Tribunal administratif N° 26756 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mars 2010 1re chambre Audience publique du 12 janvier 2011 Recours introduit par la société à responsabilité limitée …, contre une décision du collège des bourgmestre et échevins de la Ville d’Esch-sur-Alzette en matière de marchés publics
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JUGEMENT
Vu le recours introduit le 26 mars 2010 sous le numéro du rôle 26756 par Maître Roland ASSA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au Registre du Commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du collège des bourgmestre et échevins de la Ville d’Esch-sur Alzette du 20 février 2009 d'annuler la soumission publique du 12 septembre 2008 relative aux travaux de gros-œuvres dans le cadre de l'agrandissement de l'école de Lallange et de la construction d'une structure d'accueil à Esch-sur-Alzette, notifiée par courrier du 25 février 2009 ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 31 mars 2010 portant signification de ce recours à l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 30 juin 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Steve HELMINGER, au nom de l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 30 septembre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Roland ASSA pour le compte de la partie demanderesse ;
Vu le mémoire en duplique déposé le 29 octobre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Steve HELMINGER, au nom de l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette ;
Vu les pièces versées et notamment la décision attaquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Jonathan MICHEL, en remplacement de Maître Roland ASSA, et Maître Steve HELMINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 janvier 2011.
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La Ville d’Esch-sur-Alzette lança par avis d'adjudication du 20 août 2008 une procédure de soumission relatifve à des travaux à exécuter dans le cadre de l'agrandissement de l'école de Lallange et de la construction d'une structure d'accueil à Esch-sur-Alzette, procédure à laquelle la société à responsabilité limitée …, ci-après « la société … » participa en qualité de soumissionnaire.
Il résulte du procès-verbal de l’ouverture de la soumission du 12 septembre 2008 que l’offre remise par la société … était, pour un montant TVAC de 2.244.318,46 euros, l’offre la moins-disante.
Par courrier du 4 décembre 2008, la société … s’enquit du sort réservé à sa soumission en demandant, au vu du classement de son offre comme étant la moins-
disante, l’adjudication du marché à son profit.
Après consultation de la commission des soumissions étatique en date du 12 janvier 2009, ladite soumission fut annulée par décision du collège des bourgmestre et échevins de la Ville d’Esch-sur Alzette du 20 février 2009 au motif la soumission n’aurait pas donné de résultat satisfaisant.
Par courrier du 25 février 2009, le bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette informa la société … que le collège des bourgmestre et échevins avait décidé, dans sa délibération du 20 février 2009, d'annuler la soumission publique en question, « les offres dépassant de loin le montant du devis établi pour les travaux en question », mais qu’une remise en adjudication sous forme d’une nouvelle soumission publique se ferait dans les meilleurs délais.
Par voie de requête déposée le 3 février 2010 au tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg, la société … assigna l'administration communale d'Esch-sur-Alzette afin d'obtenir réparation de son préjudice découlant des fautes prétendument commises par le pouvoir adjudicateur lors de l'annulation de la soumission publique à son détriment.
Suivant avis d'adjudication du 18 mars 2009, le collège des bourgmestre et échevins remit en adjudication les travaux à exécuter dans l'intérêt de l'agrandissement de l'école de Lallange et construction d'une structure d'accueil ; la société … ayant participé à cette deuxième soumission, elle fût, lors de l’ouverture des soumissions, classée cinquième sur les dix offres reçues.
Par courrier du 8 septembre 2009 du bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette, la société … fut informée de ce que son offre n'avait pas été retenue au motif qu'elle n'était pas la moins-disante et à défaut de réclamation, sinon de recours contentieux, le marché fut conclu avec la société ….
Par requête déposée le 26 mars 2010 au greffe du tribunal administratif, la société … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du collège des bourgmestre et échevins de la Ville d’Esch-sur-
Alzette du 20 février 2009 portant annulation de la soumission publique du 12 septembre 2008.
Quant à la recevabilité La loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics ne prévoit pas la possibilité d’exercer un recours en réformation contre une quelconque décision prise en cette matière, de sorte que seul un recours en annulation est possible contre les décisions querellées.
Il s’ensuit que le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.
En ce qui concerne la recevabilité du recours subsidiaire en annulation, la Ville d’Esch-sur-Alzette relève que la signification de la requête introductive d’instance aurait eu lieu entre les mains du collège des bourgmestre et échevins, de sorte que le recours ainsi signifié serait à déclarer irrecevable étant donné que l'administration communale serait à assigner en la personne de son bourgmestre.
