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30/03/2011 | LUXEMBOURG | N°27254

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 mars 2011, 27254


Tribunal administratif N° 27254 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 août 2010 3e chambre Audience publique du 30 mars 2011 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27254 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 août 2010 par Maître Laetitia Chaniol, avocat à la Cour, inscrite au tableau de lâ

€™Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Zimbabwe), de nationalité ...

Tribunal administratif N° 27254 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 août 2010 3e chambre Audience publique du 30 mars 2011 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27254 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 août 2010 par Maître Laetitia Chaniol, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Zimbabwe), de nationalité zimbabwéenne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du 27 mai 2010 du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2010 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2011 par Maître Laetitia Chaniol au nom de Madame … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Laetitia Servais, en remplacement de Maître Laetitia Chaniol, et Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en leurs plaidoiries respectives.

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Par un courrier de la Croix-Rouge Luxembourgeoise du 19 novembre 2009, Madame … introduisit au Luxembourg une demande en vue de l’obtention d’une autorisation de séjour pour raisons privées, en faisant état de ce qu’elle serait atteinte du virus VIH et en soutenant qu’elle ne pourrait pas obtenir les médicaments adéquats dans son village d’origine au Zimbabwe. Elle précisa dans sa demande qu’elle était entrée au Luxembourg grâce à un visa Schengen. Elle souligna encore qu’elle serait hébergée par des amis et qu’elle serait affiliée à une caisse de maladie.

Par un avis du 6 avril 2010, le médecin délégué du Service Médical de l’Immigration, désigné ci-après par « le médecin délégué », constata que l’état de santé de Madame … nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour elle des conséquences d’une exceptionnelle gravité et proposa ainsi de la faire bénéficier d’un sursis à l’éloignement.

Le 27 mai 2010, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », prit la décision suivante :

« En mains le courrier qui m'a été adressé par Madame … en date du 19 novembre 2009 dans lequel vous sollicitez l'obtention d'une autorisation de séjour pour raisons privées.

Je regrette de vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à cette requête. En effet, vous ne remplissez pas les conditions fixées à l'article 78, paragraphe (1), point d) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.

À titre subsidiaire, vous ne remplissez pas les conditions exigées pour entrer dans le bénéfice d'une des catégories d'autorisation de séjour prévues par l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

Par conséquent et après vérification expresse des éléments prévus à l'article 103 de la loi du 29 août 2008 précitée, le séjour vous est refusé sur base de l'article 100 de la loi, alors que vous vous maintenez sur le territoire au-delà de la durée de validité de votre visa et sans être en possession d'une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois.

(…) Néanmoins conformément aux articles 130 à 132 de la loi du 29 août 2008 précitée et suivant avis du 6 avril 2010 du médecin délégué du Service Médical de l'Immigration de la Direction de la Santé, un sursis à l'éloignement vous est accordé jusqu'au 6 octobre 2010, renouvelable pour six mois.

Je tiens à attirer votre attention sur le fait que ce sursis est uniquement prorogeable après demande dûment motivée et sur nouvel avis positif du médecin-délégué sans pouvoir dépasser la durée de deux ans au total. Le sursis à l'éloignement vous permet de demeurer sur le territoire, sans pourtant y être autorisée à séjourner (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 août 2010, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du 27 mai 2010.

Dans la mesure où ni la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 », ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière d’autorisations de séjour, respectivement en matière de décisions de refus de séjour, seul un recours en annulation a pu être valablement introduit contre la décision ministérielle déférée.

Le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de la demanderesse, au motif qu’elle aurait bénéficierait actuellement d’un sursis à l’éloignement jusqu’au 12 mai 2011.

Or, même si la demanderesse s’est vu accorder un sursis à l’éloignement suite à la décision de refus de séjour prise par le ministre, elle est en droit de voir contrôler la légalité du refus d’une autorisation de séjour et de la décision de refus de séjour subséquente prise sur base de l’article 100 de la loi du 29 août 2008, dans la mesure où une autorisation de séjour lui confère plus de droits qu’un sursis à l’éloignement qui est forcément plus précaire. Le moyen d’irrecevabilité est partant à rejeter pour ne pas être fondé.

Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle serait entrée au Luxembourg en septembre 2008 moyennant un visa Schengen. Elle aurait travaillé chez un couple d’amis au Botswana qui lui auraient permis de voyager en Europe grâce à un visa touristique. Au Luxembourg, les médecins auraient diagnostiqué le virus d’immunodéficience humaine (VIH), stade C3. Depuis lors, elle suivrait un traitement antirétroviral régulier au Luxembourg. Elle souligne que dans son pays d’origine elle aurait vécu dans un milieu rural dans lequel l’accès aux soins serait très difficile.

