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06/04/2011 | LUXEMBOURG | N°26978

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 avril 2011, 26978


Tribunal administratif N° 26978 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juin 2010 3e chambre Audience publique du 6 avril 2011 Recours formé par la société anonyme … S.A., … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de retenues d’impôt

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26978 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2010 par Maître Isabelle Claude, avocat à la Cour, inscrite a

u tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.A., établie ...

Tribunal administratif N° 26978 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juin 2010 3e chambre Audience publique du 6 avril 2011 Recours formé par la société anonyme … S.A., … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de retenues d’impôt

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26978 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2010 par Maître Isabelle Claude, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.A., établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision sur réclamation du directeur de l’administration des Contributions directes du 5 mars 2010 portant sur le statut de la société … S.A. en matière de fiscalité de l’épargne ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 29 octobre 2010 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Monique Adams en sa plaidoirie.

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Suite au dépôt en mars 2009 de la déclaration de la retenue d’impôt à la source libératoire sur certains intérêts produits par l’épargne mobilière de l’année 2008 par la société anonyme … S.A., ci-après désignée par « la société … », le bureau de la retenue d’impôt sur les intérêts de l’administration des Contributions directes informa ladite société par courrier du 8 juin 2009 qu’elle n’était pas à considérer comme agent payeur au sens de l’article 4, paragraphe 1 de la loi modifiée du 21 juin 2005 transposant en droit luxembourgeois la directive 2003/48/CE du 3 juin 2003 du Conseil de l’Union européenne en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiement d’intérêts.

Aux termes de cette décision, le bureau de la retenue d’impôt sur les intérêts retint plus particulièrement que les intérêts payés par cette société « ne relèvent pas du champ d’application de la fiscalité de l’épargne. Aussi, il n’y a ni lieu de procéder à une retenue à la source, ni lieu de remettre des déclarations y afférentes.

Les intérêts en question demeurent donc imposables au titre de l’article 97 de la loi concernant l’impôt sur le revenu ».

Par courrier du 8 septembre 2009, la société … fit introduire une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », à l’encontre de la décision prévisée du 8 juin 2009.

Par une décision n° … du 5 mars 2010, le directeur refusa de faire droit à la réclamation au terme de la motivation suivante :

« Vu la requête introduite en date du 8 septembre 2009 par Maître Isabelle CLAUDE, avocat à la Cour, pour réclamer au nom de la société anonyme « … S.A. », avec siège social à L-… contre « la décision du 8 juin 2009 concernant le statut de la société … S.A. (…) en matière de fiscalité de l'épargne » ;

Vu le dossier fiscal;

Vu les §§ 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO);

Considérant qu'en vertu du § 252 AO, l'autorité chargée de l'instruction des affaires contentieuses est appelée à analyser avant tout progrès en cause si le moyen a été introduit dans les forme et délai de la loi ;

Considérant que la décision litigieuse a été notifiée à la réclamante sous forme de lettre par le bureau de la retenue d'impôt sur les intérêts ;

Considérant qu'en vertu de l'article 6 numéro 3 de la loi du 23 décembre 2005 portant introduction d'une retenue à la source libératoire sur certains intérêts produits par l'épargne mobilière (loi RELIBI), l'agent payeur doit opérer la retenue d'impôt pour compte du bénéficiaire effectif lors de chaque attribution de revenus ;

qu'en vertu du numéro 4 de l'article prémentionné, l'agent payeur est obligé de déclarer l'impôt retenu au cours d'un mois au bureau de la retenue d'impôt sur les intérêts, au plus tard le dix du mois suivant en une somme globale sans désignation des bénéficiaires des revenus et qu'à la même date au plus tard, l'impôt retenu est à verser au bureau de recette Ettelbruck ;

Considérant que la retenue d'impôt libératoire sur les intérêts n'est donc en règle générale pas fixée par écrit ;

Considérant qu'à l'égard des impôts qui ne sont pas fixés par voie écrite, le § 212 AO a instauré la notion des bulletins n'empruntant pas la forme écrite (« nicht förmliche Steuerbescheide »), en définissant comme telle toute manifestation de volonté de la part d'un bureau d'imposition de revendiquer pour la première fois, de suite ou endéans un certain délai, un certain montant d'impôt de la part d'une personne déterminée ;

Considérant que le fait de la part du bureau de recette d'accepter l'impôt retenu à la source est à considérer comme « nicht förmlicher Steuerbescheid » à l'égard du débiteur des revenus ayant effectué la retenue d'impôt (cf. Olinger « La procédure contentieuse en matière d'impôts directs », chapitre 117, page 73 et Olinger « Le droit fiscal », chapitre 184, page 123) ;

qu'à l'appui de cette thèse, l'auteur se réfère à une jurisprudence allemande du Reichsfinanzhof ;