Il convient cependant de relever à cet égard qu’aux termes de l’article 29 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, «l’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense », l’intention du législateur formulée par l’auteur de la proposition de loi numéro 4326 ayant abouti à la loi du 21 juin 1999 ayant été exprimée en ce sens que la disposition devenue l’article 29, qualifiée « d’importante », « constitue le reflet de l’article 173, alinéa 2 du code de procédure civile. Sa formulation s’entend plus large que celle du code de procédure civile, qui a conduit à des résultats très insatisfaisants en jurisprudence judiciaire, même après la réforme du texte en question par une loi du 7 février 1974. Les juges ne s’abstiendront de prononcer l’irrecevabilité des demandes que si l’omission ou l’irrégularité a effectivement porté atteinte aux droits de la défense. Sont visées, d’une manière générale, les irrégularités affectant la rédaction des mémoires, même des irrégularités qualifiées par les juridictions judiciaires comme étant des nullités de fond, comme les indications erronées ou lacuneuses concernant p. ex. les organes représentant des personnes morales. En tout cas la notion de nullité de fond est à interpréter très restrictivement et ne doit entrer en ligne de compte que s’il y a lésion des droits de la défense. Le non-respect des délais prévus pour l’échange des mémoires et les délais pour exercer les voies de recours, emportant déchéance, est bien entendu excepté. Par ailleurs, l’absence de sanction d’un tel non-respect porterait atteinte aux droits - acquis à ce moment - de la partie adverse1».
Cette position a encore été corroborée par le Conseil d’Etat dans son avis retenant qu’il « ne saurait que soutenir toute initiative tendant à proscrire dans la mesure du possible le recours à des moyens de procédure pour rejeter des prétentions de justiciables. Il ne faut en effet pas perdre de vue que cette approche procédurière à outrance a pour résultat l’incompréhension des justiciables (…). Le Conseil d’Etat rend toutefois attentif au fait qu’il s’agit en l’espèce également d’une question d’approche des magistrats à l’égard de ces problèmes. Le problème, dit de la violation des principes de l’organisation judiciaire (ou administrative), des nullités de fond, irrecevabilités de fond, des fins de non-recevoir et des forclusions, restera entier tant qu’aucun texte n’interdira aux juridictions de prononcer une nullité, irrecevabilité ou forclusion, sauf si un texte déterminé le prévoit expressément2».
L’article 29 sous revue emporte dès lors pour la juridiction saisie une analyse consistant à examiner, au-delà du caractère vérifié d’une inobservation alléguée d’une règle de procédure, si celle-ci a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense ; en l’absence de pareille atteinte, l’inobservation de la règle de procédure, quelle qu’en soit par ailleurs la qualification, ne saurait entraîner l’irrecevabilité de la demande, étant donné que ce n’est que dans l’hypothèse où l’inobservation vérifiée d’une règle de procédure a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense qu’une analyse supplémentaire s’impose à la juridiction saisie pour déterminer dans ce cas de figure précis dans quelle mesure cette inobservation doit entraîner l’irrecevabilité de la demande3.
En l’occurrence, devant le fait avéré que l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette a pu assurer sa défense de façon valable et complète, l’inobservation des règles de procédure invoquée plus particulièrement au niveau de la signification viciée de l’acte introductif d’instance, n’a pu entraîner une quelconque irrecevabilité de la demande, étant entendu qu’en l’absence de grief, l’analyse de la juridiction saisie est appelée à s’arrêter dès le premier stade par le constat tiré des dispositions de l’article 29 de la loi précitée du 21 juin 1999 en ce qu’aucune irrecevabilité du recours n’est à prononcer ; il convient dès lors de déclarer le recours recevable de ce point de vue.
La Ville d’Esch-sur-Alzette soulève encore le défaut d’intérêt à agir dans le chef de la demanderesse, en mettant en exergue, outre le fait que la soumission publique a été annulée faute de résultat satisfaisant, aucune adjudication n'ayant eu lieu suite à l'avis d'adjudication du 20 août 2008, que ledit marché a encore été remis en adjudication suivant avis publié en date du 18 mars 2009, soumission à laquelle la société … a participé.
1 Doc. parl. 4326, commentaire des articles, ad. article 26 (devenu l’article 29 de la loi) p.19.
2 Doc. parl. 4326², avis du Conseil d’Etat p.7.
3 Cour adm., 14 juillet 2009, n° 25414C ; trib. adm. 18 octobre 2010, n° 26432.
Or, la Ville d’Esch-sur-Alzette estime que comme la société … n’a intenté aucun recours en annulation contre la décision d'adjudication prise par le collège des bourgmestre et échevins en date du 1er septembre 2009 dans le cadre de cette seconde soumission et comme le contrat a été signé avec l’adjudicataire et qu’il serait en cours d’exécution, une éventuelle annulation de la décision attaquée ne serait pas susceptible de causer une quelconque satisfaction à la société …, de sorte que celle-ci n’aurait plus aucun intérêt à agir contre la décision attaquée du 20 février 2009.
