Tribunal administratif N° 27355 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2010 3e chambre Audience publique du 27 avril 2011 Recours formé par Madame … et Monsieur …, … contre deux décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers
__________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 27355 du rôle et déposée le 6 octobre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née …à … (Monténégro), et de son fils, Monsieur …, né le … à … (Kosovo), les deux de nationalité kosovare, ayant été retenus au Centre d’accueil intérimaire en vue d’un départ accompagné, tendant à l’annulation de deux décisions du 1er octobre 2010 par lesquelles le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration leur a refusé le séjour sur le territoire et leur a ordonné de quitter le territoire sans délai ;
Vu l’ordonnance du 6 octobre 2010 (n° 27356 du rôle) du premier vice-président, statuant en remplacement du président du tribunal administratif légitimement empêché, ayant déclaré irrecevable la demande de sursis à exécution et non justifiée la demande en institution d’une mesure de sauvegarde ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2010 ;
Vu la lettre déposée au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier Lang en date du 24 janvier 2011 informant le tribunal de ce qu’il n’a plus mandat ;
Vu la lettre déposée au greffe du tribunal administratif par Maître Pol Urbany, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, en date du 25 janvier 2011, informant le tribunal qu’il a repris le mandat de Maître Olivier Lang ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en sa plaidoirie.
___________________________________________________________________________
Le 27 décembre 2002, Madame … et son fils, Monsieur …, ci-après désignés par « les consorts …-… », introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une première demande tendant à la délivrance du statut de réfugié qui fut rejetée par une décision du ministre de la Justice du 14 août 2003.
Cette décision ministérielle du 14 août 2003 fut confirmée, sur recours gracieux, par une décision du même ministre du 27 octobre 2003.
Le recours contentieux introduit contre la décision ministérielle précitée du 14 août 2003, ainsi que contre celle confirmative du 27 octobre 2003, fut définitivement rejeté par un arrêt de la Cour administrative du 14 octobre 2004 (n° 18113C du rôle).
A la suite de l’introduction par les consorts …-… en date du 13 juillet 2007 d’une demande tendant à la reconnaissance d’un statut de protection internationale sur base de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration refusa de faire droit à ladite demande, par une décision du 23 novembre 2007, cette décision ayant été définitivement confirmée par un arrêt de la Cour administrative du 5 février 2009 (n° 24927C du rôle).
Par différentes décisions d’abord du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, puis du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ce dernier étant ci-après dénommé le « ministre », tant Madame … que son fils Monsieur … se virent reconnaître un statut de tolérance valable jusqu’à la date du 30 septembre 2010, la dernière prolongation dudit statut de tolérance ayant été décidée par le ministre dans sa décision du 8 mars 2010, cette même décision ayant également refusé aux consorts …-… un sursis à l’éloignement tel que prévu par les articles 130 et 132 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 ».
Par courrier du 21 avril 2010, le ministre informa les consorts …-… de ce qu’il envisageait de procéder à la révocation du statut de tolérance ainsi accordé jusqu’au 30 septembre 2010, au motif que les circonstances de fait indépendantes de leur volonté empêchant l’exécution matérielle de leur éloignement n’existaient plus, de sorte que leur rapatriement était matériellement possible. Il est notamment fait état dans ledit courrier de ce qu’en date du 16 avril 2010 le « Department for Border Management, Asylum and Migration » du ministère des Affaires intérieures kosovar avait accepté leur retour au Kosovo.
Sur recours gracieux du mandataire des consorts …-… dirigé contre la lettre précitée du 21 avril 2010, le ministre confirma, en date du 10 mai 2010, son refus quant à l’octroi d’un sursis à l’éloignement de même que la décision de révocation de leur statut de tolérance.
Par deux arrêtés séparés du ministre du 1er octobre 2010, tant Madame … que son fils, Monsieur …, se virent refuser le séjour sur le territoire luxembourgeois, au motif qu’ils n’étaient pas en possession d’un passeport en cours de validité, qu’ils ne justifiaient pas l’objet et les conditions du séjour envisagé, qu’ils ne justifiaient pas non plus de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans leur pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel leur admission est garantie et qu’ils n’étaient pas en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’une autorisation de travail. Par les mêmes arrêtés ministériels, un ordre de quitter le territoire sans délai fut pris à l’égard des consorts …-….