Considérant qu'en matière d'impôts directs les bulletins n'empruntant pas la forme écrite apparaissent notamment dans les domaines des retenues à la source sur les salaires, les rentes et certains types de revenus de capitaux ;

que les impositions en question s'effectuent normalement sous forme d'auto déclarations dans le chef desquelles le débiteur des revenus déclare et paye les retenues opérées endéans un certain délai, pour compte du bénéficiaire effectif des revenus ;

que les impositions se réalisent au niveau de l'administration, d'une part, par la comptabilisation (« mise au débit ») des sommes déclarées sur le compte budgétaire afférent par le bureau d'imposition et, d'autre part, par la comptabilisation au crédit y relatif du paiement par le bureau de recette ;

Considérant qu'en ce qui concerne les bulletins n'empruntant pas la forme écrite, l'acceptation du paiement par le bureau d'imposition, réalisée par la « mise au débit » du montant déclaré, peut en principe être considérée comme imposition faisant courir les délais de réclamation étant donné que le §211, alinéa 2, numéro 1 AO (instruction sur les voies de recours) ne s'applique qu'aux bulletins écrits ;

Considérant cependant que le § 232, alinéa 1er AO ne prévoit que deux cas d'ouverture du droit de réclamer contre un bulletin d'impôt ;

1. une contestation de la cote d'impôt fixée, et 2. une contestation du principe de l'assujettissement à l'impôt ;

Considérant que par la décision litigieuse, l'applicabilité de la loi précitée du 23 décembre 2005 et plus particulièrement la qualification d'agent payeur au sens de l'article 3 de ladite loi n'ont pas été affirmées dans le chef de la société demanderesse mais niées, de sorte qu'aucune retenue n'était à effectuer par la société demanderesse ;

Considérant donc que ce n'est pas le principe de l'assujettissement qui fut retenu, mais bien au contraire la négation de l'assujettissement, cette deuxième hypothèse étant exclue du champ d'application du paragraphe 232, alinéa 1 AO qui ne vise que la seule affirmation d'assujettissement (TA 24622 au 15.07.2009) ;

Considérant qu'il en découle que la réclamation contre « la décision du 8 juin 2009 concernant le statut de la société … S.A.

(…) en matière de fiscalité de l'épargne », doit être déclarée irrecevable pour défaut d'intérêt ;

PAR CES MOTIFS dit la réclamation irrecevable pour défaut d'intérêt. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2010, la société … a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision directoriale ci-avant visée du 5 mars 2010.

3 Il résulte d’une lecture combinée des dispositions du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif que le tribunal statue comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin d’impôt. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Le délégué du gouvernement invoque l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de la demanderesse.

Force est de constater que la demanderesse a introduit le présent recours contre une décision du directeur du 5 mars 2010 ayant pris position par rapport à une réclamation de sa part qui lui cause grief en ce qu’elle a déclaré sa réclamation irrecevable pour défaut d’intérêt à agir. Par voie de conséquence, il y a lieu de reconnaître à la société … l’intérêt à agir à l’encontre de cette décision directoriale.

Le moyen d’irrecevabilité du recours soulevé par le délégué du gouvernement laisse partant d’être fondé.

Le recours en réformation est dès lors recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse critique la décision directoriale ayant retenu, sur le fondement du paragraphe 232 (1) AO, un défaut d’intérêt à agir dans son chef et soutient qu’une décision de non-assujettissement, telle que celle prise par le directeur à son égard, pourrait lui causer grief lorsque les éléments servant de base à cette décision s’imposent ou sont pris en considération par d’autres administrations, que ce soit à un niveau national ou international.

Le paragraphe 232 AO dispose que : « (1) Einen Steuerbescheid kann der Steuerpflichtige nur deshalb anfechten, weil er sich durch die Höhe der festgesetzten Steuer oder dadurch beschwert fühlt, dass die Steuerpflicht bejaht worden ist ».

Il s’ensuit qu’il n’existe que deux cas de figure où un bulletin d’impôt peut être attaqué, à savoir en cas de contestation de la cote d’impôt fixée ou en cas de contestation du principe de l’assujettissement à l’impôt.

La décision du bureau de la retenue d’impôt sur les intérêts à la base de la décision directoriale déférée est motivée par le fait que l’applicabilité de la loi modifiée du 23 décembre 2005 portant notamment introduction d’une retenue à la source libératoire sur certains intérêts produits par l’épargne mobilière, et plus particulièrement la qualification d’agent payeur au sens de l’article 3 de ladite loi, n’ont pas été affirmées dans le chef de la société demanderesse mais niées, avec la conséquence qu’aucune retenue à la source n’est à effectuer par la société demanderesse. Force est dès lors de constater que les conditions énoncées au paragraphe 232 (1) AO ne sont pas remplies dans le chef de la société demanderesse. Ce n’est en effet pas le principe de l’assujettissement (Bejahung der Steuerpflicht) qui fut retenu en l’espèce à l’égard de la demanderesse, mais bien au contraire la négation de l’assujettissement, cette deuxième hypothèse étant exclue du champ d’application du paragraphe 232 (1) AO qui ne vise que la seule affirmation de l’assujettissement.

