Tribunal administratif N° 26804 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 avril 2010 2e chambre Audience publique du 26 mai 2011 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière d’éloignement
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26804 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 avril 2010 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Lettonie), demeurant actuellement à …, tendant à l’annulation d'une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 1er avril 2010 en ce qu’elle porterait une mesure d’éloignement à son égard vers la Lettonie, le transfert étant prévu pour le 15 avril 2010 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2010 ;
Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Olivier Lang pour compte de Monsieur … au greffe du tribunal administratif le 7 juillet 2010 ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2010 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Guillaume Gros, en remplacement de Maître Olivier Lang et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 novembre 2010 ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, Maître Guillaume Gros et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 décembre 2010 à laquelle l’affaire avait été refixée pour continuation des débats.
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En date du 15 décembre 2009, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de reconnaissance d’un statut de protection internationale.
Par décision du 1er avril 2010, notifiée à l’intéressé le 13 avril 2010, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », informa Monsieur … de l’incompétence du Grand-Duché de Luxembourg pour connaître de sa demande de protection internationale, en l’informant que ce serait la République de Lettonie qui serait responsable du traitement de sa demande d’asile. Cette décision est libellée comme suit :
« Par la présente, j'accuse réception de votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée le 15 décembre 2009.
Je regrette de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 15 de la loi précitée du 5 mai 2006 et des dispositions de l'article 9§1 du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003, ce n'est pas le Grand-Duché de Luxembourg, mais la République de Lettonie qui est responsable du traitement de votre demande d'asile.
En effet, il résulte des informations dont nous avons connaissance que vous êtes titulaire d'un titre de séjour letton valable du 9 juin 2009 jusqu'au 8 juin 2014.
Au vu de ce qui précède, la République de Lettonie a accepté en date du 26 mars 2010 de prendre en charge l'examen de votre demande d'asile. Le transfert vers la République de Lettonie sera organisé dans les meilleurs délais et les modalités du transfert vous seront communiquées en temps utile.
Le Grand-Duché de Luxembourg n'étant pas compétent pour examiner votre demande, je regrette de ne pas pouvoir réserver d'autres suites à votre dossier. (…)».
Suivant procès-verbal du service de police judiciaire, police des étrangers et des jeux, de la police-grand-ducale du 15 avril 2010, Monsieur … a été éloigné en date du même jour vers la Lettonie.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 avril 2010, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 1er avril 2010, en ce que celle-ci porterait à son égard une mesure d’éloignement du territoire luxembourgeois vers la Lettonie.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement se rapporte à la sagesse du tribunal quant à la recevabilité du recours, en soutenant que depuis le transfert du demandeur en Lettonie, celui-ci n’habiterait plus à …, et qu’aucune nouvelle adresse au pays ne ressortirait du dossier. Il fait également valoir qu’au moment de son embarquement à destination de la Lettonie, le demandeur aurait marqué son accord avec son transfert dans ce pays.
Conformément à l’article 1er, alinéa 2 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, « la requête [introductive d’instance] (…) contient : - les noms, prénoms et domicile du requérant, (…) ».
S’il est vrai que l’article 1er, alinéa 2 de la loi précitée du 21 juin 1999 prévoit, au titre des mentions qui doivent obligatoirement figurer dans la requête introductive d’instance, notamment l’indication du domicile exact de la partie demanderesse dans le cadre d’une instance contentieuse devant les juridictions administratives, le défaut de respecter cette exigence légale n’est de nature à entraîner l’irrecevabilité du recours qu’à condition qu’elle porte effectivement atteinte aux droits de la défense, suivant l’article 29 de la même loi. En l’espèce, il échet de constater que dans sa requête introductive d’instance, le demandeur avait bien indiqué l’adresse à laquelle il habitait à l’époque de l’introduction de son recours, adresse qui ne saurait plus être valable depuis la date de son transfert vers la Lettonie, le 15 avril 2010. Le mandataire du demandeur a encore indiqué que depuis le transfert de son mandant vers la Lettonie, il n’avait plus de nouvelles de celui-ci, de sorte qu’il n’a pas pu indiquer une nouvelle adresse à laquelle habite son mandant à l’heure actuelle.
C’est ainsi qu’alors même que l’exigence légale de l’article 1er, alinéa 2 de la loi précitée du 21 juin 1999 a été respectée au moment de l’introduction du recours, tel n’a plus été le cas ni au jour des plaidoiries ni au jour du prononcé du présent jugement. Toutefois, ce défaut de précision de l’adresse actuelle du demandeur n’a pas été de nature à porter atteinte aux droits de la défense de l’Etat qui a pu prendre position dans le cadre de ses mémoires en réponse et en duplique par rapport aux faits de l’espèce et des moyens en droit présentés par le demandeur, de sorte que ce moyen d’irrecevabilité est à écarter pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne par ailleurs la précision selon laquelle le demandeur aurait marqué son accord avec son transfert vers la Lettonie, en date du 15 avril 2010, le tribunal ne voit pas en quoi cette précision serait de nature à entraîner l’irrecevabilité du recours, aucun moyen afférent n’ayant d’ailleurs été présenté par l’Etat à cet égard.
