Tribunal administratif N° 26749 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mars 2010 1re chambre Audience publique du 15 décembre 2010 Recours introduit par la société anonyme …, … contre des décisions respectivement du directeur du Lycée Technique … et du ministre de l'Education nationale et de la Formation professionnelle en matière de marchés publics
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JUGEMENT
Vu le recours introduit le 26 mars 2010 sous le numéro du rôle 26749 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain RUKAVINA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme …, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés à Luxembourg sous le n° …, tendant à l’annulation de l'arrêté ministériel du ministre de l'Education nationale et de la Formation professionnelle du 11 janvier 2010, ainsi que contre un courrier du Lycée Technique … du 9 octobre 2009 informant la requérante de cette décision et contre le courrier du 28 octobre 2009 décidant de ne pas prendre en considération la réclamation de la requérante ;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Patrick KURDYBAN, huissier de justice, immatriculé près le tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg, du 12 avril 2010, portant signification de la requête afférente à la société anonyme …, à la société anonyme …, à la société anonyme …, à la société à responsabilité limitée … ainsi qu’à la société à responsabilité limitée …;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 mai 2010 ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 20 juin 2010 par Maître Alain RUKAVINA au greffe du tribunal administratif pour le compte de la partie demanderesse ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juillet 2010 ;
Vu les pièces versées et notamment les décisions attaquées ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport et Maître Sam TANSON, en remplacement de Maître Alain RUKAVINA, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 décembre 2010.
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Par avis du 12 août 2009, le ministère de l'Education nationale et de la Formation professionnelle lança une soumission publique concernant les travaux de surveillance et de sécurité pour le Lycée technique … à ….
La société anonyme …, ci-après « la société …», présenta, au même titre que cinq autres concurrents, une offre.
Après examen et vérification des dossiers de soumission, la société …fut informée par courrier du 9 octobre 2009 du directeur du Lycée technique … que son offre n'était pas retenue du fait qu'elle n'était pas économiquement la plus avantageuse.
Par courrier du 20 octobre 2009, la société … adressa une réclamation écrite au directeur du lycée mettant en doute la régularité de l'offre de la société déclarée adjudicataire et elle s’enquit si celle-ci avait pris en compte la totalité des heures de prestation exigée.
Le directeur du Lycée technique …, ci-après « le directeur », répondit par courrier du 28 octobre 2009 à la société …que l'adjudicataire avait bien tenu compte de la totalité des heures de prestations exigées.
Par courrier du 30 octobre 2009, le directeur transmit à la société …le classement selon les critères prévus.
Par courrier du 11 novembre 2009, la société …contesta le point de vue développé par le directeur dans son courrier du 28 octobre 2009.
Sollicitée par le ministre de l'Education nationale et de la Formation professionnelle, la commission des soumissions étatique rendit en date du 17 décembre 2009 son avis quant à la réclamation introduite par la société …, avis qui conclut à l’attribution du marché à la société ayant remis une offre régulière au prix le plus bas.
Par arrêté du 11 janvier 2010 du ministre de l'Education nationale et de la Formation professionnelle, ci-après « le ministre », la société anonyme …. fut déclarée adjudicataire pour les travaux de gardiennage du Lycée technique ….
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mars 2010, la société …a fait déposer un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre de l'Education nationale et de la Formation professionnelle du 11 janvier 2010, ainsi que contre un courrier du Lycée Technique … du 9 octobre 2009 informant la requérante de cette décision et contre le courrier du 28 octobre 2009 décidant de ne pas prendre en considération la réclamation de la requérante.
Il convient avant tout autre progrès en cause de retenir qu’en dépit des indications ayant figuré dans le dossier de soumission, seule la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics ainsi que son règlement d’exécution, à savoir le règlement grand-ducal du 3 août 2009 ont vocation à s’appliquer aux décisions déférées prises en date des 9 octobre 2009, 28 octobre 2009 et 11 janvier 2010, la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics abrogeant la loi du 30 juin 2003 ayant en effet été publiée au Mémorial en date du 29 juillet 2009, de sorte à entrer en vigueur quatre jours après son insertion au Mémorial, c’est-à-dire avant les décisions déférées, le même raisonnement et la même conclusion s’appliquant au règlement grand-ducal du 3 août 2009, publié le 11 août 2009 au Mémorial.
La loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics ne prévoit pas la possibilité d’exercer un recours en réformation contre une décision de rejet d’une offre ou contre une décision d’adjudication, de sorte que seul un recours en annulation est possible contre les décisions querellées.
L’article 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions administratives limite, d’autre part, l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1.
L'acte émanant d'une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l'intention de l'autorité qui l'émet, une véritable décision, à qualifier d'acte de nature à faire grief, c'est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame2.
Pour déterminer le caractère décisoire ou simplement informatif d’une lettre, il y a lieu d’analyser son libellé et de qualifier son contenu.
Comme indiqué ci-avant, la demanderesse a en l’espèce notamment déféré au tribunal, sous la qualification de « décision », deux courriers émanant du directeur, le premier, daté du 9 octobre 2009, informant la société …que son offre n’a pas été retenue comme économiquement la plus avantageuse et le second, daté du 28 octobre 2009, prenant position par rapport au courrier de la demanderesse qui notamment exigeait la preuve que « l’offre déclarée économiquement la plus avantageuse a bien été réalisée en tenant compte de la totalité des heures de prestations ».
En ce qui concerne le courrier du directeur du 9 octobre 2009, force est de constater qu’au-delà des informations contenues dans ledit courrier, à savoir le fait que l’offre de la société …n’a pas été retenue et les raisons de ce rejet, l’auteur du courrier a, par cette lettre, de facto rejeté l’offre d’un soumissionnaire.
Force est encore de constater que ledit courrier ne se réfère à aucune décision ministérielle allant dans le même sens et que, d’autre part, elle ne se confond pas non plus avec la décision d’adjudication portant attribution du marché public à l’adjudicataire, décision prise par le ministre postérieurement seulement, à savoir le 11 janvier 2010.
Finalement, il y a lieu de souligner que la partie étatique n’a jamais contesté la nature décisionnelle de ce courrier.
Il s’ensuit que la nature décisionnelle dudit courrier étant établie, un recours en annulation à valablement pu être introduit à son encontre.
1 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 46, p. 28.
2 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618, Pas. adm. 2009, V° Actes administratifs, n° 24, et autres références.
En ce qui concerne le second courrier tel que déféré, celui-ci ne contient a priori formellement aucun élément décisionnel propre, puisqu’il ne répond qu’à une demande de la société …tendant à se voir préciser sinon confirmer les motifs ayant amené au rejet de leur offre.
La nature décisionnelle d'un acte ne dépend pas uniquement de son libellé et de sa teneur, mais également de la demande qu'il entend rencontrer3 : or, à ce sujet, force est de constater que la société …a qualifié son courrier de « recours légal auquel nous donne droit la législation ». Or, encore que la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics et le règlement grand-ducal du 3 août 2009 précités ne contiennent pas de voies de recours spécifiques, il y a lieu de déduire de cette formule que la demanderesse entendait, au travers de ce courrier, introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision prise par directeur du Lycée Technique …, recours qui existe de façon générale en matière administrative, et ce indépendamment de tout texte.
Or, le directeur, en ne répondant pas favorablement audit recours, mais en maintenant et en précisant au contraire la décision d’évincer la société …, a également conféré à ce courrier un caractère décisionnel.
Le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est par conséquent recevable, et ce également dans la mesure où il porte contre les deux prédits courriers.
Quant au fond :
Le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.
Dans ce cadre, il appartient d’abord au tribunal de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.
En ce qui concerne la question de la légalité extrinsèque des décisions déférées, le tribunal procédera en premier lieu à l’examen du moyen de l’incompétence de l’organe ayant émis les courriers des 9 et 28 octobre 2009, question relevant de l’ordre public et soulevée d’office par le tribunal à l’audience publique du 13 décembre 2010, le tribunal ayant en effet à cette occasion soulevé la question du caractère décisionnel de ces deux courriers et le cas échéant, en fonction de la réponse y apportée, celle de la compétence du directeur pour prendre ces deux décisions.
