Tribunal administratif N° 26921 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mai 2010 2e chambre Audience publique du 28 avril 2011 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Classes moyennes et du Tourisme en matière d’autorisation d’établissement
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26921 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2010 par Maître Danielle Wagner, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, …, demeurant à …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes et du Tourisme du 13 août 2009 et d’une décision confirmative du même ministre du 9 février 2010 portant toutes les deux refus de sa demande en obtention d’une autorisation d’établissement pour l’exercice de la profession d’… ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2010 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Danielle Wagner, erronément qualifié de « mémoire en réponse », déposé au greffe du tribunal administratif le 13 octobre 2010 pour compte de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, Maître Marc Wagner, en remplacement de Maître Danielle Wagner, et Madame le délégué du gouvernement Betty Sandt en leurs plaidoiries respectives.
Par courrier du 6 août 2007, le ministre des Classes moyennes et du Tourisme, ci-après dénommé « le ministre » se ralliant à l’avis non daté de la commission consultative prévue aux articles 2 et 3 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 1. réglementant l'accès aux professions d'artisan, de commerçant, d'industriel ainsi qu'à certaines professions libérales; 2.
modifiant l'article 4 de la loi du 2 juillet 1935 portant réglementation des conditions d'obtention du titre et du brevet de maîtrise dans l'exercice des métiers, ci-après désignée par « la loi du 28 décembre 1988 », informa Monsieur … qu’il avait transmis pour avis sa demande d’autorisation en vue de l’exercice de la profession d’… au … afin de déterminer sa responsabilité dans la faillite de la société … Suite au rapport du curateur de la société … du 18 juin 2009 et de l’avis du … auprès du Parquet du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 24 juin 2009 indiquant ce qui suit : « Je vous prie de trouver en annexe copie du rapport d'activité du curateur de la société …. Il en résulte clairement que … a omis de faire l'aveu de la cessation des paiements, malgré le passif extrêmement important (… €) (!), qu'il n'a pas été en mesure de fournir une comptabilité en bonne et due forme au curateur, étant donné la gestion déplorable de la société imputable à l'intéressé, et surtout, qu'il a une dette de …€ envers la société, montant qu'il n'a toujours pas remboursé ! », le ministre informa Monsieur …, par lettre du 13 août 2009, que sa demande d’autorisation d’établissement ayant fait l’objet d’un réexamen de la part de la commission prévue à l’article 2 de la loi du 28 décembre 1988 , laquelle ayant émis un avis défavorable, à l’unanimité des voix, quant à l’honorabilité professionnelle de Monsieur …, auquel il se ralliait lui-même de sorte qu’il ne pouvait faire droit à la demande en obtention de l’autorisation d’établissement sollicitée par Monsieur …. Le ministre a justifié sa décision par les motifs suivants :
« Par la présente, j'ai l'honneur de me référer à votre demande sous rubrique, qui a fait entre-temps l'objet de l'instruction administrative prévue à l'article 2 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 relative au droit d'établissement.
Le résultat m'amène à vous informer que selon l'avis de la commission y prévue vous ne présentez plus la garantie nécessaire d'honorabilité professionnelle en raison de votre implication dans la faillite de la société …, caractérisée par des dettes très élevées (… €) sans que vous effectuez l'aveu de la cessation des paiements.
Par ailleurs, la comptabilité fait défaut et il s'avère que vous avez «emprunté» une somme très élevée à la société en faillite, ce qui est constitutif d'abus et de détournement des biens sociaux. (cf. avis du Parquet économique ainsi que du curateur en annexe).
Comme je me rallie aux conclusions de cet organe de consultation, je suis au regret de ne pouvoir faire droit à votre requête dans l'état actuel du dossier en me basant sur les articles 2 et 3 de la loi susmentionnée. » Par lettre du 12 novembre 2009, Monsieur … fit introduire par son mandataire un recours gracieux contre la décision de refus du ministre du 13 août 2009.
