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28/03/2011 | LUXEMBOURG | N°26906

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 mars 2011, 26906


Tribunal administratif N° 26906 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 mai 2010 1re chambre Audience publique du 28 mars 2011 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Environnement en matière de protection de la nature

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26906 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 mai 2010 par Maître Lex THIELEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sino

n à l’annulation d’une décision de refus implicite du ministre de l’Environnement relati...

Tribunal administratif N° 26906 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 mai 2010 1re chambre Audience publique du 28 mars 2011 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Environnement en matière de protection de la nature

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26906 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 mai 2010 par Maître Lex THIELEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision de refus implicite du ministre de l’Environnement relative à une demande de rénovation de sa maison sise sur le fonds inscrit au cadastre de la commune de MERSCH, section D de BERINGEN au lieu-dit « …» ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé en date du 12 octobe2010 au greffe du tribunal administratif ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 28 octobre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Lex THIELEN au nom du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé en date du 29 novembre 2010 au greffe du tribunal administratif ;

Vu les pièces versées au dossier ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nicole MARQUES LIMA, en remplacement de Maître Lex THIELEN et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 mars 2011.

___________________________________________________________________________

Monsieur … est propriétaire d’un terrain inscrit au cadastre de la commune de Mersch, section D de Beringen, sous le numéro … au lieu-dit « … ».

Le 19 mars 2008 Monsieur … fit adresser par l’intermédiaire du cabinet d’architectes … Sàrl une demande au ministre de l’Environnement en vue d’obtenir l’accord de principe relatif à la transformation de sa maison sise à Beringen, projet comprenant, outre l’installation d'une chaudière à condensation fonctionnant aux pellets de bois et le réaménagement des espaces et volumes internes, un agrandissement du volume bâti actuel de plus de 33 % résultant notamment d’un léger rehaussement des toitures.

Le ministre de l’Environnement opposa à ladite demande un refus en date du 19 novembre 2008, refus libellé comme suit :

« Monsieur, En réponse à votre requête du 20 mars 2008 par laquelle vous sollicitez l'autorisation pour la transformation d'une maison sise sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de MERSCH, section D de BERINGEN au lieu-dit « … » sous le numéro … , j'ai le regret de vous informer que la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles ne m'habilite pas à réserver une suite favorable au dossier.

En premier lieu, il convient de relever que la construction existante a été construite sans autorisation ministérielle. Conformément à la jurisprudence en la matière, seules peuvent être qualifiées de « constructions légalement existantes » celles dûment couvertes par une autorisation ministérielle valable au titre de la législation en vigueur au moment de la construction.

La maison a été érigée suite à une autorisation communale du 24 mai 1964.

Toutefois, les conditions de l'autorisation communale n'ont pas été respectées : « Par la présente je vous autorise à construire une maison d'habitation à Beringen au lieu-dit «… » … de la section D sous condition de présenter un plan définitif de la construction avant la mise en chantier et sous réserve qu'aucune autre construction ne sera érigée sur l'îlot que formera votre propriété ».

Effectivement, la maison a été construite sans plan définitif, elle a été agrandie maintes fois au cours des années et une nouvelle construction a été érigée sans autorisation.

Or, le fonds destiné à recevoir la maison d'habitation fait partie de la zone verte au sens des dispositions de l'article 5 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles. En vertu de ces dispositions, seules peuvent y être autorisées des constructions ayant un caractère agricole ou similaire.

Je suis au regret de vous informer que la législation actuellement en vigueur ne permet pas de réserver les suites voulues à votre demande.

Finalement, la bâtisse est située dans une forêt qui représente un paysage intact d'une grande étendue d'un seul tenant. Votre projet porterait un très grave préjudice à la beauté et à l'intégrité du site et serait dès lors contraire aux objectifs énoncés à l'article 1er de la loi précitée.

