Tribunal administratif Numéro 28510 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 avril 2011 3e chambre Audience publique extraordinaire du 29 avril 2011 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 28510 du rôle et déposée le 19 avril 2011 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Nigeria), de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du 8 avril 2011 du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2011 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en sa plaidoirie à l’audience publique du 27 avril 2011.
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Par jugement du 6 mai 2010, le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle, condamna Monsieur … à une peine d’emprisonnement de 15 mois et à une amende de 1.000 euros du chef d’infractions à la législation en matière de stupéfiants.
Le terme de la peine de Monsieur … se situant au 14 avril 2011, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », prit en date du 8 avril 2011 un arrêté de refus de séjour à l’égard de Monsieur …, contenant également un ordre de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination du pays dans lequel il est autorisé à séjourner, en prenant en considération ses antécédents judiciaires et au motif qu’il n’était pas en possession d’un passeport en cours de validité, qu’il ne justifiait ni l’objet, ni les conditions du séjour envisagé, ni de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission serait garantie, et qu’il n’était pas en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’une autorisation de travail.
Par un arrêté séparé du même jour, le ministre ordonna la rétention administrative de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Ledit arrêté, notifié à l’intéressé le 14 avril 2011, est fondé sur les considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 10 septembre 2007 lui notifié le 13 septembre 2007 ;
Vu la décision de refus de séjour du 8 avril 2011 ;
Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Considérant qu’un laissez-passer sera demandé dans les meilleurs délais auprès des autorités nigérianes ;
Considérant qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé est impossible en raison de circonstances de fait (…) ».
Par requête déposée le 19 avril 2011 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 8 avril 2011 ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière.
Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement en rétention, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire.
Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur soutient que son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière constituerait un traitement dégradant, constitutif d’une atteinte intolérable à sa liberté, contraire aux articles 3 et 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, désignée ci-après par « la CEDH », au motif que le régime auquel il est soumis serait similaire voire identique à celui des détenus de droit commun, à l’exception du droit illimité à la correspondance et de la dispense de l’obligation de travail. Il ajoute qu’il serait autorisé à téléphoner seulement une seule fois par semaine. Il serait privé de sa liberté de circulation, bien qu’il n’aurait commis aucune infraction pénale. Le demandeur soutient qu’il serait en contact direct avec des délinquants de droit commun ce qui aurait pour conséquence de le perturber gravement. Il fait encore valoir dans ce contexte que le règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires s’appliquerait au Centre de séjour provisoire par application de l’article 5 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière.
Le demandeur reproche ensuite au ministre de ne pas avoir documenté, ni justifié, les démarches accomplies en vue de procéder à son éloignement dans les meilleurs délais et afin d’écourter au maximum sa privation de liberté. Il en conclut un défaut de motivation entraînant l’annulation de la décision attaquée au motif de l’absence de la justification de la condition de « nécessité » qui permettrait la mesure de placement.
Il reproche encore au ministre une inexistence, sinon une insuffisance des démarches accomplies en vue de procéder à son éloignement rapide depuis sa mise en rétention. Le simple fait de demander un laisser-passez serait insuffisant afin d’établir que de véritables démarches concrètes, utiles et efficientes auraient été entreprises pour assurer son éloignement. Le demandeur en conclut que les démarches entreprises par l’autorité ministérielle s’avèreraient insuffisantes pour permettre son éloignement, de sorte que la « nécessité » requise pour ordonner la décision de son placement ferait défaut.
Le demandeur critique ensuite la décision déférée en ce que l’autorité ministérielle resterait en défaut de démontrer qu’elle serait effectivement en mesure de procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement puisqu’aucune démarche n’aurait été effectuée pour obtenir un laissez-passer de la part des autorités compétentes.