Au cours de l’audience des plaidoiries, le tribunal avait soulevé d’office la question de savoir si le recours sous examen gardait un objet, voire si le demandeur avait encore un intérêt à agir contre la décision attaquée à la suite de la renonciation par lui à sa demande tendant à obtenir un statut de protection internationale. En effet, il ressort tant des développements du demandeur dans son mémoire en réplique que des pièces et éléments du dossier, qu’en date du 15 avril 2010, au cours de l’exécution de l’opération de transfert du demandeur vers la Lettonie, celui-ci a signé, avant d’accéder à l’avion devant le transporter au départ de l’aéroport de Luxembourg vers la Lettonie, une « renonciation expresse à une demande de protection internationale », ledit document portant la référence « R-8596 » et précisant sans équivoque que le demandeur « renonce expressément à [sa] demande de protection internationale présentée aux autorités luxembourgeoises en date du 15 décembre 2009 ». D’après le tribunal administratif, se posait partant la question de savoir si le demandeur gardait un intérêt à agir contre la décision ministérielle sous examen du 1er avril 2010 retenant l’incompétence du Grand-Duché de Luxembourg pour connaître de sa demande de protection internationale.
Sur la question ainsi posée par le tribunal, le délégué du gouvernement a estimé qu’au moment du transfert du demandeur vers la Lettonie, celui-ci n’était plus à considérer comme un demandeur d’asile et qu’il avait d’ailleurs marqué son accord avec son transfert vers la Lettonie, notamment à la suite de l’entretien téléphonique qu’il aurait eu avec le président du tribunal administratif saisi d’une procédure de référé administratif introduite dans le cadre du présent recours au fond, tendant à empêcher son éloignement vers la Lettonie. Le délégué du gouvernement a ainsi relevé qu’à la suite de cet entretien téléphonique, le demandeur aurait changé d’avis en s’opposant d’abord à son transfert vers … mais qu’il aurait une nouvelle fois changé d’avis en montant à bord de l’avion devant l’emmener à .., via Paris, en s’installant volontairement dans ledit avion, sans faire preuve d’une quelconque volonté de s’opposer à son retour en Lettonie.
En conclusion à ses développements, le représentant étatique soutient que le présent recours serait devenu sans objet, du fait que la décision d’incompétence sous examen n’aurait plus d’existence légale à la suite de la renonciation par le demandeur à sa demande tendant à obtenir un statut de protection internationale, en précisant que le demandeur aurait été rapatrié vers la Lettonie en raison de son séjour irrégulier au pays, et en insistant une nouvelle fois sur le fait que le demandeur serait volontairement monté dans l’avion pour retourner dans son pays d’origine.
Le mandataire du demandeur a répondu à la question du tribunal en soutenant que son mandant garderait un intérêt à agir contre la décision d’éloignement qui ressortirait de la décision incriminée du 1er avril 2010, en s’interrogeant toutefois sur la volonté réelle du demandeur de rentrer dans son pays d’origine, mais en admettant que son mandant n’aurait pas opposé de la résistance lors de son départ vers la Lettonie, via Paris. Le fait serait toutefois que le demandeur aurait été éloigné vers la Lettonie et que la décision sous examen aurait fait l’objet d’un début de commencement d’exécution sur base du règlement dit Dublin II.
Le délégué du gouvernement a encore rappelé que le demandeur serait rentré volontairement dans son pays d’origine, en contestant l’existence d’une quelconque décision d’éloignement orale qui aurait été prise par le ministre dans le cadre dudit voyage. Il soutient en conclusion que le demandeur aurait perdu son intérêt à agir contre la décision sous examen au cours de la phase d’exécution de la mesure incriminée.
Il échet tout d’abord de constater que la décision incriminée du 1er avril 2010 a été prise par le ministre à la suite de l’introduction par le demandeur d’une demande de protection internationale, auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration en date du 15 décembre 2009. Par cette décision, le ministre a retenu l’incompétence du Grand-Duché de Luxembourg pour examiner la demande de protection internationale du demandeur, au vu de l’accord marqué par la République de Lettonie de traiter ladite demande d’asile.
Il échet encore de retenir que cette décision d’incompétence est strictement liée à la demande de protection internationale introduite par Monsieur …. Ainsi, du fait par celui-ci d’avoir renoncé à ladite demande de protection internationale en date du 15 avril 2010, à savoir au cours de son transfert vers la Lettonie, et avant de monter à bord de l’avion devant l’amener à … via Paris, la présente décision d’incompétence du 1er avril 2010 n’a pas été de nature à sortir un quelconque effet juridique, les conditions légales pour la prise d’une telle décision d’incompétence n’ayant pas été remplies lors du retour volontaire du demandeur vers son pays d’origine, à défaut de l’existence d’une demande de protection internationale.
Il se dégage partant des constatations qui précèdent que le demandeur a perdu son intérêt à agir au cours de la procédure contentieuse à la suite de sa renonciation, en date du 15 avril 2010, à savoir quelques heures après l’introduction de son recours, à sa demande de protection internationale.
En ce qui concerne la décision d’éloignement qui est également contenue dans la décision sous examen, il y a lieu de retenir que celle-ci ne constitue qu’un accessoire par rapport à la décision d’incompétence dont elle ne constitue que la suite logique. Dans la mesure toutefois où la décision d’incompétence n’est plus de nature à avoir un quelconque effet juridique, et n’a plus pu avoir un tel effet au moment où le demandeur est monté à bord de l’avion, la décision d’éloignement est également restée nécessairement sans effet juridique.
Il s’ensuit de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours est à déclarer irrecevable.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare le recours irrecevable ;
donne acte au demandeur qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Françoise Eberhard, premier juge, Anne Gosset, juge, et lu à l’audience publique du 26 mai 2011 par le premier vice-président, en présence du greffier assumé Sabrina Knebler.
s. Sabrina Knebler s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 mai 2011 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 5