Tribunal administratif N° 26633 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 février 2010 1re chambre Audience publique du 13 décembre 2010 Recours introduit par la société … Gmbh et la société AAA Gmbh & CO.KG contre des décisions du collège des bourgmestre et échevins de … en présence de la société en commandite simple MMM S.c.s.
en matière de marchés publics
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JUGEMENT
Vu le recours introduit le 26 février 2010 sous le numéro du rôle 26633 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société … Gmbh, établie et ayant son siège social à L- …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, et de la société AAA Gmbh & CO.KG, établie et ayant son siège social à D-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de deux décisions prises par le collège des bourgmestre et échevins de la commune de …, l’une du 9 février 2010, de ne pas retenir l’offre de la société … Gmbh tendant à la transformation et à l’extension de la mairie à … et l’autre du 9 février 2010 d’attribuer le marché en cause à la société MMM S.c.s. ;
Vu l'exploit de l'huissier de justice suppléant Gilles HOFFMANN, en remplacement de Patrick KURDYBAN, huissier de justice, immatriculé près le tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg, du 2 mars 2010, portant signification de la requête afférente à l’administration communale de …, représentée par son collège des bourgmestre et échevins, ayant sa maison communale à L- …, ainsi qu’à la société en commandite simple MMM S.c.s., représentée par ses organes statutaires actuellement en fonctions, établie et ayant son siège social à L-8366 Hagen, 27, rue de Steinfort ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 27 mai 2010 par Maître Steve HELMINGER pour le compte de l’administration communale de …, notifié le même jour à Maîtres Marc THEWES et Pierrot SCHILTZ ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 1er juin 2010 par Maître Pierrot SCHILTZ pour le compte de la société MMM S.c.s., notifié le même jour à Maîtres Marc THEWES et Steve HELMINGER ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 28 juin 2010 par Maître Marc THEWES au greffe du tribunal administratif pour le compte des parties demanderesses, notifié le même jour à Maîtres Steve HELMINGER et Pierrot SCHILTZ ;
Vu le mémoire en duplique déposé le 17 août 2010 par Maître Steve HELMINGER pour le compte de l’administration communale de … notifié le même jour à Maîtres Marc THEWES et Pierrot SCHILTZ ;
Vu le mémoire en duplique déposé le 28 septembre 2010 par Maître Pierrot SCHILTZ pour le compte de la société MMM S.c.s., notifié le même jour à Maîtres Marc THEWES et Steve HELMINGER ;
Vu les pièces versées et notamment les décisions critiquées ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport et Maître Benjamin MARTHOZ, en remplacement de Maître Marc THEWES, Maître Steve HELMINGER et Maître Eric MULLER, en remplacement de Maître Pierrot SCHILTZ en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 novembre 2010.
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Le 27 octobre 2009, la commune de … lança un appel d'offre pour des travaux de menuiserie intérieure dans le cadre de la transformation et de l’extension de la mairie de ….
Les sociétés … Gmbh et AAA Gmbh & CO.KG affirment à cet égard avoir déposé en leurs qualités d'associées de l'association momentanée … Gmbh - AAA Gmbh & CO.KG une offre et avoir participé à l’ouverture de la soumission.
Par délibération du 9 février 2010, le collège des bourgmestre et échevins de la commune de … décida d’attribuer le marché à la société MMM S.c.s. et par courrier du même jour, le bourgmestre de la commune de … informa la société … Gmbh que son offre n’avait pas été retenue au motif que « les chiffres d'affaires de votre entreprise des trois dernières années sont inférieurs au montant exigé à titre de critère de participation (5 millions d’euros). » Par recours déposé le 26 février 2010 au greffe du tribunal administratif, les sociétés … Gmbh et AAA Gmbh & CO.KG ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du collège des bourgmestre et échevins de la commune de … portant rejet de leur offre ainsi que la décision corrélative attribuant le marché en cause à la société MMM S.c.s..
Quant à la recevabilité :
La loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics ne prévoit pas la possibilité d’exercer un recours en réformation contre une décision de rejet d’une offre ou contre une décision d’adjudication, de sorte que seul un recours en annulation est possible contre les décisions querellées.
Le tribunal doit dès lors se déclarer incompétent pour connaître du recours principal en réformation.