En droit, la demanderesse invoque en premier lieu, en se fondant sur l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », et sur l’article 109 de la loi du 29 août 2008, un défaut de motivation de la décision attaquée, de sorte que non seulement elle-même, mais aussi le tribunal ne pourrait pas vérifier la légalité de la décision litigieuse. Le ministre n’aurait ainsi pas indiqué pour quel motif elle ne remplirait pas les conditions de l’article 78 (1) d) de la loi du 29 août 2008, alors qu’elle estime pourtant en remplir toutes les conditions. Elle soutient encore qu’elle tomberait dans le champ d’application de l’article 91 de la loi du 29 août 2008 et reproche au ministre de ne pas avoir indiqué pour quelle raison elle n’y répondrait pas. Elle reproche enfin au ministre de ne pas avoir indiqué pour quelle raison elle ne tomberait dans aucune des autres catégories d’autorisations de séjour prévues à l’article 38 de la loi du 29 août 2008.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

C’est à juste titre que le délégué du gouvernement fait valoir que la sanction d’un défaut de motivation ne consiste pas dans l’annulation de la décision. En effet, si sur le fondement de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux, et que certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours. La décision reste valable et l’administration peut produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif (Cour adm. 20 octobre 2009, n° 25738C du rôle, Pas. adm. 2010, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 73).

Or, indépendamment de la question de savoir si la formulation employée par le ministre est suffisamment précise, force est de constater que le délégué du gouvernement a à suffisance de droit complété la motivation au cours de la présente instance. Il a plus particulièrement expliqué que le seul fait d’être atteint du virus VIH ne constituerait pas un motif humanitaire d’une exceptionnelle gravité au sens de l’article 78 (1) d) de la loi du 29 août 2008. Il a encore fait valoir que la demanderesse ne remplirait pas les conditions de l’article 91 de la loi du 29 août 2008, dans la mesure où elle n’aurait apporté aucune des pièces requises par l’article 90 de la même loi. Il souligne ensuite que la demanderesse ne rentrerait dans aucune des catégories prévues à l’article 38 de la loi du 29 août 2008, dans la mesure où elle ne disposerait d’aucun contrat de travail, et elle n’exercerait pas d’activité indépendante ou sportive. Elle ne fréquenterait pas non plus un établissement d’enseignement supérieur, ni ne serait-elle à considérer comme chercheur. Elle ne serait pas membre de famille, ni ne remplirait-elle les conditions pour l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons privées. Ainsi, elle ne justifierait pas pouvoir vivre de ses seules ressources, elle ne ferait pas état de liens personnels ou familiaux tels qu’un refus d’une autorisation de séjour porterait une atteinte disproportionnée à sa vie privée. Elle ne pourrait pas se prévaloir de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité et ne disposerait pas d’une autorisation de séjour de résident de longue durée.

Ces explications suffisent quant aux exigences posées par l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, respectivement par l’article 109 de la loi du 29 août 2008, de sorte que le moyen fondé sur un défaut d’indication des motifs est à rejeter pour ne pas être fondé.

La demanderesse invoque ensuite une violation de l’article 103 de la loi du 29 août 2008 en ce que le ministre n’aurait pas procédé à l’examen de tous les éléments repris audit article. Le ministre n’aurait ainsi pas tenu compte de la durée de son séjour au Luxembourg depuis le mois de septembre 2008, ni de son âge en ce qu’elle serait âgée de 33 ans, qu’elle serait atteinte d’une maladie grave à un très jeune âge, ni de son état de santé, en ce sens que le ministre s’il en avait tenu compte, aurait dû conclure qu’il exige le maintien d’un traitement médical tel que cela résulterait de l’avis du médecin délégué suivant lequel son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour elle des conséquences d’une exceptionnelle gravité. Elle soutient que le fait de lui refuser le séjour reviendrait à la priver d’un traitement médical approprié. A ce titre, elle donne des explications sur la situation sanitaire dans son pays d’origine. Le ministre n’aurait pas non plus tenu compte de sa situation familiale et économique, en ce sens qu’elle serait hébergée par une personne ayant signé une déclaration de prise en charge, ni de son intégration sociale et culturelle au Luxembourg, en ce qu’elle y résiderait depuis septembre 2008 et aurait noué des liens avec un couple qui l’aurait prise en charge.

