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24/01/2011 | LUXEMBOURG | N°26651

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 janvier 2011, 26651


Tribunal administratif Numéro 26651 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mars 2010 2e chambre Audience publique du 24 janvier 2011 Recours formé par Monsieur …, alias …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26651 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2010 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …à … (Sierra...

Tribunal administratif Numéro 26651 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mars 2010 2e chambre Audience publique du 24 janvier 2011 Recours formé par Monsieur …, alias …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26651 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2010 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …à … (Sierra Léone), de nationalité sierra-léonaise, alias …, né le …, de nationalité guinéenne, ayant élu domicile en l’Etude de son avocat, tendant à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 29 janvier 2010 portant rejet de sa demande en obtention du statut de réfugié et de protection subsidiaire, et tendant à l’annulation de la même décision du 29 janvier 2010 dans la mesure où celle-ci lui aurait également ordonné de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 avril 2010 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Christian Barandao-Bakele, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 octobre 2010 ;

Vu la rupture du délibéré prononcée par le tribunal en date du 11 novembre 2010 ;

Vu le mémoire additionnel du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 novembre 2010 ;

Vu le mémoire supplémentaire de Maître Nicky Stoffel déposé au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 2010 pour compte de Monsieur …, alias … ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire ainsi que Maître Bouchra Fahime-Ayadi, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc Mathékowitsch en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 décembre 2010.

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Le 25 novembre 2003, Monsieur … alias …, ci-après dénommé « … », introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du 4 mai 2004 par un agent du ministère de la Justice sur son identité et sur son itinéraire de voyage pour arriver au Luxembourg ainsi que sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande en obtention du statut de réfugié.

Monsieur … fut remis par les autorités britanniques aux autorités luxembourgeoises en date du 8 février 2010 suite à une demande de reprise en charge telle que prévue par le règlement dit « règlement de Dublin II ».

Par décision du 29 janvier 2010, notifiée en mains propres à l’intéressé le 8 février 2010, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », nouvellement compétent en la matière, informa Monsieur … que sa demande en obtention du statut de réfugié avait été rejetée comme non fondée et qu’il ne pouvait pas non plus bénéficier de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ». Cette décision est libellée comme suit :

«J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère de la Justice en date du 25 novembre 2003.

En mains le rapport d'audition de l'agent du Ministère de la Justice du 4 mai 2004.

Vous ne vous êtes plus présenté auprès de nos services afin de renouveler votre attestation de demandeur d'asile depuis le 14 février 2005. Vous avez disparu jusqu'au moment où les autorités britanniques nous ont adressé une demande de reprise en charge selon le règlement dit Dublin II en date du 14 août 2009.

Il résulte de vos déclarations qu'en janvier 1999, les rebelles du RUF « Revolutionnary United Front » seraient entrés dans votre village puis auraient fait irruption dans votre maison.

Ils auraient demandé de l'argent à votre père mais celui-ci ayant répondu ne pas en avoir, ils l'auraient tué en le traitant de menteur. Ils auraient volé tout ce qu'il y avait chez vous et vous aurait (sic) embarqué de force. Ils vous auraient forcé de leur indiquer les endroits où auraient vécu des personnes riches afin de les piller. Après avoir pillé plusieurs de ces personnes grâce à votre aide, les rebelles se seraient installés dans un camp et ensuite auraient créé un « checkpoint » à l'endroit où les camions auraient été obligés de transiter pour atteindre la ville de …. Vous auriez été parmi ceux qui auraient stoppé les camions afin de prendre leur cargaison.

Un jour, alors que vous auriez eu pour mission d'apporter des objets volés dans un autre village, un autre groupe rebelle serait venu attaquer (sic) et lors de cette embuscade vous en auriez profité pour vous échapper. Vous auriez finalement atteint un village et vous auriez expliqué aux villageois votre situation. Une dame aurait directement pris soin de vous. Après une semaine, elle vous aurait arrangé la possibilité de vous installer à …dans les bois. Vous y auriez vécu durant 4 ans environ. Vous auriez eu comme activité de cueillir des fruits et de creuser à la recherche de diamants. Finalement un copain vous aurait dit que vous ne pourriez plus vivre dans des conditions aussi misérables et qu'il pourrait vous amener dans un endroit où vous seriez en sécurité. Avec un petit diamant que vous auriez trouvé, (vous pensez qu'il l'aurait vendu pour avoir de l'argent), il vous aurait aidé à quitter la Sierra-Léone (sic) en vous conduisant au bord de la mer pour que vous montiez à bord d'un bateau. Vous auriez quitté la Sierra-Léone (sic) en novembre 2003. Après avoir accosté en Europe, vous indiquez qu'une personne vous y aurait attendu et qu'elle vous aurait acheté un billet de train. Vous seriez ainsi venu en train jusqu'à Luxembourg. Vous avez déposé votre demande d'asile en date du 25 novembre 2003.

