Tribunal administratif N° 27639 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 janvier 2011 3e chambre Audience publique du 18 mai 2011 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 27639 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2011 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Serbie), et de son épouse Madame …, née le … à … (Serbie), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, née le … à …, et …, née le … à …, tous de nationalité serbe, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 9 décembre 2010 rejetant leur demande en obtention d’une protection internationale comme n’étant pas fondée et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 janvier 2011 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Bouchra Fahime-Ayadi, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 30 novembre 2010, Monsieur … et son épouse Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … et …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Monsieur et Madame … furent entendus séparément en date du 2 décembre 2010 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur les motifs à la base de leur demande de protection internationale.
Par décision du 9 décembre 2010, notifiée aux consorts … en mains propres en date du 17 décembre 2010, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts … de ce que leur demande avait été rejetée comme non fondée. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 30 novembre 2010.
En application de la loi précitée, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères du 2 décembre 2010.
Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous seriez de nationalité serbe et que vous auriez habité en dernier lieu avec votre épouse, vos beaux-parents et les enfants … et … à …. Vous appartiendrez à la communauté des Roms. Lors du dépôt de votre demande de protection internationale, vous avez remis un passeport serbe et un extrait de l'acte de mariage.
En ce qui concerne votre voyage vers le Luxembourg, vos expliquez que vous auriez quitté la Serbie en date du 27 novembre 2010 à bord d'une voiture de type combi. Le chauffeur aurait parlé la langue serbe, mais il n'aurait pas été Rom. A côté de votre femme et des deux enfants, un couple-voisin de … aurait effectué le même voyage. Comme la voiture serait tombée plusieurs fois en panne et comme le chauffeur aurait fait des pauses, le trajet aurait duré deux jours. En tout, vous auriez dû payer 300.- euros.
Quant à votre parcours scolaire, vous précisez que vous auriez terminé la cinquième [année] d'études du cycle primaire. A défaut d'un emploi stable, vous auriez effectué des travaux irréguliers et vous auriez été rémunéré selon le bon vouloir de vos patrons. A plusieurs reprises, vous auriez réclamé l'argent dû, mais parfois vous auriez été giflé. Vous expliquez que vous auriez travaillé pendant un mois au Monténégro.
Vous faites savoir que vous auriez été déclaré inapte pour effectuer le service militaire.
Quant aux motifs qui sous-tendent votre demande de protection internationale, vous relatez que vous auriez été confronté à une situation économique difficile (« Là-bas, on n'a pas grand-chose pour vivre », « On n'a aucun revenu, aucun emploi » « Il n'y avait pas d'argent, on n'avait rien. Il n'y avait qu'une pièce… » p. 6/9 du rapport d'entretien du 2 décembre 2010). En outre, vous auriez été victime de menaces et de persécutions. Ainsi, des jeunes vous auraient insulté constamment et feraient peur aux enfants. Vous faites aussi état des problèmes d'accès aux soins de santé.
Madame, vous expliquez que vous auriez vécu avant votre départ à …. Vous êtes aussi en possession d'un passeport serbe et d'un extrait de l'acte de mariage.
Quant au trajet vers le Luxembourg, vous confirmez les déclarations de votre mari.
En ce qui concerne votre scolarité, vous expliquez que vous auriez accompli trois années d'études primaires. Vous n'auriez jamais travaillé.
En ce qui concerne les motifs à la base de votre demande, vous confirmez les propos de votre mari. Ainsi, vous déplorez à plusieurs reprises les conditions de vie difficiles (p. 5/9 du rapport d'entretien du 2 décembre 2010). En tant que Roms, vous ne bénéficieriez d'aucune aide sociale. Vous mentionnez aussi l'agression subie par votre fille … qui lui aurait causé des blessures à la tête et les injures prononcées à l'égard de vos enfants.
Vous précisez que vous voudriez une vie meilleure pour vos enfants. Madame, Monsieur, vous précisez que vous n'auriez jamais porté plainte.
Vous admettez aussi de ne pas être membre d'un parti politique ni d'un groupe social défendant les intérêts des personnes.
La reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Force est de constater que les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
De prime abord, il faut constater que des motifs purement économiques et matériels sous-tendent principalement votre demande de protection internationale. Quant au fait de quitter un pays essentiellement pour des raisons d'ordre économique, à savoir l'absence de ressources financières suffisantes, le manque d'espace habitable ou bien encore l'absence de toute perspective d'avenir pour les enfants, il faut souligner qu'il n'est pas pertinent en matière de protection internationale.