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2010, inscrite sous le numéro 27355 du rôle, les consorts …-… ont fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles précitées du 1er octobre 2010, et par requête du même jour, inscrite sous le numéro 27356 du rôle, ils ont introduit une demande tendant au sursis à l’exécution des décisions ministérielles précitées, sinon à l’institution d’une mesure de sauvegarde consistant dans l’autorisation de séjour provisoire à leur délivrer en attendant que le tribunal administratif ait statué sur les mérites de leur recours introduit au fond.
La demande en institution d’un sursis à exécution fut déclarée irrecevable et la demande en institution d’une mesure de sauvegarde fut rejetée par une ordonnance du 6 octobre 2010 du premier vice-président du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président légitiment empêché. Les demandeurs furent rapatriés au Kosovo le 7 octobre 2010.
Dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en la matière, seul un recours en annulation a pu être introduit contre les décisions ministérielles déférées lequel recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours, les demandeurs déclarent être de confession musulmane et que leur langue maternelle serait le serbo-croate. Ils exposent qu’après leur départ du Kosovo, leur maison aurait été occupée par des albanais inconnus.
Après avoir résumé les différentes procédures parcourues par eux depuis l’introduction de leur demande en obtention du statut de réfugié, ils expliquent avoir été placés au Centre d’accueil intérimaire en date du 6 octobre 2010, date à laquelle les arrêtés ministériels attaqués leur ont été notifiés.
En droit, ils invoquent une violation de l’article 103 de la loi du 29 août 2008. Ils soutiennent que le ministre se serait limité à énumérer les conditions de l’article 103, sans cependant procéder à une vérification effective des conditions prévues par cet article.
Ainsi, le ministre n’aurait tenu compte ni de la durée de leur séjour au Luxembourg, ni de leur situation familiale et économique, ni de leur intégration sociale et culturelle au Luxembourg, ni de leur âge, ni de leur état de santé, et notamment des certificats médicaux concernant Madame …. Les demandeurs donnent à considérer qu’ils n’auraient plus quitté le pays depuis décembre 2002, c’est-à-dire depuis le dépôt de leur demande d’asile, qu’ils auraient développé des liens sociaux, amicaux et professionnels pendant leur séjour et que toute leur famille se trouverait au Luxembourg. Ils soulignent qu’ils n’auraient plus de famille au Kosovo.
Les demandeurs expliquent que plus aucun membre d’une minorité ethnique se trouverait dans leur ville d’origine Djakovica, alors que cette ville serait située à proximité de la frontière albanaise et que 90% de la population serait d’origine albanaise.
Ils soulignent encore qu’ils ne disposeraient plus d’une maison ou d’un logement au Kosovo.
Ils soutiennent que depuis leur arrivée au Luxembourg, ils n’auraient cessé de s’efforcer et d’entreprendre des démarches en vue d’une intégration effective et qu’ils n’auraient jamais enfreint les lois luxembourgeoises.
Le demandeur serait une personne tranquille, honnête, travailleuse et responsable, qui, pour des raisons indépendantes de sa volonté, n’aurait pu travailler que de façon ponctuelle, mais qui aurait finalement réussi à trouver un emploi.
Les demandeurs font également valoir qu’un grand nombre de demandeurs de protection internationale déboutés auraient été régularisés ou auraient pu bénéficier d’une autorisation de séjour. Dans ce contexte, ils font référence à un discours du ministre tenu le 18 novembre 2009 à l’occasion du 30e anniversaire de l’ASTI, lors duquel la régularisation de personnes originaires du Kosovo arrivées avant 2004 aurait été annoncée. Ils estiment devoir bénéficier d’une pareille régularisation au risque d’une violation du principe de légitime confiance et d’une discrimination à leur égard.