La société …, de son côté, après avoir rappelé que son recours tend d’abord à l'annulation de la décision pour non communication du devis sur lequel elle repose, devis finalement communiqué en cours de procédure contentieuse, estime que son recours conserverait nonobstant cette communication tout son intérêt en ce que l'obtention d'une décision d'annulation demeurerait la condition nécessaire pour poursuivre l'action en dommages et intérêts contre l'Etat et les administrations communales relevant des attributions des juridictions de l'ordre judiciaire. Or, cette jurisprudence civile aurait pour corollaire que la demanderesse, qui n'aurait pas introduit un recours devant les juridictions administratives pour obtenir l'annulation respectivement la réformation de la décision administrative, risquerait de se voir débouter, par les juridictions judiciaires appliquant cette jurisprudence, de sa demande en allocation de dommages et intérêts à titre d'indemnisation pour le préjudice subi en raison de la violation de la loi par l'administration publique concernée.
Si une décision d'annulation peut permettre, sinon faciliter une demande d'indemnité au juge ordinaire, compte tenu de la jurisprudence actuellement fluctuante des juridictions civiles, il ne s'agit que d'un aspect accessoire de l'intérêt, qui doit en premier lieu être de faire disparaître l'acte attaqué de l'ordre juridique, ce qui est la finalité du recours en annulation auprès des juridictions administratives. Si cependant l'annulation sollicitée ne tend pas à anéantir un acte illégal, qui a cessé de produire tout effet, mais à permettre, respectivement à faciliter au demandeur, grâce à la décision d'annulation, l'administration de la preuve d'une faute de l'Etat dans une action éventuelle fondée sur la responsabilité de l'Etat, la seule possibilité invoquée par le demandeur d'une action judiciaire en paiement de dommages et intérêts, à défaut d'indication de tout autre intérêt administratif, ne suffit pas à justifier qu'il possède l'intérêt légal requis. En effet, la thèse suivant laquelle une éventuelle action en responsabilité suffirait à elle seule, c'est-à-
dire à défaut de tout autre intérêt administratif, à justifier l'existence d'un intérêt pour agir devant les juridictions administratives aboutirait à vider de sa substance la condition de recevabilité que constitue l'exigence d'un intérêt et à dénaturer le recours objectif en annulation devant les juridictions administratives4.
En d’autres termes, si la recherche d'une facilitation de la preuve d'une faute de l'Etat et partant la mise en œuvre de sa responsabilité peut être un accessoire à une action en annulation contre un acte administratif, l'intérêt – administratif – à agir ne saurait reposer exclusivement sur pareille motivation, le demandeur devant faire valoir un intérêt 4 Trib. adm. 16 janvier 2006, n°19949, Pas. adm. 2009, V° Procédure contentieuse, n° 28.
administratif, fût-il moral, répondant aux critères existants pour agir devant le juge administratif5.
En effet, une satisfaction certaine et personnelle d’un droit, nécessaire pour justifier l’intérêt à agir, ne saurait être tirée de l’annulation d’un acte que dans la mesure où ce dernier a lésé un droit légalement établi, se trouvant à la base de l’intérêt du demandeur6.
Le recours contentieux est ainsi ouvert au demandeur qui a un intérêt quelconque, dès que cet intérêt implique un lien personnel avec l’acte attaqué ou une lésion individuelle par le fait de l’acte. Un intérêt de concurrence est suffisant pour conférer à une entreprise voulant participer à une soumission publique un intérêt à voir respecter les dispositions légales et réglementaires régissant les adjudications publiques7.
En l’espèce, il échet de souligner que la demanderesse, d’après le procès-verbal de l’ouverture de la soumission du 12 septembre 2008, s’était classée première parmi les cinq offres remises, de sorte, encore que la demanderesse ait été en concurrence avec quatre autres soumissionnaires en vue d’obtenir l’adjudication du marché litigieux, la demanderesse est susceptible en cas d’annulation de la décision déférée d’obtenir une satisfaction - à tout le moins morale et publique - certaine et personnelle par rapport à un droit légalement établi. En effet, dans cette hypothèse, elle pourrait se prévaloir de son offre et de son classement et soutenir que le marché litigieux aurait dû lui être attribué, de sorte qu’elle doit être considérée comme disposant d’un intérêt suffisant en vue d’attaquer la décision d’annulation de la soumission litigieuse8.
Il en résulte que le recours sous examen est à déclarer recevable dans le chef de la société … au regard de l’intérêt à agir.
Enfin, la Ville d’Esch-sur-Alzette se rapporte encore à la sagesse du tribunal en ce qui concerne la recevabilité du recours, au motif qu’aucune « requête en réformation subsidiairement en annulation devant le tribunal administratif » ne serait prévue par les textes applicables en matière de procédure administrative contentieuse.