Le délégué soutient que le ministre aurait procédé à la vérification des éléments prévus à l’article 103 de la loi du 29 août 2008 et conclut dès lors au rejet du moyen.

La décision litigieuse, en ce qu’elle renferme un refus de séjour sur le fondement de l’article 100 de la loi du 29 août 2008, tombe dans le champ d’application de l’article 103 de la même loi.

L’article 103 de la loi du 29 août 2008 dispose en son alinéa 1er qu’« avant de prendre une décision de refus de séjour, de retrait ou de non-renouvellement du titre de séjour ou une décision d’éloignement du territoire à l’encontre du ressortissant de pays tiers, le ministre tient compte notamment de la durée du séjour de la personne concernée sur le territoire luxembourgeois, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle dans le pays et de l’intensité de ses liens avec son pays d’origine, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique ».

Une décision de refus de séjour n’est pas automatique en ce qu’il incombe au ministre, avant de prendre une telle décision, de vérifier dans chaque cas précis la situation personnelle de l’intéressé en tenant compte d’un certain nombre d’éléments tels qu’énumérés à l’article 103 susvisé, tenant plus particulièrement à sa situation personnelle, familiale et sociale, ainsi qu’à son degré d’intégration dans le pays d’accueil et à l’intensité de ses liens avec son pays d’origine, hormis l’hypothèse où la présence de l’intéressé constitue une menace pour l’ordre ou la sécurité publique, hypothèse non vérifiée en l’espèce. S’il est vrai que l’article 103 ne prévoit pas l’obligation pour le ministre de relater en détail la démarche qu’il est amené à faire au regard des éléments qu’il est tenu de vérifier suivant l’article 103 précité, la démarche du ministre, afin de satisfaire aux exigences telles que figurant à l’article 103 en question, doit pour le moins être retraçable au plus tard au niveau du contrôle juridictionnel à opérer.

S’il est vrai que dans son courrier du 27 mai 2010, le ministre s’est borné à mentionner avoir vérifié expressément les éléments prévus à l’article 103, de sorte qu’il ne se dégage pas de la seule lecture de ladite décision quels sont les éléments que le ministre a pris en compte, à l’exception de l’état de santé qui a forcément été pris en considération puisque le ministre a accordé un sursis à l’éloignement dans la même décision sur base de l’état de santé de la demanderesse, il n’en reste pas moins que durant la présente instance, le délégué du gouvernement a fourni les éléments nécessaires pour permettre au tribunal de contrôler si les exigences de l’article 103 ont été respectées. Plus particulièrement, le délégué du gouvernement souligne, en reprenant chacun des éléments énoncés à l’article 103, précité, qu’après l’examen de ceux-ci, le ministre est arrivé à la conclusion qu’il n’existait aucun élément de nature à l’empêcher de prendre une décision de refus de séjour à l’égard de la demanderesse. Force est encore de constater que la demanderesse reste en défaut de justifier quel élément pertinent le ministre aurait omis de prendre en compte.

Dans ce contexte, il convient encore de relever que l’article 103 de la loi du 29 août 2008 pose uniquement une condition procédurale, en ce sens que le ministre est obligé, avant de prendre une décision relevant de l’une des catégories y visées, d’examiner un certain nombre d’éléments, mais n’instaure pas une règle de fond en ce sens que le refus par le ministre de retenir le caractère pertinent d’un de ces éléments entraînerait une violation de l’article 103. Cette question relève de l’examen au fond de la décision litigieuse, de sorte que les explications de la demanderesse quant au bien-fondé des éléments que le ministre aurait dû prendre au compte sont dénués de pertinence dans le cadre de l’examen de la question du respect par le ministre de l’article 103, précité.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le moyen fondé sur une violation de l’article 103 de la loi du 29 août 2008 est à rejeter pour ne pas être fondé.

En troisième lieu, la demanderesse invoque une violation de l’article 3 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en ce que le ministre aurait dû faire application d’office des articles 90 et 91 de la loi du 29 août 2008, étant donné qu’elle aurait commencé un traitement antirétroviral régulier au Luxembourg et que son état de santé nécessiterait un traitement et un suivi régulier.

Le délégué du gouvernement soutient que l’article 91, précité, ne serait pas applicable et que la demanderesse n’apporterait aucun des éléments de preuve exigés à l’article 90 de la loi du 29 août 2008.