Enfin, le demandeur soutient que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ne serait pas un lieu approprié au vu de son état de santé. Il explique qu’il aurait été opéré d’un méningiome en octobre 2004 et que son état de santé resterait toujours très fragile, qu’il nécessiterait encore un suivi médical ainsi que des soins adéquats. Il fait exposer que l’article 3 de la CEDH et l’article 129 de la loi du 29 août 2008 feraient obstacle à son éloignement vers le Nigeria où il serait exposé à un risque sérieux et avéré de faire l’objet de tortures, de traitements inhumains ou dégradants, et ce, d’une part, du fait des agressions y subies antérieurement et, d’autre part, du fait son état de santé. Il souligne que son renvoi vers le Nigeria serait contraire à l’article 3 de la CEDH, vu l’impossibilité de bénéficier d’un traitement au Nigeria. Il ajoute que si un traitement existait au Nigeria, il serait inabordable pour des personnes sans revenus.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
L’analyse de la légalité externe devant précéder celle de la légalité interne de la décision, le tribunal est amené à examiner de prime abord le moyen du demandeur tiré d’un défaut de motivation de la décision déférée.
Force est de constater que les motifs à la base de la décision de placement en rétention ressortent à suffisance de droit de l’arrêté litigieux, étant donné que tant les motifs en fait que les motifs en droit sur lesquels repose la décision litigieuse sont énoncés dans ledit arrêté. Plus particulièrement le ministre a fait référence à un arrêté de refus de séjour du même jour, ainsi qu’à un arrêté de refus d’entrée et de séjour du 10 septembre 2007, et a considéré que l’intéressé est démuni de tout document de voyage valable, qu’un laissez-passer sera demandé dans les meilleurs délais auprès des autorités nigérianes et qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat du demandeur est impossible en raison de circonstances de fait.
Il s’ensuit que les motifs indiqués en l’espèce sont loin d’être imprécis, mais permettent au demandeur d’assurer la protection de ses droits et intérêts en parfaite connaissance de cause.
Le moyen tiré d’un défaut de motivation laisse partant d’être fondé.
Quant à la légalité interne de la décision litigieuse, il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, le ministre, dans l’hypothèse où l’exécution d’une mesure d’éloignement est impossible en raison de circonstances de fait, peut placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, étant entendu que le paragraphe (3) du même article permet au ministre de reconduire, en cas de nécessité, la décision de placement à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois.
Une impossibilité de procéder à l’éloignement immédiat d’un étranger en raison de circonstances de fait est vérifiée notamment lorsque ce dernier ne dispose pas des documents d’identité et de voyage requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention.
Une mesure de rétention s’analysant cependant en une mesure administrative privative de la liberté de mouvement de la personne concernée, elle doit être limitée à la durée strictement nécessaire afin de permettre l’exécution d’une mesure d’éloignement. A cette fin, le ministre est dans l’obligation de faire entreprendre avec la diligence requise toutes les démarches nécessaires afin d’organiser cette mesure d’éloignement.
Il se dégage de la décision déférée que le ministre a décidé le placement en rétention du demandeur au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière afin de pouvoir entreprendre les démarches nécessaires en vue de la délivrance de documents de voyage permettant l’éloignement du demandeur.
Quant aux démarches entreprises, il ressort des pièces versées en cause qu’un courrier a été adressé à l’ambassade de la République fédérale du Nigeria à Bruxelles le 8 avril 2011 en vue de procéder à l’identification du demandeur. Il se dégage encore des pièces du dossier que le demandeur a été présenté à ladite ambassade à Bruxelles en date du 22 avril 2011 et qu’un représentant de cette même ambassade a conclu que le demandeur est de nationalité nigériane. Il ressort encore des explications de la partie étatique que cette seconde présentation a été nécessaire, étant donné que l’ambassadeur du Nigeria a changé et qu’une procédure d’identification lancée en 2008 n’avait pas pu suivre son cours en raison de la condamnation du demandeur à une peine d’emprisonnement.
Sur base de ces développements, les démarches accomplies par le ministre sont à considérer comme suffisantes, de sorte que le moyen afférent est à rejeter comme non fondé.
Le demandeur soutient encore que le ministre serait resté en défaut de démontrer qu’il serait effectivement en mesure de procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement.
Indépendamment du fait qu’il n’existe aucune obligation à charge du ministre de devoir démontrer qu’il soit en mesure de procéder à l’éloignement du demandeur, il convient de relever qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que le ministre ne soit pas en mesure de procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement du demandeur, mais qu’au contraire le ministre est en train d’accomplir les diligences nécessaires en vue de l’obtention d’un laissez-passer pour le demandeur dont l’origine nigériane a entretemps pu être confirmée et que la délivrance d’un laissez-passer dépend encore d’informations complémentaires concernant l’état de santé du demandeur, tel que cela ressort d’un rapport d’un agent du ministre du 26 avril 2011. Le moyen fondé sur une prétendue impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement laisse partant d’être fondé.
