Tribunal administratif Numéro 27339 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er octobre 2010 2e chambre Audience publique du 10 février 2011 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 27339 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er octobre 2010 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, assisté de Maître Guillaume Gros, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Bénin) de nationalité béninoise, demeurant actuellement …, …, tendant à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 26 août 2010 en ce que celle-ci porte refus de lui accorder le statut de la protection subsidiaire et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 novembre 2010 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Olivier Lang et Monsieur le délégué du gouvernement Marc Mathekowitsch en leurs plaidoiries respectives.
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Le 28 octobre 2009, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée la « loi du 5 mai 2006 ».
En date des 1er et 7 décembre 2009, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de reconnaissance d’un statut de protection internationale.
Par décision du 26 août 2010, envoyée à l’intéressé par lettre recommandée le 31 août 2010, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », désormais en charge du dossier, informa l’intéressé que sa demande en obtention d’une protection internationale était rejetée. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date 28 octobre 2009.
En mains les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères des 1er et 7 décembre 2009.
Il ressort de vos déclarations que votre père aurait été roi, chef de village du village …, mairie de …. A son décès en 2003 de vieillesse « l’ifa », la « vision » des Dieux aurait décidé qu'un de vous et de vos frères devaient lui succéder. Or, personne ne lui aurait succédé, deux de vos frères seraient décédés et vous, ainsi qu'un autre frère seriez (sic) directement enfuis du village à la mort de votre père pour aller vous installer à ….
Vous ne savez pas si quelqu'un a succédé à votre père. En 2006 vous vous seriez installés avec un ami à …au quartier …. Vous auriez travaillez (sic) en tant que vitrier. De temps en temps vous auriez vu des membres de votre famille, mais vous vous seriez caché parce que vous auriez peur qu'on vous ramène au village. Vous auriez peur de votre famille, notamment de leur jalousie si vous succédiez à votre père. Vous auriez également peur du vaudou.
Vers 2007 vous auriez commencé à fréquenter la fille d'un politicien au nom de …qui selon vos dires aurait un caractère sévère. Cette fille serait tombée enceinte vers septembre 2009. Vous auriez voulu garder l'enfant, mais elle aurait voulu avorter. Une dispute aurait éclaté et votre copine serait partie. Vous n'auriez pu la joindre qu'après une semaine et l'auriez rejoint à son domicile à …, alors que son père aurait été absent.
Votre copine se serait sentie très mal physiquement. Après un certain temps vous seriez rentré chez vous après vous être rassuré auprès de sa mère qu'elle l'emmène à l'hôpital.
Plus tard sa mère vous aurait dit qu'elle aurait pris des médicaments pour mettre fin à la grossesse. Trois jours après vous auriez entendu d'un ami que votre copine serait décédée. Le lendemain, la police serait venue à votre domicile pour vous emmener au commissariat de police. Vous auriez été absent, votre colocataire vous aurait rapporté ce fait. A ce moment là, vous n'auriez pas su pour quelle raison la police serait (sic) à votre recherche. Prévenu par votre colocataire vous ne seriez pas rentré à la maison, d'autant plus que deux autres personnes en civil auraient demandé après vous plus tard dans la journée, vous pensez qu'il se serait agi de policiers. La police serait également passée à votre lieu de travail. A travers l'oncle de votre colocataire, agent de police, vous auriez été informé qu'il existerait un procès verbal à votre nom et que vous seriez soupçonné d'avoir violé une fille et de l'avoir forcé (sic) à avorter. On dirait également de vous que vous seriez un criminel et un consommateur de drogues. L'oncle vous aurait averti de ne pas rentrer chez vous. Vous auriez alors décidé de vous cacher chez un ami, vous y seriez resté pendant trois semaines.
Vous pensez que le père de votre copine serait à l'origine de ces fausses accusations. Vous précisez qu'un jour (« cela fait longtemps (…) Non, nous étions déjà un an ensemble »), …vous aurait vu avec sa fille et il aurait commencé à crier et à menacer de vous faire arrêter par la police s'il vous reverrait avec sa fille. Vous n'auriez pas voulu aller à la police pour clarifier les choses, que vous n'auriez pas violé votre copine ou forcé à avorter. Vous dites que la police ne vous aurait pas cru et que le plaignant aurait toujours raison. Il n'y aurait pas de loi au Bénin. Vous êtes sur de vous faire arrêter parce que le père de votre copine serait politicien, membre du parti au pouvoir et que vous-même membre de l'ethnie yoruba. D'un autre côté vous dites que le père de votre copine serait également yoruba et musulman comme vous, mais vous seriez « yoruba de l'opposition ».