Il est constant qu’en ce qui concerne les décisions à prendre relativement à la recevabilité ou au mérite d’une offre soumise dans le cadre d’une mise en adjudication publique, respectivement la décision d’attribution d’un marché public, le directeur n’est pas l’autorité administrative dotée du pouvoir de décision, ce pouvoir relevant des attributions exclusives du ministre de tutelle, à savoir le ministre de l'Education nationale et de la Formation professionnelle, le Lycée Technique … ne disposant en effet pas, en vertu de la loi 3 Trib. adm. 5 février 2007, n° 21736, Pas. adm. 2009, V° Actes administratifs, n° 25.
du 25 juin 2004 portant organisation des lycées et lycées techniques, de la personnalité juridique. Il s’ensuit que le Lycée Technique … ne saurait être considéré comme étant investi de manière autonome du pouvoir d’écarter l’offre d’un soumissionnaire dans le cadre d’un marché public et que son directeur ne peut pas être considéré comme un représentant généralement habilité de l’Etat respectivement pour se prononcer sur le mérite d’offres soumises dans le cadre d’une mise en adjudication publique ou pour attribuer et conclure un marché public, alors que pareille compétence revient au seul ministre.
Il s’ensuit que les deux décisions du directeur matérialisées par les courriers des 9 et 28 octobre 2009 encourent l’annulation pour incompétence de l’autorité administrative les ayant prises.
En ce qui concerne l’arrêt ministériel du 11 janvier 2010, la demanderesse estime en premier lieu qu’il aurait été pris sur base d’un cahier des charges qui mélangerait critères d'attribution et critères de sélection.
Elle fait plaider à ce sujet que si le cahier des charges retient comme critère d'attribution du marché, pour déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse un critère intitulé « Références au Grand-Duché : liste des travaux exécutés au cours des cinq dernières années (…) », un tel critère ne constituerait cependant pas un critère d'attribution, mais un critère de sélection du marché, devant permettre de vérifier l'aptitude d'une entreprise à exécuter le marché envisagé, indépendamment des prestations à fournir, tandis qu'un critère d'attribution permettrait d'apprécier la qualité intrinsèque des offres déposées.
L’Etat, de son côté, ne conteste pas l’analyse faite par la demanderesse et admet que la législation applicable ne prévoit pas expressément les références comme critère pouvant déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse.
Néanmoins, la partie étatique estime que si le tribunal venait à décider que ce moyen d'annulation serait fondé en droit et que le critère des références serait à écarter, il faudrait néanmoins vérifier si la neutralisation du critère tenant aux références des soumissionnaires aurait été de nature à attribuer le marché à la société …. Or, l’Etat souligne dans ce contexte que même si on neutralisait le critère références, le résultat resterait le même au sens que trois concurrents seraient toujours à égalité de points et que ce serait donc à juste titre que l'adjudicateur aurait pu se rabattre sur le critère du prix pour finalement attribuer le marché à la société ….
La demanderesse s’oppose cependant à une telle argumentation en soutenant que le critère du prix n’aurait pas été pondéré, de sorte qu’il devrait être tout simplement écarté et affirme que si elle avait connu l'importance accordée au critère du prix, son offre aurait pu être revue à la baisse et l'issue du marché aurait pu être différente.
Enfin, elle estime que l'utilisation du critère prix serait arbitraire en l'espèce.
Si l’article 241 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 précité prévoit certains critères variables selon le marché en question et lorsque, comme en l’espèce, l’attribution se fait à l’offre économiquement la plus avantageuse, tels que, notamment, la qualité, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, le service après-vente et l'assistance technique, la date de livraison et le délai de livraison ou d'exécution, le prix, ces critères ne sont cependant pas énumérés de manière limitative.
Il s'ensuit que l'exigence de références quant aux travaux ou prestations effectués antérieurement par le soumissionnaire peut constituer un critère tant de sélection que d'attribution du marché, ces derniers critères étant librement choisis par le pouvoir adjudicateur, à condition d'être justifiés par l'objet et la réalisation du marché4 et de préciser conformément à l’article 89 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 la pondération relative que le pouvoir adjudicateur attache à chacun des critères choisis pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse.
