Tribunal administratif Numéro 28060 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 mars 2011 1re chambre Audience publique du 14 mars 2011 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008)
______________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 28060 du rôle et déposée le 4 mars 2011 au greffe du tribunal administratif par Maître Arnaud RANZENBERGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Angola), de nationalité angolaise, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 24 janvier 2011 ordonnant sa rétention au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2011 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Arnaud RANZENBERGER et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 mars 2011.
______________________________________________________________________________
Le 2 mars 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971.
Par décision du 16 mars 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande en obtention du statut de réfugié avait été rejetée comme n’étant pas fondée et que le bénéfice de la protection subsidiaire lui était refusé. Le 23 avril 2007, Monsieur … fit introduire un recours contentieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 16 mars 2007, lequel se solda par un jugement du tribunal administratif du 5 mars 2008, n° 22859 du rôle, qui rejeta son recours comme étant non fondé, l’appel interjeté ensuite par Monsieur … ayant été déclaré irrecevable par un arrêt de la Cour administrative du 12 juin 2008, n° 24311C.
En date du 30 juin 2008, Monsieur … fit solliciter par l’intermédiaire de son mandataire le bénéfice d’une tolérance pour raison médicale, laquelle, après un échange de correspondance, la production d’un certificat médical et l’émission d’un avis par le médecin conseil de l’administration du contrôle médical de la sécurité sociale, lui fut accordée en date du 16 septembre 2008 avec effet jusqu’au 15 mars 2009.
En date du 15 avril 2009, Monsieur … sollicita la prorogation de la tolérance, prorogation que le ministre lui accorda jusqu’au 31 juillet 2009 en attendant la réévaluation de sa situation par la direction de la Santé du ministère de la Santé conformément aux articles 130 à 132 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.
En l’attente de cet avis, la tolérance accordée fut prorogée à plusieurs reprises jusque finalement au 31 janvier 2010.
Finalement, suite à l’avis afférent, Monsieur … se vit accorder par décision du 2 décembre 2009 un sursis à l’éloignement pour raison médicale jusqu’au 25 mai 2010.
En date du 30 avril 2010, Monsieur … sollicita la prorogation de cette mesure de sursis à l’éloignement, laquelle lui fut cependant refusée par décision du 16 août 2010.
En date du 24 janvier 2011, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-
après « le ministre », prit un arrêté ministériel refusant le séjour sur le territoire luxembourgeois à Monsieur … et lui ordonnant de quitter le territoire sans délai, et par arrêté du même jour, lui notifié le 1er mars 2011, le ministre ordonna la rétention administrative de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Cet arrêté est fondé sur les considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu la décision de refus de séjour du 24 janvier 2011 ;
Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Considérant qu’une demande de laissez-passer a été adressée aux autorités consulaires d’Angola ;
que celles-ci souhaitent procéder à l’identification de l’intéressé au sein de leur ambassade à Bruxelles ;
Considérant qu’en attendant l'émission d’un laissez-passer, l’éloignement immédiat de l’intéressé est impossible en raison des circonstances de fait ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 mars 2011, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la prédite décision de rétention datée du 24 janvier 2011.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.
Le recours en réformation, par ailleurs introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
A l’appui de son recours, Monsieur …, après avoir rappelé qu’il s’est vu définitivement refuser tant la protection internationale que le statut de tolérance au Luxembourg, et que le sursis à l’éloignement lui accordé a pris fin, affirme être en proie à de graves troubles psychologiques qui avaient justifié l’octroi d’un sursis à l’éloignement.
Or, il considère que ces considérations médicales circonstanciées n’auraient pas évoluées à ce jour et il conteste à ce sujet l’avis médical sur lequel le ministre s’est basé pour lui refuser une prolongation du sursis à l’éloignement.
Monsieur … fait ensuite plaider qu’une mesure de rétention ne saurait être prise que lorsque l’autorité administrative peut légitimement craindre que l’étranger ne profite de sa liberté pour fuir ou qu’il ne tente de masquer sa véritable identité, ce qui, en l’espèce ne serait cependant pas le cas, son identité n’ayant jamais été remise en cause par l’autorité administrative, tandis que le simple fait que les autorités angolaises voudraient l’identifier avant d’établir un laissez-passer ne pourrait pas suffire à fonder une privation de liberté.
