La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/01/2011 | LUXEMBOURG | N°27108

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 janvier 2011, 27108


Tribunal administratif Numéro 27108 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juillet 2010 3e chambre Audience publique du 12 janvier 2011 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale

__________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27108 du rôle et déposée le 19 juillet 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, ins

crit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (I...

Tribunal administratif Numéro 27108 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juillet 2010 3e chambre Audience publique du 12 janvier 2011 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale

__________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27108 du rôle et déposée le 19 juillet 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Iran), de nationalité iranienne, demeurant à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 17 juin 2010 ayant déclaré non fondée sa demande en obtention d’une protection internationale, et tendant, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 août 2010 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 novembre 2010 ;

Vu le complément du dossier administratif versé par le délégué du gouvernement sur invitation afférente du tribunal à l’audience du 17 novembre 2010 ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 décembre 2010.

____________________________________________________________________________

Le 5 février 2009, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

Il fut entendu en date du 16 février 2009 par un agent de la police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur son itinéraire de voyage suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut en outre entendu les 30 avril, 13 août, 14 octobre et 9 et 18 novembre 2009 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, respectivement du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, entretemps en charge du dossier, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 17 juin 2010, notifiée à l’intéressé en date du 24 juin 2010, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée. Cette décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 5 février 2009.

En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

En mains le rapport du Service de Police judiciaire du 18 février 2009 et les rapports des agents du Ministère des Affaires étrangères datés des 30 avril et 13 août 2009 et des 14 octobre, 9 novembre et 18 novembre 2009.

Il ressort du rapport du Service de Police judiciaire que vous auriez quitté Téhéran quatre semaines environ avant d'arriver à Luxembourg. Vous auriez d'abord pris un bus jusqu'à Tabriz, à la frontière irano-turque. Là, un passeur vous aurait emmené par les montagnes jusqu'en Turquie. Après être resté deux jours dans une maison, le passeur vous aurait caché dans la remorque d'un camion et après plusieurs jours de voyage vous seriez arrivé au Luxembourg, alors qu'il aurait été prévu que vous alliez en Norvège. Vous précisez que votre intention, en quittant l'Iran, aurait été d'aller au Canada.

Il résulte de vos déclarations aux agents ministériels que vous auriez commencé à faire du théâtre dès l'âge de huit ou dix ans parce que votre frère était réalisateur et qu'il avait une troupe de théâtre. Vous auriez cependant eu du mal à jouer à cause de la censure qui autoriserait peu de manifestations théâtrales et qui en limiterait les sujets pouvant être traités, surtout en matière de comédie. De plus, le métier d'acteur serait très mal payé, forçant les artistes à avoir d'autres métiers à côté de celui d'acteur. Vous auriez cependant fait partie de la troupe de votre frère, avec laquelle vous auriez monté, entre autres, des représentations dans les écoles.

Vous auriez effectué votre service militaire en étant affecté, contre votre gré, dans une unité anti-émeute dépendant du service de renseignement. Après avoir, à plusieurs reprises, sollicité votre mutation dans une autre unité, vous auriez été affecté à un service de maintenance. Votre santé étant très fragile, vous auriez finalement passé les derniers mois de votre service militaire à remplir des formulaires dans un dispensaire militaire.

Vous expliquez que vous auriez fréquenté des amis étudiants, sympathisants du mouvement des Moudjahiddines. Avec eux, vous auriez participé à une manifestation commémorant les événements du 18 Tir ainsi qu'à une manifestation contre le rationnement de l'essence. A ces occasions, certains de vos amis auraient été arrêtés. Pendant cette période-là, vous auriez aussi souffert de problèmes psychiques, dus notamment à la pression gouvernementale sur la jeunesse iranienne et vous auriez même fait une tentative de suicide.

Vous donnez comme exemple deux placements en garde-à-vue pour n'avoir pas porté la barbe de façon réglementaire. Un jour, vos amis sympathisants des Moudjahiddines vous auraient demandé de participer à l'élaboration d'un clip-vidéo de propagande pour ce mouvement, clip destiné à être diffusé sur You Tube et sur d'autres sites internet. Après avoir hésité, vous auriez accepté de concevoir ce clip. Celui-ci était censé représenter les fondateurs du mouvement moudjahid ; de ce fait les acteurs auraient été costumés et grimés pour être le plus ressemblant possible avec les personnes concernées. Vous-même auriez joué l'un des personnages dans le clip. Comme lieu de tournage, vous auriez proposé le garage de votre immeuble. Alors que vous arriviez à la fin de ce tournage, un de vos amis, travaillant parmi les Bassidj, vous aurait prévenu que vos auriez été tous dénoncés par un habitant de votre immeuble et qu'il aurait vu passer dans son service un rapport faisant état de vos activités dans le garage. Vous auriez alors tout raconté à votre famille qui vous aurait conseillé de quitter le pays. Après votre départ, des forces de l'ordre – sans mandat –seraient passées voir le garage et vous arrêter.

