Tribunal administratif Numéro 26735 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mars 2010 2e chambre Audience publique du 14 février 2011 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …, … contre une décision du conseil communal d’Erpeldange ainsi que contre une décision du collège échevinal d’Erpeldange en matière de transport scolaire
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26735 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2010 par Maître Pascale Hansen, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, salarié, et de son épouse, Madame …, salariée, les deux demeurant ensemble à …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur fils mineur …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du conseil communal d’Erpeldange du 29 octobre 2009 portant sur l’organisation du transport scolaire et d’une décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune d’Erpeldange du 30 novembre 2009 refusant à leur fils … … d’utiliser le transport scolaire pour se rendre auprès de sa nourrice ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Georges Weber, demeurant à Diekirch, du 16 avril 2010 portant signification de ce recours à l’administration communale d’Erpeldange, représentée par son bourgmestre actuellement en fonction, sinon, pour autant que de besoin, par le collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonction, établie à L-9145 Erpeldange/Ettelbrück, 21, Porte des Ardennes ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Pascale Hansen en sa plaidoirie.
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En date du 29 octobre 2009, le conseil communal d’Erpeldange décida, avec sept voix favorables contre deux voix défavorables, de modifier le transport scolaire communal de la manière suivante : « 1.
d’autoriser les élèves concernés de l’école fondamentale d’Erpeldange d’utiliser à partir du 9 novembre 2009 et uniquement pour l’année scolaire 2009/2010 le transport scolaire communal pour se rendre à leur lieu de garde (crèches ou gardiennes d’enfants agréées) à … ou à … et vice versa (arrêt de bus le plus proche à utiliser) 2.
de souligner que les parents de ces élèves doivent donner leur accord par écrit et qu’ils assument l’entière responsabilité de leurs enfants dès que ceux-
ci ont quitté le bus scolaire 3.
de prévoir à partir du 9 novembre 2009 et uniquement pour l’année scolaire 2009/2010 la mise à disposition d’un bus scolaire supplémentaire en direction d’… et vice versa en faveur des enfants fréquentant la crèche ou la gardienne d’enfants à … », cette décision étant justifiée par le fait que la commune d’Erpeldange « ne dispose pas encore de maison relais pour enfants ce qui pose bien des problèmes d’organisation aux parents d’élèves », que « la mise en service de la maison relais pour enfants n’est prévue que pour la rentrée scolaire 2011/2012 », que « faute d’infrastructures communales adéquates, les parents concernés ont inscrit leurs enfants dans des structures d’accueil privées (crèches ou gardiennes d’enfants agréées) à … respectivement à … », que « le transport scolaire communal est organisé de manière à ce que les enfants se rendent en bus vers leur domicile mais que dû au fait qu’ils sont gardés à midi ou à la fin des cours de l’après-midi dans des structures d’accueil ne se trouvant pas dans la localité de leur lieu de domicile, ils doivent quand même pouvoir s’y rendre en bus scolaire » et que des parents d’élèves avaient présenté une demande en vue d’autoriser leurs enfants à « utiliser le transport scolaire communal pour se rendre à … et à … et vice versa ».
En date du 17 novembre 2009, Monsieur … et son épouse, Madame … firent parvenir au collège échevinal de la commune d’Erpeldange un courrier de la teneur suivante :
« Nous nous permettons de nous adresser à vous concernant votre décision récente relative au transport scolaire.
En effet, depuis le début de l'année scolaire 2009-2010, le transport scolaire organisé par votre commune est limité au transport de l'école vers le domicile des enfants, respectivement vers la crèche d'… et des nourrices agréées et vice-versa.
Sont partant dorénavant exclus les transports de l'école vers des tierces personnes (grands-parents, nourrices non agréées…) De ce fait, notre fils …, qui est gardé ensemble avec notre fille … en semaine (à l'exception du jeudi) par Mme … de résidence à …, … (…), ne peut dorénavant plus bénéficier du transport scolaire parce que Mme .. n'est pas une nourrice agréée.
Ceci crée une situation aberrante, alors que les 3 enfants de Mme …utilisent le transport scolaire pour rentrer à la maison et notre fils …, en parallèle, et pour sa plus grande incompréhension, prend le Bummelbus, pour aller à la même destination.