Vous auriez alors décidé de quitter votre pays d'origine. Vous auriez peur parce que vous seriez recherché par la police et par votre famille. Vous ne faites pas état d'autres problèmes au Bénin et vous ne seriez pas membre d'un parti politique.
En octobre 2009, vous ne vous rappelez pas de la date précise, vous auriez quitté le Bénin en direction du Nigeria avec d'autres personnes pour prendre place dans un bateau moyennant le paiement de 450.000 francs CFA à un « transporteur ». Vous ignorez où vous auriez accosté. Par la suite, vous auriez pris place dans un camion, puis vous seriez descendu près d'une forêt et auriez continué à pieds jusqu'à un centre ville.
Vous seriez arrivé au Luxembourg le 28 octobre 2009, date du dépôt de votre demande de protection internationale. Vous ne présentez aucun document d'identité. Vous auriez laissé votre carte d'identité à votre domicile, parce que vous n'auriez pas su où vous iriez et pour ne pas la perdre. En entretien vous avez accepté de contacter votre ami afin qu'il envoie votre carte d'identité, mais aucun document n'a été présenté à ce jour.
La reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, force est de constater que les faits soulevés ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, constituer une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Vous dites tout d'abord avoir peur de votre famille parce que vous n'auriez pas voulu succéder à votre père, roi de votre village et que vous vous seriez enfui. Pourtant il ne résulte pas de vos déclarations que vous auriez eu des problèmes concrets en raison de ce fait. Vous auriez seulement de temps en temps vu des membres de votre famille et vous vous seriez caché. Vous ne faites pas état de problèmes concrets avec des membres de votre famille, mais auriez peur d'eux. Or, des craintes purement hypothétiques qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable ne constituent certainement pas des motifs visés par la Convention de Genève et la prédite loi du 5 mai 2006. De même il y a lieu de souligner que votre père serait décédé en 2003 et que vous n'auriez finalement décidé de quitter le Bénin en octobre 2009 en raison d'un autre problème. Il y a également lieu d'ajouter qu'il ne ressort également pas de votre récit que « l'ifa » vous aurait effectivement choisi en tant que successeur de votre père.
A cela s'ajoute que des membres de votre famille ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève et de la prédite loi. En effet, les acteurs non étatiques ne sauraient être considérés comme acteurs de persécution que lors que (sic) l'Etat ou des partis ou organisation qui contrôlent l'Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre des persécutions ou atteintes graves. Cette même conclusion doit être tirée en ce qui concerne le père de votre copine décédée, même s'il serait politicien et membre du parti au pouvoir. En application de l'article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 au cas d'espèce, il ne ressort pas du rapport d'entretien que l'Etat ou d'autres organisations gouvernementales présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection quelconque.
La notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée. En l'espèce, il n'existe aucun indice concret relatif à l'incapacité actuelle des autorités compétentes à vous fournir une protection adéquate. En effet, vous dites que la police serait à votre recherche parce qu'il y aurait un procès verbal vous concernant et vous accusant d'un viol d'une fille, en l'occurrence votre copine et que vous l'auriez obligé à avorter. Vous dites ne pas vous être adressé à la police parce que vous seriez sûr qu'on ne vous aurait pas cru et que vous seriez immédiatement arrêté. Or, ce fait est purement hypothétique et basé (sic) sur aucun fait réel et concret et ne saurait constituer un des motifs visés par la Convention de Genève et la prédite loi modifiée du 5 mai 2006. Les craintes que vous exprimez s'analysent donc en l'expression d'un simple sentiment général d'insécurité qu'un acte de persécution.
De même, il ne ressort pas de votre dossier qu'il vous aurait été impossible de vous installer dans une autre région du Bénin, par exemple …pour ainsi profiter d'une possibilité de fuite interne conformément à l'article 30 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Ainsi, vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Une crainte fondée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est par conséquent pas établie.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. Même si la peine de mort existe encore au Bénin, la dernière exécution a lieu en 1993 et le gouvernement béninois est en faveur de son abolition. Vous ne faites également pas état de risques concrets et probables de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour au Bénin ou de risques émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
La présente décision vaut ordre de quitter le territoire. (…) ».