C’est dès lors à juste titre que le directeur a déclaré irrecevable la réclamation de la société demanderesse en se fondant sur le paragraphe 232 (1) AO.

Cette conclusion n’est pas énervée par les explications de la demanderesse fondées sur les conséquences fiscales qui découleraient pour ses créanciers du fait que la qualité d’agent payeur ne lui est pas reconnue, pour justifier son intérêt à attaquer la décision litigieuse du bureau de la retenue d’impôt sur les intérêts.

En effet, tel que cela a été retenu ci-dessus, le paragraphe 232 (1) AO ne prévoit que deux hypothèses où le bulletin d’impôt peut être attaqué et aucune de ces hypothèses ne se trouve remplie en l’espèce dans le chef de la demanderesse. Au-delà de ce constat, l’intérêt à agir invoqué par la société demanderesse à cet égard n’est pas un intérêt personnel et direct, mais un intérêt éventuel d’un tiers. Dès lors, les développements de la société demanderesse sollicitant un réexamen de son dossier par l’administration des Contributions qui à ce stade a expressément retenu que la société … n’est pas à considérer comme agent payeur au sens de la loi du 21 juin 2005, prémentionnée, ne sont pas de nature à établir un intérêt à agir dans le chef de la demanderesse, étant donné que les contribuables directement concernés sont les bénéficiaires des intérêts versés, c’est-à-dire les créanciers de la demanderesse, et non pas la société distributrice, c’est-à-dire la demanderesse qui, aux termes mêmes de la décision du bureau de la retenue d’impôt sur les intérêts du 8 juin 2009 et de la décision directoriale litigieuse, ne souffre aucune charge à cet égard.

La demanderesse fait encore état d’une violation de l’article 6 (1) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CEDH », dans la mesure où une interprétation restrictive du paragraphe 232 (1) AO la priverait d’un recours contre la décision déférée du directeur susceptible de lui causer tort et grief et empêcherait le juge de vérifier l’existence de son intérêt à agir.

L’article 6 (1) de la CEDH dispose que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…) ».

Indépendamment de la question de l’applicabilité de l’article 6 de la CEDH en la présente matière, il convient de relever que la demanderesse a pu exercer un recours contre la décision directoriale litigieuse, recours qui vient d’être déclaré recevable, de sorte que le moyen fondé sur une prétendue violation de l’article 6 (1) de la CEDH est dénué de pertinence et est dès lors à rejeter.

La demanderesse sollicite, à titre tout à fait subsidiaire, qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour constitutionnelle quant à la conformité du paragraphe 232 AO aux articles 11, alinéas (2) et (3), et 13 de la Constitution.

L’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle dispose que :

« Lorsqu’une partie soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution devant une juridiction de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif, celle-ci est tenue de saisir la Cour Constitutionnelle.

Une juridiction est dispensée de saisir la Cour Constitutionnelle lorsqu’elle estime que :

a) une décision sur la question soulevée n’est pas nécessaire pour rendre son jugement ;

b) la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement ;

c) la Cour Constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet (…) ».

Avant même que le tribunal puisse examiner au regard de l’article 6, précité, s’il est dans l’obligation de poser une question préjudicielle à la Cour Constitutionnelle ou si la question préjudicielle proposée est telle qu’il est dispensé de la formuler, il faut que la question soit formulée avec suffisamment de précision.

Or, en l’espèce, force est au tribunal de constater que la question préjudicielle proposée par la demanderesse est dénuée de toute précision. En effet, la demanderesse se limite à solliciter qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour Constitutionnelle sans soutenir cette demande par une quelconque explication en quoi le paragraphe 232 (1) AO ne serait pas conforme aux articles 11, alinéas (2) et (3), et 13 de la Constitution, de sorte qu’elle est à écarter comme n’étant pas suffisamment précise.

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision du directeur du 5 mars 2010 en ce qu’il a déclaré irrecevable la réclamation de la demanderesse pour défaut d’intérêt à agir est à confirmer, de sorte que le recours sous analyse est à déclarer non fondé, sans qu’il y ait lieu de statuer par rapport aux autres moyens et arguments développés par la partie demanderesse et tenant au fond du litige.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation ;

condamne la partie demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 6 avril 2011 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 08.04.2011 Le Greffier du Tribunal administratif 7


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 26978
Date de la décision : 06/04/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2011-04-06;26978 ?

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