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26/01/2011 | LUXEMBOURG | N°26863

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 janvier 2011, 26863


Tribunal administratif N° 26863 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 avril 2010 3e chambre Audience publique du 26 janvier 2011 Recours formé par la société … S.àr.l., … contre une décision du directeur de l’administration de l’Emploi en matière d’aides à l’embauche de chômeurs

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26863 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 avril 2010 par Maître Annick Wurth, avocat à la Cour, assi

stée de Maître Brice Olinger, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à L...

Tribunal administratif N° 26863 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 avril 2010 3e chambre Audience publique du 26 janvier 2011 Recours formé par la société … S.àr.l., … contre une décision du directeur de l’administration de l’Emploi en matière d’aides à l’embauche de chômeurs

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26863 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 avril 2010 par Maître Annick Wurth, avocat à la Cour, assistée de Maître Brice Olinger, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société … S.àr.l., établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à l’annulation d’une décision du 13 octobre 2009 par laquelle le directeur de l’administration de l’Emploi a refusé de lui accorder les aides à l’embauche de chômeurs âgés ou de chômeurs de longue durée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 septembre 2010 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Brice Olinger, en remplacement de Maître Annick Wurth, et Madame le délégué du gouvernement Betty Sandt en leurs plaidoiries respectives.

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Après avoir embauché Monsieur …, avec effet au 15 juillet 2009 moyennant un contrat de travail à durée indéterminée, la société … S.àr.l. introduisit le 9 octobre 2009 une demande d’aides à l’embauche de chômeurs âgés et de chômeurs de longue durée.

Par une décision du 13 octobre 2009, le directeur de l’administration de l’Emploi, ci-après dénommé « le directeur », rejeta cette demande au motif qu’un lien de subordination entre Monsieur … et la société … S.àr.l. ferait défaut. Cette décision est de la teneur suivante :

« Madame, Monsieur, J’accuse réception de votre demande d’aides à l’embauche de chômeurs âgés et de chômeurs de longue durée introduite comme suite à l’embauche de :

Monsieur … né le ….

L’instruction de votre dossier dans l’affaire émargée a fait apparaître que Monsieur … est nommé gérant de la société … sarl et que la société sera engagée par la signature unique du gérant. Il en résulte, par conséquent, qu’un lien de subordination entre employeur et salarié, élément déterminant pour retenir une relation salariale, fait défaut dans ce cas.

Dans ces conditions, je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande. (…) ».

Par une lettre de son mandataire du 23 novembre 2009, la société … S.àr.l. fit introduire auprès du directeur un recours gracieux à l’encontre de la décision de refus précitée du 13 octobre 2009.

Ce recours gracieux étant resté sans réponse, la société … S.àr.l. a fait introduire, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 avril 2010, un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du directeur du 13 octobre 2009.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction contre une décision en matière d’aides à l’embauche de chômeurs, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce.

Le recours en annulation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, la partie demanderesse fait exposer qu’avant d’engager Monsieur … comme gérant technique, elle aurait mené de nombreux entretiens téléphoniques avec l’administration de l’Emploi afin de s’assurer qu’elle pourrait bénéficier des aides à l’embauche de chômeurs âgés et de chômeurs de longue durée, telles que prévues par la loi modifiée du 23 juillet 1993 portant diverses mesures en faveur de l’emploi.

La société … S.àr.l. insiste sur l’importance qu’auraient ces aides pour elle d’un point de vue financier, notamment en ce qui concerne les charges sociales à payer pour son salarié. Après avoir obtenu toutes les informations nécessaires à une prise de position, l’administration de l’Emploi lui aurait confirmé qu’elle pourrait bénéficier des aides à l’embauche de chômeurs, ce qui l’aurait amenée à conclure un contrat de travail à durée indéterminée avec Monsieur … et à présenter sa demande d’aides à l’embauche de chômeurs à ladite administration.

