Tribunal administratif N° 27004 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juin 2010 3e chambre Audience publique du 9 février 2011 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures en matière de permis de conduire
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 27004 du rôle et déposée le 15 juin 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’un arrêté du ministre du Développement Durable et des Infrastructures du 30 mars 2010 portant restriction de la validité de son permis de conduire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 2010 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Christian Barandao, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy Schleder en leurs plaidoiries respectives.
En date du 10 février 2010, Monsieur … fut auditionné par la Commission spéciale des permis de conduire, ci-après désignée par « la commission », laquelle commission établit son avis en date du même jour.
Par arrêté du 30 mars 2010, le ministre du Développement Durable et des Infrastructures, désigné ci-après par « le ministre », en considérant que Monsieur … avait à plusieurs reprises enfreint les règles de la circulation routière, et en se fondant notamment sur le prédit avis de la commission du 10 février 2010 restreignit la validité de son permis de conduire, en ce que ledit permis de conduire portera la restriction suivante : « Uniquement valable pour les trajets définis à l'article 92 du Code des Assurances Sociales ainsi qu’à ceux effectués dans l'intérêt prouvé de sa profession », ceci en vertu des articles 2 et 13 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, désignée ci-après par « la loi du 14 février 1955 », et de l’article 90 de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, désigné ci-après par « l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2010, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation dudit arrêté ministériel.
Aucune disposition du Code de la route, ni aucun autre texte de loi ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision déférée. Le tribunal est partant incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.
Le recours en annulation, introduit en ordre subsidiaire, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir qu’il n’aurait pas pu préparer utilement sa défense pour son audition par la commission, ayant eu lieu en date du 10 février 2010.
Le délégué du gouvernement rétorque que, lors de la prédite audition du 10 février 2010, à laquelle le demandeur se serait présenté seul, toutes les prescriptions de l’article 2 de la loi du 14 février 1955 et de l’article 90 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 lui auraient été expliquées.
Force est de prime abord de relever que la lettre de convocation devant le commission du 12 janvier 2010 en vue de l’audition du 10 février 2010 a précisé clairement que le demandeur pouvait se faire assister par un avocat. Par ailleurs, il ressort du procès-verbal du 10 février 2010 que le demandeur a signé lui-même, qu’il avait été informé de toutes les dispositions légales pertinentes.
C’est dès lors à tort que le demandeur se prévaut d’une violation de ses droits de la défense, de sorte que le moyen afférant est à rejeter.
En deuxième lieu, le demandeur soutient que malgré la demande de son mandataire formulée le 28 avril 2010, il n’aurait pas reçu la communication du dossier administratif complet. En l’occurrence, l’avis de la commission, tel que prescrit par l’article 90 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, n’aurait pas été communiqué. Il ne serait par conséquent pas en mesure de vérifier la régularité de la procédure en l’espèce, et plus particulièrement n’aurait-il pas pu vérifier l’existence et la régularité de l’avis de la commission quant au nombre des membres de la commission, quant aux conditions de majorité, quant à sa motivation et quant à sa signature, ainsi que la conformité de la procédure aux exigences de la procédure administrative non-contentieuse.
Le délégué du gouvernement rétorque que la procédure se serait déroulée en respectant toutes les dispositions légales applicables.
Il convient de relever que la communication du dossier administratif imposée par les articles 11 et 12 du règlement grand-ducal modifié du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, et a fortiori la communication d’une seule pièce du dossier administratif, n’est pas une condition de légalité d’une décision administrative qui a été prise préalablement à une demande de communication du dossier administratif, étant relevé que la communication du dossier suite à une telle demande n’a aucune incidence sur la décision d’ores et déjà prise. Il convient encore de relever que le respect de cette obligation de transparence n’est pas une fin en soi. Il s’y ajoute qu’un recours contentieux spécifique est susceptible d’être introduit contre le refus par l’administration de communiquer le dossier administratif.
Le tribunal est amené à relever qu’en l’espèce, l’avis du 10 février 2010 de la commission a été versé par la partie étatique parmi les pièces du dossier, de sorte que le demandeur a eu la possibilité de prendre position de façon pertinente par rapport à la légalité dudit avis et de l’arrêté ministériel déféré, et qu’il ne saurait par conséquent se prévaloir d’un quelconque grief.
Il s’ensuit que ce moyen est à rejeter pour ne pas être fondé.
En troisième lieu, le demandeur soutient qu’il ne comprendrait pas pourquoi au niveau administratif la validité de son permis de conduire aurait été restreinte, alors que le tribunal judiciaire, en l’occurrence le tribunal d’arrondissement de et à Diekirch dans son jugement du 8 janvier 2010, aurait été clément à son égard. Il reconnaît avoir fait l’objet de plusieurs condamnations en matière de circulation, mais il souligne que les infractions les plus graves remonteraient à une époque où il n’avait que 22 ans.
Le délégué du gouvernement rétorque que la motivation de l’arrêté ministériel serait basée sur l’article 2 paragraphe 1er point 3 de la loi du 14 février 1955. Il résulterait du procès-
verbal et de l’avis de la commission, les deux datant du 10 février 2010, que le demandeur était dépourvu du sens des responsabilités requis, dans l’intérêt de la sécurité routière, pour la conduite d’un véhicule.
