il a continué à abuser de la confiance que la commune lui avait témoignée, et, tel que cela a été relevé par le Conseil de discipline, il n’a par ailleurs entrepris aucun effort sérieux pour tenter de faire soigner son problème de dépendance, puisqu’il admet avoir abandonné son traitement en Allemagne et ne plus avoir fréquenté l’association sans but lucratif « Anonym Glecksspiller » depuis 2009.

Le tribunal est cependant également amené à relever que le demandeur a une ancienneté de service de presque trente ans jusqu’aux faits commis en 2008, sans qu’il n’y ait eu un incident disciplinaire, qu’il est décrit par ses supérieurs et par ses collègues de travail comme un fonctionnaire consciencieux et compétent, tel que cela se dégage des attestations testimoniales versées aux débats, et que l’administration communale de Sanem fait plaider dans le cadre du présent recours qu’une sanction moins sévère que celle de la révocation, à savoir celle de la mise à la retraite d’office, aurait été suffisante et appropriée eu égard aux mérites et bons services du demandeur. D’autre part, le fait, non contesté par la partie étatique et par la commune, que les fautes commises ont été provoquées par l’addiction aux jeux dont souffre le demandeur n’est pas sans pertinence. Si cette addiction aux jeux ne permet pas d’excuser les agissements du demandeur, elle est pourtant de nature à nuancer la gravité des faits.

Eu égard à l’absence de poursuites disciplinaires antérieures pendant la carrière particulièrement longue du demandeur et eu égard au fait que le demandeur a commis les faits lui reprochés sous le couvert de son addiction aux jeux, le tribunal est amené à retenir que la sanction disciplinaire de la révocation prononcée par le Conseil de discipline est disproportionnée, malgré la gravité certaine des faits.

Dans la mesure où la gravité des faits, telle qu’elle a été retenue ci-avant, a pour effet de rompre irrémédiablement la relation de confiance devant exister entre le fonctionnaire et l’administration, une réintégration n’est plus concevable. Néanmoins, compte tenu des éléments retenus en faveur du demandeur, il y a lieu de prononcer une peine plus appropriée aux circonstances de la cause, soit celle de la sanction disciplinaire immédiatement inférieure à celle de la révocation, prévue à l’article 58, point 10 du statut général, à savoir la mise à la retraite d’office pour disqualification morale.

Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de faire masse des frais et de les imposer à raison de deux tiers au demandeur et d’un tiers à l’Etat.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation de la décision du Conseil de discipline du 20 juillet 2010, prononce à l’encontre de Monsieur … la sanction disciplinaire prévue à l’article 58, point 10 de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, à savoir la mise à la retraite d’office pour disqualification morale ;

déclare ledit recours en réformation non justifié pour le surplus ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

fait masse des frais et les impose à raison de deux tiers au demandeur et d’un tiers à l’Etat.

Ainsi jugé par :

Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 8 juin 2011 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 09.06.2011 Le Greffier du Tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 27422
Date de la décision : 08/06/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2011-06-08;27422 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award