Votre famille serait allée porter plainte au Tribunal contre cette intrusion non autorisée.

Vous ajoutez finalement que certains membres éloignés de votre famille seraient Bahaï mais que vous ne les auriez jamais fréquentés parce que les Bahaï seraient mal vus en Iran.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, les faits que vous exposez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.

En effet, je relève que vos craintes restent à l'état de simples suppositions. D'une part, votre participation à deux manifestations n'a pas eu de conséquences fâcheuses pour vous et d'autre part, vous n'étiez que sympathisant des Moudjahiddines. Le fait d'être sympathisant d'un mouvement, même d'opposition, est insuffisant pour vous conférer le statut de réfugié. En ce qui concerne le clip vidéo que vous auriez tourné dans le garage de votre immeuble, je vous fais remarquer que l'usage des parties communes d'un immeuble à des fins de tournage est toujours soumis à autorisation et qu'il n'est pas impossible que cela ait déplu à un habitant de votre immeuble sans qu'il faille y voir une connotation politique. Je constate aussi que vos parents ont porté plainte au Tribunal après le passage, sans mandat, de prétendus policiers à votre domicile. Finalement, vous vous plaignez de la situation en Iran mais, si préoccupante soit-elle, je vous rappelle que la situation générale du pays d'origine est insuffisante pour octroyer le statut de réfugié.

Je constate ainsi que les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

La présente décision vaut ordre de quitter le territoire. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 2010, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 17 juin 2010, par laquelle il s’est vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale, et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à son égard l’ordre de quitter le territoire.

Dans sa requête introductive d’instance, le demandeur a sollicité la communication de l’intégralité du dossier administratif, respectivement de l’ensemble des pièces remises par lui au ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration avec une traduction officielle. La partie étatique ayant déposé le dossier administratif en date du 18 novembre 2010 sur invitation du tribunal à l’audience des plaidoiries du 17 novembre 2010, le demandeur a déclaré à l’audience des plaidoiries du 8 décembre 2010 que le dossier administratif versé est désormais complet. La demande afférente en communication du dossier sur le fondement de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, respectivement sur le fondement de l’article 8 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives est partant à rejeter pour être devenue sans objet. Il convient encore d’ajouter que le demandeur ne saurait, sur le fondement des dispositions précitées, forcer l’Etat à faire traduire les pièces versées par lui au dossier administratif, alors que les dispositions précitées visent exclusivement la communication du dossier administratif, mais ne mettent pas à charge de l’Etat une obligation de traduire des pièces figurant au dossier administratif.

1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, un recours en réformation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en réformation est recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur, déclarant être de nationalité iranienne, précise qu’il aurait été contraint de quitter l’Iran en raison des troubles y régnant et en raison des activités qu’il y aurait exercées et qui seraient contraires au régime en place.

Il aurait été comédien et se serait par ailleurs intéressé au mouvement d’opposition des Moudjahiddines, ce qui lui aurait causé des problèmes et aurait provoqué sa fuite. Il déclare avoir participé à deux manifestions et fait état de l’arrestation de deux de ses amis dans ce contexte. Le demandeur soutient s’être engagé à produire des clips vidéo pour le mouvement des Moudjahiddines. Les répétitions et le tournage auraient eu lieu dans le garage souterrain de la résidence dans laquelle il habitait. Un ami l’aurait prévenu d’une intervention des bassidjis du fait de ce tournage, de sorte qu’il aurait fui le pays sur conseil de sa famille. Quelques jours plus tard, son domicile aurait été perquisitionné, mais sans mandat, en présence de son frère cadet.

Le demandeur fait encore état d’humiliations pendant le service militaire, et déclare par ailleurs qu’il aurait été victime de trois gardes à vue arbitraires, dont l’une pour avoir rasé sa barbe dans le cadre de son métier de comédien.

Il conclut que les faits avancés par lui devraient être qualifiés de perquisitions au sens de l’article 31 (1) et (2) de la loi du 5 mai 2006.

Les trois gardes à vue, la perquisition illégale et le mandat d’arrêt décerné contre lui parce qu’il aurait voulu tourner un clip vidéo sur les Moudjahiddines, seraient des faits qui par leur nature et par leur caractère répété constitueraient une violation grave des droits fondamentaux. Ces mêmes faits constitueraient encore une « accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme » au sens de l’article 31 (1) a) de la loi du 5 mai 2006.