Par requête déposée le 1er octobre 2010 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 26 août 2010 dans la seule mesure où celle-ci porte refus de lui accorder le statut de la protection subsidiaire et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.
1. Quant au recours dirigé contre la décision portant refus d’accorder une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, seul un recours en réformation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée.
Le demandeur déclare ne pas attaquer la décision du ministre en ce que le statut de réfugié politique, au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, lui a été refusé et limiter son recours au volet de la décision déférée lui refusant l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.
Il échet dès lors de lui donner acte de la limitation de son recours au seul volet de la décision ministérielle déférée portant refus de lui accorder le statut de la protection subsidiaire.
Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable, dans la mesure où il est dirigé contre le refus ministériel relatif à la protection subsidiaire.
A l’appui de son recours, le demandeur, déclarant être né au Bénin, expose avoir fui son village natal … pour ne pas devoir succéder à son père sur le trône du village et ainsi attirer la jalousie de ses demi-frères et sœurs. Suite à sa fuite, il aurait d’abord vécu à …, puis à …, où il se serait établi à son compte en tant que vitrier. Il y aurait rencontré une jeune fille, dénommée …qui serait devenue son amie. Le père de la jeune fille, membre actif et influent du parti politique …, n’aurait cependant pas approuvé cette relation amoureuse et aurait ordonné au demandeur de ne plus voir sa fille, sous peine de le faire arrêter par la police. Le demandeur explique que malgré cette menace il aurait continué à voir clandestinement son amie. Un an plus tard, la jeune fille lui aurait annoncé qu’elle était enceinte, nouvelle qu’il aurait accueilli avec satisfaction. Or, son amie, toujours étudiante, aurait voulu avorter. Le couple se serait alors disputé et séparé.
Les jours suivants, la jeune fille n’aurait plus décroché le téléphone et lorsqu’elle aurait finalement répondu, elle lui aurait avoué qu’elle était malade. Le demandeur explique qu’après avoir rendu visite à la jeune fille à son domicile, en l’absence de son père, elle aurait été hospitalisée et il aurait appris son décès quelques jours plus tard par l’intermédiaire d’un ami habitant en face de la famille ….
Le demandeur déclare que quelques jours après le décès de son amie, son colocataire l’aurait averti de quitter son lieu de travail et de le rencontrer ailleurs. Son colocataire lui aurait alors expliqué que la police se serait rendue à leur appartement pour emmener le demandeur au commissariat et que plus tard dans la journée, deux personnes inconnues se seraient également présentées et aurait demandé après le demandeur. Un oncle du colocataire du demandeur, travaillant au commissariat central de police, lui aurait ensuite expliqué qu’une plainte aurait été déposée à son encontre et qu’un procès verbal aurait été dressé qui ferait état du viol d’une femme par le demandeur, du fait qu’il l’aurait contrainte d’avorter et qui décrirait le demandeur comme un criminel et un consommateur de stupéfiants. L’oncle de son colocataire lui aurait ensuite confié qu’il ne pourrait pas l’aider en raison de l’influence du père de la jeune fille et il lui aurait conseillé de faire attention et d’éviter la police pour échapper aux conséquences dramatiques d’une arrestation. Ayant été au courant des exactions que la police de son pays aurait pour habitude de commettre à l’encontre des personnes arrêtées, le demandeur déclare avoir préféré ne plus rentrer chez lui et se rendre chez un ami pour préparer sa fuite.
En droit, le demandeur reproche au ministre d’avoir fait une erreur manifeste d’appréciation en retenant qu’il ne remplissait pas les conditions pour se voir octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire au sens des articles 2 e) et 37 de la loi du 5 mai 2006. Le demandeur précise qu’il aurait fait état lors de son entretien de ses craintes de subir des représailles du père de son amie défunte, de sorte que le risque sérieux de subir des atteintes graves serait réel et avéré en l’espèce. Ainsi, il aurait expliqué qu’il risquerait d’être arrêté et que les conditions de détention au Bénin seraient bien connues et dénoncées par plusieurs sources. D’ailleurs, le fait d’être arrêté sans procès équitable, tout en étant innocent des charges retenues, pourrait être considéré comme traitement inhumain et dégradant.