En ce qui concerne la recevabilité du recours subsidiaire en annulation, tant l’administration communale de … que la société en commandite simple MMM S.c.s soulèvent la question de l’intérêt à agir de la société AAA Gmbh & CO.KG, au motif que celle-ci n’aurait pas participé à la soumission.
La société AAA Gmbh & CO.KG, ci-après « la société AAA », de son côté, explique son intérêt à agir par l’affirmation qu’elle aurait participé à la soumission litigieuse en tant qu’associée de l’association momentanée existante avec la société … Gmbh, affirmation qui appert par ailleurs être le moyen central de l’argumentation des sociétés demanderesses.
Or, l’intérêt à agir n’est pas à confondre avec le fond du droit en ce qu’il se mesure non au bien-fondé des moyens invoqués à l’appui d’une prétention, mais à la satisfaction que la prétention est censée procurer à une partie, à supposer que les moyens invoqués soient justifiés1, l’intérêt à agir plus particulièrement ne dépendant pas du sérieux des moyens invoqués à l’appui du recours, dont l’analyse ne sera faite que dans le cadre de l’examen au fond.
Or, en tant que société affirmant avoir participé à la soumission litigieuse et en avoir été écartée à tort, la société AAA - la question du bien-fondé de ces affirmations relevant de l’examen au fond du recours - dispose d’un intérêt à agir à l’encontre des décisions déférées.
Il en résulte que le recours sous examen est à déclarer recevable dans le chef de la société AAA au regard de l’intérêt à agir.
Dès lors, à défaut de tout autre moyen d’irrecevabilité circonstancié, le recours subsidiaire en annulation tel que dirigé contre les décisions déférées est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond :
Le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.
Les deux sociétés demanderesses reprochent dans ce contexte en substances aux décisions déférées d’avoir violé l'article 11 de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics et portant modification du seuil prévu à l'article 106 point 100 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 et de l'article 88 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de cette loi, au motif que l'offre soumise par l'association momentanée …-AAA aurait indubitablement présenté le prix le plus bas, et aurait encore été régulière, le chiffre d'affaires cumulé des deux sociétés pour l'année 2008 s'étant élevé à 6.419.533, 79 €.
Elles estiment encore que les deux décisions attaquées reposeraient sur des motifs inexacts. En effet, l'offre n'aurait pas été déposée par la seule société …, mais par l'association momentanée …-AAA, agissant par son mandataire, la société …, de sorte que l’administration communale aurait dû prendre en considération les chiffres d'affaires cumulés des deux sociétés associées dans le cadre de l'association momentanée, et non uniquement celui de la seule société ….
Par ailleurs, elles font plaider que l’administration communale ne pouvait étendre cette exigence aux trois dernières années, étant donné que les conditions minima de participation 1 Voir notamment trib. adm. prés. 27 septembre 2002, n° 15373, Pas. adm. 2009, V° Procédure contentieuse, n° 3.
n'imposaient nullement que le chiffre d'affaires « pour les trois dernières années » atteigne 5 millions € mais uniquement que le « chiffre d'affaires annuel » s'élève à 5 millions €, l’administration communale, en modifiant a posteriori un critère de sélection du cahier spécial des charges, ayant dès lors violé l'article 16 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 et du caractère obligatoire de l'offre publique.
Elles concluent encore à une violation de l'article 4 de la loi du 25 juin 2009 précitée et des principes de non-discrimination et de transparence par l’administration communale du fait d’avoir rejeté l'offre de l'association momentanée sur la base d'un critère de sélection qualitatif différent de celui prescrit par le cahier spécial des charges ainsi qu’à une violation de l'article 60 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 précité, au motif qu’avant d'écarter leur offre, l’administration communale aurait été tenue de leur demander de justifier de leurs capacités financières.
Enfin, les deux sociétés affirment que le pouvoir adjudicateur aurait violé le principe général de droit de légitime confiance, en indiquant dans son avis de marché des conditions minimales de participation, qu'elle aurait ensuite modifiées et rendues plus strictes en cours de procédure de marché.
L’administration communale, outre de prendre position par rapport aux différents moyens des sociétés demanderesses, expose plus particulièrement que le dossier de soumission ne renseignerait comme soumissionnaire que la société …, et non la société AAA, et que par ailleurs le dossier de soumission ne contiendrait nullement une copie des bilans de cette société.
