Tribunal administratif N° 26876 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mai 2010 1re chambre Audience publique du 12 janvier 2011 Recours formé par la société civile immobilière …S.c.i., …, contre une décision du ministre délégué au Développement durable et aux Infrastructures en matière de protection de la nature
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26876 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 mai 2010 par Maître Jean WELTER, avocat à la Cour, inscrit du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société civile immobilière …S.c.i., établie et ayant son siège à L-…, représentée par ses gérants en fonctions, tendant à la réformation d’une décision du ministre délégué au Développement durable et aux Infrastructures du 29 janvier 2010 portant refus de sa demande d’autorisation pour le maintien d’un parking provisoire sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de Bertrange, section A de Bertrange, jouxtant le centre commercial City Concorde ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Jean WELTER en ses plaidoiries à l’audience publique du 10 janvier 2011.
_____________________________________________________________________
La société civile immobilière …S.c.i. débuta au courant de l’année 2006 des travaux ayant pour objet l'agrandissement et la transformation du centre commercial City Concorde à Bertrange dont elle est la propriétaire.
Dans le cadre de ces travaux, elle fit adresser au ministre de l’Environnement une demande tendant notamment à l’obtention d’une autorisation en vue de l’aménagement d’une extension temporaire de son parking sur des fonds sis en zone verte au sens de l’article 5 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, demande que le ministre de l’Environnement accueillit favorablement par décision datée du 15 septembre 2006, ladite décision stipulant cependant en son point 5) que « le parking provisoire sera enlevé au plus tard trois mois après l’achèvement des travaux d’agrandissement du centre commercial. Le terrain sera rendu à sa vocation agricole à l’exclusion de la haie mise en place qui sera conservée ».
Les travaux d’agrandissement achevés, la société civile immobilière …S.c.i.
fit introduire par l’intermédiaire du bureau d’ingénieurs-conseils LUXPLAN s.a. une demande datée du 13 novembre 2009 visant en substance à se voir autoriser à conserver le parking provisoire « suite à sa transformation en parking écologique et à la mise en place de mesures compensatoires adaptées ».
Le 29 janvier 2010, le ministre délégué au Développement durable et aux Infrastructures opposa un refus à ladite demande, refus motivé comme suit :
« En réponse à votre requête du 13 novembre 2009 par laquelle vous sollicitez l'autorisation pour le maintien du parking provisoire aménagé dans le cadre de l'agrandissement du centre commercial Concorde à Bertrange, je suis au regret de vous informer que la loi ne m'habilite pas à y réserver une suite favorable.
En effet, le terrain en question est situé en zone verte telle que définie par le Plan d'Aménagement Général, zone dans laquelle seules des constructions à caractère agricole ou similaire peuvent être autorisées, ceci en vertu des dispositions de l'article 5 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles.
En exécution de la décision de mon prédécesseur le terrain devra être remis dans son état initial dans un délai d'ici trois mois.
La présente décision est susceptible d'un recours en réformation devant le tribunal administratif, recours qui doit être intenté dans les trois mois de la notification par requête signée d'un avocat. » Par requête déposée en date du 3 mai 2010, inscrite sous le numéro 26876 du rôle, la société civile immobilière …S.c.i. a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle pré-relatée du 29 janvier 2010.
Conformément aux dispositions de l’article 58 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, un recours au fond est prévu à l’encontre des décisions du ministre compétent en matière d’environnement statuant en vertu de ladite loi, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.
Le recours en réformation, introduit dans les formes et délai et de la loi, est recevable.
Il y a lieu de relever d’abord que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg n’a pas fourni de mémoire en réponse en cause dans le délai légal, bien que la requête introductive ait été valablement notifiée par la voie du greffe au délégué du Gouvernement en date du 3 mai 2010. Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties, même si la partie défenderesse n’a pas comparu dans le délai prévu par la loi.
Quant au fond, la société civile immobilière …S.c.i. conteste le motif avancé par le ministre délégué au Développement durable et aux Infrastructures, ci-après « le ministre », selon lequel la loi ne l’habiliterait pas à réserver une réponse favorable à sa demande, la société civile immobilière …S.c.i., ci-après « la société …», estimant au contraire que le ministre compétent disposerait d'un large pouvoir d'appréciation.
Si la demanderesse admet que le terrain sur lequel le parking litigieux a été provisoirement aménagé est effectivement situé dans la zone verte du plan d'aménagement général de la commune de Bertrange, zone verte qui serait en principe réservée aux constructions à caractère agricole ou similaire, elle estime néanmoins que ce principe comporterait diverses exceptions, et ce notamment en application des articles 1er et 56 de la loi du 19 janvier 2004, exceptions qui devraient conduire à permette l’aménagement d’un parking écologique en zone verte, un tel parking étant à son avis compatible avec les objectifs inscrits aux articles sus-
mentionnés.
La société …relève par ailleurs que l'article 5 de la loi du 19 janvier 2004, outre d’autoriser en zone verte des constructions servant à l'exploitation agricole ou similaire, autoriserait encore des constructions servant à un but d'utilité publique. Or, elle estime que le commerce en général, et plus spécialement les commerces de grande surface, comme le centre commercial City Concorde, même s’ils seraient conçus, construits et exploités par des promoteurs agissant dans leur intérêt privé, répondraient également, à une fin d'intérêt général, équivalant à l'utilité publique, et ce nonobstant le fait que cet intérêt, qui serait également celui des commerces établis dans ces centres, des nombreux salariés qui y travaillent et de la clientèle qui les fréquente, correspondrait encore à l'intérêt privé de son propriétaire.