Le délégué du gouvernement rétorque que la démarche du ministre serait, au regard des exigences de l’article 103 de loi du 29 août 2008, parfaitement retraçable. Il soutient que les soins de santé dont Madame … aurait besoin, seraient dispensés au Kosovo et il se réfère à cet égard à l’avis du médecin délégué du service médical de l’immigration de la direction de la santé du 3 mai 2010, ayant retenu que « la pathologie neuro-psychiatrique de Mme …-
… n’est pas de nature à engager le pronostic vital » et que « le traitement de la maladie de Mme …-… peut être réalisé dans le pays d’origine », pour en conclure que « l’état de santé de Mme …-… ne nécessite pas une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour elle des conséquences d’une exceptionnelle gravité ». Le représentant étatique souligne par ailleurs que Monsieur …, âgé de près de 30 ans, ne pourrait pas être assimilé à un enfant scolarisé et que sa promesse d’embauche serait insuffisante pour obtenir un titre de séjour.
Le délégué du gouvernement ajoute encore que le fait d’avoir de la famille au Luxembourg et de ne pas avoir de domicile au Kosovo serait insuffisant pour bénéficier d’un droit de séjour au Luxembourg.
Il échet tout d’abord de constater que les décisions de refus de séjour litigieuses tombent dans le champ d’application de l’article 103 de la loi du 29 août 2008, qui dispose en son alinéa 1er que « avant de prendre une décision de refus de séjour, de retrait ou de non-renouvellement du titre de séjour ou une décision d’éloignement du territoire à l’encontre du ressortissant de pays tiers, le ministre tient compte notamment de la durée du séjour de la personne concernée sur le territoire luxembourgeois, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle dans le pays et de l’intensité de ses liens avec son pays d’origine, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique ».
Cette disposition énonce certes une obligation générale de prendre en considération un ensemble de circonstances personnelles des personnes concernées, notamment avant la prise d’une décision de refus de séjour comme en l’espèce, mais ne prévoit pas l’obligation pour le ministre de relater en détail la démarche qu’il est amené à faire au regard des éléments qu’il est tenu de vérifier suivant la disposition légale sous revue, étant entendu qu’il suffit mais qu’il faut que la démarche du ministre, compte tenu des exigences de l’article 103 précité, soit retraçable au plus tard au niveau du contrôle juridictionnel afférent à opérer.1 Compte tenu du libellé des décisions ministérielles litigieuses, ensemble les explications fournies par le délégué du gouvernement au cours de la présente instance dont il se dégage que le ministre a tenu compte de l’âge des demandeurs, et plus particulièrement de l’état de santé de la demanderesse en se référant à l’avis du médecin délégué du service médical de l’immigration de la direction de la santé du 3 mai 2010, ainsi que de la situation familiale et économique, de l’intégration sociale et culturelle des demandeurs et de l’intensité des liens avec leur pays d’origine, le tribunal est amené à retenir qu’en l’espèce et contrairement à ce qui est soutenu par les demandeurs, le ministre a pris en compte tous les éléments énumérés au prédit article 103.
Force est dès lors de constater que face à la déclaration du ministre d’avoir pris en compte les éléments prévus par l’article 103 précité et à défaut pour les demandeurs de justifier l’existence d’éléments suffisamment pertinents au regard de l’article 103 que le ministre aurait dû prendre en compte et qu’il aurait omis d’examiner, le moyen fondé sur une violation dudit article 103 est à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant aux affirmations des demandeurs fondées sur une prétendue violation du principe de légitime confiance en rapport avec le discours du ministre du 18 novembre 2009, prémentionné, il convient de rappeler qu’un administré ne peut prétendre au respect d’un droit acquis que si, au-delà de ses expectatives, justifiées ou non, l’autorité administrative a créé à son profit une situation administrative acquise et réellement reconnu ou créé un droit subjectif dans son chef. Ce n’est qu’à cette condition que peut naître dans le chef d’un administré la confiance légitime que l’administration respectera la situation par elle créée, les deux notions de droits acquis et de légitime confiance étant voisines.2 En l’espèce, force est de constater que les demandeurs ne sauraient faire état d’un droit subjectif de demeurer sur le territoire luxembourgeois alors qu’ils ont été déboutés de 1 Cour adm. 18 novembre 2010, n° 27084C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu 2 Trib. adm. 25 janvier 2010, n° 25548, confirmé sur ce point par Cour adm. du 18 mai 2010, 26683C, Pas. adm.