Nous vous saurions gré de bien vouloir revoir votre décision de refus de l'utilisation du transport scolaire pour notre fils ….
Depuis le 1/9/2005, Mme …est déclarée au Centre Commun de la Sécurité Sociale et reçoit un salaire mensuel de notre part pour la garde de nos 2 enfants.
Il ne reste donc aucune raison valable et légale pour exclure notre fils du transport scolaire et nous estimons que la différence faite par vous entre nourrice agréée ou non ne saura jouer en notre défaveur vue (sic) la relation salariale qui existe entre Mme …et nous.
En annexe, nous vous prions de trouver la déclaration d'occupation … ainsi qu'un relevé actualisé du Centre Commun pour prouver l'existence de cette relation salariale. (…) ».
Par décision du 30 novembre 2009, le collège des bourgmestre et échevins de la commune d’Erpeldange refusa de faire droit à la demande précitée du 17 novembre 2009, au motif que « Madame …n’a pas la qualification de nourrice agréée » et que le seul fait pour elle « d’être déclarée auprès du centre commun de la sécurité sociale », ne l’autoriserait pas de se prévaloir du titre de nourrice agréée.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 mars 2010, Monsieur … et son épouse, Madame … ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du conseil communal d’Erpeldange du 29 octobre 2009 ainsi que de la décision également précitée du collège échevinal de la commune d’Erpeldange du 30 novembre 2009.
1. Quant au recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du conseil communal d’Erpeldange du 29 octobre 2009 Comme la décision précitée du conseil communal d’Erpeldange du 29 octobre 2009 constitue un acte administratif à caractère réglementaire, seul un recours en annulation a pu être introduit à son encontre, conformément à l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif. Le tribunal doit partant se déclarer incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal contre cet acte.
Le recours en annulation, en ce qu’il a été introduit en ordre subsidiaire contre cet acte réglementaire, est à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de leur recours, les demandeurs se plaignent de ce que leur fils …, né le …, n’est plus autorisé à utiliser le transport scolaire pour se rendre auprès de sa nourrice, Madame …, demeurant à …, qui le garderait 4 jours en semaine, à l’exception du jeudi, ensemble avec sa sœur …, âgée de … ans, alors que jusqu’au début de l’année scolaire 2009/2010, il aurait été autorisé à utiliser le transport scolaire. Ils estiment que cette « situation aberrante » serait due au fait que la décision litigieuse du conseil communal d’Erpeldange limiterait l’usage des transports scolaires publics aux seuls enfants se rendant dans une crèche ou auprès d’une nourrice agréée.
Ils admettent que la nourrice gardant leur fils … ne bénéficie pas de l’agrément étatique, mais qu’elle serait néanmoins inscrite au centre commun de la sécurité sociale et qu’ils auraient avec elle une relation de travail légale. Ils se plaignent de ce que cet acte réglementaire ainsi décidé par le conseil communal d’Erpeldange leur porterait préjudice en ce que leur fils …, pour se rendre auprès de sa nourrice, devrait prendre le « Bummelbus », commandé et payé par leurs soins, pour faire le même trajet que celui effectué par le bus accomplissant le service du transport public scolaire.
En droit, les demandeurs reprochent tout d’abord au conseil communal non seulement d’avoir commis une violation de la loi, et plus particulièrement de l’article 10bis de la Constitution prévoyant l’égalité de tous les Luxembourgeois devant la loi, en instaurant une différence de traitement qui ne serait ni rationnellement justifiée, ni adéquate, ni proportionnée à son but. En effet, d’après eux, les autorités communales auraient fait une distinction injustifiée entre les enfants se rendant auprès d’une nourrice agréée par rapport à ceux se rendant auprès de toute autre personne y compris une nourrice non agréée. Ils estiment encore dans le cadre de ce moyen, que les autorités communales auraient violé l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ayant trait au respect de leur vie privée et familiale.
En deuxième lieu, les demandeurs estiment que la décision incriminée prise par le conseil communal d’Erpeldange en date du 29 octobre 2009 constituerait un abus de pouvoir, en ce qu’il n’aurait pas respecté le principe de l’intérêt communal tel que prévu par la loi communale du 13 décembre 1988.