Quant au moyen du demandeur fondé sur une violation des articles 3 et 5 de la CEDH, il échet de constater à cet égard qu’il n’est pas contesté en cause que le demandeur est placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière qui est situé au sein du Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig.
Les modalités de la rétention dans ledit centre résultent en leurs grandes lignes du régime spécifique tel qu’instauré par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 précité, qui renvoie en son article 5 directement pour toutes les questions qu’il ne règle pas lui-même au règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires. L’assimilation dans ses grandes lignes, excepté les dispositions spécifiques figurant à l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 20 septembre 2002, du régime de rétention à celui des détenus de droit commun ne permet pas de conclure de ce seul chef à une violation de l’article 3 de la CEDH.
Aux termes de l’article 3 de la CEDH « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».
Une rétention au Centre de séjour provisoire pour personnes en situation irrégulière ne saurait, en tant que telle, être considérée comme dégradante. En effet, ce ne sont que les conditions dans lesquelles la personne est retenue qui peuvent poser une question du respect des exigences de l’article 3 de la CEDH.
Or, à défaut pour le demandeur de faire état de manière circonstanciée de l’impact du régime de rétention sur sa situation personnelle, le tribunal ne dispose pas d’éléments permettant de retentir une violation de l’article 3 de la CEDH, d’autant plus que la Cour européenne des droits de l’homme exige que pour tomber sous le coup dudit article, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum est relative par essence, et elle dépend de l'ensemble des données de la cause (arrêt Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni du 30 octobre 1991, série A n° 215, p. 36, § 107). Par ailleurs, le seul fait pour le demandeur d’alléguer qu’il est retenu dans les mêmes conditions qu’un délinquant de droit commun ne saurait suffire, à défaut d’autres éléments, afin d’établir que sa rétention serait effectuée en violation de l’article 3 de la CEDH invoqué. Le moyen afférent est partant à rejeter.
Quant au moyen tiré d’une atteinte à la liberté telle que protégée par l’article 5 de la CEDH, cette disposition prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Il convient encore de préciser que le terme d’expulsion utilisé à l’article 5 est à entendre dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement d’une personne se trouvant en séjour irrégulier dans un pays. Le fait même d’être retenu ne saurait dès lors être remis en cause par le demandeur au regard de l’article 5 de la CEDH. Le moyen afférent est partant à rejeter.
Quant au moyen du demandeur consistant à affirmer que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière serait un lieu inapproprié au vu de son état de santé, il convient de relever qu’il ressort d’un avis du médecin délégué du Service médical de l’Immigration du ministère de la Santé du 28 janvier 2011 que « l’on peut exclure la progression de la tumeur et que l’état clinique du patient est stable », et que « les séquelles sont anciennes, de gravité mineures (sic) et n’ont pas empêché Monsieur … de vaquer à ses occupations journalières ». Force est au tribunal de constater que le demandeur n’a apporté aucun élément permettant d’infirmer les constats du prédit médecin délégué. Etant donné que l’état de santé du demandeur lui a permis de vaquer à ses occupations journalières et de purger sa peine au Centre pénitentiaire de Luxembourg, il ne saurait a fortiori être incompatible avec sa rétention au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière.
Le moyen tiré du caractère prétendument inapproprié du Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière est dès lors à rejeter.
En ce qui concerne le moyen fondé sur une prétendue violation de l’article 3 de la CEDH combiné à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, celui-ci est inopérant dans le cadre du présent recours dirigé contre une décision de placement en rétention administrative. En effet, ledit moyen a trait à la décision de refus de séjour assortie d’un ordre de quitter le territoire du ministre du 8 avril 2011 en ce qu’il tend à mettre en cause la légalité d’une décision d’éloignement vers le pays d’origine du demandeur. Or, la prédite décision de refus de séjour ne fait pas l’objet du présent recours. Ledit moyen est dès lors à rejeter pour manquer de pertinence en ce qui concerne la décision de placement déférée.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 29 avril 2011, à 11.00 heures, par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29.04.2011 Le Greffier du Tribunal administratif 7