2010, V° Etrangers, n° 236.
leur demande de protection internationale et ont ainsi fait l’objet d’un ordre de quitter le territoire.
Les tolérances leur accordées jusqu’au 30 septembre 2010, qui étaient venues à échéance au jour où le ministre a pris les décisions de refus de séjour litigieuses, ne sont pas de nature à créer un droit subjectif dans le chef des demandeurs de demeurer sur le territoire luxembourgeois, dans la mesure où le statut de tolérance constitue une mesure provisoire, temporaire et destinée à prendre fin en même temps que les circonstances de fait empêchant le rapatriement des demandeurs.
Quant à une prétendue discrimination des demandeurs par rapport à d’autres demandeurs d’asile déboutés ayant bénéficié d’une tolérance, force est en premier lieu de constater que les demandeurs restent en défaut d’apporter un quelconque élément concret à l’appui de leurs affirmations, de sorte que le tribunal n’est pas en mesure de vérifier le bien-
fondé de ce reproche. En outre, il y a lieu de rappeler qu’un demandeur qui reste en défaut d’apporter une preuve concrète que des personnes se trouvant exactement dans la même situation de fait et de droit que lui-même ont vu régulariser leur situation au Luxembourg, ne saurait se prévaloir de la situation de ces personnes, étant donné que la régularisation constitue une faculté pour le ministre et les situations des différentes personnes régularisées sont susceptibles de diverger de manière substantielle en fait sinon en droit, de sorte que le seul fait que des personnes résidant de manière illégale sur le territoire luxembourgeois aient été autorisées à y séjourner ne saurait constituer une discrimination à l'égard des demandeurs qui se sont vu refuser ce droit.3 Il s’ensuit que le moyen fondé sur une prétendue violation du principe de légitime confiance et du principe d’égalité de traitement laisse d’être fondé en l’espèce.
Le recours est dès lors à déclarer non fondé pour autant qu’il est dirigé contre les décisions de refus de séjour attaquées.
Quant à l’ordre de quitter le territoire, les demandeurs font d’abord état d’une violation de l’article 103 de la loi du 29 août 2008 en renvoyant à leurs développements présentés à cet égard dans le cadre du refus de séjour. Le tribunal vient de retenir que le ministre a pris en compte tous les éléments énumérés audit article 103 avant de prendre les décisions de refus de séjour litigieuses, de sorte qu’il y a lieu de conclure qu’il en a fait de même avant de prononcer les ordres de quitter le territoire contenus dans les mêmes décisions. Le moyen fondé sur une prétendue violation de l’article 103 de la loi du 29 août 2008 est dès lors à rejeter par rapport aux ordres de quitter le territoire.
Les demandeurs invoquent encore une violation de l’article 130 de la loi du 29 août 2008. Ils soutiennent qu’ils auraient établi au moyen de certificats médicaux que l’état de santé de la demanderesse nécessiterait une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour elle des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qu’elle ne pourrait pas bénéficier d’un traitement approprié au Kosovo.
3 Trib. adm. 19 mai 2010, n° 25993, Pas. adm. 2010, V° Etrangers, n° 234.
Or, le prédit article 130 a trait à la matière de sursis à l’éloignement et ne saurait dès lors être invoqué en matière d’ordre de quitter le territoire, de sorte que le moyen y relatif est à rejeter pour être sans pertinence en l’espèce.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé pour autant qu’il est dirigé contre les ordres de quitter le territoire prononcés à l’égard des demandeurs.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
donne acte aux demandeurs de ce qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 27 avril 2011 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28.04.2011 Le Greffier du Tribunal administratif 7