La demanderesse relève ensuite que Monsieur … se serait lui aussi renseigné auprès de l’administration de l’Emploi en ce qui concerne le volet des aides au réemploi auxquelles il pourrait prétendre en tant que salarié, et aurait reçu la confirmation qu’il pourrait en bénéficier. Dans ce contexte, la demanderesse souligne le parallélisme des conditions à remplir pour pouvoir bénéficier des aides au réemploi, respectivement des aides à l’embauche de chômeurs, s’agissant en l’occurrence du statut de salarié de la personne embauchée.

Elle fait valoir que, d’une part, le directeur aurait respecté les affirmations faites par son administration lors de plusieurs entretiens téléphoniques, en accordant à Monsieur … les aides au réemploi par sa décision du 29 juillet 2009 et, d’autre part, le même directeur aurait refusé d’accorder à elle les aides à l’embauche de chômeurs par sa décision du 13 octobre 2009.

La demanderesse invoque ainsi la violation par le directeur du principe général de la confiance légitime, en ce sens que par sa décision du 13 octobre 2009, le directeur aurait rompu brusquement, premièrement, avec l’attitude que son administration aurait suivie lors de divers entretiens téléphoniques, aussi bien avec la demanderesse elle-

même qu’avec Monsieur …, deuxièmement, avec sa décision du 29 juillet 2009 accordant les aides au réemploi à Monsieur … et lui reconnaissant ainsi de façon implicite le statut de salarié.

Le délégué du gouvernement n’a pas pris position par rapport à ce moyen.

Ce n’est que dans l’hypothèse où l’administration a créé une situation administrative acquise et réellement reconnu ou créé un droit subjectif dans son chef que l’administré peut prétendre au respect d'un droit acquis en invoquant le principe de la confiance légitime. A l'exception de droits subjectifs définitivement acquis, qui ne sauraient être rétroactivement anéantis par l'administration, alors même qu'ils auraient le cas échéant été illégalement créés, celle-ci peut en principe changer pour l'avenir, une situation administrative créée au bénéfice d'un administré, dès lors que les conditions légales pour le changement de cette situation sont données.1 Or, en l’espèce, force est de constater que le directeur n’avait encore reconnu ou créé aucun droit subjectif dans le chef de la demanderesse. En effet, celle-ci ne saurait tenir pour reconnu dans son chef un droit subjectif du fait que le directeur avait dans une première phase accordé des aides au réemploi en faveur d’un autre administré, à savoir Monsieur …. A défaut de tout droit subjectif reconnu ou créé dans le chef de l’administré, la demanderesse ne saurait se prévaloir d’une violation du principe de la confiance légitime.

Le moyen tiré d’une prétendue violation du principe de la confiance légitime est partant à rejeter.

En second lieu, la demanderesse fait valoir que la décision déférée du 13 octobre 2009 serait basée sur des motifs inexacts au regard de la loi du 23 juillet 1993, précitée, alors qu’il serait erroné de considérer qu’il n’existerait pas de relation salariale entre elle-même et Monsieur …. Elle fait valoir qu’un contrat de travail aurait été conclu entre les deux parties et que Monsieur … aurait été affilié à la sécurité sociale en tant que salarié. A côté de sa fonction de gérant, Monsieur … exercerait encore une fonction technique et serait dès lors à considérer comme salarié. Il effectuerait les mêmes tâches que les autres salariés de la société. Par ailleurs, la demanderesse fait état d’un certain nombre de conditions stipulées dans le contrat de travail qui seraient toutes caractéristiques du statut de salarié. Il s’agirait notamment de la période d’essai, de l’horaire fixe, du salaire fixe, de la voiture de service et du téléphone portable mis à la disposition de son salarié. Monsieur … serait placé sous son autorité et son contrôle.