Le ministre adressa en date du 9 février 2010 au mandataire de Monsieur … une décision confirmant la décision du 13 août 2009 portant refus de sa demande en obtention d’une autorisation d’établissement pour l’exercice de la profession d’…, libellée comme suit :
« Par la présente, j'ai l'honneur de me référer à votre demande sous rubrique, qui a fait entre-temps l'objet d'une nouvelle instruction administrative prévue à l'article 2 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 relative au droit d'établissement.
Le résultat m'amène à vous informer que selon l'avis de la commission consultative y prévue Monsieur … ne présente plus la garantie nécessaire d'honorabilité professionnelle en raison de son implication dans la faillite de la société …, dont il était le dirigeant, et caractérisée par de nombreux manquements et irrégularités (cf. avis Parquet et rapport curateur).
Il s’avère aussi qu’il a laissé accumuler des dettes très élevés (…€) sans effectuer l’aveu de la cessation des paiements. La comptabilité n’était pas tenue et il a prélevé pour son usage personnel une somme très élevée à la société faillie.
Les explications fournies entretemps par Monsieur … n'emportent pas l'adhésion : en tant que dirigeant, il ne peut se défausser sur son co-associé décédé Monsieur … ni sur son comptable externe.
Par ailleurs, il est consternant d'apprendre que les « prélèvements » sur les comptes de la société constitueraient des « dividendes », alors que la société était endettée.
Comme je me rallie aux conclusions de cet organe de consultation, je suis au regret de ne pouvoir faire droit à votre requête dans l'état actuel du dossier en me basant sur les articles 2 et 3 de la loi susmentionnée. ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2010, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des deux décisions ministérielles de refus des 13 août 2009 et 9 février 2010.
Le délégué du gouvernement soulève l’incompétence du tribunal administratif pour connaître du recours en réformation, au motif que seul un recours en annulation existerait dans la matière sous examen.
L’article 2 dernier alinéa de la loi du 28 décembre 1988 prévoit que le tribunal administratif statue comme juge d’annulation en matière d’autorisations d’établissement, de sorte que le tribunal administratif doit se déclarer incompétent pour connaître du recours en réformation. Partant seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce.
Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit suivant les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir en substance qu’ayant exercé la profession d’… en Allemagne et au Grand-Duché de Luxembourg, il se serait associé avec Monsieur …, … luxembourgeois au sein de la société …, dont il aurait été nommé administrateur-délégué. Dans le cadre de la répartition des tâches au sein de la société, il aurait été responsable des … tandis que son associé se serait chargé de la gestion. Au décès de ce dernier, le 7 septembre 2005, il aurait repris la gestion de la société en mains, « devant constater un certain endettement et réussissant à trouver des accords de règlement avec les principaux créanciers (sécurité sociale, Administration de l’Enregistrement et des domaines )» . Par ailleurs, il aurait introduit en date du 15 décembre 2005, une demande en vue d’obtenir une autorisation d’établissement en nom personnel.
En droit, le demandeur fait soutenir que les trois causes de refus sous-tendant les décisions ministérielles, à savoir son implication dans la faillite de la société … caractérisée par un montant élevé de dettes et n’ayant été précédée de sa part par un aveu de cessation de paiement ; un manque de tenue de comptabilité et enfin un prélèvement pour usage personnel d’une somme importante à la société faillie, ne justifieraient pas les décisions litigieuses.
En effet, quant à la première cause de refus, à savoir, son implication dans la faillite de la société … caractérisée par un montant élevé de dettes et n’ayant été précédée de sa part par un aveu de cessation de paiement, il soutient avoir repris en mains la gestion de la société après le décès de son associé moyennant énumération détaillée dans sa requête des différents arrangements intervenus avec les créanciers de la société depuis la date dudit décès. Il explique par ailleurs que la créance de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines pour les exercices 2005 et 2006 résulterait d’une taxation d’office qu’il y aurait eu lieu de contester de sorte que le montant ne serait pas dû. Selon lui, l’absence « d’aveu de faillite » dans son chef ne serait pas de nature à mettre en cause son honorabilité professionnelle.