La présente décision est susceptible d'un recours en réformation devant le tribunal administratif, recours qui doit être intenté dans les trois mois de la notification par requête signée d'un avocat (…) ».

Par courrier du 19 décembre 2008, Monsieur … fit introduire par l’'intermédiaire de son mandataire un recours gracieux, ainsi qualifié, auprès du ministre de l’Environnement, par lequel, en substance, il renonça explicitement aux travaux de transformation externe de sa maison tels que sollicités dans la demande initiale du 19 mars 2008 et abandonna toute volonté d’augmentation des volumes, tout en maintenant sa demande de rénovation de la toiture, de la façade et des châssis de sa maison.

Le ministre n’ayant pas répondu au prédit courrier du 19 décembre 2008 endéans un délai de trois mois, Monsieur … fit déposer en date du 22 juin 2009 un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision de refus initiale du ministre de l’Environnement du 19 novembre 2008.

Par jugement du 3 mai 2010, n° 25841 du rôle, le tribunal administratif se déclara compétent pour connaître du recours principal en réformation, le déclara cependant irrecevable pour cause de tardiveté, tout en se déclarant incompétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation. Le tribunal, pour parvenir à cette conclusion, retint dans ce jugement que l’autorisation sollicitée initialement portait clairement sur un projet de transformation par reconstruction majeure, tandis que le recours gracieux, ainsi qualifié, tendait en fait à la rénovation de la bâtisse existante, de sorte que, en tant que nouvelle demande, ce « recours gracieux » n’avait pas valablement interrompu le délai de recours contentieux par rapport à la décision de refus initiale.

Par requête introduite le 12 mai 2010, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision implicite de rejet du ministre de l’Environnement, décision résultant, conformément à l’article 4, alinéa 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, du silence gardé par rapport à la demande de Monsieur … du 19 décembre 2008 tendant à se voir autoriser à rénover la maison en question.

Monsieur … expose à l’appui de son recours que sa demande du 19 décembre 2008 vise à obtenir l’autorisation de rénover sa maison, à savoir de réaliser l’entretien et les réparations nécessaires sur le bâtiment construit afin d’en assurer la viabilité. Dans ce contexte, il explique que la remise en état de la construction existante répondrait à des considérations d’ordre écologique, dans la mesure où les travaux envisagés permettraient tant d’optimiser les performances énergétiques de la maison que d’harmoniser sur un plan esthétique la construction avec la nature environnante ; en ce qui concerne plus particulièrement l’optimisation des performances énergétiques de la maison, il précise que celle-ci exigerait la pose de 6 panneaux solaires, la rénovation de la toiture et le remplacement du matériau initial par de l’ardoise véritable, l’isolation de la toiture et des façades à l’aide de laine de roche, le remplacement des planches en bois vétustes sur la façade par du bois neuf, le remplacement des portes et fenêtres actuelles en PVC par des portes et fenêtres en bois, et, finalement, l’installation d’un système de chauffage de la maison au bois.

Il relève encore que le remplacement des huisseries actuelles en PVC par des huisseries en bois, respectivement de matériaux non naturels par des matériaux naturels, permettrait d’harmoniser la construction existante avec la nature environnante.

Il conclut enfin à ce qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne s’opposerait à une telle rénovation, alors même que la maison serait située en zone verte et répondrait à la qualification de « construction existante ».

La partie étatique, pour sa part, après avoir rappelé les antécédents du présent recours, souligne que Monsieur …, malgré le refus explicite lui adressé par le ministre de l’Environnement en date du 19 novembre 2008 et le refus implicite lui opposé ensuite, aurait réalisé une maison de 250 m2, qui serait achevée à ce jour.