Vous précisez que les rebelles ne vous auraient pas maltraité parce que vous leur auriez obéi. Vous mentionnez avoir brûlé un commissariat de police, forcé par les rebelles.

Vous craignez en cas de retour au Sierra-Léone que vos anciens voisins et personnes de votre village, qui vous auraient vu accompagnant les rebelles aux domiciles de riches individus, ne vous tuent. Vous mentionnez les deux fils d'une des victimes qui seraient soldats de profession.

Enfin, vous admettez n'être membre d'aucun parti politique.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est de constater en premier lieu que vous avez quitté le territoire luxembourgeois de façon totalement illégale en vous rendant au Royaume-Uni où vous avez d'ailleurs déclaré une toute autre identité à savoir : « …, né le … ». Vous avez même indiqué comme nationalité « guinéenne », alors que vous vous dites sierra-léonais au Luxembourg. Il s'ensuit que de sérieux doutes existent au sujet de votre réelle identité, respectivement quant à votre pays d'origine, ce qui entache la crédibilité de tout votre récit. Ajoutons en outre que vous n'avez présenté aucun document d'identité auprès de nos services. Sans oublier que votre comportement est à qualifier d'abusif étant donné que vous ne vous êtes pas conformé aux obligations découlant de votre procédure d'asile, vous ne venez plus prolonger votre attestation de demandeur d'asile depuis le 14 février 2005.

Ensuite, même à supposer les faits que vous alléguez comme établis, ils ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans le chef du demandeur d'asile une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. En effet, le fait que des individus puissent se venger s'ils vous rencontrent ne constitue pas un risque de persécution au sens de la Convention de Genève étant donné que ce genre de problème relève du droit commun. En effet, aucun arrière-fond politique, ethnique ou racial n'existe dans la volonté de se venger de ces personnes, respectivement des fils d'une des victimes. A cela s'ajoute que la crainte de ces quelques individus est à qualifier d'hypothétique alors que vous n'avez pas été menacé directement et votre départ de la Sierra Léone datant de 2003, il est peu probable que 7 ans après ces personnes ne vous retrouvent et ne vous fassent du mal. Vous n'avez jusque là pas été persécuté et votre crainte de l'être éventuellement en cas de retour n'est confortée par aucun fait concret et probant. La simple affirmation selon laquelle des gens pourraient vous reconnaître est insuffisante à constituer un risque réel d'être persécuté. Votre crainte est par conséquent hypothétique et ne saurait fonder une crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention de Genève. D'autant plus qu'il ressort de vos déclarations que vous auriez quitté la Sierra Léone (sic) fin 2003, c'est-à-dire bien après la guerre puisque celle-ci s'est terminée en 2001 et officiellement début 2002, vous n'avez pour autant pas rencontré de problèmes avant votre départ. Vous avez même indiqué lors de l'entretien que lorsque vous vous seriez échappé des rebelles, vous auriez expliqué dans un village votre situation et une femme vous aurait directement aidée.

D'ailleurs, il ressort de vos déclarations que vous avez bénéficié d'une possibilité de fuite interne entre 1999 et 2003, vous auriez vécu dans les bois dans un endroit dénommé « bauya ».

Les mauvaises conditions de vie auraient également été une motivation pour quitter la Sierra-

Léone (sic). Or, de telles considérations matérielles sont étrangères au champ d'application de la Convention de Genève.

Par ailleurs, il ressort clairement de votre entretien, respectivement de votre fiche remplie à votre arrivée, que les personnes que vous craignez en cas de retour, à supposer votre crainte réelle, se limitent à vos anciens voisins ou personnes du même village. En effet, vous indiquez « the people of my area » en parlant d'eux. Il s'ensuit non seulement que ces personnes sont privées et non soutenues par l'Etat actuel, il n'est donc pas avéré qu'en cas de problèmes avec eux les autorités ne vous fourniraient pas une protection, mais de plus (sic) si vous ne retournez pas dans votre village il n'existe aucune crainte dans votre chef d'être persécuté.

Enfin, il convient de souligner que depuis votre départ de la Sierra-Léone (sic) en novembre 2003, ce pays a connu une évolution très positive au point que I'HCR a déclaré en juin 2008 la cessation du statut de réfugié pour les sierra-léonais : « les causes à l'origine du problème des réfugiés sierra-léonais ont cessé d'exister. Des changements fondamentaux et durables ont eu lieu depuis que la paix a été déclarée en janvier 2002. » Il a ajouté : « Des améliorations significatives dans les domaines de l'état de droit et du respect des droits de l'homme ont été aussi constatées à travers le pays et deux processus électoraux, en 2002 et en 2007, ont été jugés libres et équitables par la communauté internationale. » La stabilisation de la situation de sécurité dans le pays a rendu possible le retour de 178 000 réfugiés avec l'aide du HCR.