La réponse à apporter à cet argument étant susceptible d’influencer l’analyse subséquente des moyens des demanderesses, il convient de vérifier en premier lieu, si, comme allégué par les sociétés demanderesses, l’offre émanait conjointement de ces deux sociétés, respectivement de l’association momentanée créée par celles-ci, ou, conformément aux explications de l’administration communale, auxquelles s’est ralliée la société MMM S.c.s., l’offre avait été déposée par la seule société ….
Si, comme relevé par l’administration communale, une analyse des pièces fait effectivement apparaître que l'original du dossier de soumission renseigne à la page première à titre de soumissionnaire exclusif la société … avec un effectif de 6 personnes et que cette première page est par ailleurs dotée du cachet de cette société et que parmi les annexes soumises à cette soumission figurent notamment une autorisation d'établissement de la société …, un extrait du casier judiciaire de Monsieur …, un extrait du registre de commerce et des sociétés de la société …, une attestation de l’administration de l'Enregistrement et des Domaines pour la société …, une attestation de non-obligation délivrée par l'administration des Contributions directes pour la société …, une attestation du Centre Commun de la Sécurité Social délivrée pour la société …, une liste des travaux exécutés par la société …, divers certificats de bonne exécution établis au profit de la société …, des extraits de bilans et du compte pertes et profits de la société …, une déclaration du personnel de la même société et finalement un certificat d'assurance délivré par AXA pour le chantier en question pour la société …, force est cependant de constater que l’offre telle que déposée contenait également une « formule d'engagement solidaire en cas d'association momentanée » remplie et cosignée par les deux sociétés … et AAA et qui identifie la société … en tant que mandataire de l’offre déposée, ladite formule ayant été remplie en conformité avec l'article 2, (2) du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, aux termes duquel « (2) Une offre collective peut être remise par plusieurs opérateurs économiques remplissant les conditions prévues au paragraphe 1er ci-dessus.
Dans ce cas, elles doivent remettre, ensemble avec leur offre, un engagement solidaire, daté et signé, dans lequel elles désignent parmi elles un mandataire. L’offre indique soit la proportion assumée dans l’exécution du marché et, le cas échéant, dans chacun de ses éléments, par chacun des opérateurs, soit l’apport proportionnel effectué par chacun d’eux dans l’exécution du marché dans son ensemble ou dans celle de ses différents éléments ».
Force est encore de constater que si le « Leistungsverzeichnis » faisant partie du dossier de soumission et renseignant les différentes prestations à effectuer par le soumissionnaire semble avoir été uniquement rempli par la société … - agissant, comme relevé ci-avant, en tant que mandataire de l’offre - le dossier de soumission, respectivement l’offre, contenait cependant également un listing émanant de la société AAA se référant aux différentes positions de ce bordereau et comportant une analyse de prix complète.
Il résulte de ces pièces non seulement que l’offre - indépendamment de la question de sa régularité, question qui sera analysée ci-après - émanait explicitement d’une association momentanée formée par les sociétés … et AAA, encore qu’elle n’ait été formellement déposée que par le mandataire de cette association, mais encore que le pouvoir adjudicateur, au vu de l’engagement solidaire figurant au dossier, ne pouvait ignorer l’existence de cette association momentanée.
D’autre part, il est admis qu’un groupement ou une association d’entreprises qui soumet une offre collective puisse prétendre à faire apprécier sa capacité technique, financière et économique non pas dans le chef de chacun de ses membres pris individuellement, mais d’une manière consolidée, chaque membre bénéficiant ainsi de la capacité des autres2, l’association augmentant en effet ainsi le potentiel mis en oeuvre3. Cette solution a été retenue pour la première fois dans un arrêt de la CJCE, du 14 avril 1994 (C-389/92 Ballast Nedam Groep), affaire dans laquelle une société holding qui présentait une demande d’agréation d’entrepreneurs dans le cadre d’un marché public de travaux et qui n’exécutait pas elle-même les travaux, mais se prévalait, pour justifier de ses capacités, des références de ses filiales, la CJCE ayant retenu que : « pour l’appréciation des critères auxquels doit satisfaire un entrepreneur lors de l’examen d’une demande d’agréation présentée par une personne morale dominante d’un groupe, [il est permis] de tenir compte des sociétés qui appartiennent à ce groupe, pour autant que la personne morale en cause établit qu’elle dispose effectivement des moyens de ces sociétés qui sont nécessaires à l’exécution des marchés » (cf.