Quant aux faits invoqués, il convient de remarquer qu'ils ne sont pas d'une gravité telle pour fonder à eux seuls une demande en obtention d'une protection internationale.
Madame, Monsieur, même si vous qualifiez les actes dirigés contre vous comme étant des « persécutions », il convient de remarquer que ce qualificatif ne peut être appliqué aux injures dont vous faites mention.
A cela s'ajoute que des personnes privées, à savoir des jeunes gens, ne sauraient être considérées comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006.
En outre, en application de l'article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l'espèce, il ne ressort pas du rapport d'audition que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection. Vous n'avez par ailleurs pas requis la protection des autorités de votre pays et par conséquent, il n'est pas démontré que les autorités serbes seraient dans l'incapacité de vous fournir une protection quelconque. Il y a lieu de rappeler dans ce contexte que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.
Depuis la chute du régime Milosevic, la situation des minorités s'est fortement améliorée en Serbie. Ainsi, parallèlement à l'adoption de la loi sur la protection des minorités nationales en 2002, les Roms ont été reconnus en tant que groupe ethnique. Aussi, la nouvelle constitution serbe de novembre 2006, interdit toute forme de discrimination directe et directe (sic) de membres de communautés ethniques et autres ou de minorités. Les actes de discrimination contre les minorités sont donc considérés comme étant illégaux. A côté des dispositions constitutionnelles, des lois interdisent explicitement la discrimination de minorités ethniques. En mars 2009, une loi anti-discrimination a été promulguée et un commissaire à l'égalité des chances a été mis en place début 2010. On peut donc en conclure que la Serbie est un Etat multiethnique dont la politique intérieure est stable et qui proscrit les discriminations. Selon les documents consultés, toutes les minorités nationales jouissent aujourd'hui en Serbie des mêmes droits que les citoyens serbes. Ainsi, par exemple vous auriez pu obtenir un passeport de la part des autorités serbes.
En ce qui concerne plus généralement la situation des Roms en Serbie, il résulte de nos recherches que, s'il est vrai qu'il existe encore dans l'esprit des populations des clichés négatifs vis-à-vis des Roms, les difficultés ou discriminations dont ils pourraient faire l'objet ne sont pas d'une intensité telle qu'elles constituent des persécutions au sens de la Convention de Genève. A cet effet, il convient de citer les conclusions d'un rapport autrichien: « Serbien hat seit dem Jahre 2000, also nach dem Sturz Milosevic's stufenweise ein normatives und institutionnelles (sic) Rahmenwerk zur Verbesserung der sozio-ökonomischen Situation der Roma in Serbien errichtet. Die gesetzlichen Rahmenbedingungen, die Serbien zur Frage der Roma Integration eingeführt hat, sind eine umfassende Mischung nationaler und internationaler Gesetze, wobei zahlreiche internationale und regionale Menschenrechtsabkommen ratifiziert und in nationales Recht übernommen wurden …. D.h, man kann den serbischen Behörden, der serbischen Regierung keinesfalls den Willen absprechen, sich um die Anliegen der Roma und deren vordringlichsten Probleme zu kümmern. A cet effet, il est aussi intéressant de citer les conclusions de l'Operational Guidance Note Serbia de la UK Border Agency qui ne nie certes pas les discriminations sociales vécues par les Roms, mais: «However, in general this discrimination does not amount to persecution and the authorities are willing to offer sufficiency of protection although the effectiveness of this protection may be limited by the actions of individual police officers/government officials… Therefore the majority of claims from this category are unlikely to qualify for a grant of asylum or Humanitarian Protection and are likely to be clearly unfounded. » En ce qui concerne l'accès aux soins de santé, les rapports consultés soulignent que les Roms bénéficient des mêmes droits que la population serbe. « Angehörige der Volksgruppe der Roma genieβen im Rahmen des staatlichen Gesundheitssystem die gleichen Rechte wie die serbische Mehrheitsbevölkerung. Überhaupt kann dabei gesagt werden, dass gerade auf dem Gebiet des Gesundheitssektors betreffend dem Zugang zur Gesundheitsversorgung für die Roma, seitens der serbischen Regierung zahlreiche Projekte in Kooperation mit Roma-NGO's angestoβen wurden…“.