Au vu de l’argumentation ainsi développée par les demandeurs, il échet de retenir qu’en substance ceux-ci reprochent à la décision litigieuse du conseil communal d’Erpeldange d’avoir fait une distinction entre les enfants concernés de l’école fondamentale d’Erpeldange se rendant à une crèche ou auprès d’une gardienne d’enfants agréée et ceux qui se rendent auprès de toute autre personne dont notamment, comme c’est le cas en l’espèce, auprès d’une gardienne d’enfants non agréée. La décision ainsi prise est de nature à leur causer un préjudice manifeste qui peut notamment être constaté sur base du fait qu’ils doivent recourir au service d’un transport payé par eux afin que leur fils mineur se rende auprès de sa nourrice.
Il y a encore lieu de constater à la lecture de la décision précitée du conseil communal d’Erpeldange que celle-ci n’est fondée sur aucune base légale qui aurait pu justifier une telle distinction.
L’article 10bis, paragraphe (1) de la Constitution, seul paragraphe dudit article que les demandeurs ont raisonnablement pu viser dans le cadre de leur recours, dispose que « les Luxembourgeois sont égaux devant la loi ».
La Cour constitutionnelle a retenu, en application dudit article 10bis, que le principe d’égalité sur lequel se basent les demandeurs n’a pas de valeur absolue, mais qu’il n’a pour objectif que de traiter de la même façon les personnes se trouvant dans la même situation de fait et de droit1.
La Cour constitutionnelle a encore retenu que le principe constitutionnel de l’égalité autorise que certaines catégories de personnes comparables soient soumises à des régimes légaux différents, à condition que la différence instituée procède de disparités objectives, qu’elle soit 1 Cour constit. 2/98 du 13 novembre 1998 rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but2.
Il échet tout d’abord de relever que les enfants concernés de l’école fondamentale d’Erpeldange se rendant après l’école auprès d’une nourrice agréée et ceux qui se rendent auprès d’une nourrice non-agréée se trouvent dans une situation de fait comparable au regard de la mesure critiquée, étant donné que dans les deux cas, ces enfants sont obligés de se déplacer pour être gardés par une tierce personne après l’école, en l’absence de leurs parents.
Il y a encore lieu de constater qu’il n’existe aucune disposition légale ou réglementaire faisant une distinction, dans le cadre du transport scolaire, entre les enfants gardés après l’école par une nourrice agréée et ceux qui sont gardés par une personne non agréée.
Une situation de fait comparable entre ces deux catégories d’enfants ayant été retenue, il échet ensuite de vérifier quel objectif la réglementation ayant instauré une telle différenciation de traitement a poursuivi. En effet, il y a lieu de vérifier si l’objectif poursuivi par les autorités communales justifie la différence réglementaire instituée au regard des exigences de rationalité, d’adéquation et de proportionnalité.
En l’absence, d’une part, d’indication dans le règlement litigieux lui-même des objectifs poursuivis par celui-ci, en ce qu’il a fixé la condition suivant laquelle seuls les enfants se rendant à une crèche ou auprès d’une nourrice agréée peuvent bénéficier du transport scolaire public et, d’autre part, de renseignements complémentaires qui auraient pu être soumis par la commune d’Erpeldange à ce sujet au cours de la présente instance contentieuse, au cas où elle aurait comparu à l’instance, le tribunal n’est pas en mesure de retracer lesdits objectifs et il peut seulement émettre des suppositions à cet égard.