Affaire Ballast Nedam Groep précité, point 18).
Dans une affaire ultérieure (C-176/98 Holst Italia SpA), dans laquelle était en cause la directive 92/50/CEE du 18 juin 1992 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, la CJCE, en plus de confirmer la jurisprudence Ballast Nedam Groep, à savoir qu’une personne ne peut être écartée d’une procédure de passation d’un marché public de travaux au seul motif qu’elle entend mettre en œuvre, pour exécuter le marché, des moyens qu’elle ne détient pas en propre mais qui appartiennent à une ou plusieurs autres entités qu’elle-même, a nié la nécessité de l’existence d’un lien structurel caractérisé unissant l’entreprise candidate à celle qui détient les capacités nécessaires à l’exécution du marché, auxquelles l’entreprise soumissionnaire fait référence. Dans cette 2 cf. M.-A. Flamme, Commentaire pratique de la réglementation des marchés publics, 6e éd. La Confédération nationale de la construction, tome 1A, p.603, n°3.
3 Op.cit, p.899, n° 4.
affaire, la société candidate à la soumission se trouvait en effet dans un état de subordination, et non pas dans une position dominante, par rapport à l’entité dont elle se prévalait des références. Depuis cette décision de principe de la CJCE, pour démontrer ses capacités financière, économique et technique en vue d'être admise à participer à une procédure d'appel d'offres, une société est admise à faire état des capacités d'organismes ou d'entreprises auxquels elle est liée par des liens directs ou indirects, de quelque nature juridique qu'ils soient, toujours sous condition toutefois d'établir qu'elle a effectivement la disposition des moyens de ces organismes ou entreprises qui ne lui appartiennent pas en propre et qui sont nécessaires à l'exécution du marché. Il n’existe donc pas d’exigence dans le chef de l’entité qui entend faire état des capacités d’une autre, consistant à pouvoir exercer une influence dominante sur cette dernière.
Par une dernière série d’arrêts, notamment les affaires Ordine degli Architetti (C-
399/989), Siemens et ARGE Telekom (C-314/01) et Commission CE c/ Allemagne (C-
126/03), la CJCE a encore avancé d’un pas en donnant explicitement aux personnes candidates à la participation d’une soumission la possibilité de se prévaloir de leurs sous-
traitants en vue d’établir qu’elles satisfont aux conditions économique, financière et technique de participation à une procédure de passation, solution désormais valable pour tous marchés publics, qu’ils soient de travaux, de fournitures ou de services4 5.
Il résulte dès lors de l’analyse de la jurisprudence de la CJCE applicable en la matière que l’association momentanée formée par les sociétés … et AAA a été en droit de se prévaloir des capacités respectives professionnelles, techniques, économiques et financières des deux sociétés la composant.
Il en résulte a fortiori et par analogie encore que les capacités de l’association momentanée, en ce compris ses capacités au vu des conditions minimales de participation telles qu’inscrites à l’article 2.1.18 des clauses contractuelles particulières, devaient être vérifiées au vu des capacités des deux sociétés.
Cette conclusion est d’ailleurs corroborée par le libellé explicite de l’article 229 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 qui admet qu’un groupement d’opérateurs économiques puisse faire valoir les capacités économiques et financières des participants au groupement ou d’autres entités.
Dans cette optique, c’est à tort que le pouvoir adjudicateur s’est limité à ne retenir que le seul chiffre d’affaires de la société ….
Il convient encore de retenir que c’est encore à tort que le pouvoir adjudicateur a motivé sa décision de rejet en prenant plus spécialement appui sur les chiffres d’affaires des trois dernières années de la dite société, l’article 2.1.18 des clauses contractuelles particulières relatif aux conditions minima de participation n’exigeant formellement qu’un chiffre d’affaire annuel minimum dans le milieu concerné de 5 millions d’euros - encore que l’article 1.9.1 des clauses contractuelles générales exige, en ce qui concerne la capacité économique et financière du soumissionnaire, la production des pièces comptables portant sur les trois dernières années.