Les faits invoqués par lui seraient également à qualifier de violences physiques et mentales. La perquisition illégale constituerait une mesure de police disproportionnée. Le mandat d’arrêt décerné en rapport avec les répétitions pour le tournage du clip vidéo projeté serait manifestement contraire aux droits de l’homme. Le fait qu’il n’y a pas eu de poursuites suite à la plainte déposée par ses parents en raison de la perquisition illégale ayant été effectuée démontrerait le refus d’un recours juridictionnel par les autorités iraniennes.

Le demandeur reproche au ministre d’avoir retenu que la participation à des manifestations n’aurait pas entraîné des conséquences pour lui, en invitant le tribunal à lancer une recherche sur internet sur l’Iran, pour conclure que la moindre expression contraire aux intérêts du régime en place serait sévèrement réprimée.

Il donne encore à considérer que le simple fait d’être sympathisant d’un mouvement d’opposition serait réprimé en Iran.

Dans ce contexte, il invite le ministre à verser au tribunal les rapports détaillés de l’Union européenne sous la dénomination « SIRA » pour l’Iran.

Enfin, il souligne que le fait de tourner un film, même sans autorisation afférente, ne devrait pas engendrer une perquisition.

Le demandeur fait enfin état des conséquences psychologiques qu’auraient entraîné les oppressions dont il aurait fait l’objet.

Quant à la situation générale en Iran, le demandeur cite des extraits de divers rapports internationaux, et plus particulièrement du rapport d’Amnesty International de 2010 et du rapport de Human Rights Watch de 2010 sur l’Iran.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en soutenant que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur.

Il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

La notion de persécution est encore définie à l’article 31 de la loi du 5 mai 2006.

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.

En effet le demandeur, originaire de l’Iran, fait état de craintes de persécutions en raison du fait qu’il aurait tourné un clip vidéo sur les Moudjahiddines et que de ce fait, les autorités auraient effectué une perquisition à son domicile après sa fuite de son pays d’origine et auraient décerné un mandat d’arrêt à son encontre. Il fait encore état de sa participation à deux manifestations.

Quant à la situation générale régnant en Iran, la partie étatique ne conteste pas qu’elle soit préoccupante. C’est cependant à juste titre que le représentant étatique souligne qu’en l’espèce, cette situation générale à elle seule n’est pas suffisante pour conférer au demandeur une protection internationale, de sorte qu’il convient d’examiner la situation particulière de celui-ci.

Il y a de prime abord lieu de relever que la participation à deux manifestations, l’une contre le rationnement de l’essence, l’autre en commémoration des événements du 18 Tir, ne permet pas de retenir dans le chef du demandeur une crainte fondée de persécution. Même si deux de ses amis ont été arrêtés à l’occasion de ces manifestations, le demandeur n’a fourni aucun élément de nature à faire admettre que lui-même ait été inquiété personnellement de ce fait par les autorités iraniennes ou qu’il court pour le moins un risque réel de l’être que ce soit pour avoir participé à ces manifestations ou que ce soit pour y avoir été identifié comme un sympathisant des Moudjahiddines.

Plus particulièrement, quant à ses liens avec le mouvement des Moudjahiddines, il se dégage des explications du demandeur qu’il n’est pas à considérer comme un membre actif, mais qu’il s’est seulement intéressé à ce mouvement et qu’il fréquentait des amis qui dans la suite se sont révélés être des membres du mouvement des Moudjahiddines (cf. page 5 et 6 du rapport d’audition des 14 octobre, 9 et 18 novembre 2009). D’après les explications du demandeur, ses liens plus concrets avec ce mouvement se seraient limités à un projet de tournage d’un clip vidéo sur ce mouvement.

La partie étatique, pour sa part, soutient que le simple fait d’être un sympathisant des Moudjahiddines ne serait pas suffisant pour fonder une crainte réelle de persécutions et met, d’autre part, en doute le lien entre l’intervention des autorités dans le cadre du tournage du clip vidéo et le fait que le demandeur est sympathisant du mouvement des Moudjahiddines. La partie étatique soutient ainsi que cette intervention pourrait s’expliquer davantage par le mécontentement d’un des habitants de l’immeuble dans le garage duquel le clip vidéo devait être tourné et dans lequel les répétitions ont eu lieu, que par des considérations politiques.