Le délégué du gouvernement se limite à reprendre les motifs avancés par le directeur dans la décision déférée, à savoir que Monsieur … aurait été nommé gérant 1 cf. Cour. adm. 18 mai 2010, n°26683C, disponible sur www.jurad.lu unique de la société demanderesse et que cette dernière serait engagée par la signature unique de Monsieur …. Le représentant étatique en tire la conclusion qu’un lien de subordination ferait défaut et que Monsieur … ne saurait donc être considéré comme salarié.

Selon une jurisprudence constante des juridictions compétentes en matière de droit du travail, le lien de subordination, critère essentiel du contrat de travail, qui permet de le distinguer d’autres contrats, tel que le contrat d’entreprise, est caractérisé par l’exécution d’un contrat sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements d’un subordonné. Il n’exige cependant pas que l’employeur exerce sur le salarié une direction étroite et permanente, mais il suffit que le premier ait le droit de donner au second des instructions pour l’organisation et l’exécution de son travail2. Plus particulièrement en ce qui concerne le gérant d’une société à responsabilité limitée, la jurisprudence dégagée par les juridictions de travail, retient que le cumul dans le chef d’une même personne des fonctions de gérant et de salarié d’une société à responsabilité limitée est possible, à condition que le contrat de travail soit une convention réelle et sérieuse qui correspond à une fonction réellement exercée et qui est caractérisée par un rapport de subordination de salarié à employeur3. En d’autres termes, il faut qu’il existe une fonction technique distincte de celle du mandat social.

Il convient de relever qu’il ressort du contrat de travail versé en cause que Monsieur … agit sous le contrôle et l’autorité de la demanderesse et qu’il effectue les mêmes tâches que les autres salariés de la société demanderesse, à savoir la création de pages internet et la vente de logiciels informatiques.

Quant au contrat de travail signé le 6 juillet 2009 entre la demanderesse et Monsieur …, il convient de constater que les horaires de travail et la rémunération mensuelle brute de celui-ci sont fixes, qu’il doit immédiatement avertir la société demanderesse en cas d’empêchement de travail, qu’il doit faire un état détaillé de l’utilisation de la voiture de service et que ladite voiture est considérée comme un avantage en nature assujetti aux cotisations sociales.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, au vu des pièces versées en cause par la demanderesse et en l’absence d’autres moyens fournis par la partie étatique, le tribunal est amené à conclure que Monsieur … ne dispose pas d’une indépendance dans l’exercice de ses fonctions de salarié et de gérant technique de la société demanderesse, mais qu’il agit sous le contrôle et l’autorité de la demanderesse, de manière que le contrat de travail, liant Monsieur … à la société demanderesse est une convention réelle et sérieuse correspondant à une fonction réellement exercée, se caractérisant par un lien de subordination.

Il s’ensuit que le directeur a conclu à tort que le lien de subordination entre la demanderesse et Monsieur … faisait défaut.

2 cf. C.S.J. 27 novembre 2008, n° 32887 du rôle, cité in Feyereisen, Code du travail annoté, éditions Promoculture, janvier 2010, p.26.

3 cf. C.S.J. 8 février 2001, n° 24443 du rôle, « Speciale c/ New Love », cité in Feyereisen, op. cit. p. 24.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le motif de refus basé sur l’absence de lien de subordination n’est pas de nature à justifier la décision directoriale déférée qui encourt partant l’annulation.

Enfin, la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.000 euros formulée par le demandeur sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives est à rejeter, étant donné qu’elle omet de spécifier la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et qu’elle ne précise pas en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à charge de la demanderesse.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant annule la décision déférée du 13 octobre 2009 du directeur de l’administration de l’Emploi ;

renvoie le dossier au directeur de l’administration de l’Emploi en prosécution de cause ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.000 euros formulée par le demandeur ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Martine Gillardin, vice-président, Françoise Eberhard, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 26 janvier 2011 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26.01.2011 Le Greffier du Tribunal administratif 5


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 26863
Date de la décision : 26/01/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2011-01-26;26863 ?

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