Quant à la deuxième cause de refus, à savoir, la tenue de la comptabilité de la société …, il souligne que celle-ci aurait toujours été tenue par le « cabinet fiscal … » et que les comptes sociaux de la société auraient été déposés jusqu’à l’année 2004 incluse. Ce serait la faillite de la société qui aurait eu pour conséquence que les comptes sociaux de l’année 2005 n’auraient pas pu être établis par les comptables alors qu’il aurait été en mesure de remettre au curateur les pièces comptables requises à l’établissement desdits comptes sociaux.
Enfin, il explique quant à la troisième cause de refus, que la dette qu’il aurait contractée à l’égard de la société et figurant au bilan 2004 pour un montant de … euros se ventilerait comme suit : un montant de … euros correspondrait à un report de dettes pour l’année 2004 au titre d’honoraires lui versés par un client individuel pour des prestations qu’il aurait effectuées en nom personnel et qui n’auraient pas dû être comptabilisées au profit de la société … et un montant de … euros prélevé par lui à titre de « dividendes », au motif qu’il n’aurait pas retiré de salaire de la société, montant qu’il aurait, par ailleurs, remboursé à hauteur de … euros. Il indique également avoir payé personnellement des dettes pour compte de la société à hauteur de … euros entre octobre 2005 et novembre 2006 et aurait obtenu l’accord de principe de sa banque de se voir accorder un prêt de … euros en vue de rembourser le solde qui serait à déterminer. Il insiste ensuite sur la circonstance selon laquelle bien que le ministre se référant aux avis du … et du curateur ayant relevé que la somme élevée qu’il aurait « empruntée » serait constitutive « d’abus et de détournement de biens sociaux », ni le …, ni le curateur n’auraient conclu à un détournement d’actifs ou de biens sociaux. Il conclut de ce qui précède qu’il disposerait de l’honorabilité professionnelle requise.
Le délégué du gouvernement répond que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation, les éléments de fait et de droit inhérents aux décisions ministérielles ressortant par ailleurs à suffisance desdites décisions ainsi que du rapport du curateur du 18 janvier 2009 et de l’avis du Parquet économique du 24 juin 2009 seraient « particulièrement édifiants ».
En vertu des dispositions des alinéas 1er et 2 de l’article 3 de la loi du 28 décembre 1988 « l’autorisation ne peut être accordée à une personne physique que si celle-ci présente les garanties nécessaires d’honorabilité et de qualification professionnelles », l’honorabilité s’appréciant, en vertu du dernier alinéa dudit article 3 « sur base des antécédents judiciaires du postulant et de tous les éléments fournis par l’enquête administrative ».
Ainsi, l’honorabilité professionnelle de celui qui entend se faire accorder une autorisation d’établissement s’apprécie sur base de critères cumulatifs, à savoir de ses antécédents judiciaires et de tous les résultats fournis par l’enquête administrative.
Quant à l’enquête administrative, il y a lieu de rappeler que toutes les circonstances révélées par cette enquête administrative et pouvant avoir une incidence sur la manière de l’exercice de la profession faisant l’objet de la demande d’autorisation doivent être prises en compte par le ministre pour admettre ou récuser l’honorabilité dans le chef du demandeur d’une autorisation. La finalité de la procédure d’autorisation préalable, ainsi que de la possibilité de refuser l’autorisation pour défaut d’honorabilité professionnelle, consiste à assurer la sécurité de la profession concernée et tend à éviter l’échec de futures activités, tout en étant destinée parallèlement à assurer la protection de futurs clients ou cocontractants1.
En l’espèce, le ministre a retenu trois circonstances dont il a déduit l’absence d’honorabilité professionnelle dans le chef du demandeur, lui refusant ainsi l’autorisation d’établissement sollicitée.