Elle expose encore que tant les conditions imposées par l’autorisation communale du 24 mai 1964 que celles imposées par l'autorisation du ministre de l'Intérieur du 6 juillet 1970 n'auraient pas été respectées et que les autorisations afférentes seraient dès lors caduques, de sorte qu’à défaut d’autorisation, il ne s’agirait dans le présent cas pas de l’hypothèse d’une reconstruction, mais d’une construction nouvelle en zone verte, à l’encontre de laquelle le ministre maintiendrait ses motifs de refus tels qu’énoncés par rapport à la première demande de Monsieur ….

A titre subsidiaire, si le tribunal devait par impossible admettre qu’il ne s’agirait pas d’une construction nouvelle, l’Etat fait plaider que les travaux entrepris par Monsieur … dépasseraient de loin ceux d’une simple rénovation.

Enfin, il souligne que la bâtisse projetée se situerait en haut d’une colline exposée à la vue lointaine, et ce d’autant plus que Monsieur … aurait procédé sans autorisation à l’abattage d’un certain nombre d’arbres afin de mieux apprécier la vue sur la vallée, de sorte que la bâtisse serait de nature à porter préjudice à la beauté et au caractère du paysage.

Monsieur … réitère dans le cadre de son mémoire en réplique ses moyens, consistant à soutenir que l’immeuble litigieux ne comporterait ni la réalisation d’une construction nouvelle en zone verte, ni des travaux d'agrandissement ou de reconstruction de la bâtisse, mais que sa demande ne viserait que la simple rénovation d’une « construction existante », de sorte que les travaux litigieux ne tomberaient pas sous le coup de l'interdiction visée à l’article 5, alinéa 3 de la loi modifiée du 19 janvier 2004.

Quant à l’argument lui opposé d’un préjudice à la beauté et à l’intégrité du site, il estime que la partie étatique resterait en défaut de démontrer concrètement en quoi la rénovation demandée comporterait des nuisances pour l’environnement naturel du site, Monsieur … au contraire estimant pour sa part que les mesures projetées permettraient de mieux intégrer la construction dans son site, en remplaçant les matériaux vétustes par des matériaux naturels et écologiques tels que l’ardoise et le bois, tandis qu’à l’inverse, le refus opposé par le ministre de l’Environnement condamnerait la maison à un délabrement inéluctable eu égard à la vétusté des matériaux la composant et, partant, à une dégradation certaine du site.

L’Etat, finalement, persiste dans son mémoire en duplique à dénier à la construction litigieuse la qualité de « construction existante », au motif qu’elle aurait été érigée de manière illégale et agrandie sans autorisations de bâtiments ayant la fonction d’entrepôt, d’abri de jardin et de garage. Il affirme de surcroît que le demandeur aurait démonté la prétendue construction existante sans autorisation, de sorte qu’au vu de la jurisprudence.

selon laquelle il n’y aurait pas de construction existante au sens de la loi lorsqu’une construction existante a été entièrement démontée avant la demande d’une nouvelle construction, il s’agirait en l’espèce d’une nouvelle construction.

Conformément aux dispositions de l’article 58 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, un recours au fond est prévu à l’encontre des décisions du ministre ayant l’Environnement en ses attributions et statuant en vertu de ladite loi, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation.

Quant à la recevabilité du recours principal en réformation, l’article 4 alinéa 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, précise que « dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le tribunal administratif que sous forme de recours contre une décision administrative, lorsqu’un délai de trois mois s’est écoulé sans qu’il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif ».

Cette disposition est encore à lire à la lumière de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes qui fait obligation à l’administration dans les hypothèses de décisions négatives y visées d’informer l’administré des voies de recours, obligation dont l’omission, par l’administration, d’informer l’administré des voies de recours contre une décision administrative entraîne que les délais impartis pour les recours ne commencent pas à courir.

Il est en l’espèce constant que le ministre compétent - à l’époque le ministre de l’Environnement - n’a pas pris position par rapport à la demande de Monsieur … du 19 décembre 2008 endéans le délai de trois mois tel que prévu à l’article 4 alinéa 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 précitée, de sorte que Monsieur … peut considérer sa demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif contre la décision de refus implicite en découlant.