En l’espèce, le cahier des charges précise sous l’intitulé « critères relatifs au choix de l’adjudicateur » que « outre le prix, la sélection de l’adjudicateur se fera d’après les critères en vue de déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse » et notamment le critère suivant, affecté de la valeur de 20 : « Références au Grand-Duché : liste des travaux exécutés au cours des cinq dernières années, cette liste étant accompagnée de trois certificats de bonne exécution pour els travaux les plus importants (…) ».
Or, c’est à bon droit que la demanderesse invoque à cet égard un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 19 juin 2003 (aff. C-315/01) qui a retenu qu'une simple liste de références, qui comporte uniquement l'identité et le nombre de clients antérieurs des soumissionnaires, ne fournit aucune indication permettant d'identifier l'offre économiquement la plus avantageuse et ne saurait dès lors en aucun cas constituer un critère d'attribution du marché.
En effet, si la formulation, au cahier des charges, du critère d'attribution du marché tiré des références des candidats, en ce qu'il prévoit que les références du candidat seront prises en compte peut, a priori, témoigner de la qualité de l'offre de celui-ci et, partant, de l'offre économiquement la plus avantageuse, tel n'est plus le cas lorsque, concrètement appliqué, le pouvoir adjudicateur ne s’est manifestement pas livré à un examen de l'importance technique et économique de ces références5.
Dans le cas d'espèce cependant, le pouvoir adjudicateur n’a indiqué, au-delà de l’exigence de l’indication d’une liste des références, aucun critère selon lequel il apprécierait les références fournies afin d’évaluer in fine la qualité de l’offre, de sorte qu’il y a lieu, à cet égard de suivre la partie demanderesse en ce que celle-ci a conclu à l’illégalité du critère appliqué en tant que critère d’attribution, même si un tel critère peut être utilisé en tant que critère de sélection destiné à vérifier l'aptitude du soumissionnaire à exécuter le marché envisagé, indépendamment des prestations à fournir.
La même conclusion s’impose d’ailleurs en ce qui concerne le critère tiré de la présentation du dossier, un tel critère, à défaut de toute précision, notamment en ce qui concerne son lien direct avec le marché, ne pouvant être retenu comme critère visant à identifier l’offre économiquement la plus avantageuse.
Si la partie étatique entend certes pallier à ces défauts en se prévalant de l’application du critère du prix, c’est encore à bon droit que la partie demanderesse, tirant parti de l’article 89 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 précité, reproche à ce critère de ne pas indiquer l’importance lui attribuée, le cahier des charges restant en effet muet quant à la pondération relative attribuée au critère du prix.
4 Voir Trib. adm. 27 mai 2002, n° 14018, Pas. adm. 2009, V° Marchés publics, n° 100.
5 Voir en ce sens Trib. adm. prés. 22 juin 2006, n° 21534, Pas. adm. 2009, V° Marchés publics, n° 97.
Néanmoins, au-delà des moyens échangés de part et d’autre, le tribunal est amené à constater qu’en dépit de l’indication dans le cahier des charges de ces différents critères (références, labels officiels de qualité, personnel, interlocuteurs fournis et présentation du dossier) avec le prix en tant que critères d’attribution (« critères relatifs au choix de l’adjudicateur »), seul le critère du prix a manifestement été en l’espèce, de facto, utilisé en tant que critère d’attribution, les autres critères n’ayant en fait été utilisés qu’en tant que critères de sélection, puisqu’il résulte de l’analyse des différentes offres telle que figurant dans le courrier du 30 octobre 2009 adressé par le directeur à la société …que celui-ci s’est contenté d’acter le respect par les différents soumissionnaires des quatre critères en cause, en leur attribuant certes des valeurs, mais sans en tirer une quelconque conclusion. En effet, si ledit courrier contient certes un classement des six soumissionnaires, ledit classement apparaît cependant comme ayant purement et simplement été écarté, ledit courrier affirmant à cet égard « comme le classement selon les critères ne détermine pas l’offre économiquement la plus avantageuse, une analyse des offres selon les prix s’impose », de sorte à procéder ensuite à un classement des six soumissionnaires uniquement sur base du prix, le soumissionnaire ayant offert le prix le plus bas ayant emporté le marché.
