Tribunal administratif Numéro 28548 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 avril 2011 3e chambre Audience publique extraordinaire du 6 mai 2011 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 10, L. 5.05.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 28548 du rôle et déposée le 27 avril 2011 au greffe du tribunal administratif par Maître Arnauld Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Somalie) et être de nationalité somalienne, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d'une décision du 8 avril 2011 du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 avril 2011 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Sandra Denu, en remplacement de Maître Arnauld Ranzenberger, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 mai 2011.
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En date du 7 avril 2011, Monsieur …, déclarant être de nationalité somalienne, introduisit une demande de protection internationale au Luxembourg. Ayant constaté, à la suite de recherches effectuées sur le fichier européen EURODAC d'empreintes digitales, que l'intéressé avait présenté une demande d'asile en Norvège et aux Pays-Bas, et sur la base d’informations reçues de la part des autorités suisses, qu’il avait pareillement introduit une demande d’asile en Suisse, les autorités luxembourgeoises formulèrent le 11 avril 2011 une demande de reprise en charge auprès de leurs homologues suisses sur le fondement de l’article 16, paragraphe 1 e) du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, ci-après dénommé « le règlement (CE) n° 343/2003 ».
Par arrêté du 8 avril 2011, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, pour une durée maximale de trois mois. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :
« Vu l’article 10 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu le rapport N° SPJ/15/2011/13856.1/HETA du 8 avril 2011 établi par le Service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux ;
Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un document de voyage valable ;
- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;
Considérant que l’intéressé a déposé une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 7 avril 2011 ;
- qu’il est signalé au système EURODAC comme ayant déposé deux demandes d’asile, en Norvège en date du 4 août 2003 et aux Pays-Bas en date du 28 février 2008 ;
- qu’une demande de reprise en charge en vertu du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 sera adressée aux autorités compétentes dans les meilleurs délais ;
Considérant qu’un éloignement immédiat n’est pas possible ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ;
- que la mesure de placement est nécessaire afin de ne pas compromettre le transfert de l’intéressé vers le pays responsable de sa demande d’asile ; (…) ».
En date du 19 avril 2011, les autorités suisses marquèrent leur accord avec la demande de reprise en charge formulée par les autorités luxembourgeoises en date du 11 avril 2011.
Par décision du 20 avril 2011, le ministre se déclara incompétent pour connaître de la demande d’asile introduite par Monsieur …, et par arrêté du même jour, le ministre refusa le séjour à ce dernier et lui ordonna de quitter le territoire vers la Suisse.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2011, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 8 avril 2011.
Etant donné que l’article 10 (4) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 », tel que modifié par l’article 155-2° de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, institue, par renvoi à l’article 123 (1) de la loi du 29 août 2008, un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par le demandeur. Ledit recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur, en se référant à l’article 10 (1) b) de la loi du 5 mai 2006 prévoyant la possibilité d’une mesure de rétention dans l’hypothèse où le demandeur refuse de coopérer avec les autorités dans l’établissement de son identité ou de son itinéraire de voyage, et en donnant à considérer que le but d’une mesure de placement serait d’empêcher que l’intéressé ne prenne la fuite puisque son comportement porterait à croire qu’il pourrait s’éloigner du territoire, fait valoir qu’il aurait toujours coopéré avec les autorités luxembourgeoises, en ce qu’il se serait soumis volontairement à la prise d’empreintes digitales et en ce qu’il se serait conformé à l’ensemble des exigences de l’administration. Comme une mesure de placement constituerait une entrave à la liberté, l’autorité administrative aurait dû lui demander de se présenter chaque jour au ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en vue de pallier au risque de fuite. Le ministre aurait ainsi commis un excès de pouvoir en prenant la mesure litigieuse, qui constituerait une mesure qui ne devrait être prise que si les conditions l’exigent, malgré son comportement exemplaire.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Il convient de prime abord de relever, tel que cela a été précisé à juste titre par le délégué du gouvernement, que le demandeur a, en l’espèce, fait l’objet d’une mesure de rétention, non pas sur base du point b) de l’article 10 (1) de la loi du 5 mai 2006, invoqué par ce dernier et prévoyant l’hypothèse d’un défaut de coopération du demandeur d’une protection internationale, mais sur base du point d) du même article, tel que cela ressort clairement de la motivation de l’arrêté ministériel litigieux, en ce que le ministre a précisé notamment que la mesure litigieuse est nécessaire pour ne pas compromettre le transfert de l’intéressé vers le pays responsable de sa demande d’asile.