S’il est certes vrai que la Ville d’Esch-sur-Alzette, en intitulant son recours « requête en réformation subsidiairement en annulation devant le tribunal administratif « a manifestement confondu la requête, à savoir l’instrumentum, l’instrument procédural, avec le recours, à savoir le negotium d’une demande par-devant le tribunal administratif, une telle confusion purement stylistique et rédactionnelle, n’est pas de nature à porter à conséquence, et ce notamment en application de l’article 29 précité de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
5 Trib. adm. 30 mai 2005, n° 18895, Pas. adm. 2009, V° Procédure contentieuse, n° 43.
6 Trib. adm. 27 janvier 1997, n° 10858 du rôle, Pas. adm. 2009, V° Procédure contentieuse, n° 15 et autre référence y citée.
7 Trib. adm. 18 octobre 1999, n° 10995 du rôle, Pas. adm. 2009, V° Marchés publics, n° 138.
8 Voir en ce sens trib. adm. 10 mai 1996, n° 20337 du rôle.
Dès lors, à défaut de tout autre moyen d’irrecevabilité circonstancié, le recours subsidiaire en annulation tel que dirigé contre la décision déférée est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond Le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.
La société … requiert en premier lieu l’annulation de la décision déférée au motif que la Ville d’Esch-sur-Alzette lui aurait refusé la communication du devis sur laquelle elle se serait basée pour décider d’annuler la soumission publique.
Si dans un premier temps elle a affirmé que ce refus de communication l’empêcherait de procéder aux vérifications qui lui reviendraient de droit vis-à-vis de cette pièce et la mettrait dans l'impossibilité de faire valoir, tant dans le cadre du présent recours que dans celui de la procédure civile pendante devant le tribunal d'arrondissement de Luxembourg, ses moyens et contester le bien fondé dudit devis et des calculs ou estimations des postes y figurant, elle fait ensuite plaider, face à la communication du devis par le litismandataire de la Ville d’Esch-sur-Alzette en cours de procédure contentieuse, à savoir en date du 30 juin 2010, que cette communication serait néanmoins tardive et ne saurait faire disparaître rétroactivement les effets de la violation du contradictoire et du refus irrégulier d'accès en temps utile lui opposé à la pièce qu’elle considère comme étant la plus importante du dossier administratif et elle sollicite, face ces manquements qui l’auraient mis dans l'impossibilité d'examiner ainsi que de droit et de se prononcer sur la loyauté et la régularité de la décision attaquée avant qu'elle entame de la procédure administrative, l'annulation de la décision litigieuse sur base du respect du principe du contradictoire et de l'effectivité et de l'efficacité des voies de recours.
La Ville d’Esch-sur-Alzette fait rétorquer en substance que l’article 39 paragraphe 5 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics énoncerait une interdiction formelle au pouvoir adjudicateur de porter à la connaissance des soumissionnaires le devis que le pouvoir adjudicateur a établi pour l’exécution de l’entreprise, de sorte qu’elle était tenue de respecter cette interdiction formelle et qu’elle aurait été obligée de refuser la communication du devis tant au cours de la procédure administrative que devant le juge civil.
En revanche, elle souligne qu’une fois la passation du marché ayant eu lieu et la société … ayant introduit une procédure contentieuse pour vérifier la légalité et la légitimité de la décision du pouvoir adjudicateur, elle aurait aussitôt versé le devis litigieux aux débats.
S’il est certes vrai que l’article 39 paragraphe 5 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics interdit « de porter à la connaissance des soumissionnaires le devis que le pouvoir adjudicateur a établi pour l’exécution de l’entreprise totale ou de certaines parties de l’entreprise seulement », cette interdiction doit être délimitée au regard de la finalité de ce texte qui est de garantir « l’esprit même d’une adjudication publique [qui] exclut la divulgation du devis, afin que le commettant ait le maximum de chances pour bénéficier d’un prix favorable »9.
En d’autres termes, l’article 39 paragraphe 5 interdit la divulgation du devis avant la passation du marché, mais il n’affecte pas l’accès des soumissionnaires au dossier administratif postérieurement à la passation du marché, notamment dans le cadre d’une procédure contentieuse destinée à faire vérifier la légalité de la décision du pouvoir adjudicateur10.
A cet égard, et contrairement au cas d’espèce ayant donné lieu à la jurisprudence invoquée par la demanderesse, force est de constater que la Ville d’Esch-sur-Alzette a bien communiqué le devis litigieux à la demanderesse, certes pas spontanément et immédiatement après la passation du marché, respectivement en réponse à ses demandes afférentes formulées en cours de procédure pré-contentieuse, mais au cours de la présente procédure contentieuse.