Il s’avère dès lors qu’en dépit des indications contenues dans le cahier des charges, l’attribution du marché s’est uniquement faite en fonction du prix le plus bas, conformément à l’option ouverte à l’article 241 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, qui précise que « les critères sur lesquels les pouvoirs adjudicateurs se fondent pour attribuer les marchés publics à un soumissionnaire ayant présenté une offre formellement et techniquement conforme sont:
a) soit, lorsque l’attribution se fait à l’offre économiquement la plus avantageuse du point de vue du pouvoir adjudicateur, divers critères liés à l’objet du marché public en question: par exemple, la qualité, le prix, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, les caractéristiques environnementales, le coût d’utilisation, la rentabilité, le service après-vente et l’assistance technique, la date de livraison et le délai de livraison ou d’exécution ; b) soit uniquement le prix le plus bas ».
De ce point de vue, l’utilisation du critère des références en tant que critère de sélection et l’absence de pondération du critère du prix en tant que critère d’attribution ne paraissent pas critiquables, encore qu’il y a lieu de constater que le pouvoir adjudicateur a de facto dérogé aux critères expressément - encore qu’erronément - identifiés en tant que critères d’attribution.
Le tribunal n’entend cependant pas, à ce stade de la procédure, tirer une quelconque conclusion de ce constat, l’application in concreto des divers critères de manière différente de celle prévue au cahier des charges l’ayant été de la même manière à tous les soumissionnaires, de sorte à ne pas violer le principe primordial de l’égalité de traitement entre soumissionnaires, tous les soumissionnaires ayant en effet, de facto, été soumis au critère du prix le plus bas, critère qu’il convient de considérer comme constituant, compte tenu des prestations à fournir (des travaux de surveillance) qui ne sauraient que difficilement être évaluées en ce qui concerne leur qualité, a priori un critère objectif, voire le plus objectif.
Or, en ce qui concerne l’application in concreto de ce critère, la société …estime que la société … aurait indûment été retenue en tant qu’adjudicataire, alors pourtant qu’elle n’aurait pas remis une offre conforme avec le cahier des charges.
A cet égard, la demanderesse précise que le cahier des charges, plus précisément les clauses contractuelles techniques point A) 1 premier tiret, traitant des horaires et effectifs d'agents par jour, exigerait qu'un agent supplémentaire devait être présent « de lundi 7.30 heures à vendredi 23.00 heures », partant de façon continue du lundi matin au vendredi soir ;
or, la société … aurait proposé en supplément de l'agent présent 24/24 heures, 7/7 jours, un agent présent uniquement du lundi au vendredi, chaque jour de 7.30 heures à 23.00 heures.
Étant donné que l'adjudicataire n'aurait pas respecté la prescription du cahier des charges, puisqu'il n'aurait proposé qu'une offre comprenant la présence d'un seul agent sans interruption et d'un deuxième tous les jours du matin 7.30 heures au soir 23.00 heures et qu’il se serait tout de même vu attribuer le marché, il y aurait lieu à annulation de la décision d'adjudication.
A titre subsidiaire, à admettre que l'agent supplémentaire devait seulement être présent chaque jour ouvrable selon un horaire de 7.30 à 23.00 heures, la partie demanderesse estime que le cahier des charges ne permettait pas de conclure à pareille interprétation et que le pouvoir adjudicateur ne saurait lui reprocher de ne pas avoir soulevé cette question avant l’ouverture de la soumission et plus particulièrement lors de la visite des lieux organisée par le pouvoir adjudicateur, la société …soulignant plus particulièrement à ce sujet le fait que la règlementation applicable exigerait qu’une telle question soit formulée par courrier recommandé, de sorte à exclure une simple demande informelle orale.
Il y a à ce sujet lieu de constater effectivement une rédaction équivoque des prestations à fournir par les soumissionnaires en ce qui concerne la surveillance du Lycée Technique … pour les périodes scolaires, ladite prestation étant définie comme suit :
« 1. Horaires et effectifs d'agents par jour :
Périodes scolaires :
1 agent de lundi 0.00 heures à dimanche 24 heures inclus 1 agent supplémentaire de lundi 7.30 heures à vendredi 23.00 heures ».
Il appert encore que la société …a offert au vu de ce libellé un agent présent 24/24 heures, 7/7 jours et un second agent présent du lundi 7.30 au vendredi 23.00 sans interruption.