Le tribunal constate que si le demandeur a cité à l’appui de son recours des extraits de deux rapports internationaux, en se limitant d’ailleurs à fournir les références de publication seulement pour un de ces rapports, à savoir celui d’Amnesty International, ces publications traitent de la situation générale régnant en Iran, qui d’ailleurs n’a pas été mise en doute par le délégué du gouvernement, mais ne contiennent aucune appréciation sur la situation particulière des simples sympathisants du mouvement des Moudjahiddines. Or, si la partie étatique ne semble pas mettre en doute la réalité des risques encourus par les membres de ce mouvement, elle conteste cependant que tel soit le cas d’un simple sympathisant. Le demandeur reste cependant en défaut de soumettre au tribunal des rapports internationaux ou des publications d’autres sources officielles permettant de retenir que contrairement aux contestations afférentes de la partie étatique, le seul fait d’être un sympathisant du mouvement des Moudjahiddines serait suffisant pour fonder une crainte réelle de persécutions.

La demande formulée par le demandeur tendant à voir condamner la partie étatique à verser les rapports « SIRA » doit être rejetée, dans la mesure où la partie étatique a déclaré à l’audience des plaidoiries de manière non contestée que la banque de données qu’elle appelle « SIRCA » n’existerait plus et que les banques de données consultées par elle seraient accessibles au public, de sorte qu’il aurait appartenu au demandeur, qui se prévaut de l’existence de risques réels pour les simples sympathisants du mouvement des Moudjahiddines, face aux contestations de la partie étatique, de fournir au tribunal des pièces permettant de justifier ses dires.

Le demandeur a certes encore fait état de documents qu’il a soumis au ministre et qui se trouvent parmi les pièces du dossier administratif. Il convient cependant de relever que tous ces documents, qui semblent correspondre à des articles publiés sur internet, sont rédigés dans une langue non accessible à la compréhension du tribunal et ne sont pas accompagnés d’une traduction. C’est à tort que le demandeur sollicite du tribunal d’enjoindre à la partie étatique de fournir une traduction en français de ces pièces. Face aux contestations de la partie étatique sur la réalité du risque encouru par un simple sympathisant du mouvement des Moudjahiddines, il aurait appartenu au demandeur de soumettre au tribunal des pièces de nature à justifier le caractère fondé de ses craintes, soit en individualisant parmi les différentes pièces qu’il a soumises au ministre celles qui sont pertinentes pour avoir trait à la situation des simples sympathisants du mouvement des Moudjahiddines et en les faisant traduire, soit en fournissant au tribunal des rapports internationaux ou d’autres publications dans une langue que le tribunal est susceptible de comprendre. En effet, même en la présente matière où durant la phase administrative, le demandeur d’asile et le ministre ont en vertu de l’article 26 (1) de la loi du 5 mai 2006 une obligation de collaboration, la phase contentieuse obéit aux règles de preuve de droit commun en ce que le demandeur qui critique la décision de refus de lui accorder une protection internationale et, en l’occurrence, critique l’appréciation faite par le ministre de la situation régnant dans son pays d’origine, et qui invoque un fait doit en établir la preuve en cas de contestation par la partie adverse. Enfin, le demandeur ne saurait suppléer à sa carence en invitant le tribunal à effectuer une recherche sur internet avec des mots clé sur la situation en Iran, un tel procédé violant de façon évidente les droits de la défense. La demande en institution d’une instruction complémentaire à travers la nomination d’un expert afin d’examiner l’existence d’un danger dans le chef du demandeur en cas de retour en Iran est encore à rejeter dans la mesure où le demandeur est resté en défaut de justifier l’existence d’une instruction insuffisante par le ministre. D’autre part, à défaut par le demandeur de fournir des pièces sur la situation des simples sympathisants du mouvement des Moudjahiddines, celui-ci ne saurait être admis à suppléer à cette carence par l’institution d’une mesure d’instruction.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le demandeur est resté en défaut de soumettre au tribunal des éléments de nature à admettre que le seul fait d’être sympathisant des Moudjahiddines justifie dans son chef une crainte fondée de persécution.

Le demandeur fonde encore ses craintes de persécution sur l’intervention des autorités au sujet du tournage d’un clip vidéo pour le mouvement des Moudjahiddines dans le garage souterrain de l’immeuble habité par lui et par sa famille. Or, le tribunal est amené à retenir que les explications fournies par le demandeur ne permettent pas de lever le doute émis par le ministre sur la réalité de la motivation politique de l’intervention des autorités. Le document intitulé, d’après la traduction figurant au dossier, « mandat d’arrêt », dont la portée exacte est litigieuse entre les parties, n’est pas de nature à faire admettre un risque réel de persécution dans le chef du demandeur en raison du projet de tournage d’un clip vidéo pour le mouvement des Moudjahiddines. En effet, indépendamment de la question de la qualification juridique de ce document, il convient de relever que ce document ne mentionne aucun chef d’accusation et mentionne seulement que le demandeur doit comparaître devant le tribunal judiciaire d’Abouzar et non pas devant un tribunal révolutionnaire ayant, d’après les rapports versés aux débats par la partie étatique, à connaître des cas impliquant des reproches à connotation politique. Il s’ensuit que le libellé du document litigieux confirme plutôt la thèse de la partie étatique que le demandeur a été inquiété pour des motifs autres que ceux liés à ses liens avec le mouvement des Moudjahiddines. Si une perquisition illégale avait été effectuée, il n’est pas non plus établi, face aux contestations de la partie étatique, qu’elle soit en relation avec l’activité du demandeur pour les Moudjahiddines. Pour le surplus, il convient de relever que les parents du demandeur ont pu déposer plainte suite à cette perquisition.