Aux termes de l’article 2, paragraphe 1er, point 3 de la loi du 14 février 1955 :
« Le ministre des Transports ou son délégué délivre les permis de conduire civils ; il peut refuser leur octroi, restreindre leur emploi ou leur validité, les suspendre et les retirer, refuser leur restitution, leur renouvellement ou leur transcription et même refuser l’admission aux épreuves si l’intéressé : (…) 3) est dépourvu du sens des responsabilités requis, dans l’intérêt de la sécurité routière, pour la conduite d’un véhicule ; (…) » Lorsque le juge administratif est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.1 Dans le cadre de cet examen, il ne saurait cependant substituer sa propre appréciation à celle du ministre.
Le tribunal constate qu’il ressort du dossier administratif, et plus particulièrement du bulletin n° 2 du casier judiciaire du demandeur daté du 6 mai 2009, qu’en novembre 2006, celui-ci a fait l’objet d’une condamnation pénale à une interdiction de conduire de 4 mois avec sursis total et une amende de 240 euros pour circulation avec un taux d’alcool trop élevé, 1 cf. Cour adm. 4 mars 1997, n° 9517C du rôle, Pas. adm. 2009, V° Recours en annulation, n° 15 et autres références y citées qu’en juillet 2008, il a été condamné à une amende de 300 euros pour avoir violé la législation concernant les armes prohibées, ainsi qu’à un an d’emprisonnement avec sursis total, et une amende de 4000 euros pour avoir violé la législation en matière de stupéfiants, et qu’en octobre 2008, il a été condamné pour dépassement de la vitesse prescrite et inobservation d’un signal routier à des amendes de 250 euros, respectivement de 75 euros. Par jugement du tribunal d’arrondissement de et à Diekirch du 8 janvier 2010, le demandeur a encore été condamné pour circulation avec un taux d’alcool trop élevé à une interdiction de conduire de 18 mois avec suris total et une amende de 1000 euros.
Depuis novembre 2006 jusqu’en janvier 2010, donc pendant une époque qui peut être qualifiée de récente, le demandeur a ainsi fait à des intervalles plus ou moins réguliers l’objet de condamnations pénales qui sont susceptibles d’être prises en compte pour examiner la question de savoir si à l’heure actuelle, le demandeur doit être considéré comme mettant en cause la sécurité routière. Il s’ensuit que le moyen du demandeur lié à l’ancienneté des infractions est à rejeter.
S’il ressort du certificat médical du Dr. … du 30 novembre 2011 que le demandeur « ne consomme pour le moment pas de drogues. Les tests étaient négatifs », il est constant que ces tests ne peuvent retracer l’état du demandeur qu’à des moments ponctuels, ce que le Dr. … confirme d’ailleurs en utilisant la formule « pour le moment ». Dans un rapport de police du 4 avril 2009, il a été noté que : « Wie es scheint spricht der Interessent regelmässig dem Alkohol zu. Auch ist bekannt, dass er sich als Konsument « milder » Drogen betätigt. ».
En date du 10 février 2010, le demandeur a déclaré devant la commission : « Je ne consomme plus de drogues. Je ne me souviens plus exactement depuis quand je consomme plus de drogues. Je consomme des boisons alcoolisées d’une façon modérée ». Ces affirmations, loin d’être des réponses claires et précises, sont plutôt vagues et évasives et ne permettent pas de conclure que le sens des responsabilités du demandeur requis, dans l’intérêt de la sécurité routière, pour la conduite d’un véhicule se soit amélioré de façon nette.
Dans ce contexte, il convient de rappeler que la finalité primordiale du contrôle effectué par le ministre en vue de la restriction de la validité d’un permis de conduire est de protéger la sécurité des usagers de la route contre des personnes représentant un danger potentiel à leur égard.2 Or un conducteur qui dans un passé récent a fait l’objet de plusieurs condamnations pour des infractions de natures diverses, mais toutes en relation avec la circulation routière, représente un danger potentiel pour la sécurité des usagers de la voie publique, y compris pour sa propre sécurité.
Le ministre a d’ailleurs tenu compte du fait que le demandeur a besoin de son permis de conduire pour des raisons professionnelles en limitant la validité de son permis de conduire aux trajets professionnels.
Enfin, c’est à tort que le demandeur soutient que le tribunal judiciaire aurait été plus clément à son égard dans la mesure où le ministre n’est pas lié par une décision judiciaire prise en matière d’interdiction de conduire, les conditions d’appréciation dans les domaines respectifs d’une restriction ministérielle de la validité d’un permis de conduire et d’une interdiction judiciaire de conduire n’étant d’ailleurs pas les mêmes.
2 Cf. trib. adm. 9 juin 2010, n° 26376 du rôle, disponible sur www.jurad.lu Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le ministre pouvait valablement retenir que le demandeur est dépourvu du sens des responsabilités requis, dans l’intérêt de la sécurité routière, pour la conduite d’un véhicule, et restreindre la validité de son permis de conduire, sur le fondement de l’article 2 paragraphe 1er point 3 de la loi du 14 février 1955.
Aucun autre moyen n’ayant été invoqué en cause, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Marc Feyereisen, président, Annick Braun, juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 9 février 2011 par le président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Marc Feyereisen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10.02.2011 Le Greffier du Tribunal administratif 5