Au vœu de l’article 3 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, l’administration est tenue d’appliquer d’office le droit applicable à l’affaire dont elle est saisie.

Aux termes de l’article 91 de la loi du 29 août 2008, « Par application de l'article 38, le ministre, sur avis motivé du médecin délégué visé à l'article 28, peut accorder une autorisation de séjour pour raisons médicales au ressortissant de pays tiers qui remplit les conditions définies à l'article 90. Le ressortissant de pays tiers qui satisfait à ces conditions se voit délivrer un titre de séjour avec la mention «vie privée», valable pour la durée du traitement médical, sinon pour une durée maximale d'un an, renouvelable le cas échéant, sur demande, après réexamen de sa situation et tant qu'il continue à remplir les conditions définies à l'article 90. » L’article 90 de la même loi définit les conditions auxquelles est soumise une autorisation de séjour sur le fondement de l’article 91 comme suit :

« (1) Sous réserve des conditions fixées à l'article 34, paragraphes (1) et (2), le ressortissant de pays tiers qui se propose de séjourner sur le territoire pour une période allant jusqu'à trois mois, afin de se soumettre à un traitement médical, doit produire les pièces suivantes:

a) des certificats médicaux attestant de la nécessité de se soumettre à traitement médical avec spécification du genre de traitement et indication de sa durée prévisible;

b) une attestation des autorités médicales du pays de provenance indiquant que le malade ne peut pas recevoir sur place les soins appropriés à son état, et en particulier le traitement médical préconisé;

c) un accord écrit de l'établissement de santé pour l'admission du malade à une date donnée, signé du chef du service qui doit accueillir le malade;

d) un devis prévisionnel des frais du traitement médical établi par l'établissement accueillant le malade et la preuve que le financement du traitement médical et des frais de séjour sont garantis.

(2) La preuve visée au point d) du paragraphe (1) qui précède, peut être rapportée par la production d'une attestation d'une prise en charge ou d'une garantie bancaire du montant du devis prévisionnel des frais de traitement et de séjour ».

Le tribunal est amené à retenir que la demanderesse ne remplit pas les conditions des articles 90 et 91, précités, étant donné qu’elle ne fournit pas toutes les pièces mentionnées à l’article 90 de la loi du 29 août 2008. Plus particulièrement, elle n’a pas fourni une attestation des autorités médicales de son pays de provenance indiquant qu’elle ne peut pas recevoir sur place les soins appropriés à son état de santé et, en particulier, le traitement préconisé. La demanderesse reconnaît d’ailleurs le défaut d’une telle pièce, qu’elle essaie en vain de remplacer par l’avis du médecin délégué. Elle n’a pas non plus fourni un devis prévisionnel des frais du traitement médical établi par l’établissement l’accueillant. Ce devis ne saurait être remplacé par l’engagement de prise en charge figurant au dossier, étant donné que si l’article 90 (2) de la loi du 29 août 2008 permet de fournir une attestation de prise en charge au lieu de la preuve du financement du traitement médical, il ne permet pas de remplacer le devis requis par un tel engagement de prise en charge. Au-delà du constat que la demanderesse ne fournit pas les pièces requises en vertu de l’article 90, précité, force est de constater que l’objectif de l’article 91 de la loi du 29 août 2008 est de permettre à une personne de séjourner au Luxembourg pour la durée de son traitement sous le couvert d’une autorisation de séjour qui dans une première phase n’est accordée que pour une durée maximale d’un an. Or, au regard du libellé de la demande d’autorisation de séjour introduite par la demanderesse, si elle s’est certes référée à un traitement antirétroviral qu’elle suivrait au Luxembourg, l’objectif de la demanderesse est de séjourner pour une durée illimitée au Luxembourg. Dans ces conditions, la demanderesse ne saurait reprocher au ministre de ne pas avoir examiné d’office l’applicabilité de l’article 91 de la loi du 29 août 2008 dont les conditions n’étaient manifestement pas remplies, tant au regard des pièces fournies par la demanderesse qu’au regard de l’objectif déclaré de son séjour.

Il s’ensuit que le moyen fondé sur une violation de l’article 3 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 est à rejeter pour ne pas être fondé.