Le demandeur estime qu’une analyse objective de son récit ainsi qu’une prise en compte de tous les éléments aurait dû amener le ministre à reconnaître les menaces dont il aurait été victime et il conclut que le ministre ne se serait pas livré à une analyse objective et impartiale de sa demande au sens des article 18 et 26 (3) a) à c) de la loi du 5 mai 2006.
Il fait, par ailleurs, exposer que la situation générale au Bénin confirmerait le risque qu’il courrait de subir des mauvais traitements, alors que le Bénin serait connu pour la corruption et les déficiences de son système judiciaire. A l’appui de ses affirmations, le demandeur se réfère à différents articles de presse ainsi qu’à un rapport de la fédération internationale des droits de l’Homme, intitulé « La justice au Bénin :
corruption et arbitraire » du 15 novembre 2004, qui relèverait la déficience des institutions judiciaires du pays, l’arbitraire des détentions, l’ampleur de la corruption dans le domaine particulier de la justice, l’utilisation commune de la torture, et les conditions catastrophiques de détentions.
Le demandeur estime qu’eu égard au faits que la police serait passée à plusieurs reprises à son domicile et sur son lieu de travail, que le père de son amie défunte serait un politicien influent, que les charges de viol et contrainte à l’avortement lui seraient reprochées et que la corruption et des pratiques de torture règneraient au Bénin, sa crainte serait incontestablement fondée, alors qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves dans son pays.
Il estime encore que faute d’une définition précise des notions de « torture ou des traitements ou des sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine », comprises à l’article 37 b), il faudrait se référer à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme rendue sur le fondement de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par la « CEDH ». Les violences physiques et mentales, voire la torture, la détention et la condamnation arbitraire dans les conditions qui sont celles du système policier, judiciaire et pénitentiaire béninois, devaient être considérées comme traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la CEDH.
Pour autant que les motifs exposés par le ministre à l’appui du refus du statut de réfugié puissent également sous-tendre le refus du statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur estime que ces motifs ne pourraient pas justifier la décision déférée.
Le demandeur fait par ailleurs valoir que le ministre aurait, à travers la décision déférée, implicitement exigé qu’il rapporte la preuve qu’il n’aurait pas pu porter plainte et se prévaloir de la protection des autorités de son pays d’origine. Or, cette exigence serait contraire à la loi et plus précisément à l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006.
Le demandeur soutient encore que le ministre n’aurait pas pu lui reprocher de ne pas s’être installé dans une autre partie du Bénin, par exemple à …, alors que, d’une part, il aurait précisément vécu à …et que, d’autre part, les conditions de l’article 30 de la loi du 5 mai 2006, relatif à la possibilité pour une personne menacée de s’installer dans une partie de son pays d’origine où il n’y a aucun risque de craindre d’être persécuté, ne seraient pas remplies en l’espèce. En effet, en l’espèce, la source de son problème serait le père de son amie qui serait un politicien influent et il ne serait pas possible d’imaginer une seule partie du territoire dans laquelle il ne courrait pas de risques réel de subir des atteintes graves, alors qu’il pourrait être retrouvé n’importe où au Bénin.
Le délégué du gouvernement conteste d’abord que le ministre ne se serait pas livré à un examen objectif et impartial de la situation du demandeur ou qu’il n’aurait pas tenu compte des éléments de la loi aux termes de l’article 18 et 26 (3) a) à c) de la loi du 5 mai 2006. Il soutient encore que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé. Selon lui, il ne pourrait pas être admis que les menaces du père de l’amie du demandeur, soient considérées comme atteintes graves au même titre que la peine de mort, l’exécution ou la torture ou le traitement inhumain ou dégradant, ni d’ailleurs comme menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Le représentant étatique ajoute que si le fonctionnement judiciaire et la corruption resteraient encore en 2010 un problème au Bénin, les documents versés en cause par le demandeur datant de 2004 et 2006 ne seraient pas actuels. Ces documents ne tiendraient pas compte des efforts du gouvernement béninois dans la lutte contre la corruption et pour ne pas laisser toutes les violences commises par les autorités policières impunies.
Par ailleurs, étant donné que le demandeur ne présenterait aucune preuve permettant d’établir qu’il serait personnellement touché par la corruption au Bénin, ses affirmations resteraient en l’état de pures allégations. Le délégué du gouvernement estime encore que le demandeur aurait pu s’installer à … où il aurait déjà vécu sans rencontrer de problèmes.