La première circonstance retenue par le ministre est celle qui a trait à l’implication du demandeur, en sa qualité de dirigeant de la société …, dans la faillite de cette société, caractérisée par de nombreux manquements et irrégularités et par un passif chiffré à … euros en l’absence de démarche du demandeur ayant conduit à l’aveu de la cessation de paiements de la société. S’il est vrai que le seul fait d’avoir été impliqué dans une faillite n’entraîne pas nécessairement et péremptoirement le défaut d’honorabilité professionnelle dans le chef du demandeur2, il n’en reste pas moins qu’il ressort en l’espèce d’un extrait du registre de commerce et des sociétés que le demandeur a été nommé seul administrateur-délégué de la société … En cette qualité, la gestion journalière des affaires de la société ainsi que la représentation de la société lui ont été confiées conformément à l’article 60 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, ci-après dénommée « la loi du 19 août 1915 ». Quant aux modalités de représentation de la société, à savoir, le régime de signature statutaire, ledit extrait du registre de commerce renseigne que la société est valablement engagée soit par la signature individuelle de l’administrateur-délégué soit par la signature conjointe de deux administrateurs dont obligatoirement celle de l’administrateur-délégué.
Ainsi, le demandeur était non seulement chargé de la gestion journalière des affaires de la société mais, de surcroît, chaque acte posé par la société portait sa signature soit individuelle soit conjointe. Le demandeur est partant particulièrement mal placé pour expliquer que « dans le cadre de la répartition des tâches au sein de la société, [il] était responsable des … tandis que Monsieur … assurait la gestion de la société » et qu’après le décès de son associé, il « a alors repris en main la gestion de la société », alors que le tribunal vient de constater qu’au regard de l’article 60 précité, il était seul responsable de cette gestion. Enfin, il ressort explicitement du rapport du curateur que « suite au décès de M. …, M. … n’a pas assumé les obligations à sa charge = -établissement des bilans, - conduite des affaires, voire liquidation volontaire de la société, - aveu de faillite », lequel rapport est corroboré par les conclusions du Parquet économique selon lesquelles : « Il résulte clairement que … a omis de faire l’aveu de la cessation des paiements, malgré le passif extrêmement important (… €) ( !), qu’il n’a pas été en mesure de fournir une comptabilité en bonne et due forme au curateur, étant donné la gestion déplorable de la société imputable à l’intéressé, et surtout qu’il a une dette de … € envers la société, montant qu’il n’a toujours pas remboursé ! ». Il convient à cet égard de relever que les éléments fournis par un curateur de faillite, le procureur général d’Etat et le procureur d’Etat constituent une base suffisante pour apprécier l’honorabilité professionnelle d’une personne, même en l’absence de poursuites pénales3. Les explications du demandeur selon lesquelles il aurait trouvé un arrangement avec les créanciers de la société 1 Cf. trib. adm. 18 juin 2001, n° 12859 du rôle, Pas. adm. 2010, V° Autorisation d’établissement, n° 151.
2 Cf. trib. adm. 5 mars 1997, n° 9196 du rôle, Pas. adm. 2010, V° Autorisation d’établissement, n° 160 et autres références y citées.
3 Cf. trib. adm. 22 mars 1999, n° 10716 du rôle, Pas. adm. 2010, V° Autorisation d’établissement, n°163 et autres références y citées.
postérieurement au décès de son associé ne sont somme toute que révélatrices d’un comportement idoine dans une telle situation mais n’enlèvent rien à la constatation selon laquelle le demandeur n’a pas respecté les obligations légales en la matière. De même, les explications du demandeur visant à prouver que la créance à l’égard de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines ne serait due qu’à hauteur d’un peu plus de la moitié du montant réclamé, lequel aurait fait l’objet d’un accord de remboursement échelonné dès le mois de juillet 2006 ne sont pas non plus de nature à atténuer les manquements du demandeur ci-avant constatés, qui, en sa qualité d’administrateur-délégué de la société faillie aurait dû s’assurer que celle-ci s’était bien acquittée de tous les paiements redus. Partant, tous les éléments précités conduisent le tribunal à conclure qu’en l’espèce le demandeur a posé des actes personnels dans le cadre de la faillite de la société … de nature à porter atteinte à son honorabilité professionnelle.