Néanmoins, encore que ce libellé puisse donner lieu, en ce qui concerne l’agent supplémentaire, à une double interprétation, à savoir, soit, à l’instar de la lecture qu’en a fait la société …, la mise à disposition d’un agent sans interruption pendant les jours ouvrables, et ce de lundi 7.30 heures à vendredi 23.00 heures, soit, à l’instar du sens conféré à cette disposition par le pouvoir adjudicateur ainsi que manifestement par les cinq autres soumissionnaires, la mise à disposition d’un agent pour une durée déterminée pendant les jours, soit du lundi à vendredi, chaque jour de 7.30 heures à 23.00, ce libellé est à lire conjointement avec celui figurant au point 2.1.2, où la durée de la mission de l’agent supplémentaire est précisée comme suit : « Missions de l’agent à la loge du concierge de lundi à vendredi de 07.30 à 23.00 heures6 afin d’assister le concierge dans sa tâche et en cas d’absence du concierge ».
6 Souligné par le tribunal.
Il convient par ailleurs de relever que si l’agent devant être présent de lundi 0.00 heures à dimanche 24 heures inclus, soit 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 est défini comme « agent de permanence » et que sa mission est précisée dans le point 2.1.1. comme allant de 23.00 heures à 7.30 heures et de 7.30 heures à 23.00 heures, l’absence en ce qui concerne l’agent supplémentaire du qualificatif « de permanence » ainsi que l’absence d’indication explicite d’une mission couvrant les 24 heures de la journée, doit, par opposition avec le descriptif de la mission de l’ « agent de permanence », être considéré comme indiquant, à tout le moins implicitement, que l’agent supplémentaire n’est pas appelé à être présent de manière permanente, à savoir 24 heures sur 24.
Cette conclusion en appelle deux autres, à savoir, d’une part, que le moyen de la demanderesse reprochant à l’adjudicateur, la société …, d’avoir remis une offre non conforme avec le cahier des charges est à rejeter, et d’autre part, que la société …aurait dû, sinon s’apercevoir, au vu du descriptif précis de la mission de l’agent supplémentaire, que la mission de celui-ci ne s’étendait les jours ouvrables que de 7.30 heures à 23.00 heures, sinon à tout le moins constater l’existence a priori d’une ambiguïté.
Or, l’article 21 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 précité dispose que « le soumissionnaire qui constaterait dans le dossier de soumission des ambiguïtés, erreurs ou omissions, est tenu sous peine d’irrecevabilité, de les signaler par lettre recommandée au pouvoir adjudicateur au moins sept jours avant l’ouverture de la soumission, à moins que le cahier spécial des charges ne stipule un délai plus long ».
Cette disposition implique l’association active de tous les soumissionnaires à l’établissement d’un dossier clair et exact garantissant une saine mise en concurrence, moyennant le droit et l’obligation des intéressés, tous des professionnels avertis, de contrôler et de vérifier soigneusement la documentation remise par le commettant et de signaler toute ambiguïté, erreur ou omission risquant d’empêcher la comparabilité des offres. Cette obligation à charge des soumissionnaires, qui peut être mise en parallèle avec l’obligation de loyauté et de collaboration entre parties telle que développée par les juridictions civiles à partir de l’article 1134 alinéa 3 du Code civil, a non seulement pour but de veiller à mettre tous les candidats soumissionnaires à égalité par rapport au cahier des charges, en clarifiant par exemple les interrogations que l’un des soumissionnaires pourrait avoir par rapport au dossier de soumission, mais encore de veiller en permettant ainsi préalablement l’évacuation des problèmes liés à la compréhension et à l’interprétation du cahier des charges, une fois les soumissions déposées, à ce que la procédure d’adjudication soit menée à bien dans les meilleurs délais dans l’intérêt de l'achèvement des travaux publics. En aucun cas n’est-il admissible que, dans un premier temps, un soumissionnaire participe à une soumission sans dire mot quant à des ambiguïtés, erreurs ou omissions qu’il a pu - ou dû - constater, pour par la suite s’en emparer et s’en prévaloir dans le cas de figure défavorable où son offre n’aurait pas été retenue7.