Ainsi, une crainte fondée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est par conséquent pas établie.

En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

En effet, vous n'avez subi aucun mauvais traitement et il n'existe aucun motif sérieux et avéré qui nous permet de penser que vous risquiez réellement en cas de retour de subir des traitements inhumains ou dégradants. En outre, notons que vous n'avez été condamné à aucune peine et que la Sierra Léone (sic) ne connaît à l'heure actuelle pas de conflit armé. Par conséquent, vous ne remplissez pas les critères prévus à l'article 37 de la loi précitée.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. Le bénéfice de la protection subsidiaire tel que prévu par la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection doit également vous être refusé.

La présente décision est susceptible d'un recours en réformation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai d'un mois à partir de la notification de la présente».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2010, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 29 janvier 2010, par laquelle il s’est vu refuser la reconnaissance du statut de réfugié et le bénéfice de la protection subsidiaire. Le même recours tend également à l’annulation d’une prétendue décision, qui serait contenue dans la même lettre du 29 janvier 2010, par laquelle le ministre aurait ordonné au demandeur de quitter le territoire 1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus du statut de réfugié et du bénéfice de la protection subsidiaire Tant l’article 12 de la loi du 3 avril 1996 que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoient un recours en réformation en matière de demandes d’asile et de protection subsidiaire déclarées non fondées. Dès lors un tel recours en réformation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée, lequel recours est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur, déclarant être de nationalité sierra-léonaise, fait exposer qu’il aurait dû quitter son pays d’origine en novembre 2003 de peur d’être victime des agressions et violences quotidiennes qui y règneraient. Il retrace ainsi l’historique de la situation socio-politique du Sierra-Léone en relatant qu’en janvier 1999, sans préjudice quant à la date exacte, des rebelles se seraient rendus dans son village pour piller les habitants et seraient entrés dans son domicile familial, afin de prendre l’argent de sa famille. Son père ayant affirmé en être dépourvu, se serait fait tuer devant sa famille par les rebelles qui l’auraient soupçonné de mentir.

Le demandeur ajoute que les rebelles auraient alors pillé son domicile et l’auraient enrôlé de force à participer aux actes de pillage avec violence perpétrés sur des personnes qui auraient été identifiées par lui comme nanties. Ce serait lors d’une embuscade dont les rebelles auraient été victimes qu’il aurait pris la fuite. Il aurait alors été hébergé dans un village dit …et y aurait survécu dans des conditions misérables durant quatre ans. Ce serait grâce à l’aide financière d’un ami qu’il aurait pu quitter le Sierra-Léone en bateau.

En droit, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir tenu compte de sa situation subjective spécifique laissant supposer un danger sérieux pour sa personne de nature à lui voir accorder le statut de réfugié.

Selon le demandeur, le fait d’avoir été enrôlé par les rebelles à l’âge de 16 ans l’aurait traumatisé vu qu’il aurait été forcé de piller et de blesser des personnes innocentes pour sauver sa propre peau. Il aurait fait l’objet au quotidien de maltraitances et de brutalités par les rebelles et en raison des atrocités qu’il aurait subies, son développement n’aurait pas pu se faire dans des conditions normales. Il déclare craindre en cas de retour dans son pays d’origine des représailles tant de la part de la population civile eu égard aux exactions qu’il aurait commises que de la part des rebelles dont il aurait réchappé par la fuite.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et il conclut au rejet du recours.

Il invoque plus particulièrement un manque de crédibilité des déclarations du demandeur quant aux faits relatés qui se seraient déroulés au Sierra-Léone eu égard aux déclarations divergentes faites par le demandeur devant les autorités britanniques dans le cadre de sa demande d’asile quant à son identité et son pays d’origine par rapport aux déclarations faites quant à ces mêmes données devant les autorités luxembourgeoises.

Selon le délégué du gouvernement, même à supposer crédible le récit du demandeur, il n’en resterait pas moins que ce dernier ne rapporterait pas la preuve d’un risque de persécution actuel.

Sur question afférente du tribunal posée lors de la rupture du délibéré quant à la validité de la base légale retenue par le ministre pour fonder sa décision du 29 janvier 2009, le demandeur conclut que la décision querellée n’est fondée sur aucune base légale dès lors que la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ;

2) d’un régime de protection temporaire, ci-après dénommée « la loi du 3 avril 1996 », aurait été abrogée par la loi du 5 mai 2006. Le délégué du gouvernement conclut que le ministre aurait valablement pris sa décision de demande d’asile sur base de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996.