Or, la communication du dossier administratif n’est pas une condition de légalité d’une décision administrative qui a été prise préalablement à une demande de communication du dossier administratif, étant relevé que la communication du dossier suite à une telle demande n’a aucune incidence sur la décision d’ores et déjà prise. Le respect de cette obligation de transparence n’est effet pas une fin en soi, mais l’administré ne saurait utilement en invoquer une violation que si un défaut de communication du dossier a pour effet de porter une atteinte aux droits de la défense11, atteinte qui en l’espèce n’est ni établie, ni même alléguée, étant donné qu’il ne résulte pas autrement des moyens de la demanderesse que celle-ci aurait subi une quelconque lésion de ses droits de la défense, la demanderesse n’ayant en particulier pas sollicité une quelconque prorogation du délai pour déposer son mémoire en réplique afin de lui permettre de prendre connaissance de manière plus approfondie dudit devis, de sorte qu’en l’absence de grief effectif porté aux droits de la défense de la société …, sa demande tendant à voir prononcer l’annulation pure et simple de la décision déférée pour communication tardive du devis afférent est à rejeter.
9 Voir Trib. adm. 6 février 2002, n° 14009, confirmé par arrêt du 3 octobre 2002, n° 14687C, citant les documents d’élaboration du règlement grand-ducal du 2 janvier 1989, ad. prise de position du ministère des travaux publics au sujet des avis des chambres professionnelles relatifs à la révision du cahier général des charges applicable aux marchés publics de l’Etat, p. 9.
10 En ce sens, trib. adm. 6 février 2002, n° 14009, confirmé par arrêt du 3 octobre 2002, n° 14687C, Pas.
adm. 2009, V° Marchés publics, n° 81.
11 Trib. adm. 9 juillet 2009, n° 25142, Pas. adm. 2009, V° Procédure administrative non contentieuse, n°102.
A titre subsidiaire, la société … conteste d’abord la régularité et la légalité de la décision déférée au motif que la justification avancée par la Ville d’Esch-sur-Alzette pour annuler la mise en adjudication, à savoir un dépassement du devis de 25% ne serait pas suffisamment motivée, la décision de l'administration ne contenant aucun élément qui lui permettrait de vérifier concrètement l'existence et la réalité des motifs à la base de la décision déférée, conclusion qu’aurait également partagée la commission des soumissions étatique dans son avis du 12 janvier 2009.
Elle insiste par ailleurs sur le fait que les offres soumises par elle-même ainsi que par les quatre autres soumissionnaires correspondaient de facto aux prix du marché en vigueur au moment de la soumission ; dans ce contexte, elle relève que si son offre était apparemment de 24,66 % supérieure au devis, celle d’un des autres soumissionnaires aurait apparemment été supérieure de 77,58 %, de sorte que l’offre de la société … serait loin d’être exagérée.
Après communication dudit devis, la société … conteste plus spécifiquement l'appréciation y contenue du bureau d'études …suivant laquelle le dépassement par rapport au devis aurait été « sans justification par rapport à la conjoncture actuelle du marché ». Elle estime en effet que cette motivation serait non seulement dépourvue de toute précision et d'éléments probants, mais serait encore illégale comme relevé par la commission des soumissions étatique dans son avis du 12 janvier 2009.
Elle affirme encore que les plus grands entrepreneurs du sud du Grand-Duché de Luxembourg, spécialisés pour ce type de travaux, qui avaient soumissionné auraient tous remis des offres affichant un dépassement de 20 à 27 % du devis ; or, ces offres auraient correspondu de facto aux prix du marché en vigueur au moment de la soumission.
Elle considère encore que la non-adéquation du devis serait concrètement étayée par les prix y mentionnés pour la fourniture des éléments préfabriqués en béton, qui seraient de loin inférieurs à ceux effectivement pratiqués sur le marché, tel que cela ressortirait d’un devis établi par la société …qui serait l'une des seules, sinon la seule, entreprises au Grand-Duché de Luxembourg capables de produire ce type de fourniture très spécifique.
En effet, la comparaison des prix mentionnés respectivement dans ces deux devis laisserait apparaître que les évaluations du bureau d’études … seraient systématiquement inférieures aux prix pratiqués par la société …, la différence de prix allant du simple au double, voire bien plus encore, ce qui permettrait de mettre en évidence le caractère complètement irréaliste des montants retenus dans le devis …, et ce d’autant plus que ces prix ne tiendraient pas compte de la marge prise par la société … afin de pouvoir supporter ses frais et d'essayer de dégager un bénéfice de l'exécution du marché concerné.
Dès lors, la société … considère qu’au regard des prix de la société …, il ne ferait pas de doute que la Ville d'Esch-sur-Alzette aurait assis sa décision sur un devis manifestement non adapté.
Enfin, en appui de ses conclusions, la société … relève que dans le cadre de la seconde adjudication, ayant le même objet que la première adjudication annulée, les postes relatifs à la fourniture des éléments préfabriqués en béton, qui reposeraient sur un devis irréaliste compte tenu des prix pratiqués sur le marché, auraient tous disparu du second dossier de soumission, les autres postes étant demeurés quasi-identiques puisqu'il s'agit du même projet. Partant de ce constat, elle estime que la Ville d'Esch-sur-Alzette aurait annulé la première soumission sous un prétexte dénué de tout fondement pour ensuite lancer une seconde soumission dont le dossier ne comprenait plus les fournitures les plus chères, admettant de ce fait même que le devis estimatif n'était pas conforme à la réalité.