Il relève encore que la décision déférée, datée du 24 janvier 2011, ferait référence à une demande de laissez-passer adressée aux autorités angolaises, pour en conclure que depuis le 24 janvier 2011 au plus tard le ministre savait qu’il voulait l’appréhender pour le conduire de force devant les autorités angolaises. Or, il estime qu’en dépit de cette situation objectivement urgente, la notification de cette décision et sa mise en exécution au travers de son placement au centre de séjour aurait duré plus d’un mois sans aucune justification objective, alors qu’il n’aurait jamais fui et qu’il aurait été arrêté à son domicile.
Il considère encore qu’il aurait appartenu au ministre de lui demander durant la période du 24 janvier 2011 au 1er mars 2011 de se rendre volontairement auprès de l'ambassade angolaise à Bruxelles, ce qui aurait permis de lui éviter une privation de liberté « mais également d’économiser l’argent du contribuable ».
Dans le même ordre d’idées, il affirme que depuis son placement en rétention, aucune démarche n’aurait été entreprise par le ministre en vue de le confronter aux autorités diplomatiques angolaises, alors pourtant qu’il aurait dû être immédiatement ou presque immédiatement amené à l’ambassade angolaise.
Enfin, il considère qu’il existerait un risque de contradiction de jugement, étant donné que son recours introduit sous le numéro 27467 du rôle à l’encontre de la décision ministérielle du 16 août 2010 n’aurait pas encore été toisée.
Il se dégage de l’article 120, paragraphe (1), de la loi précitée du 29 août 2008 que lorsque l’exécution d’une mesure d’éloignement en application notamment des articles 111, 116 à 118 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée.
Il en découle qu’une décision de rétention au sens de la disposition précitée présuppose qu’une mesure d’éloignement puisse être légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.
Force est de constater en l’espèce que Monsieur … a fait l’objet d’un refus de séjour en date du 24 janvier 2011, non annulé ou suspendu à ce jour, pris sur base des articles 100 et 109 à 115 de la loi du 29 août 2008, qui entraîne conformément à l’article 111, paragraphe (1) de la même loi l’obligation dans le chef de l’étranger de quitter le territoire et qui habilite le ministre, conformément aux articles 111, paragraphe (3), et 124, paragraphe (1), de la même loi, à le renvoyer dans son pays d’origine, respectivement à prendre des mesures coercitives pour procéder à son éloignement.
Si le demandeur explique certes que la décision refusant la prolongation du sursis à l’éloignement, antérieure au refus de séjour, a fait l’objet d’un recours contentieux distinct, inscrit sous le numéro 27467 du rôle, il s’agit cependant d’une décision administrative distincte de celle actuellement litigieuse et qui de surcroît ne fonde pas directement l’arrêté de placement litigieux.
S’il est encore certes vrai que l’examen du recours intenté à la décision refusant la prolongation du sursis à l’éloignement sera fait, par la force des choses, postérieurement au jugement à intervenir à brève échéance en matière de placement, de sorte à s’avérer a priori inutile pour documenter indirectement une éventuelle illégalité de celui-ci, il importe cependant de relever que par rapport à ce recours contentieux inscrit sous le numéro du rôle 27467, le demandeur avait disposé d’une voie de recours d’urgence, en l’occurrence la possibilité de déposer une requête en référé, dans le cadre de laquelle il aurait disposé d’une plate-forme pour convaincre le juge du provisoire précisément du caractère sérieux des moyens avancés quant au fond dans le cadre de son recours dirigé contre la décision lui refusant la prolongation du sursis à l’éloignement, ceci avec la possibilité légale de voir prononcer provisoirement la prolongation du sursis à l’éloignement, ce qui, le cas échéant, aurait pu avoir une incidence sur la décision de rétention actuellement déférée. A défaut d’avoir entrepris ces diligences, il n’appartient pas à l’heure actuelle au tribunal de remédier à cette situation et de procéder par voie incidente à un examen de la légalité du refus ministériel de prolonger le sursis à l’éloignement sous peine de préjuger de l’issue du recours actuellement pendant à son encontre inscrit sous le numéro du rôle 27467, tout comme il n’appartient pas au tribunal de surseoir à statuer en attendant l’issue de ce recours, l’article 123 paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 précitée imposant en effet au tribunal de statuer d’urgence et en tout cas dans les dix jours de l’introduction de la requête, étant en particulier encore souligné qu’un recours tel qu’intenté contre le refus d’un sursis à l’éloignement n’est, à défaut de texte dérogatoire, pas suspensif conformément à l’article 11 (1) de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Dès lors, dans la mesure où l’existence même de l’arrêté de refus de séjour du 24 janvier 2011 n’est pas contestée, le ministre a valablement pu prendre appui sur ledit arrêté de refus de séjour pour justifier la décision de placement actuellement litigieuse datant également du 24 janvier 2011, sans que le tribunal statuant par rapport à cette décision de placement, ne soit habilité à se livrer à un examen de la légalité de cette décision de refus de séjour du 24 janvier 2011, que ce soit directement ou indirectement au travers d’un examen de la décision refusant au demandeur une prolongation du sursis à l’éloignement, ce dernier exercice étant réservé à la juridiction qui connaîtra au fond de l’affaire inscrite sous le numéro du rôle 27467.