Enfin, les humiliations que le demandeur déclare avoir subies lors de son service militaire, si condamnables soient-elles, s’inscrivent, au vu des explications fournies par lui lors de ses auditions, plutôt dans le contexte de tracasseries auxquelles sont soumises les jeunes recrues par leurs anciens (cf. rapport des auditions du 30 avril et 13 août 2009, page 8/14), qu’elles n’aient été provoquées par des considérations liées à l’un des motifs de persécution prévus à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.

Quant aux gardes à vue dont le demandeur déclare avoir été victime, il se dégage des explications fournies par celui-ci qu’une de ces gardes à vue a eu lieu en rapport avec une altercation, de sorte que le tribunal ne saurait retenir, à défaut d’autres éléments, que cette garde à vue ait eu lieu pour un des motifs de persécution prévus à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006. Le demandeur invoque une autre intervention des autorités, à savoir une arrestation, puisqu’il avait rasé sa barbe pour un rôle de théâtre. Si cette arrestation est certes condamnable, elle n’est à elle seule, à défaut d’autres éléments, pas de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le demandeur n’a pas soumis au tribunal des éléments permettant de retenir dans son chef une crainte fondée de persécution dans son pays d’origine.

Si certes, en vertu de l’article 31 (1) a) et b) de la loi du 5 mai 2006, invoqué par le demandeur, des actes peuvent être qualifiés de persécution par leur accumulation, il est néanmoins requis, dans cette hypothèse, que ces actes, pris dans leur globalité, revêtent un degré de gravité certain pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme. Tel n’est cependant pas le cas en l’espèce, dans la mesure où parmi les actes mis en avant par le demandeur ceux qui sont liés à des motifs de persécution prévus par la loi du 5 mai 2006 ne sauraient être considérés, même pris dans leur globalité, comme suffisamment graves pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié du demandeur.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un statut de protection subsidiaire, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Le demandeur n’invoque aucun moyen spécifique à l’appui du volet de son recours dirigé contre le refus de lui accorder la protection subsidiaire. Il se limite à soutenir qu’il risquerait des actes de torture, sinon des traitements inhumains en cas de retour dans son pays d’origine, en faisant état d’un manque de sécurité y régnant.

Au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que malgré la situation générale régnant en Iran, les faits et motifs invoqués par le demandeur pour justifier qu’eu égard à sa situation particulière il répond aux conditions d’attribution du statut de réfugié manquent de fondement, il y a lieu de retenir qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes événements ou arguments, qu’il existerait des raisons sérieuses de croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, le demandeur encourrait un risque réel et avéré de subir des atteintes graves visées à l’article 37 précité, à savoir la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou encore des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Il se dégage de tout ce qui précède et, en l’absence d’autres éléments, que c’est à juste titre que le ministre a retenu que le demandeur n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il court le risque en cas de retour dans son pays d’origine de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il lui a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a, au terme de l’analyse de la situation du demandeur, déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée.

Le recours en réformation est partant à rejeter comme étant non fondé.

2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 17 juin 2010 est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur se limite à soutenir que face aux menaces pesant sur lui au regard de ses explications fournies à l’appui de son recours contre le refus de lui accorder une protection internationale, l’ordre de quitter le territoire aurait été pris en violation de la loi.

Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire.

Dans la mesure où le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que le demandeur n’est pas fondé à se prévaloir du statut conféré par la protection internationale, il n’est pas saisi d’éléments permettant de remettre en cause la légalité ou le bien-fondé de la décision portant ordre de quitter.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

rejette la demande en communication du dossier administratif ;

rejette la demande en institution d’une expertise ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 17 juin 2010 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Martine Gillardin, vice-président, Annick Braun, juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 12 janvier 2011 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13.01.2011 Le Greffier du Tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 27108
Date de la décision : 12/01/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2011-01-12;27108 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award