La Ville d’Esch-sur-Alzette, pour sa part, maintient que la soumission publique du 12 septembre 2008 n'aurait pas produit de résultat satisfaisant, et ce, d’une part, parce que toutes les offres des entreprises participantes étaient hors de proportion avec le devis établi par le bureau d'études …, et, d’autre part, parce que les offres des entreprises participantes auraient dépassé la part du budget prévue pour les travaux de gros-œuvre, le budget afférent ne prévoyant qu’une enveloppe totale de 5.301.376,27.-€ pour la réalisation de l'ensemble du projet.
Elle fait plaider à cet égard que conformément à l'article 91 (1) du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics, une mise en adjudication pourrait être annulée si le pouvoir adjudicateur estime que la soumission n'a pas donné de résultat satisfaisant. Dès lors, a contrario, un marché ne pourrait être attribué que si la soumission n'excède pas les ressources financières disponibles du pouvoir adjudicateur, ce qui n'aurait pas été le cas en l'espèce.
Elle estime de même que la publication d'un avis d'adjudication ne saurait engager le pouvoir adjudicateur à mettre en œuvre le programme ou le projet annoncé, l'acheteur public devant au contraire pouvoir jusqu'à la signature du contrat, soit renoncer au marché, soit annuler la procédure de passation du marché, lorsque des offres, certes conformes sur le plan technique, excèderaient néanmoins ses capacités financières.
Elle considère dès lors qu’en annulant la soumission, elle n’aurait fait que constater de manière objective et impartiale que l'offre de la société …, de même que les autres offres, ne rentraient pas dans l'enveloppe budgétaire votée par le conseil communal. En tout état de cause, elle relève que l'acceptation de l'offre de la société … aurait en pratique conduit à une impasse : en effet si la commune avait attribué le marché à cette dernière, sans toutefois disposer des fonds nécessaires, une telle attitude lui aurait été reprochée en cours d'exécution des travaux et elle se serait alors exposée à un risque d'action judiciaire pour non-respect de ses obligations contractuelles.
Elle affirme encore qu’en tout état de cause elle aurait valablement pu se fier aux données indiquées dans le devis estimatif établi par le bureau d'études …, spécialisé en matière d'ingénierie, de maîtrise d'œuvre et de plans de développement communaux et dont l'expertise serait reconnue, pour chiffrer le budget nécessaire à la réalisation des travaux pour l'extension de l'école à Esch-Lallange et annuler par la suite la soumission.
Si elle admet avoir ensuite dû dans le cadre de la seconde soumission remanier son projet d'agrandissement de l'école d'Esch-Lallange, en envisageant une construction différente de celle initialement prévue et en établissant un nouveau bordereau et un nouveau devis, et en particulier en ne reprenant pas certaines positions figurant dans le premier bordereau de soumission, un tel procédé ne saurait s'analyser en un quelconque aveu de sa part que le devis initial aurait été inadapté, mais une telle modification du projet initial constituerait une suite logique de l'annulation de la première soumission, la Ville d’Esch-sur-Alzette, en agissant de la sorte, n'ayant pas souhaité réitérer l'expérience malheureuse de la première soumission et retarder davantage la mise en œuvre de son projet.
Si comme retenu ci-avant la demanderesse fait plaider que la Ville d’Esch-sur-
Alzette aurait été tenue par les critères d'attribution retenus le cahier des charges et qu’elle aurait dû retenir son offre comme étant l'offre « la mieux disante » et lui attribuer nécessairement le marché, force est cependant de constater que ni la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics ni le règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de cette loi n’instaurent de telle attribution obligatoire et automatique ; si l’article 83 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 prévoit certes en son alinéa 1er que « Les marchés par adjudication comportent obligatoirement l’attribution du marché s’il a été reçu au moins une soumission répondant aux conditions de l’adjudication », il contient cependant en ses alinéas 2 et 3 une dérogation à ce même principe : « (2) Toutefois, le pouvoir adjudicateur peut renoncer à une adjudication par décision motivée. La Commission des soumissions doit, dans ce cas, être préalablement entendue en son avis. (3) Une mise en adjudication peut être annulée pour les motifs prévus à l’article 91 ».