4 Voir notamment Juris-Classeur Europe, Marchés Publics, Fascicule 1052, n°122.
5 Voir aussi trib. adm. 10 septembre 2008, n° 23553, Pas. adm. 2009, V° Marchés publics, n° 51.
L’examen des moyens des demanderesses formulés sur base de l’article 16 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, du caractère obligatoire de l'offre publique, de l'article 4 de la loi du 25 juin 2009 précitée et des principes de non-discrimination, de transparence, et de légitime confiance, moyens qui reposent tous sur l’affirmation que l’administration communale aurait modifié les conditions de participation en cours de procédure est, au vu du prédit constat, superfétatoire.
Néanmoins, une décision administrative fondée sur des motifs entachés d’une erreur de droit ou d’une inexactitude matérielle n’est pas à annuler si elle se justifie par d’autres motifs conformes à la loi, même non invoqués par l’administration. Il appartient à la juridiction administrative de substituer, le cas échéant, des motifs exacts aux motifs erronés6, de sorte que le seul fait qu’en l’espèce, la décision litigieuse portant rejet de l’offre des demanderesses a été prise au vu du seul chiffre d’affaires de la société …, n’est pas de nature à emporter l’annulation de ces décisions, s’il se dégage par ailleurs des faits soumis au tribunal que la décision en question pouvait être légalement prise sur base d’autres motifs.
Or, à ce sujet, force est au tribunal de constater que si la société … a certes fourni une copie de ses bilans aux 31 décembre 2006 et 2007 ainsi que de ses comptes de profits et pertes pour les exercices se terminant aux 31 décembre 2006 et 2007, la société AAA, de son côté, n’a pas fourni de données relatives à son chiffre d’affaires, de sorte que le pouvoir adjudicateur a à bon droit basé sa décision sur les seules données disponibles, à savoir le chiffre d’affaires de la seule société ….
Le même constat s’impose d’ailleurs en ce qui concerne l’une des autres conditions minima de participation à la soumission, à savoir l’exigence de disposer d’un effectif minimum en personnel de 50 personnes, les seules données fournies en l’espèce et provenant uniquement de la société … attestant de la disponibilité de 20 personnes, donc en-dessous du minimum exigé.
Comme relevé ci-avant, les sociétés demanderesses estiment cependant que l’administration communale aurait dû leur laisser la chance de compléter leur offre et qu’à défaut d’une telle possibilité, l’administration communale aurait ainsi méconnu l'article 60 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics.
L’article 60 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 prévoit ce qui suit : « Le cahier spécial des charges peut exiger du soumissionnaire la fourniture de données techniques ou économiques sur son entreprise. Ces renseignements ont un caractère indicatif. Les renseignements manquants peuvent être complétés sur demande du pouvoir adjudicateur, par lettre recommandée avec accusé de réception, avant l’adjudication et sont alors à fournir par le soumissionnaire, sous peine de l’exclusion de son offre, dans un délai de 15 jours à courir à partir de la réception de la demande y relative. » Cette disposition, d’ordre général, est précisée, en ce qui concerne les capacités économiques et financières, par l’article 227 du même règlement grand-ducal, qui indique les données relatives à la capacité économique et financière doivent être justifiées par des « références », lesdites données économiques et financières pouvant être fournies sous forme de déclarations de banques ou par la production de bilans ou d’extraits de bilans ou encore par 6 Trib. adm. 10 janvier 1997, n° 9755 du rôle, Pas. adm. 2009, V° Recours en annulation, n° 42, et autres références y citées une déclaration concernant le chiffre d’affaires, l’article 231, quant à lui, disposant que « Si, pour une raison justifiée, l’opérateur économique n’est pas en mesure de produire les références demandées par le pouvoir adjudicateur, il est autorisé à prouver sa capacité économique et financière par tout autre document considéré comme approprié par le pouvoir adjudicateur. » Enfin, l’article 240 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, intitulé « Documentation et renseignements complémentaires » prévoit que « Le pouvoir adjudicateur peut inviter les opérateurs économiques à compléter ou à expliciter les certificats et documents présentés en application des articles 222 à 239 ».