La décision implicite de refus n’ayant par essence pas comporté d’indication des voies et délai de recours, le délai de recours contentieux n’a en l’espèce pas commencé à courir, de sorte que le recours principal en réformation, introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

Il n’y a dès lors pas lieu d’analyser le recours en annulation, introduit en ordre subsidiaire.

Il convient en l’espèce de souligner que le présent recours s’inscrit dans la continuité du jugement du tribunal administratif du 3 mai 2010, n° 25841 du rôle, non appelé et par conséquent définitif, dont il constitue plus particulièrement une conséquence.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que le tribunal avait procédé dans ce jugement à une analyse des deux demandes adressées successivement par Monsieur … au ministre de l’Environnement, pour en conclure que « […] si les deux demandes, à savoir celle du 19 mars 2008 et celle du 19 décembre 2008, qualifiée de recours gracieux, tendent certes formellement toutes les deux à l’obtention d’un accord de principe, elles diffèrent cependant matériellement quant à la précision de leur objet, la premier demande ne sollicitant que l’obtention d’un « accord de principe » sur base de plans nécessairement peut détaillés et incomplets, l’architecte ayant introduit la demande ayant précisé vouloir introduire des plans détaillés dès obtention de l’accord de principe sollicité, alors que le « recours gracieux », tel que précisé par le demandeur à travers de sa requête introductive d’instance et surtout par son mémoire supplémentaire, tend à obtenir l’autorisation de procéder à des travaux concrets et précis.

Au-delà de cette différence, le tribunal constate encore à l’étude de la demande initiale et des plans y annexés que celle-ci visait en fait une reconstruction d’une bâtisses existante, reconstruction comportant notamment la création partielle d’un nouveau niveau inférieur en lieu et place d’un espace vide composé pour partie d’un vide sanitaire et pour partie d’un espace à l’air libre accueillant des poutres de soutènement, le réaménagement complet de l’espace intérieur par le déplacement des murs intérieurs, le percement de nouvelles ouvertures, le déplacement de l’entrée principale, la construction d’une nouvelle cage d’escalier en un autre endroit, la relocalisation des pièces existantes (p.ex. living, cuisine, salle de bains), respectivement la création de nouvelles pièces, le déplacement et l’agrandissement du balcon, le ré-agencement des étages (la bâtisse existante comportant ½ niveau inférieur, un rez-de-chaussée et ½ niveau sis dans les combles, tandis que le projet litigieux prévoit un rez-de-chaussée et un 1er étage sur toute la surface de l’immeuble), ce ré-agencement nécessitant le rehaussement du niveau du plancher initial entre le niveau inférieur et le rez-de-chaussée, la démolition du plancher des combles ainsi que le rehaussement de toute la toiture qui adoptera une nouvelle forme.

Il s’agit dès lors en tout sauf en nom d’une nouvelle construction nécessitant indéniablement la démolition de la bâtisse existante.

[…] L’autorisation sollicitée initialement porte dès lors clairement sur un projet de transformation par reconstruction majeure, de sorte que le cadre spécifique d’une rénovation, consistant à remettre à neuf un immeuble vétuste, est dépassé et que l’hypothèse d’une simple rénovation est partant à écarter, et ce indépendamment du fait que la nouvelle construction respecte prétendument le gabarit de la bâtisse existante.

En revanche, la demande qualifiée de « recours gracieux » vise uniquement la rénovation de la bâtisse existante au travers du remplacement de certains éléments (revêtement de la toiture et de la façade, huisseries extérieures, système de chauffage actuel) et de l’adjonction de nouveaux éléments (panneaux solaires), sans modification des éléments structurels majeurs de la bâtisse tels que murs extérieurs et intérieurs, toiture et planchers.