L’article 91 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 pour sa part précise que « Sans préjudice d’autres causes de nullité, une mise en adjudication peut être annulée pour les motifs suivants: 1) si aucune des offres ne répond aux conditions prescrites ou si le pouvoir adjudicateur a considéré la soumission comme n’ayant pas donné de résultat satisfaisant. Dans ce dernier cas, le pouvoir adjudicateur doit prendre, préalablement à l’annulation, l’avis de la Commission des soumissions ; 2) s’il est établi que les soumissionnaires, au mépris de l’honnêteté commerciale, se sont concertés pour établir leur prix ; 3) si, à la suite de circonstances imprévues, les bases d’adjudication ont subi des changements substantiels ; 4) si toutes les offres susceptibles d’être acceptées ont été retirées à l’expiration du délai d’adjudication ; 5) s’il a été reconnu que des erreurs substantielles sont contenues dans le dossier de soumission ou que des irrégularités d’une influence décisive ont été constatées au sujet de l’établissement des offres ; 6) s’il est établi que des tiers ont entravé ou troublé la liberté des soumissionnaires par violence ou par menaces soit avant, soit pendant les soumissions ».
Cette disposition réserve dès lors à l'autorité publique qui a lancé une procédure de passation d'un marché la faculté de ne pas la mener à son terme et donc de ne pas attribuer le marché. Elle peut soit abandonner le projet (définitivement ou provisoirement), soit refaire la procédure, au besoin suivant un autre mode, et donc même par une procédure négociée si les conditions de recours au gré a gré sont réunies.
L'exercice du pouvoir - incontestablement discrétionnaire - de l’administration d'abandonner une procédure de passation de marché et de la recommencer doit toutefois se fonder sur des motifs légitimes et ne pourrait sans être entaché d'un détournement de procédure, être inspiré par le mobile exclusif d'avantager un ou plusieurs soumissionnaires12. A cet égard, il convient encore de rappeler que si la vérification à laquelle le tribunal, statuant par rapport à un recours en annulation, est amené à se livrer peut certes s’étendre le cas échéant au caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis, cette possibilité est cependant limitée aux cas où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité, sans que le contrôle juridictionnel ne puisse aboutir à priver l’autorité administrative de son pouvoir d’appréciation sur la nature et la gravité de la mesure qu’il lui incombe de prendre, lorsque celle-ci est par ailleurs légale, étant entendu que ce pouvoir d’appréciation doit rester suffisamment large pour permettre à l’autorité administrative d’exprimer un degré de sévérité ou de clémence variable en fonction de la nature et de la gravité des faits13.
Il s’ensuit que la Ville d’Esch-sur-Alzette, en tant que pouvoir adjudicateur, pouvait légalement renoncer à, respectivement annuler, la soumission initiale, et ce nonobstant le fait que la demanderesse ait, a priori, présenté une offre répondant aux critères du cahier des charges, à condition toutefois que la soumission n’ait pas donné de résultat satisfaisant14.
La Ville d’Esch-sur-Alzette avance à cet égard un double argument, à savoir, d’une part, que toutes les offres présentées, dont celle de la société …, seraient exagérément supérieures au devis établi par le bureau d’études … et, d’autre part, qu’elles dépasseraient toutes l’enveloppe budgétaire retenue pour l’exécution des travaux.
Or, l’annulation d’une adjudication publique peut être justifiée par des considérations budgétaires ou économiques15, une annulation devant alors être considérée comme conforme à l’intérêt des finances publiques, lorsqu’il est matériellement établi, comme en l’espèce, que le montant requis pour faire face à l’exécution du marché dépasserait de loin le budget prévu pour celle-ci.
L’annulation d’une adjudication publique peut encore se justifier, en exécution de l’article 91 (1) du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 tel que précité, par le caractère trop élevé des prix.
Or, en l’espèce, il appert que l’offre la plus basse, à savoir celle de la société …, était de 24,66 % supérieure à l’estimation faite par la Ville d’Esch-sur-Alzette.
12 Maurice-André Flamme, Commentaire pratique de la réglementation des Marchés publics, 6e éd., Tome 1A, p. 348.
13 Trib. adm. 10 décembre 2003, n° 16118, confirmé par arrêt du 2 mars 2004, n° 17363C, Pas. adm. 2009, V° Recours en annulation, n° 28.
14 Voir en ce sens : trib. adm. 12 mai 2010, n° 25932 et 25933, www.ja.etat.lu 15 Voir Maurice-André Flamme, Commentaire pratique de la réglementation des Marchés publics, 6e éd., Tome 1A, p. 356 et les décisions y citées.
S’il est certes vrai que la demanderesse critique l’estimation faite par le bureau d’études …, en se basant, d’une part, sur les offres des soumissionnaires et, d’autre part, sur le devis établi par un fournisseur, devis sur lequel se seraient basés plusieurs soumissionnaires - dont la demanderesse - pour établir leur propre offre, il va cependant de soi que les prix de soumissions ne peuvent constituer une référence par eux-mêmes :
une estimation qui est pour 1’administration une ligne de conduite pour fixer un coût présumé perdrait toute utilité si elle ne peut servir de point de référence16.