Enfin, il estime que les moyens du demandeur tirés d’une violation de l’article 3 CEDH ne seraient pas fondés.
En ce qui concerne tout d’abord le moyen tiré d’une violation de l’article 18 b) et 26 (3) a) de la loi du 5 mai 2006, le tribunal est amené à retenir eu égard aux pièces versées au dossier administratif et à la décision ministérielle déférée, que ledit moyen laisse d’être fondé. En effet, le ministre a procédé dans sa décision à une analyse détaillée de la situation individuelle du demandeur en prenant position par rapport à ses problèmes allégués avec sa famille ainsi que par rapport aux craintes alléguées par lui de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d’origine, à la lumière de la situation actuelle au Bénin et en se référant à son récit. Par ailleurs, dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement a encore invoqué à la base de la décision déférée un rapport de l’organisation Freedom House de 2010 intitulé « Country Report », ainsi que des articles parus sur internet et ayant trait à la situation au Bénin. Le ministre a donc pris la décision déférée en ayant égard à des informations précises et actualisées de différentes sources et aux faits pertinents concernant le Bénin, de sorte qu’aucune violation des articles 18 b) et 26 (3) a) de la loi du 5 mai 2006 ne peut être constatée.
Par ailleurs, aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays».
L’article 37 de la loi du 5 mai 2006 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure qu’il n’a pas établi des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence de motifs sérieux et avérés permettant de conclure à un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans son pays.
Le demandeur affirme avoir quitté son pays d’origine, d’une part, puisqu’il n’aurait pas voulu être contraint par sa famille de succéder à son père et de devenir le roi de son village et, d’autre part, puisqu’il serait recherché par la police en raison d’une plainte déposée à son égard par le père de son amie défunte.
Quant aux craintes de représailles émanant de sa famille, invoquées par le demandeur, force est de constater qu’il ne ressort d’aucun élément de ses déclarations, telles qu’actées au rapport d’audition, qu’il serait effectivement recherché par sa famille.
Ainsi, il ne ressort d’aucun élément de son récit que sa famille aurait pris une quelconque initiative pour le retrouver ou entrer en contact avec lui. En effet, il affirme avoir quitté son village natal en 2003 et avoir vécu à …, puis à …jusqu’en 2009, soit, durant 6 années, sans avoir jamais rencontré ou entré en contact de quelque manière que ce soit, avec un membre de sa famille. Il s’ensuit qu’il ne ressort des déclarations du demandeur pas de motif sérieux et avéré de croire, qu’en raison de sa famille, il courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, s’il était renvoyé dans son pays d’origine.
Le demandeur affirme encore qu’il serait recherché par la police au Bénin et qu’il risquerait d’être emprisonné et de subir des traitements inhumains et dégradants. Le demandeur fonde ses craintes sur le fait qu’une plainte aurait été déposée à son encontre, qu’un procès-verbal de police aurait été dressé suivant lequel il aurait violé une femme et qu’il l’aurait contraint d’avorter par la suite et que la police aurait été à sa recherche.
Toutefois, force est de constater que le dépôt d’une plainte ne correspond qu’à une accusation de la part d’une personne, qui peut le cas échéant déclencher une procédure judiciaire à l’issue de laquelle seulement la personne concernée peut éventuellement être déclarée coupable. Dès lors, le seul fait qu’une plaine ait été déposée à l’encontre du demandeur et qu’un procès verbal de police afférent ait été dressé ne signifie pas que le demandeur soit déclaré coupable des faits lui reprochés et soit recherché pour être arrêté.
Par ailleurs, dans la mesure où le dépôt d’une plainte peut déclencher une instruction judiciaire, au cours de laquelle il est indispensable de recueillir les déclarations des personnes concernées, le fait que les autorités policières du Bénin aient recherché le demandeur s’explique, alors qu’elles étaient obligées de procéder à son audition. En effet, il ne ressort d’aucun élément du récit du demandeur pour quelle raison les policiers étaient à sa recherche, ou si un mandat d’arrêt a été émis à son encontre. Il échet dès lors de constater qu’au stade actuel de la procédure et à défaut de tout autre élément concret, les faits invoqués par le demandeur ne sont pas suffisants pour pouvoir fonder réellement un risque de subir des atteintes graves en cas de retour dans le pays d’origine du demandeur, au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
Dans le même contexte, le demandeur estime encore que les menaces qu’il aurait subies seraient à qualifier de torture ou de peines ou traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 CEDH.