Ainsi, en l’absence d’une argumentation soumise au tribunal de la part de la commune d’Erpeldange de nature à justifier la distinction à laquelle il a ainsi été procédé, le tribunal retient que celle-ci n’est ni rationnellement justifiée, ni adéquate, ni proportionnée à son but, alors qu’au contraire elle semble avoir été prise de manière tout à fait arbitraire par la commune sans motif raisonnablement justifiable, d’autant plus que le seul motif qui aurait pu la justifier, à savoir le problème de la responsabilité assumée par les services communaux quant au transport d’enfants mineurs et leur dépôt devant le domicile de certaines personnes plus précisément désignées par les parents desdits enfants, a été spécialement pris en considération par le point 2 de la décision 2 Cour constit. 7/99 du 26 mars 1999 ; Cour constit. 8/99 du 9 juillet 1999 ; Cour constit. 9/00 du 5 mai 2000 ; Cour constit. 20/04 du 28 mai 2004 ; Cour constit. 22/04 du 18 juin 2004 ; Cour constit. 25/05 du 7 janvier 2005 ; Cour constit. 26/05 du 8 juillet 2005 ; Cour constit. 33/06 du 7 avril 2006 ; Cour constit. 32/06 du 7 avril 2006 ; Cour constit. 31/06 du 7 avril 2006 ; Cour constit. 30/06 du 7 avril 2006 ; Cour constit. 29/06 du 7 avril 2006 ; Cour constit. 36/06 du 20 octobre 2006 ; Cour constit. 39/07 du 30 mars 2007 ; Cour constit. 40/07 du 25 mai 2007 ; Cour constit. 42/07 du 14 décembre 2007 ; Cour constit. 41/07 du 14 décembre 2007 ; Cour constit. 44/08 du 6 juin 2008 ; Cour constit. 45/08 du 27 juin 2008 ; Cour constit. 46/08 du 26 septembre 2008 ; Cour constit. 47/08 du 12 décembre 2008 ; Cour constit. 49/09 du 22 mai 2009 ; Cour constit. 50/09 du 15 mai 2009 ; Cour constit.
51/10 du 8 janvier 2010 ; Cour constit. 53/10 du 5 mars 2010 ; Cour constit. 57/10 du 1er octobre 2010 ; Cour constit. 58/10 du 12 novembre 2010.
litigieuse prévoyant que les parents de ces élèves doivent spécialement décharger la commune de « l’entière responsabilité », une fois que leurs enfants ont quitté le bus scolaire.
Il suit partant de ce qui précède, et sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres moyens soulevés en cause, qu’il échet d’annuler la décision, mais dans la seule mesure où celle-ci prévoit une restriction quant aux lieux de garde auprès desquels les enfants peuvent être déposés, ce volet de la décision est parfaitement détachable des autres volets non attaqués dans le cadre du présent recours.
2. Quant au recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du collège échevinal de la commune d’Erpeldange du 30 novembre 2009 En l’absence d’une disposition légale prévoyant un recours en réformation en la présente matière, le tribunal doit se déclarer incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.
Le recours en annulation introduit à titre subsidiaire est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de leur recours, les demandeurs invoquent les mêmes éléments de fait ainsi que les mêmes moyens en droit que ceux invoqués au titre du règlement précité du conseil communal d’Erpeldange du 29 octobre 2009.
Le tribunal ayant annulé le volet du règlement communal précité du 29 octobre 2009 en ce qu’il prévoit une distinction illégale entre les enfants se rendant après l’école auprès d’une nourrice agréée et ceux qui se rendent auprès d’une personne non agréée, en raison d’une violation du principe de l’égalité devant la loi, tel que consacré par l’article 10bis de la Constitution, et la décision du collège échevinal d’Erpeldange du 30 novembre 2009 prenant expressément appui sur la base réglementaire que constitue la décision précitée du conseil communal du 29 octobre 2009, la décision du collège échevinal d’Erpeldange du 30 novembre 2009 encourt l’annulation pour les mêmes motifs que ceux énoncés sous le titre 1 ci-avant, la distinction entre les nourrices agréées et celles non agréées n’étant pas fondée sur une base réglementaire valable. Il s’ensuit que la décision sous examen du 30 novembre 2009 encourt l’annulation.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître des recours en réformation introduits tant contre la décision du conseil communal d’Erpeldange du 29 octobre 2009 que contre la décision du collège échevinal d’Erpeldange du 30 novembre 2009 ;
reçoit les recours en annulation en la forme ;
au fond, les déclare justifiés, partant annule la décision du conseil communal d’Erpeldange du 29 octobre 2009 quant au seul volet prévoyant une restriction quant aux lieux de garde auprès desquels les enfants peuvent être déposés et annule la décision du collège échevinal d’Erpeldange du 30 novembre 2009 ;
renvoie le dossier en prosécution de cause à la commune d’Erpeldange ;
condamne la commune d’Erpeldange aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Françoise Eberhard, premier juge, Anne Gosset, juge, et lu à l’audience publique du 14 février 2011 par le premier vice-président, en présence du greffier assumé Sabrina Knebler.
s. Sabrina Knebler s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 février 2011 Le Greffier du Tribunal administratif 7