Ce même constat peut être fait en examinant l'accès aux prestations sociales. « Roma genießen im Rahmen des staatlichen Sozialsystems grundsätzlich die gleichen Rechte wie die serbische Mehrheitsbevölkerung. Der Zugang zu Sozialleistungen wie medizinischer Versorgung, Arbeitslosenunterstützung, Rente und Bildung ist grundsätzlich auch für Roma gegeben, allerdings nur, wenn sie über eine amtliche Registrierung und über gültige Personaldokumente (Personalausweis, Pass) verfügen und ggf. noch weitere Voraussetzungen je nach Art der beantragten Sozialleistungen erfüllen".
Finalement, il convient de remarquer que la Suisse, la France et l'Autriche considèrent à présent la Serbie comme un pays d'origine sûr.
Par tout ce qui précède force est donc de conclure que vos motifs traduisent donc plutôt un sentiment général d'insécurité qu'une crainte de persécution. Or, un sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte fondée de persécution.
Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible de fonder raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies. En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Etant donné que les faits invoqués à la base de votre demande de protection internationale ne sauraient être actuellement admises comme justifiant à suffisance une crainte de persécution ; dès lors, et a fortiori, l'absence matérielle de crainte actuelle fondée s'impose également en ce qui concerne la demande tendant à obtenir la protection subsidiaire.
En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. Vous ne faites également pas état de risque réel de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou de risques réels émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international. En s'appuyant sur tous les rapports et jurisprudence cités la situation actuelle en Serbie ne saurait être considérée comme conflit armé interne ou international.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
La présente décision vaut ordre de quitter le territoire. (…) » Par requête déposée le 12 janvier 2011 au greffe du tribunal administratif, les consorts … ont fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision ministérielle précitée du 9 décembre 2010 portant refus de leur demande en obtention d’une protection internationale et, d’autre part, un recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, inscrit dans le même document.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, un recours en réformation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de leur recours, les demandeurs soutiennent qu’ils n’auraient jamais pu trouver un emploi stable en Serbie en raison de leur appartenance à l’ethnie Rom. Ainsi, ils précisent que la demanderesse n’aurait jamais travaillé, tandis que le demandeur n’aurait eu que des emplois instables et n’aurait pas toujours été payé par ses employeurs dont certains l’auraient menacé quand il aurait osé réclamer son salaire.
Ils expliquent également qu’ils auraient été continuellement exposés à des brimades et insultes de la part de la population serbe. Ils ajoutent qu’une de leurs filles aurait été blessée à la tête lors d’une agression.
Les demandeurs donnent par ailleurs à considérer qu’ils ne pourraient pas toucher des aides sociales et qu’ils n’auraient que difficilement accès aux soins de santé, ce qui serait d’autant plus problématique dans la mesure où leurs enfants sont en bas âge.
Ils estiment que leurs droits les plus fondamentaux auraient continuellement été bafoués dans leur pays d’origine que ce soit par des personnes privées ou par l’Etat serbe. Ils auraient ainsi subi des persécutions morales et physiques qui les auraient poussés à quitter leur pays d’origine.
Ils se prévalent d’un rapport d’Amnesty International de 2010 sur la Serbie pour en tirer la conclusion que la situation des minorités ethniques en Serbie serait toujours préoccupante et que la discrimination des Rom persisterait notamment en ce qui concerne l’accès à l’éducation, à la santé, à l’emploi et à des logements convenables.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Une crainte de persécution au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur de protection internationale risque de subir des persécutions.
Aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent : a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, (…) ».