Il reste dès lors à vérifier si l’autre condition imposée par l’article 120, paragraphe (1), de la loi précitée du 29 août 2008 à une mesure de placement est respectée, à savoir une impossibilité « en raison des circonstances de fait » de procéder à la mesure d’éloignement.
Force est à cet égard de constater que le demandeur, se trouvant en situation irrégulière au Luxembourg, est démuni de toute pièce d’identité et de voyage. Or, l’absence de documents d’identité ainsi que l’organisation des modalités juridiques et pratiques inhérentes au rapatriement du demandeur nécessitant un certain délai, permettent d’estimer valablement que l’exécution immédiate de la mesure d’éloignement est impossible. En effet, à défaut de papiers de légitimation et de voyage dans le chef du demandeur, le ministre se voit effectivement dans l’impossibilité d’une exécution immédiate de la mesure d’éloignement, situation pour laquelle le législateur lui a conféré un délai initial maximal d’un mois pour obtenir de la part des autorités étrangères concernées les documents de voyage nécessaires.
L’arrêté ministériel déféré indique à ce sujet expressément en tant que motif qu’un laissez-passer sera demandé aux autorités consulaires angolaises et qu’en attendant l'émission de ce document, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible.
Si le demandeur reproche à cet égard aux autorités luxembourgeoises de ne pas avoir agi avec la diligence requise, il découle cependant des explications de la partie étatique et du dossier administratif que les services du ministère ont entamé la préparation du rapatriement du demandeur dès le 30 septembre 2010, date à laquelle le ministère a saisi la chancellerie diplomatique d’Angola en vue de l’obtention d’un laissez-passer, ladite chancellerie ayant répondu en date du 3 décembre 2010 en proposant un rendez-vous pour le 21 décembre 2010, qui ne put cependant pas être honoré, le demandeur ne s’étant à cette date pas encore vu notifier le refus de séjour.
Si le ministre prit ensuite en date du 24 janvier 2011 un arrêté de refus de séjour ainsi que l’arrêté de placement en rétention litigieux, ces décisions ne furent cependant notifiées au demandeur que le 1er mars 2011, le ministre ayant cependant recontacté les autorités angolaises dès le 4 mars 2011 en sollicitant le bénéfice de l’urgence, la présentation du demandeur aux autorités angolaises étant d’ailleurs prévue pour le 15 mars 2011.
Au vu des diligences ainsi déployées, des démarches suffisantes ont été entreprises en vue d’un rapatriement rapide du demandeur vers l’Angola, de sorte à écourter au maximum la durée de sa privation de liberté.
Le tribunal ne saurait par ailleurs suivre le demandeur en son moyen selon lequel il aurait préalablement appartenu au ministre d’inviter le demandeur à se présenter volontairement aux autorités angolaises, puisque le demandeur, comme retenu ci-avant, outre de s’être vu définitivement refuser la protection internationale en date du 12 juin 2008, est depuis le 16 août 2010 en situation irrégulière au Luxembourg, son sursis à l’éloignement n’ayant pas été prorogé, de sorte qu’il n’est plus légalement habilité à rester au Luxembourg, ce qui comporte implicitement, mais nécessairement l’obligation de quitter le territoire.
Finalement, en ce qui concerne l’affirmation selon laquelle le demandeur disposerait d’un domicile où il aurait pu être appréhendé par la police, de sorte qu’il n’y aurait pas eu de risque de fuite dans son chef , il convient de souligner que l’article 120, paragraphe (1) de la loi précitée du 29 août 2008 ne pose aucune exigence quant à l’existence d’un risque de fuite dans le chef d’une personne placée en rétention, l’existence d’un risque de fuite ne constituant plus particulièrement pas une condition légale pour la validité d’une mesure initiale de placement, de sorte que le moyen du demandeur qui entend énerver la légalité de la décision déférée en arguant de l’absence en son chef d’un tel risque laisse d’être fondé.
Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 mars 2011 par :
Marc Sünnen, premier juge, Claude Fellens, premier juge, Michel Turk, juge suppléant, en présence du greffier Arny Schmit.
s. Schmit s. Sünnen 6