Même si la demanderesse n’a pas soulevé des moyens propres quant au fond, il convient cependant de relever que son argumentation invoquée par rapport aux moyens fondés sur un défaut d’indication des motifs et sur une violation de l’article 103 de la loi du 29 août 2008 a trait également au fond, de sorte qu’il convient d’examiner la légalité quant au fond de la décision litigieuse par rapport aux explications afférentes de la demanderesse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 91 de la loi du 29 août 2008 invoqué par la demanderesse n’est pas applicable en l’espèce, tel que cela vient d’être retenu par le tribunal, de sorte que l’argumentation de la demanderesse fondée sur cette disposition est à rejeter comme étant non fondée.

La demanderesse soutient encore qu’elle remplirait les conditions de l’article 78 (1) d) de la loi du 29 août 2008, en faisant valoir qu’elle ne constituerait aucune menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques. Elle disposerait d’une couverture sociale, elle aurait un logement approprié et, enfin, elle pourrait faire valoir des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité. Par rapport à ce dernier élément, elle invoque les travaux parlementaires à la base de la loi du 29 août 2008. Elle souligne que son état de santé devrait être pris en compte en l’espèce et renvoie à ce titre à l’avis du médecin délégué retenant que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour elle des conséquences d’une exceptionnelle gravité. Elle soutient que le refus de séjour la priverait d’un traitement médical approprié en ce sens qu’elle serait contrainte de retourner dans son village natal au Zimbabwe qui serait situé dans une zone rurale à 41 km de la capitale. Elle soutient que les infrastructures de soins au Zimbabwe seraient insuffisantes pour garantir la prise en charge de son état de santé. A cet égard, elle souligne que son pays d’origine afficherait le taux de séropositivité de la population le plus haut, impliquant une espérance de vie moyenne pour les femmes de 35 ans, d’après une étude de l’Organisation mondiale de la santé.

Le délégué du gouvernement réplique que le seul fait d’être atteint du virus VIH ne constituerait pas un motif humanitaire d’une exceptionnelle gravité au sens de l’article 78 (1) d) de la loi du 29 août 2008. Il soutient qu’eu égard aux éléments de fait du dossier, seules les dispositions des articles 130 et 132 de la loi du 29 août 2008 seraient applicables. Il souligne que l’intention du législateur serait celle de ne pas attribuer directement et d’office une autorisation de séjour à chaque personne malade se présentant sans aucune autre attache sur le territoire luxembourgeois, mais son intention serait de faire bénéficier ces personnes d’un sursis à l’éloignement en vertu des articles 130 et suivants précités afin d’évaluer leur situation après le traitement dont elles ont bénéficié pendant la période durant laquelle le sursis à l’éloignement leur a été accordé.

L’article 78 (1) d) de la loi du 29 août 2008 dispose qu’ « à condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques et qu’ils disposent de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées : (…) e) au ressortissant de pays tiers qui fait valoir des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité ».

Il se dégage de cette disposition que le ministre a la faculté d’accorder une autorisation de séjour au ressortissant de pays tiers qui justifie de l’existence de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité dans son chef.

Il convient encore de rappeler qu’en la présente matière, le tribunal statue comme juge de l’annulation. Or, si le contrôle juridictionnel propre à un recours en annulation ne saurait en principe aboutir à priver l’autorité administrative de son pouvoir d’appréciation, il n’en reste pas moins que, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, comme en l’espèce, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner si la mesure prise n’est pas manifestement disproportionnée par rapport aux faits établis, en ce sens que cette disproportion laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité.

Il y a de prime abord lieu de relever que ni l’âge de la demanderesse, ni sa situation familiale ou économique ne sont tels qu’ils constitueraient des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité. D’autre part, la durée de son séjour et les liens qu’elle a noués, le cas échéant, au Luxembourg ne peuvent pas être considérés comme étant d’une intensité telle, eu égard à la courte durée de son séjour sur le territoire luxembourgeois depuis au plus tôt septembre 2008, soit environ un an et demi au jour de la décision litigieuse, qu’ils soient à qualifier de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité.

Quant à l’état de santé de la demanderesse, il est certes vrai que celle-ci est atteinte du virus VIH stade C3, tel que cela se dégage d’un certificat médical du 16 novembre 2009 du Dr. … et que suivant un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé de 2006, qui distingue entre quatre stades de l’infection, le stade C3 est à considérer comme un stade avancé. Il ressort certes encore des éléments du dossier que la demanderesse a bénéficié d’une décision de sursis à l’éloignement au sens de l’article 130 de la loi du 29 août 2008 et que cette décision a été prolongée jusqu’au 12 mai 2011 et que, dans ce contexte, il a été retenu par le médecin délégué que l’état de santé de la demanderesse nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour elle des conséquences d’une exceptionnelle gravité.