L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène toutefois le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle fondée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
En ce qui concerne la situation générale de la communauté rom en Serbie, s’il n’est pas contesté que les membres de cette communauté sont en proie à des discriminations et des conditions de vie précaires, il ressort toutefois des explications du délégué du gouvernement ainsi que des sources internationales citées par celui-ci que la situation des Rom a changé ces dernières années. Les autorités serbes ont entrepris des efforts pour améliorer le sort et les conditions de vie de la population rom. Ainsi, il ressort d’un rapport intitulé « Operational Guidance Note Serbia » de la UK Border Agency de septembre 2008, cité par le délégué du gouvernement, que les discriminations envers les Rom n’atteignent en général pas le niveau de persécution et que les autorités sont disposées à offrir une protection suffisante même si l’efficience de la protection peut être limitée par les actes individuels de certains policiers. De même, il ressort d’un rapport du Bundesamt allemand für Migration und Flüchtlinge de juin 2010 que les Rom, à condition d’être déclarés et de disposer de papiers d’identité, - en l’espèce les demandeurs disposent de passeports serbes -, ont droit à la couverture sociale et qu’ils ont accès aux soins de santé, à des indemnités de chômage et de pension et à l’éducation. Le rapport du Bundesasylamt autrichien du 19 janvier 2010 cité par le délégué du gouvernement souligne les efforts déployés par la Serbie à l’égard des Rom au niveau législatif national aussi bien qu’international. A cet égard, il échet de signaler que la Serbie a également fait preuve de sa volonté d’améliorer le sort des Rom par sa participation à l’adoption au sein du Conseil de l’Europe de la « Déclaration de Strasbourg sur les Roms » du 20 octobre 2010.
Ce constat n’est pas énervé par les informations contenues dans le rapport d’Amnesty International de 2010 sur la Serbie dont se prévalent les demandeurs et qui porte essentiellement sur l’expulsion de certains Rom de campements illégaux et sur le cas précis d’une personne ayant été attaquée par des inconnus, sans qu’il puisse être dégagé dudit rapport que d’une manière générale les membres de la communauté rom fassent l’objet de persécutions en Serbie. Dès lors, les éléments d’appréciation soumis au tribunal ne lui permettent pas de considérer que la situation des Rom en Serbie soit telle que tout membre de cette communauté risquerait des persécutions au sens de la loi du 5 mai 2006 du seul fait de son origine ethnique, et ne permet ainsi pas d’invalider la conclusion du ministre quant à la situation générale des Rom en Serbie.
Il convient dès lors d’examiner si, en l’espèce, compte tenu de la situation particulière des demandeurs, les événements dont ils font état sont susceptibles de justifier dans leur chef une crainte fondée de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006 dans leur pays d’origine.
Les demandeurs font état de l’impossibilité pour Monsieur … de trouver un travail stable et du fait que Madame … n’aurait jamais travaillé.
Or, c’est à bon droit que le représentant étatique a observé que des problèmes économiques ne peuvent pas être considérés comme un motif de persécution au sens de la Convention de Genève.
Même à supposer que cette impossibilité alléguée de trouver un emploi soit liée à l’origine ethnique des demandeurs, les demandeurs restent en défaut de fournir des précisions suffisantes qui permettraient de conclure que cette circonstance soit d’une gravité telle qu’elle ait atteint le niveau de persécution.
En ce qui concerne l’agression dont une de leurs filles aurait fait l’objet, force est de constater que les demandeurs restent en défaut de fournir des précisions nécessaires quant à la nature de l’agression et au contexte dans lequel elle aurait été commise qui permettraient de donner à cet acte une qualification autre que celle d’une infraction de droit commun.
Concernant les insultes et les discriminations en général dont les demandeurs font état, le tribunal est amené à relever qu’ils n’ont pas apporté des éléments qui permettent de retenir que ces événements, tant pris isolément que par leur effet cumulé, aient atteint le niveau de persécution au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 leur rendant la vie intolérable en Serbie.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié des demandeurs.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, tel que prévu par les dispositions de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, force est de constater que les demandeurs n’ont pas attaqué ce volet de la décision et qu’ils n’ont d’ailleurs pas invoqué de moyens spécifiques à son encontre, de sorte que le tribunal n’a pas à prendre position par rapport à ce volet de la décision.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 9 décembre 2010 est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.
Les demandeurs se limitent à solliciter l’annulation de l’ordre de quitter le territoire sans formuler un quelconque moyen à l’appui de leur demande.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire.
Le ministre ayant rejeté la demande de protection internationale des demandeurs, il pouvait dès lors a priori valablement assortir le refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire. A défaut d’un quelconque moyen dans la requête, le tribunal ne saurait en l’état actuel du dossier mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision portant ordre de quitter le territoire.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 9 décembre 2010 pour autant qu’il porte sur le rejet du statut de réfugié ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 9 décembre 2010 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 18 mai 2011 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19.05.2011 Le Greffier du Tribunal administratif 9