Or, il incombe plus particulièrement au demandeur de fournir les éléments concrets sur lesquels il se base à l'appui de sa demande, étant entendu que la légalité de la décision administrative régulièrement prise reste acquise jusqu’à l’établissement d’éléments de fait et de droit permettant au tribunal de prononcer son annulation ou sa réformation17. A cet égard, comme retenu ci-avant, les prix offerts par les soumissionnaires respectivement par l’un des fournisseurs des soumissionnaires ne sont a priori pas de nature à établir une erreur de fait dans le chef du pouvoir adjudicateur.
Aussi, en l’espèce, force est de constater que le motif avancé par la Ville d’Esch-
sur-Alzette, de manière sans doute laconique mais suffisamment précise, à savoir la grande différence entre l’estimation et les résultats de l’adjudication - repose sur des données exactes: une autorité maître de l’ouvrage qui doit supporter le coût des travaux et doit vérifier si elle peut supporter les charges financières, peut raisonnablement apprécier que le résultat d'une procédure d'adjudication est inacceptable lorsque 1’offre la plus basse est 24,66 % plus élevée que l’estimation : la décision de la Ville d’Esch-sur-Alzette se fonde dès lors sur un motif exact, à défaut d’avoir été valablement énervé par la demanderesse, et légalement acceptable.
Enfin, à titre superfétatoire, à admettre pour les besoins de la discussion l’argumentation de la société … selon laquelle le devis établi par le bureau d’études serait erroné, en ce sens qu’il reposerait sur des prix irréalistes, le tribunal ne saurait en tout état de cause pas annuler la décision d’annulation de la mise en adjudication, mais, au contraire confirmer ladite annulation, certes par substitution des motifs, l’erreur éventuelle affectant le devis établi par le bureau d’études …, si elle est éventuellement au plan civil de nature à engager la responsabilité du bureau d’études en question qui aurait ainsi abusé le pouvoir adjudicateur18, doit, sur le plan du droit administratif, être considérée comme constituant une erreur substantielle affectant le dossier de soumission au sens de l’article 91 (5) du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 précité, engendrant l’impossibilité d’exécuter le marché tel que décrit par le cahier des charges, et dès lors justifiant l’annulation de la mise en adjudication.
16 CdE belge, 22 mars 1989, n° 32.259, cité dans Maurice-André Flamme, Commentaire pratique de la réglementation des Marchés publics, 6e éd., Tome 1A, p. 357.
17 Trib. adm. 26 mars 2003, n° 15115, Pas. adm. 2009, V° Procédure contentieuse, n° 355.
18 Voir à ce sujet notamment Maurice-André Flamme, Commentaire pratique de la réglementation des Marchés publics, 6e éd., Tome 1A, p. 266, n° 33 et 34.
Il se dégage partant de l’ensemble des considérations qui précèdent que la Ville d’Esch-sur-Alzette a valablement pu annuler la soumission publique du 12 septembre 2008 au vu de l’absence de résultat satisfaisant, de sorte que le recours est à rejeter comme n’étant pas fondé.
En ce qui concerne la demande en octroi de l’effet suspensif telle que basée sur l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, il y a lieu de souligner, outre que la société … reste en défaut de préciser en quelle mesure l’exécution de la décision d’annulation de la mise en adjudication risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, que l’exécution de la décision d’annulation a entre entre-temps été achevée par la remise en adjudication et l’attribution du marché à un tiers avec lequel le contrat afférent a d’ores et déjà été conclu, sans que la demanderesse n’ait entrepris la décision portant attribution du marché à un tiers, ni qu’elle ait tenté d’obtenir l’effet suspensif, respectivement l’instauration d’une mesure de sauvegarde par rapport à la décision actuellement déférée.
Or, dès lors qu'une mesure dont le sursis à exécution est demandé a d'ores et déjà été exécutée au moment où le tribunal est appelé à statuer, la demande en obtention de l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel a perdu son objet et elle doit être déclarée irrecevable. En effet, il n'y a pas lieu de faire droit à des conclusions à fin de sursis dès lors que la décision est déjà exécutée et que la mesure n'est plus susceptible de produire d'effet utile. En d'autres termes, même à admettre que l'exécution de la mesure incriminée ait été susceptible de causer au demandeur un préjudice grave et définitif, qu'il s'agissait de prévenir, ce préjudice est consommé par l'exécution de la mesure litigieuse, étant à ce sujet encore souligné que le juge administratif ne saurait suspendre l'exécution du contrat civil conclu suite à l’adjudication et actuellement en cours d’exécution.
La demande en allocation d’une indemnité de procédure est également à rejeter compte tenu de l’issue du litige.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
se déclare compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation ;
le déclare encore recevable;
le déclare cependant non fondé et en déboute la demanderesse ;
rejette la demande tendant à l’obtention de l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure, condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 janvier 2011 par :
Marc Sünnen, premier juge, Claude Fellens, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier assumé Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 janvier 2011 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 15