Quant au défaut de la tenue d’une comptabilité, il ressort du rapport du curateur précité que ce dernier n’a pu obtenir la comptabilité se rapportant à la société faillie au motif que « les derniers comptes publiés sont ceux au 31/12/2004. M. … n’a pas été en mesure de me communiquer les pièces comptables 2005 et 2006 (ou que partiellement) ni le dossier juridique (assemblées générales etc. ) de la société ». Force est au tribunal de constater que les manquements du demandeur en sa qualité d’administrateur-délégué de la société quant aux obligations qui lui incombent en vertu de la loi du 19 août 1915 sont graves et caractérisés :
d’une part, il reste en défaut de rapporter la preuve de la tenue annuelle obligatoire d’une assemblée générale de la société et, d’autre part, il a omis de soumettre à l’assemblée générale de la société, dans les six mois de la clôture de l’exercice, les comptes annuels ainsi qu’il a omis de faire procéder à leur publication, ce dernier manquement étant passible d’une amende de 500 euros à 25.000 euros conformément à l’article 163 2° de la loi du 10 août 1915. Partant le tribunal retient que les manquements précités sont de nature à porter atteinte à l’honorabilité professionnelle de Monsieur …. Les explications du demandeur selon lesquelles il invoque, d’une part, aux termes d’un raisonnement osé, la circonstance de la faillite de la société en juillet 2006 comme cause de justification de l’absence d’établissement des comptes annuels de l’année 2005, et, d’autre part, sa « collaboration » avec le curateur pour tenter d’atténuer sa faute quant à l’absence de tenue de la comptabilité ne sauraient invalider les conclusions ci-avant retenues par le tribunal.
Quant au prélèvement pour usage personnel d’une somme importante à la société faillie, le rapport du curateur indique que : « Il ressort du bilan 2004 (annexe) que M. … a une dette envers la société de …,- au 31/12/2004. M. … a volontairement remboursé …,-…. Il conteste être redevable du solde (soit environ ….-…) sans que les éléments qu’il apporte pour étayer sa prétention ne paraissent être acceptables comme justificatif ». Le tribunal relève à cet égard que la dette du demandeur d’un montant de … euros s’élève, à elle seule, à plus de 50 p.c. du passif total de la société d’un montant de … euros. Il échet de constater que dans le cadre de sa requête, le demandeur ne conteste pas le montant vertigineux de sa dette personnelle dans le passif de la société faillie, mais se borne simplement à fournir des explications sur l’origine de ladite dette selon lesquelles elle se ventilerait en un montant de … euros correspondant à un report de dettes d’une année antérieure au titre d’honoraires lui versés par un client individuel pour des prestations qu’il aurait effectuées en nom personnel et qui n’auraient pas dû être comptabilisé au profit de la société … ainsi qu’en un montant de … euros prélevé par lui à titre de « dividendes », au motif qu’il n’aurait pas retiré de salaire de la société. Ce n’est que dans le cadre de son mémoire en réplique que le demandeur précise que « le montant de …,- € reste contesté et [ses] objections (…) ont d’ailleurs été partiellement admis (sic) par le curateur » alors qu’au-delà de cette simple affirmation en cours de procédure contentieuse le demandeur reste néanmoins en défaut de rapporter la preuve que ce montant ne serait pas dû. Partant les explications sus-visées ne sont pas de nature à emporter la conviction du tribunal. En effet, quant au montant de … euros, le demandeur reste en défaut de rapporter la preuve que cette somme a été perçue par lui à titre d’honoraires pour services qu’il aurait prestés à titre personnel et non en sa qualité d’associé de la société … Enfin, quant au montant de … euros par lui prélevés à titre de « dividendes » en l’absence de tout salaire perçu, il échet de rappeler que conformément à l’article 70 de la loi du 10 août 1915, une assemblée générale doit être tenue annuellement, laquelle approuvant, entre autres, les comptes