[…] Par ailleurs, il convient encore de relever que contrairement à ce que le demandeur fait actuellement plaider, la première demande ne sollicitait ni simplement le remplacement des matériaux de la toiture, mais la construction d’une nouvelle toiture présentant un autre gabarit et une autre pente sur une maison rehaussée, ni le remplacement du revêtement de la façade, mais, tel que retenu ci-dessus, la construction de nouveaux murs. De même, la demande initiale ne prévoyait pas simplement le remplacement des huisseries existantes, mais la pose de nouvelles portes et fenêtres en d’autres endroits. Enfin, force est de constater que la pose de panneaux thermiques n’avait pas en tant que telle été sollicitée par la demande initiale, étant donné que celle-ci n’indiquait que le fait que l’utilisation de panneaux solaires serait « préconisée », les plans annexés à ladite demande n’indiquant d’ailleurs pas la pose de tels panneaux.

Le seul élément commun aux deux demandes, à savoir le renouvellement du système de chauffage, n’est pas de nature à conférer aux demandes un objet identique ».

Le tribunal se rallie en l’espèce à l’analyse contenue dans le jugement du 3 mai 2010, n° 25841 du rôle, à savoir que compte tenu de ses caractéristiques, le second projet de Monsieur … constitue une rénovation, les travaux projetés ne modifiant ni la structure, ni le volume, ni les dimensions de l’immeuble existant, mais ne visant en substance que des modifications à apporter aux éléments extérieurs de l’immeuble, à savoir la toiture, le revêtement de la façade ainsi que la huisserie extérieure.

En effet, il résulte tant des pièces versées en cause que des explications circonstanciées de Monsieur … que sa demande telle qu’actuellement adressée au ministre compétent se limite à solliciter des aménagements extérieurs, tels que la rénovation de la toiture par utilisation d’un revêtement en ardoise naturelle ainsi que par réalisation d’une isolation à l'aide de laine de roche, le remplacement des planches en bois sur la façade par du bois neuf, la façade devant également bénéficier d’une isolation, le remplacement des portes et fenêtres actuelles en PVC par des portes et fenêtres en bois et finalement la pose de 6 panneaux solaires sur le toit, ainsi que des aménagements intérieurs limités à l’installation d’un système de chauffage au bois, le tout sans augmentation des volumes de la construction matériellement existante qui conservera le même gabarit.

Dès, lors contrairement aux affirmations de la partie étatique, le projet soumis au ministre compétent en date du 19 décembre 2008 et qui seul fait l’objet du recours sous analyse consiste en la rénovation d’un immeuble existant - au sens matériel du terme - sans que ce projet ne comporte de démolition ou de démontage de la bâtisse existante.

Si la construction existante se trouve certes dans un mauvais état, son état de délabrement n’étant toutefois pas tel qu’elle doit être considérée comme étant en ruine, les travaux visant sa simple restauration ne peuvent pas être regardés comme des travaux de construction, respectivement de reconstruction, mais comme des travaux de remise en état d’une construction existante, lesquels ne tombent en tout état pas sous l’interdiction de construction1.

Or, d’après l’article 10, alinéa 3 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 précitée, « Les constructions existantes dans la zone verte ne peuvent être modifiées extérieurement, agrandies ou reconstruites qu’avec l’autorisation du Ministre », cette disposition étant de nature à tempérer l’interdiction de principe d’ériger en zone verte une maison d’habitation en réglant le sort des ouvrages qui existaient déjà dans ces zones avant que les restrictions nouvellement introduites n’entrent en vigueur, en ce sens que l’autorité compétente est investie du pouvoir d’autoriser la reconstruction ou l’agrandissement de ces ouvrages existants s’ils ne compromettent pas le site, ceci au motif qu’« il est préférable en effet d’autoriser, dans certains cas, pareils travaux plutôt que de voir des ruines enlaidir le paysage bien davantage que ne le ferait une reconstruction décente »2.