Force est cependant de constater que l’argumentation de la demanderesse reposant sur le fait qu’un sursis à l’éloignement lui a été accordé en ce qu’elle soutient en substance que l’avis précité du médecin délégué permettrait de démontrer qu’elle remplit les conditions de l’article 78 (1) d) de la loi du 29 août 2008 n’est pas de nature à entraîner l’annulation de la décision litigieuse. En effet, l’avis du médecin délégué à lui seul n’emporte pas la preuve de l’existence de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité justifiant une autorisation de séjour au sens de l’article 78 (1) d) de la loi du 29 août 2008, dans la mesure où le médecin délégué a examiné le dossier dans l’optique d’un sursis à l’éloignement. Or, un tel examen emporte nécessairement une analyse à court terme dépendant de l’évolution de l’état de santé de l’intéressé qui, le cas échéant, pourra évoluer dans un sens favorable ou vers une stabilisation, étant précisé qu’aux termes de l’articles 131 de la loi du 29 août 2008, le sursis à l’éloignement est accordé pour une durée limitée en fonction de l’évolution de la maladie respectivement des possibilités de traitement dans le pays d’origine, soit pour une durée maximale de six mois, renouvelable, mais sans pouvoir dépasser la durée de deux ans. Dès lors, le seul fait que dans le cadre d’un sursis à l’éloignement l’existence d’une maladie qui nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait des conséquences d’une exceptionnelle gravité a été reconnue ne permet pas de conclure ipso facto à l’existence de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité au sens de l’article 78 (1) d) de la loi du 29 août 2008 justifiant l’octroi d’une autorisation de séjour. Un tel automatisme reviendrait d’ailleurs à vider de leur substance les dispositions respectives du sursis à l’éloignement et de l’autorisation de séjour pour motifs humanitaires.

Si l’état de santé peut être considéré comme un motif humanitaire d’une exceptionnelle gravité au sens de l’article 78 (1) d) de la loi du 29 août 2008, le tribunal est cependant amené à retenir qu’en l’espèce, il ne dispose pas de suffisamment d’éléments, au-

delà du renvoi à l’avis du médecin délégué, permettant de retenir que l’état de santé de la demanderesse est constitutif d’un tel motif humanitaire d’une exceptionnelle gravité. Si la gravité de l’état de santé de la demanderesse ne peut pas être niée, la demanderesse reste cependant en défaut, au regard des contestations de la partie étatique, de lui soumettre des documents actuels permettant de retenir qu’au stade actuel elle ne pourrait recevoir à long terme aucun traitement approprié dans son pays d’origine une fois que son état est stabilisé.

En effet, la demanderesse verse certes un rapport du « National Aids Council » réalisé en partenariat avec les Nations Unies dont il se dégage que seulement 7 % de la population du Zimbabwe bénéficient d’un traitement antirétroviral. Force est cependant de constater que ce rapport retrace la situation existante en 2006 et contient par ailleurs une perspective favorable pour l’avenir en ce qu’il annonce des objectifs à atteindre jusqu’en 2010, soit un taux de couverture des traitements de 75 % pour les adultes et 100% pour les enfants. Or, il ne se dégage d’aucun élément du dossier quelle est la situation actuelle sur les possibilités de traitement au Zimbabwe. La demanderesse admet cependant qu’une aide médicale est au moins accessible dans la capitale du Zimbabwe. La seule circonstance avancée par elle qu’elle habiterait à 41 km de la capitale n’est pas de nature à conclure que dans son pays d’origine elle ne puisse pas obtenir un traitement de sa maladie.

Le tribunal est ainsi amené à retenir qu’en refusant à la demanderesse une autorisation de séjour sur le fondement de l’article 78 (1) d) de la loi du 29 août 2008, tout en lui accordant un sursis à l’éloignement, le ministre a pris en compte les circonstances de la cause et plus particulièrement l’état de santé de la demanderesse à sa juste mesure, sans que le tribunal puisse déceler l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation commise par le ministre.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens susceptibles d’énerver le constat fait par le ministre que la demanderesse ne remplit pas les conditions de l’article 78 (1) d) de la loi du 29 août 2008 pour pouvoir prétendre à l’octroi d’une autorisation de séjour, que le recours sous examen doit être rejeté pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

donne acte à la demanderesse qu’elle déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 30 mars 2011 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30.03.2011 Le Greffier du Tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 27254
Date de la décision : 30/03/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2011-03-30;27254 ?

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