sociaux de la société, décide s’il y a lieu ou non de distribuer des dividendes. Cette décision de distribuer des dividendes est doublement conditionnelle : elle dépend d’une part de la réalisation de bénéfices et d’autre part de la considération pour les associés de procéder à une distribution de dividendes, ceux-ci pouvant, par ailleurs, décider d’affecter les bénéfices à un compte de réserve au bilan ou à d’autres investissements. En tout état de cause, l’article 72-1 (1) de la loi du 10 août 1915 prohibe toute distribution aux actionnaires (sauf les cas de réduction du capital souscrit) aux actionnaires « lorsque, à la date de clôture du dernier exercice, l'actif net tel qu'il résulte des comptes annuels est, ou deviendrait à la suite d'une telle distribution, inférieur au montant du capital souscrit, augmenté des réserves que la loi ou les statuts ne permettent pas de distribuer ». En d’autres termes, sauf le cas de réduction de capital, aucune distribution ne peut être faite aux associés quand à la date de la clôture du dernier exercice, le passif de la société est trop important selon les critères fixés par l’article 72-1 précité. En l’espèce, le demandeur, seul associé de la société depuis le décès de Monsieur …, le 7 septembre 2005, ne pouvait, en sa qualité d’administrateur-délégué de la société, ignorer le passif important de la société. Partant, en décidant de prélever une somme de … euros à titre de dividende ou à un quelconque autre titre que ce soit, le demandeur a posé personnellement un acte qui est de nature à porter atteinte à son honorabilité professionnelle.
Cette conclusion n’est pas énervée par les explications du demandeur selon lesquelles, premièrement, le montant retenu de … euros serait contesté au motif que le tribunal vient de retenir ci-avant que le demandeur reste en défaut de rapporter des pièces comptables probantes que ce montant ne serait pas dû , deuxièmement, le demandeur « a payé de ses deniers personnels un certain nombre de dettes de la société et donné son accord pour une compensation partielle des montants payés » au motif que ces paiements et remboursements intervenus postérieurement dans le temps n’effacent pas le principe de la décision du demandeur d’endetter la société à son profit personnel à un moment où la situation financière de celle-ci était ébranlée et troisièmement, que « ni le parquet dans son courrier du 24 juin 2009 ni le curateur dans son rapport d’activité n’ont fait état d’un abus ou d’un détournement de biens sociaux » au motif que les éléments fournis par un curateur de faillite, le procureur général d’Etat et le procureur d’Etat constituent une base suffisante pour apprécier l’honorabilité professionnelle d’une personne, même en l’absence de poursuites pénales4.
Il s’ensuit qu’au vu de l’ensemble des faits ainsi constants en cause, ayant trait aux circonstances de l’implication du demandeur dans la faillite de la société … caractérisée par un montant élevé de dettes et n’ayant été précédée de sa part par un aveu de cessation de paiement par un manque de tenue de comptabilité et enfin par un prélèvement pour usage personnel d’une somme importante à la société …, il y a lieu de retenir que c’est à bon droit, et sans commettre une erreur manifeste d’appréciation, que le ministre a pu refuser l’autorisation 4 Cf. trib. adm. 22 mars 1999, n° 10716 du rôle, Pas. adm. 2010, V° Autorisation d’établissement, n°163 et autres références y citées.
sollicitée par Monsieur … au motif qu’il ne bénéficie pas de l’honorabilité professionnelle légalement requise pour l’octroi de l’autorisation d’établissement.
Le recours en annulation est dès lors à déclarer non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Françoise Eberhardt, premier juge, Anne Gosset, juge, et lu à l’audience publique du 28 avril 2011 par le premier vice-président, en présence du greffier Sabrina Knebler.
s. Sabrina Knebler s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 avril 2011 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 8