La Cour européenne des droits de l’Homme a posé, dans sa décision du 18 janvier 1978 Irlande c/ Royaume-Uni, le principe selon lequel seul un mauvais traitement revêtant un minimum de gravité serait à considérer comme acte de torture ou de traitement inhumain et dégradant.
En l’espèce, le demandeur ne se prévaut que du fait qu’une plainte ait été dressée à son encontre et qu’un procès verbal de police afférent ait été dressé. Pourtant, le seul fait de déposer une plainte et de dresser un procès verbal de police relève de la procédure judiciaire et ne saurait, en l’absence de tout autre élément concret, en aucun cas être considéré comme acte de torture ou traitement inhumain ou dégradant. Dès lors, la décision contestée ne peut pas être regardée comme contraire aux dispositions de l’article 3 de la CEDH.
Par conséquent, le tribunal est amené à conclure qu’il n’existe aucun motif sérieux et avéré de croire que le demandeur court un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans son pays d’origine de sorte que le ministre a valablement pu rejeter la demande de Monsieur … en obtention d’un statut de protection subsidiaire.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 26 août 2010 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19 (1) in fine de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre vaut ordre de quitter le territoire.
En l’espèce, le demandeur sollicite, en ordre principal, l’annulation de l’ordre de quitter le territoire au motif que la décision portant refus de reconnaissance d’une protection subsidiaire devrait être réformée.
En ordre subsidiaire, le demandeur fait exposer que l’ordre de quitter le territoire serait constitutif d’une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’Immigration, ainsi que de l’article 3 de la CEDH, au motif qu’il y aurait des risques sérieux et avérés de croire qu’il serait soumis à des traitements inhumains et dégradants dès son retour dans son pays d’origine. Le demandeur estime en effet que le champ d’application de l’article 3 CEDH serait plus large que celui de l’article 2 c) et e) de la loi du 5 mai 2006. Il considère que le degré du risque de faire l’objet de mauvais traitements exigé pour obtenir la reconnaissance d’une protection internationale serait beaucoup plus élevé que celui requis pour interdire l’éloignement de l’étranger vers le pays dans lequel ce risque existe.
En ce qui concerne le moyen tiré d’une violation de l’article 3 CEDH, combiné à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, ce moyen basé sur une interdiction de refoulement est inopérant dans le cadre d’un recours dirigé contre un ordre de quitter le territoire pris en exécution d’une décision de refus de protection internationale, dont il ne constitue que la conséquence automatique et légale. En effet, dans la mesure où un tel ordre de quitter le territoire est dépourvu de force exécutoire, ce n’est qu’à un stade ultérieur de la procédure, lorsqu’une mesure d’éloignement aura été prise à l’égard du demandeur de protection internationale débouté qui s’est maintenu sur le territoire nonobstant l’obligation de quitter le territoire, et qui fixera notamment le pays de renvoi et le délai pour quitter le pays, que les dispositions de l’article 3 CEDH pourront, le cas échéant, être invoquées utilement à l’appui d’un recours dirigé contre la décision d’éloignement.
Dans le cadre du présent recours, ces dispositions sont dénuées de pertinence, d’autant plus que le pays de destination du demandeur n’est même pas fixé.
De surplus, le tribunal vient de retenir que le demandeur n’a pas fait état d’un risque réel de subir des atteintes graves telles que définies à l'article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans son pays d’origine et que les menaces dont le demandeur fait état ne peuvent pas être considérées comme actes de torture ou traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 de la CEDH. Ainsi, la décision contestée ne peut pas être regardée comme contraire aux dispositions de l’article 3 CEDH, d’autant plus que le demandeur n’avance aucun autre élément permettant au tribunal de retenir que la décision sous analyse violerait l’article 3 de la CEDH.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
donne acte au demandeur qu’il limite son recours au refus ministériel relatif à la protection subsidiaire ;
reçoit dans cette mesure en la forme le recours en réformation introduit contre la décision portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
donne acte au demandeur qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Françoise Eberhard, premier juge, Anne Gosset, juge, et lu à l’audience publique du 10 février 2011 par le premier vice-président, en présence du greffier assumé Sabrina Knebler.
s. Sabrina Knebler s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 février 2011 Le Greffier du Tribunal administratif 12