Il résulte de ces dispositions que le soumissionnaire est tenu de fournir certaines données relatives à ses capacités économique, financière, technique et professionnelle et que lesdites données doivent être « justifiées », c’est-à-dire prouvées, de différentes manières ;
lorsque lesdites preuves ne sont pas disponibles, le pouvoir adjudicateur peut admettre d’autres modes de preuve et lorsque les preuves ne sont pas suffisamment explicites, probantes, le pouvoir adjudicateur peut exiger un complément de preuve.
Ainsi, si l’article 60 invoqué par les demanderesses précise que les données économiques à fournir par les soumissionnaires n’ont qu’un caractère indicatif, le terme « indicatif » n’a cependant pas pour effet d’exclure que les données puissent servir de critère d’exclusion, mais il signifie que les données soumises donnent des indications sur la capacité économique de l’entreprise, de sorte qu’elles ne constituent pas une preuve irréfutable de l’existence ou du défaut de cette capacité, le soumissionnaire pouvant toujours apporter une telle preuve par d’autres moyens7.
Le point commun de ces dispositions est partant de permettre à un soumissionnaire, qui a fourni certaines données, outre de prouver la réalité de celles-ci, de compléter, respectivement de préciser non pas les données, mais les documents établissant les données fournies.
Or, en l’espèce, l’association momentanée, respectivement les deux sociétés demanderesses, ne sont pas confrontées à une situation où l’administration communale leur aurait refusé de compléter la documentation, respectivement ne les aurait pas invité à fournir davantage de pièces afin de préciser sinon de compléter des données indiquées dans leur offre (p.ex. si l’offre contenait l’indication du chiffre d’affaires global des deux sociétés, mais ne reposait que sur les seuls documents comptables de la sociétés …), mais où certaines données -
celles relatives à la société AAA - n’ont tout simplement pas été fournies, respectivement où les données fournies - le chiffre d’affaires - étaient insuffisantes pour participer au marché.
Le problème en l’espèce ne serait dès lors pas une question de preuve, de justification de données effectivement fournies, mais d’absence de données exigées, respectivement de données fournies ne remplissant pas les critères de participation à la soumission, défaut non susceptible d’être couvert notamment par l’application des articles 60, 231 et 240 du règlement grand-ducal.
Cependant, en l’espèce, les données manquantes ne s’inscrivaient à proprement dire pas dans le cadre de la fourniture de données économiques, financières, techniques ou 7 Voir trib. adm. 22 décembre 2006, n° 21211, ww.ja.etat.lu professionnelles, telles que susceptibles d’être demandées à titre de renseignement par le pouvoir adjudicateur, mais dans un cadre différent, à savoir celui des conditions minimales de participation telles qu’inscrites à l’article 2.1.18 des clauses contractuelles particulières. En effet, l'exigence de disposer d’un chiffre d’affaires et d’effectifs minimaux, loin de constituer une clause sur les données techniques ou économiques de la société soumissionnaire n'ayant qu'un caractère indicatif, fixe les conditions minima de participation à la soumission litigieuse pour donner l'assurance au pouvoir adjudicateur que l'expérience et les capacités techniques du soumissionnaire suffisent pour garantir la bonne exécution des travaux exigés par le marché en question 8.
Il s’ensuit qu’en tout état de cause, le défaut constaté de remplir les données minimales exigées par l’article 2.1.18 des clauses contractuelles particulières n’est pas susceptible de pouvoir bénéficier du régime des articles 60, 231 et 240 du règlement grand-
ducal tel que dégagé ci-avant.
Il y a d’ailleurs lieu de souligner que cette différence n’a pas échappée aux demanderesses, puisque celles-ci ont bien situé la condition relative au chiffre d’affaires minimale dans le cadre particulier des conditions minimales de participation telles qu’inscrites à l’article 2.1.18 des clauses contractuelles particulières, où seul le respect d’un chiffre d’affaire annuel déterminé est exigé, et non pas dans le cadre des renseignements relatifs à la capacité économique et financière telle que prévue à l’article 1.9.1. des clauses contractuelles générales, qui doit être justifiée sur base des documents comptables des trois dernières années.
Il résulte dès lors de l’ensemble des développements qui précèdent que le pouvoir adjudicateur, compte tenu de l’indication par la société … d’un chiffre d’affaires inférieur au chiffre d’affaires minimal requis en tant que condition de participation, n’était pas tenu de demander des précisions et informations complémentaires au soumissionnaire, la même conclusion s’imposant d’ailleurs en ce qui concerne les effectifs de personnel insuffisants.