Elle estime encore que la loi modifiée du 19 janvier 2004 soumettrait de manière générale les constructions en zone verte à des conditions renforcées dans le but d'assurer leur compatibilité avec la protection de la nature, mais n’interdirait cependant pas purement et simplement de telles constructions. Plus particulièrement, l’article 5 de la loi du 19 janvier 2004 ne ferait pas obstacle à l'autorisation sollicitée, de sorte que ce serait à tort que le ministre aurait refusé d’examiner plus en avant sa demande.
Or, à cet égard, elle affirme que l'aspect du parking écologique définitif ne compromettrait pas le site sur lequel il serait projeté de l'aménager, la société …relevant en particulier qu’elle serait d’accord à supprimer l'éclairage public et un abri pour caddies y installés, de même qu’elle serait disposée à modifier le sol du parking et les plantations qui l'entourent pour mieux les intégrer dans le milieu, le revêtement en dur des voies de circulation, à l'exception des rampes d'accès en pente, devant notamment être supprimé.
Enfin, elle étudierait la possibilité d'augmenter l'attrait des lieux par des plantations et diverses adaptations, et se serait engagée à réaliser des mesures compensatoires en vue de restituer les biotopes et l'habitat prévus par l'article 17 de la loi modifié du 19 janvier 2004.
Il est constant en cause que les fonds devant accueillir le parking qualifié d’ « écologique » par la demanderesse sont situés dans une zone verte au sens de l’article 5 de la loi modifiée du 19 janvier 2004, réservée aux seules constructions « servant à l'exploitation agricole, jardinière, maraîchère, sylvicole, viticole, piscicole, apicole ou cynégétique ou à un but d'utilité publique ».
Il convient de prime abord de relever que l’examen de l’impact environnemental éventuel d’un projet, opéré par le ministre sur base de l’article 56 de la loi modifiée du 19 janvier 2004, notamment par rapport aux critères inscrits à l’article 1er de la même loi, n’intervient qu’après la vérification de la conformité du projet à l’affectation de la zone verte, mais n’est pas d’application lorsqu’un projet, de par sa nature, n’est pas compatible avec cette même zone, le ministre n’ayant dans cette hypothèse pas d’autre option que de refuser purement et simplement l’autorisation sollicitée1.
Il convient dès lors d’analyser avant tout autre progrès si, en l’espèce, l’affectation projetée rentre dans les prévisions de l’article 5 de la loi du 19 janvier 2004.
L’affectation projetée d’un parking destiné à desservir un centre commercial ne constitue pas une exploitation agricole, ni d’ailleurs une exploitation jardinière, maraîchère, sylvicole, viticole, piscicole, apicole ou cynégétique.
Il convient dès lors d’examiner la question de savoir si l’affectation est susceptible d’être considérée comme poursuivant un but d’utilité publique, comme l’entend la demanderesse.
Or, le principe même de la non-constructibilité applicable pour la zone verte, sous réserve des exploitations limitativement énumérées à l’article 5 de la loi du 19 janvier 2004, appelle comme corollaire une interprétation stricte des exceptions légalement prévues2. La notion d’exploitation servant à un but d’utilité publique doit dès lors être interprétée restrictivement3.
La partie demanderesse, tel que relevé ci-avant, considère que ledit centre commercial relèverait de l’intérêt général « équivalant à l'utilité publique », de sorte que le parking le desservant devrait être considéré comme compatible, en son principe, avec la destination de la zone verte.
Le tribunal tient à ce sujet de prime abord à relever que la notion d’intérêt général n’équivaut juridiquement pas à celle plus restrictive d’utilité publique, le seul intérêt général, par exemple n’habilitant pas les autorités publiques à procéder à des opérations d’expropriation, celles-ci ne pouvant être réalisées que dans un but d’utilité publique, caractéristique qui seule habilite la puissance publique à imposer des contraintes de droit public.
En l’espèce, force est de constater qu’un parking destiné à desservir un centre commercial, exploité à des fins purement privées, dans un but lucratif, - même s’il est exact que le caractère lucratif n’est pas en lui-même un critère d’exclusion de l’utilité publique de l’activité -, et qui ne répond pas à un besoin de la population dans sa généralité qui relèverait le cas échéant du service public, n’est pas à considérer comme servant un but d’utilité publique.
1 Trib.adm., 24 octobre 2007,n° 22683 ; trib. adm. 17 mars 2008, n° 22875 2 Voir notamment trib. adm. 8 juillet 1997, n° 9533, Pas. adm. 2009, V° Environnement, n° 23, et autres références y citées.
3 Trib. adm. 18 décembre 2008, n° 24280 et 24466.
Cette conclusion n’est pas énervée par le fait que ledit centre commercial et par conséquent le parking le desservant, répondraient à l’intérêt d’un grand nombre de consommateurs ainsi qu’à un certain nombre de salariés ; en effet, l’intérêt privé, même collectif, d’un grand nombre d’individus ne suffit pas à donner le caractère d’utilité publique à une entreprise quelconque, car ils ne sont pas le public mais une somme d’individus dont l’intérêt ne sera jamais qu’un intérêt privé4.
Il s’ensuit que l’affectation projetée ne rentre pas dans les prévisions de l’article 5 de la loi du 19 janvier 2004, de sorte que le ministre a valablement pu refuser l’autorisation sollicitée sur base de la loi du 19 janvier 2004, conclusion qui s’impose indépendamment de la question de l’impact de l’ouvrage sur le paysage et l’environnement en général, de sorte qu’il devient sans pertinence d’analyser cet impact.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
quant au fond le dit non justifié ;
partant en déboute ;
laisse les frais à charge de la demanderesse.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 janvier 2011 par :
Marc Sünnen, premier juge, Claude Fellens, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier assumé Michèle Hoffmann.
s. Hoffmann s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12.1.2011 Le Greffier du Tribunal administratif 4 A. Buttgenbach, Manuel de droit administratif, 1954, p.285, n° 408.