Aux termes de l’article 10 (1), d) de la loi du 5 mai 2006, « le demandeur peut, sur décision du ministre, être placé dans une structure fermée pour une durée maximale de trois mois dans les cas suivants : (…) d) le placement s’avère nécessaire afin de ne pas compromettre le transfert du demandeur vers le pays qui, en vertu d’engagements auxquels le Luxembourg est partie, est considéré comme responsable de l’examen de la demande ».
En vertu de l'article 3 du règlement (CE) n° 343/2003, la demande d'asile d'un étranger ressortissant d'un pays tiers est examinée par un seul Etat membre, déterminé par les critères fixés au chapitre III dudit règlement. Aux termes de l'article 16, paragraphe 1 e), du même règlement « l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile en vertu du présent règlement est tenu de : (…) e) reprendre en charge, dans les conditions prévues à l'article 20, le ressortissant d'un pays tiers dont il a rejeté la demande et qui se trouve, sans en avoir reçu la permission, sur le territoire d'un autre Etat membre ».
Il ressort des pièces du dossier administratif que le demandeur, avant de déposer une demande de protection internationale au Luxembourg le 7 avril 2011, avait introduit notamment en Suisse une demande d’asile, laquelle a été rejetée le 15 septembre 2009, de sorte que le ministre a saisi en date du 11 avril 2011, soit immédiatement après la prise de la décision de placement, les autorités suisses d’une demande de reprise en charge du demandeur sur le fondement de l’article 16, paragraphe 1, e) du règlement (CE) n° 343/2003 et que le 19 avril 2011, les autorités suisses ont marqué leur accord avec la demande de réadmission.
Le transfert du demandeur vers le pays responsable de l’examen de sa demande d’asile ayant été en cours de préparation au moment de la prise de la décision déférée, le ministre pouvait en principe valablement ordonner le placement du demandeur dans une structure fermée sur le fondement de l’article 10 (1) d) de la loi du 5 mai 2006 en vue de ne pas compromettre le transfert ainsi envisagé.
Cette conclusion n’est pas énervée par les explications du demandeur tendant à établir une collaboration exemplaire de sa part avec les autorités luxembourgeoises. En effet, les considérations ainsi avancées par le demandeur à l’appui de son recours reposent toutes sur la prémisse, erronée, que le ministre aurait fondé sa décision sur le point b) de l’article 10 (1) de la loi du 5 mai 2006, prévoyant, tel que cela a été relevé ci-dessus, l’hypothèse d’un défaut de coopération du demandeur d’une protection internationale. Dans la mesure où la décision n’est pas fondée sur un défaut de collaboration du demandeur, les explications de celui-ci tendant à établir une collaboration exemplaire de sa part sont à rejeter comme étant dénuées de toute pertinence.
Le demandeur affirme encore qu’une mesure de placement ne saurait être prise que si les conditions l’exigent et que, vu sa prétendue bonne collaboration, d’autres mesures auraient pu pallier à un risque de fuite.
Or, indépendamment de la question de savoir si l’article 10 (1) de la loi du 5 mai 2006 érige un risque de fuite en une condition d’une mesure de placement en rétention, le demandeur reste en défaut de justifier en quoi le ministre aurait commis un excès de pouvoir en ordonnant son placement, la simple affirmation du demandeur, d’ailleurs non autrement étayée et pour le moins peu crédible eu égard aux nombreux alias du demandeur figurant au dossier administratif, qu’en raison de son « comportement exemplaire » la mesure n’aurait pas été requise pour pallier à un risque de fuite, étant insuffisante à cet égard.
A l’audience des plaidoiries, le demandeur a invoqué une violation de l’article 3 du règlement (CE) n° 343/2003, en soutenant que la Norvège et non pas la Suisse serait compétente pour sa réadmission.
Il s’agit cependant d’un moyen nouveau qui n’a pas été développé dans la requête introductive d’instance, ni dans un écrit ultérieur, mais qui a été soulevé oralement, pour la première fois à l’audience des plaidoiries. Or, la procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le tribunal ne saurait procéder à son examen, étant donné qu’il ne saurait tenir compte des moyens présentés par les parties à l’instance que pour autant qu’ils figurent dans la requête introductive d’instance et dans les mémoires, à moins qu’il ne s’agisse d’une question d’ordre public à soulever d’office par le tribunal, hypothèse qui n’est pas donnée en l’espèce.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut d’autres moyens présentés par le demandeur, que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
donne acte au demandeur qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 6 mai 2011 à 11.00 heures par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 06.05.2011 Le Greffier du Tribunal administratif 5