Par ailleurs, le fait pour le pouvoir adjudicateur de ne pas se contenter des indications et pièces fournies, ne saurait constituer, comme allégué, une violation de l’article 4 de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, aux termes duquel « les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d'égalité, de manière non discriminatoire et agissent avec transparence ».
Bien au contraire, exiger du pouvoir adjudicateur qu’il prenne l’initiative de permettre à un soumissionnaire déterminé, en-dehors du cadre strict des articles 60, 231 et 240 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, de rectifier son dossier en ce qui concerne le respect des conditions minima de participation, constituerait non seulement une violation du principe selon lequel les offres une fois déposées ne peuvent plus être modifiées, hormis des erreurs arithmétiques, pareil principe découlant notamment des articles 75 et 77 du règlement grand-
ducal précité, mais encore une violation du principe d’égalité de traitement de tous les soumissionnaires.
Il convient dès lors de retenir, par substitution des motifs, que le collège des bourgmestre et échevins a valablement pu rejeter l’offre, le soumissionnaire n’ayant, au vu 8 Trib. adm. 27 mars 2006, n° 20383, Pas. adm. 2009, V° Marchés publics, n° 96.
des données communiquées, manifestement pas rempli les conditions minima de participation à la soumission.
A titre superfétatoire, le tribunal relève encore qu’aux termes de l’article 85, paragraphe 1er, du règlement grand-ducal, « Le choix de l’adjudicataire ne peut se porter que sur des soumissionnaires qui se trouvent dans les conditions visées à l’article 2 et dont la compétence, l’expérience et les capacités techniques et financières, la situation fiscale et parafiscale, les moyens d’organisation en outillage, matériel et personnel qualifié, le degré d’occupation ainsi que la probité commerciale offrent les garanties pour une bonne exécution des prestations dans les délais prévus. En cas d’entreprise générale, les conditions précitées devront également être remplies par les sous-traitants », tandis que l’article 2 en question précise que « (1) Les travaux, fournitures et services ne peuvent être adjugés qu’aux opérateurs économiques qui, au jour de l’ouverture de la soumission, remplissent les conditions légales pour s’occuper professionnellement de l’exécution des travaux, de la livraison des fournitures ou de la prestation des services qui font l’objet du contrat. (2) Une offre collective peut être remise par plusieurs opérateurs économiques remplissant les conditions prévues au paragraphe 1er ci-dessus ».
Dès lors, lorsque, comme en l’espèce, une offre émane d’une association momentanée, tous les membres de celle-ci doivent remplir « les conditions légales pour s’occuper professionnellement de l’exécution des travaux, de la livraison des fournitures ou de la prestation des services qui font l’objet du contrat », ces conditions légales, figurant sous l’article 226 « Habilitation à exercer l’activité professionnelle » du règlement grand-ducal, n’étant pas à confondre avec les conditions relatives à la capacité économique, financière, technique et professionnelle du soumissionnaire.
Or, comme relevé ci-avant, seule la société … a versé des pièces attestant de son habilitation à exercer l’activité professionnelle, aucune indication ou document afférents, relatifs à la situation de la société AAA ne figurant au dossier, de sorte que l’offre aurait de toute façon dû être rejetée, l’un des associés ne remplissant pas les conditions énoncées à l’article 2 précité.
La décision de rejeter l’offre litigieuse est dès lors à confirmer, encore que pour d’autres motifs. Quant à la décision du collège échevinal d’attribuer le marché à la société MMM S.c.s, décision en relation directe avec la décision antérieure d’écarter l’offre soumise par la société … pour compte de l’association momentanée, les demanderesses n’avancent aucun moyen propre à cette décision, de sorte que le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.
Il résulte des développements qui précèdent que les deux décisions déférées sont légalement motivées à travers les éléments retenus ci-avant en fait et en droit, de sorte que le recours en annulation est à déclarer non fondé.
Les deux sociétés demanderesses réclament encore chacune l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.000.- €., demande qui, au vu de l’issue du litige, est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, rejette la demande des sociétés … et AAA en obtention d’une indemnité de procédure ;
condamne les demanderesses aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 décembre 2010 par :
Marc Sünnen, premier juge, Claude Fellens, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier Arny Schmit.
s. Schmit s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13.12.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 11