Il échet de rappeler à cet égard que la loi du 5 mai 2006, qui a abrogé la loi du 3 avril 1996, dispose en son article 74 au titre du régime transitoire comme suit : « par exception au paragraphe 1, les articles (…) 19, 20 et 21 s’appliquent aux seules demandes de protection internationales formulées à partir de l’entrée en vigueur de la présente loi ». Ainsi, l’article 19 s’applique à toute demande de protection internationale introduite après l’entrée en vigueur de la loi du 5 mai 2006. En l’espèce, la demande en obtention du statut de réfugié fut introduite par le demandeur le 25 octobre 2003, soit avant l’entrée en vigueur de la loi du 5 mai 2006, de sorte que le ministre a valablement pris la décision litigieuse sur base de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Il échet de constater qu’ en l’espèce, le ministre a fondé sa décision de refus partiellement sur un manque de crédibilité du récit du demandeur justifié par des doutes sérieux qu’aurait le ministre quant à l’identité réelle du demandeur et quant à son pays d’origine, le demandeur s’étant présenté devant les autorités britanniques sous un pseudonyme et aurait prétexté être ressortissant de la Guinée alors que devant les autorités luxembourgeoises il a affirmé être un ressortissant du Sierra-Léone.

Dès lors qu’un demandeur d’asile doit du moins présenter un récit crédible et cohérent, le tribunal se rallie à la position du délégué du gouvernement qu’en l’espèce la crédibilité du récit du demandeur est fortement ébranlée par le fait qu’il s’est présenté au Royaume-Uni sous une autre identité que celle dont il fait état au Luxembourg.

Par ailleurs, même en faisant abstraction du fait que le demandeur a fait usage de deux identités différentes, l’examen de ses déclarations faites lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En l’espèce, le demandeur affirme que ce serait la crainte de représailles tant de la part des rebelles que de la population civile pour les faits qui se seraient produits entre les années 1999 et 2003 qui auraient motivé sa demande de statut de réfugié.

Force est de constater que les auteurs des persécutions alléguées par le demandeur sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat, de sorte que la crainte d’être persécuté ne saurait être considérée comme fondée que si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection: c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution1.

Or, le demandeur qui avait trouvé refuge et hébergement dans un village rural du Sierra-

Léone pendant les années qui ont suivi le conflit interne ayant éclaté en 1999 jusqu’au moment de sa fuite en 2003 et qui a donc quitté son pays d’origine depuis plus de 7 ans n’a soumis au tribunal aucun indice concret relatif à l’incapacité actuelle dans laquelle se trouveraient les autorités compétentes à lui fournir une protection adéquate, et il n’a pas non plus allégué une démarche concrète de sa part en vue d’obtenir la protection des autorités en place.

1 trib. adm. 13 juillet 2009, n° 25558 du rôle, http://www.justice.public.lu/fr/jurisprudence/juridictions-

administratives/index.html A cet égard, pour apprécier la situation au Sierra-Léone postérieure à l’année 2003, il convient de se référer au rapport de juin 2008 du UNHCR cité par la partie étatique qui relève ce qui suit : « […] les causes à l’origine du problème des sierra-léonais ont cessé d’exister. Des changements fondamentaux et durables ont eu lieu depuis que la paix a été déclarée en janvier 2002. […].Les personnes responsables des atrocités commises durant le conflit ont été inculpées et jugées, par le Tribunal spécial pour la Sierra Léone. Des améliorations significatives dans les domaines de l’état de droit et du respect des droits de l’homme ont aussi été constatés à travers le pays et deux processus électoraux, en 2002 et en 2007, ont été jugés libres et équitables par la communauté internationale ».

Le tribunal est partant amené à conclure qu’eu égard aux améliorations significatives dans le domaine de l’état de droit et du respect des droits de l’homme qui sont intervenues au Sierra Léone postérieurement à l’année 2003 au cours de laquelle le demandeur se serait enfui, telles que citées par ledit rapport du UNHCR, le demandeur reste en défaut de faire état de façon crédible et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social au sens des dispositions de la Convention de Genève, de sorte que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé le statut de réfugié.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Aucun moyen n’ayant été soulevé par le demandeur quant au volet de la décision critiquée portant sur le refus d’octroi de la protection subsidiaire, le tribunal n’a pas à examiner ledit volet.

2. Quant au recours tendant à l’annulation d’une décision portant ordre de quitter le territoire La décision critiquée ne contenant aucun ordre de quitter le territoire, le recours en annulation est irrecevable pour être sans objet.

Par ces motifs , le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation dirigé contre la décision portant refus du statut de réfugié et du bénéfice de la protection subsidiaire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare irrecevable le recours en annulation dirigé contre une prétendue décision portant ordre de quitter le territoire ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Françoise Eberhard, premier juge Anne Gosset, juge, et lu à l’audience publique du 24 janvier 2011 par le premier vice-président, en présence du greffier assumé Sabrina Knebler.

s. Sabrina Knebler s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 janvier 2011 Le Greffier du Tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 26651
Date de la décision : 24/01/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2011-01-24;26651 ?

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