Les considérations à la base de cette disposition légale étant essentiellement de fait en ce qu’elle entend, tel que relevé par le Conseil d’Etat dans son avis prévisé, éviter le pire au niveau des atteintes déjà portées au site concerné en optant pour une remise en état, voire une transformation des ouvrages concernés plutôt que pour un délabrement incontournable par l’effet du temps, elles ne traduisent pas la volonté de distinguer, au niveau de l’application de ce régime transitoire, en fonction du caractère légal ou non des ouvrages concernés, mais bien la volonté d’agir d’une manière plus générale par application d’un 1 Voir pour un cas analogue : Trib. adm. 12 octobre 2006, n° 21037, Pas. adm. 2009, V° Environnement, n° 53.

2 Projet de loi n° 24631 concernant la protection de l’environnement naturel, Avis du Conseil d’Etat, commentaire des articles, p. 7.

critère de fait, en l’occurrence celui de l’existence pure et simple des constructions concernées.

En l’absence de tout indice susceptible de sous-tendre la volonté du législateur d’opérer une distinction au niveau du sort réservé aux constructions existantes en fonction de leur situation juridique au regard spécifique des autorisations requises le cas échéant au moment de leur construction initiale, il n’appartient dès lors pas à la juridiction saisie d’introduire pareille condition supplémentaire, étant entendu que la notion de construction existante se suffit à elle-même en ce qu’elle se réfère à ce qui est, à ce qui a une réalité, sans qu’il y ait besoin de recourir à des méthodes d’interprétation. A défaut de viser un type particulier d’existence, telle que notamment l’existence légale telle que préconisée par l’Etat par référence à des jurisprudences en la matière, le tribunal est partant amené à se départir de ces jurisprudences qui n’énoncent par ailleurs aucun principe d’interprétation et ne font pas non plus référence à un quelconque indice de nature à justifier l’ajout d’un critère légal par voie d’interprétation active. Si l’insuffisance de la loi appelle certes un rôle actif d’interprétation, le pouvoir créateur du juge, amené le cas échéant à compléter un texte légal vague, imprécis ou encore sujet à des antinomies réelles, il n’en demeure cependant pas moins que cette technique d’interprétation active traduit par essence un empiétement sur le pouvoir législatif ou réglementaire, de sorte à devoir rester circonscrite au cas exceptionnel où l’insuffisance de la loi, sous quelque forme que ce soit, fait obstacle à son application.

Soumis au principe de légalité le juge ne peut en effet ni violer les règles de droit existantes, ni créer de toute pièce une norme juridique sans pouvoir arguer du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi3.

En l’espèce, l’exigence qu’une construction, au-delà d’exister purement et simplement en fait, aurait également dû exister légalement, reviendrait à créer une condition juridique nouvelle par l’introduction d’un critère non prévu par la loi et porterait ainsi directement atteinte à l’intangibilité de la loi qui ne saurait être complétée par le juge lorsque le concept retenu, en l’espèce celui d’existence, se suffit à lui-même4.

Au vu des considérations qui précèdent, le premier motif de refus tel qu’avancé par l’Etat n’est pas de nature à sous-tendre légalement la décision implicite de refus déférée.

Quant à la beauté du paysage mise en avant, respectivement à sa détérioration alléguée par la partie étatique, il convient de rappeler que le législateur n’a pas entendu préserver, au travers de l’article 56 de la loi du 19 janvier 2004, le paysage de toute atteinte quelconque, étant entendu que toute construction nouvelle constitue objectivement une atteinte à un paysage existant. En effet, les dispositions de la loi du 19 janvier 2004 ne doivent évidemment pas être appliquées comme interdisant ipso facto tout projet qui serait de nature à affecter à court terme l’environnement existant, sous peine de paralyser toute activité humaine, mais doivent être appliquées au cas par cas, en fonction des caractéristiques propres de chaque projet ainsi que des mesures et obligations imposées à l’exploitant afin de préserver en définitive les objectifs poursuivis par la loi5.