Cette disposition vise expressément des « ambiguïtés, erreurs ou omissions » qui seraient de nature à rendre impossible l’établissement d’un prix ou à fausser la comparaison des offres telles que par exemple une contradiction entre les parties des plans ou du métré descriptif, des lacunes dans les stipulations techniques ou encore des formules de révision de 7 Trib. adm. 22 décembre 2006, n° 21211, Pas. adm. 2009, V° Marchés publics, n° 22.
prix erronées8, bref tous les cas où le soumissionnaire ne dispose pas par le fait de l’administration des données indispensables au calcul de son prix9 et où il s’interroge sur ce que l’administration a voulu, alors qu’il ne peut soumissionner que d’après une hypothèse qu’il se fait personnellement et qui n’est pas nécessairement celle qui a été retenue par l’administration ou celle sur laquelle se seront basés les autres concurrents10 : cette disposition couvre dès lors des ambiguïtés - notion pouvant être définie comme une imprécision de ce terme ou une incertitude quant à la portée et à la signification de ce terme11 -, des erreurs matérielles affectant la rédaction de certaines dispositions du cahier des charges, ou encore des omissions, c’est-à-dire des lacunes intervenues lors de la rédaction du cahier des charges.
En l’espèce, si tel que constaté ci-dessus la demanderesse, s’appuyant sur l’avis de la commission des soumissions, reproche certes au descriptif de la durée de la mission de l’agent supplémentaire d’être ambigüe, elle est cependant forclose à soulever devant le juge administratif un tel moyen, étant donné qu’elle aurait à tout le moins dû solliciter des éclaircissements à ce sujet avant l’ouverture de la soumission.
La société …ne saurait à cet égard se prévaloir du fait que la disposition citée ci-dessus exigerait qu’une telle demande se fasse par lettre recommandée pour exciper de son impossibilité de solliciter oralement des éclaircissements, notamment à l’occasion de la visite des lieux.
En effet, si l’article 21 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 exige certes la formalité d’une lettre recommandée dans l’intérêt de la transparence et de l’égalité de traitement entre tous les soumissionnaires - afin notamment d’éviter que l’un des soumissionnaires puisse obtenir oralement des précisions auxquelles les autres soumissionnaires, en violation de l’article 23 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 n’auraient pas accès - rien d’empêchait la société …de s’enquérir oralement de cette question, pour immédiatement ensuite, en fonction de la réaction de l’adjudicateur, lui adresser une demande formelle par lettre recommandée.
Le tribunal ne saurait par ailleurs admettre, à défaut de toute preuve en ce sens, que les autres soumissionnaires, et en particulier la société …, aient bénéficié de précisions auxquelles la société …n’aurait pas eu accès ; le seul fait que la société … ait pu déposer une offre conforme ne constitue ni une preuve, ni même un indice que cette société ait bénéficié d’informations auxquelles la société …n’aurait pas eu accès, mais seulement la conséquence d’une lecture plus attentive du cahier des charges par ce soumissionnaire.
Il résulte des développements qui précèdent que la décision de rejeter l’offre de la société …est légalement motivée à travers les éléments retenus ci-avant en fait et en droit, de sorte que le recours en annulation est à déclarer non fondé.
La société …réclame encore chacune l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 5.000.- €., demande qui, outre d’être formellement contestée en son principe et en son montant par la partie étatique, est à rejeter au vu de l’issue globale du litige.
8 Voir M.-A. Flamme, Commentaire pratique de la réglementation des marchés publics, 4e éd., n° 161, au sujet de l’article 20, par. 4 de l’arrêté royal du 22 avril 1977 relatif aux marchés publics de travaux, de fournitures et de services, directement inspiré de la réglementation luxembourgeoise.
9 Ibidem.
10 M.-A. Flamme, Commentaire pratique de la réglementation des marchés publics, 6e éd, T.1a, p.923.
11 Trib. adm. 22 décembre 2006, n° 21211, op.cit.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond le déclare partiellement justifié, annule les deux décisions du directeur du Lycée Technique … matérialisées par les courriers des 9 et 28 octobre 2009, pour le surplus déboute la demanderesse, rejette la demande de la société …en obtention d’une indemnité de procédure ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 décembre 2010 par :
Marc Sünnen, premier juge, Claude Fellens, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier assumé Michèle Feit, s. Michèle Feit s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 décembre 2010 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 11