3 Etienne Cerexhe, Principes généraux et fondements du droit, Le phénomène institutionnel juridictionnel et normatif, Précis de la Faculté de droit de Namur, n° 3, v. sous le pouvoir créateur du juge, p. 447 et ss.

4 Trib. adm. 2 juin 2008, n° 23565, Pas. adm. 2009, V° Environnement, n° 44.

5 Trib. adm. 14 mai 2007, n° 22197, Pas. adm. 2009, V° Environnement, n° 28.

Or, en l’espèce, il convient de souligner que la détérioration du paysage alléguée trouve son origine dans deux éléments étrangers à la demande litigieuse du 19 décembre 2008, qui seule détermine la saisine du tribunal et l’analyse à effectuer, à savoir la préexistence de la bâtisse, qualifiée de « baraque » par l’Etat, et de ses annexes, ainsi que l’abattage, apparemment sans autorisation, de conifères séparant la construction litigieuse de la lisière de la forêt, ces deux dernières questions en particulier, à savoir la présence d’annexes non autorisées illégales et de la réalisation d’une coupe illégale, ne faisant pas l’objet de la demande et par conséquent du refus ministériel déféré au tribunal.

Plus précisément, l’atteinte avancée à la beauté du paysage ne sera pas provoquée par le projet de rénovation sous analyse, mais résulte de la préexistence de la « baraque », ainsi qualifiée, dont le demandeur tente, au travers de sa demande, à amoindrir l’impact visuel en ayant recours à des matériaux naturels et améliorant l’aspect esthétique passablement délabré de la construction existante, construite à l’aide de matériaux disparates.

Dès lors, les travaux de rénovation envisagés doivent être considérés comme tendant à réduire l’impact visuel de la construction existante, laquelle, conformément au rapport du 7 mai 2008 du préposé forestier … serait « bien cachée des vues lointaines » du fait des épicéas l’entourant.

Si par impossible Monsieur … devait cependant avoir supprimé cet écran végétal sans autorisation - question qui, comme retenu ci-avant, ne relève pas en l’état actuel du dossier de la compétence du tribunal - il appartiendrait en tout état de cause aux autorités compétentes de prendre les mesures s’imposant afin de rétablir le site en son état d’origine en imposant, notamment, le rétablissement en cet endroit d’un écran d’épicéas.

Le refus de délivrance de l’autorisation sollicitée, matérialisé par la décision implicite de refus déférée, complétée par la motivation étatique fournie en cours d’instance contentieuse, est par conséquent à annuler et il convient d’accorder au demandeur l’autorisation de procéder aux travaux de rénovation tels que décrits dans sa demande du 19 décembre 2008 et confirmés dans la requête introductive d’instance, à l’exclusion de tous autres travaux, de toute augmentation des volumes et du gabarit.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision implicite de refus du ministre ayant l’Environnement en ses attributions et accorde à Monsieur … l’autorisation de procéder aux travaux de rénovation suivants :

-

pose sur la toiture de 6 panneaux solaires, -

rénovation de la toiture en remplaçant le matériau initial par de l’ardoise véritable, -

isolation de la toiture et des façades à l’aide de laine de roche, -

remplacement des planches en bois vétustes sur la façade par du bois neuf, -

remplacement des portes et fenêtres actuelles en PVC par des portes et fenêtres en bois, -

installation d’un système de chauffage de la maison au bois par conséquent renvoie l’affaire devant le ministre du Développement durable et des Infrastructures, entre-temps en charge du dossier, en prosécution de cause conformément au présent jugement ;

dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le recours subsidiaire en annulation ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 mars 2011 par :

Marc Sünnen, premier juge, Claude Fellens, premier juge, Michel Turk, juge suppléant, en présence du greffier Arny Schmit.

s. Schmit s. Sünnen 10


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 26906
Date de la décision : 28/03/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2011-03-28;26906 ?

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