Tribunal administratif Numéro 27531 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 novembre 2010 2e chambre Audience publique du 6 décembre 2010 Recours formé par Monsieur …, alias …, Schrassig contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.8.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 27531 du rôle et déposée le 26 novembre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias …, né le … à … (Algérie), de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 18 novembre 2010 ordonnant la prolongation de son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 novembre 2010 ;
Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Ardavan Fatholahzadeh au greffe du tribunal administratif en date du 2 décembre 2010 ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2010 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Marc Mathékowitsch en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 décembre 2010 ;
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Par jugement de la 13è chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 27 mai 2010, inscrit sous le numéro 1933/10, Monsieur …, alias …, ci-après dénommé « Monsieur … » fut condamné pour vol à une peine d’emprisonnement de 24 mois dont 6 mois assortis du sursis.
Sur appel de ce jugement, la Cour d’appel ramena la peine d’emprisonnement de Monsieur … à 20 mois dont 10 mois assortis du sursis.
Le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », prit à l’égard de Monsieur …, le 22 septembre 2010 un arrêté de refus de séjour, ainsi qu’un arrêté, notifié à l’intéressé le 23 septembre 2010, ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification, sur base des articles 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », au motif que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable et qu’en attendant le résultat des recherches quant à son identité et à sa situation, son éloignement immédiat est impossible en raison de circonstances de fait.
Le 4 octobre 2010, le ministre saisit par courrier le consulat de la République d’Algérie aux fins de procéder à l’identification de Monsieur … en joignant en annexe audit courrier deux photos d’identité et un jeu d’empreintes digitales. Il ressort de deux notes au dossier administratif que le consulat de la République d’Algérie fut contacté par téléphone à deux reprises par les autorités luxembourgeoises, à savoir les 19 et 21 octobre 2010, lesquelles furent informées que le dossier était en cours d’instruction et qu’aucune réponse n’avait été obtenue de la part des autorités compétentes à Alger.
Par arrêté du 19 octobre 2010, notifié à Monsieur … le 22 octobre 2010, le ministre ordonna la prorogation du placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une nouvelle durée d’un mois.
En date du 16 novembre 2010, le ministre saisit à nouveau le consulat de la République d’Algérie aux fins d’être informé de l’état d’avancement du dossier.
Par arrêté du 18 novembre 2010, le ministre ordonna la prorogation du placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une nouvelle durée d’un mois. Cet arrêté, notifié à Monsieur …, le 22 novembre 2010, est fondé sur les considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 120 à 123 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu mes arrêtés notifiés en date du 23 septembre et 22 octobre 2010 décidant du placement temporaire de l’intéressé ;
Considérant qu’une demande d’identification a été adressée aux autorités algériennes en date du 4 octobre 2010 ;
- que l’identification de l’intéressé par les autorités consulaires est en cours d’instruction ;
Considérant qu’en attendant le résultat des recherches quant à son identité, l’éloignement immédiat de l’intéressé est impossible en raison des circonstances de fait.
Considérant qu’il y a nécessité de reconduire la décision de placement ».
Par requête déposée le 26 novembre 2010 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la prédite décision ministérielle de prorogation de son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation.
Il n’y a dès lors pas lieu d’examiner le recours subsidiaire en annulation introduit par le demandeur.
Le recours en réformation ayant pour le surplus été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur reproche aux décisions datées du 22 septembre 2010 et du 19 octobre 2010 d’être quasiment identiques quant à leur motivation, sans que pour autant l’existence d’une nécessité absolue de proroger le placement en rétention, n’ait été établie. De même, il affirme que la condition d’une nécessité absolue de proroger la mesure de placement ne ressortirait pas de l’arrêté de prorogation de placement incriminé, de sorte que la décision ministérielle litigieuse devrait encourir la réformation.
En deuxième lieu, le demandeur fait plaider que l’arrêté ministériel litigieux resterait en défaut de démontrer que son éloignement effectif vers son pays d’origine dans un délai raisonnable serait possible et ceci d’autant plus qu’il se trouverait déjà placé en rétention depuis plus de 70 jours. Dans cet ordre d’idées, il souligne que la rétention administrative ne trouverait sa justification légale que lorsque l’autorité ministérielle serait en mesure de procéder à l’éloignement effectif dans un délai raisonnable, de sorte à mettre aussi le tribunal en mesure d’analyser si l’éloignement d’une personne est réalisable et en voie d’organisation.
En troisième lieu, le demandeur affirme que l’autorité ministérielle resterait en défaut d’une part, de démontrer qu’elle a entrepris les démarches nécessaires en vue de procéder à son éloignement et, d’autre part, qu’elle est en train d’exécuter la mesure de placement en vue de son éloignement rapide, de sorte qu’il y aurait lieu de réformer la décision ministérielle critiquée dans ce sens.
Le demandeur souligne par ailleurs que la mesure de placement critiquée serait disproportionnée au regard de la situation de fait et plus particulièrement au regard de l’impossibilité actuelle pour les autorités luxembourgeoises de préciser clairement à quel moment il pourra faire l’objet d’un éloignement.
Le demandeur affirme encore vivre sa rétention au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière comme un traitement dégradant et constitutif d’une atteinte à sa liberté. Il soutient que sa rétention serait effectuée en violation de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), alors que compte tenu du fait qu’il serait retenu et incarcéré au Centre Pénitentiaire de Schrassig, sans avoir commis une infraction à la loi pénale, il y aurait une atteinte intolérable à sa liberté.
Dans ce même contexte, il soulève la question de savoir si le Centre Pénitentiaire de Schrassig peut être retenu comme une structure fermée au sens de l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008, telle qu’envisagée par le législateur, étant donné que l’intention du législateur serait de contraindre les autorités administratives de pourvoir à la création d’un établissement spécial. Ainsi, il demande au tribunal, par réformation de la décision litigieuse, d’ordonner son transfert dans une structure fermée afin que la rétention soit opérée dans un établissement spécifique au sens de l’article 120 de la loi du 29 août 2008.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait en outre soutenir que la notification de la décision de placement serait intervenue en dehors des délais tels que prévus par l’article 120 de la loi du 29 août 2008. A cet égard, il explique que la première décision de prorogation de son placement, à savoir celle du 19 octobre 2010, lui aurait été notifiée le 22 octobre à 09.30 heures du matin, tandis que le deuxième arrêté de prorogation de placement lui aurait été notifié en date du 22 novembre 2010 à 14.35 heures.
Or, le demandeur estime que la durée maximale du placement en rétention telle que prévue à l’article 120 de la loi du 29 août 2008 ne pourrait pas être calculée par rapport aux dispositions de la Convention européenne sur la computation des délais signée à Bâle, ci-
après « la Convention de Bâle », telle qu’approuvée par la loi du 30 mai 1984 portant 1) approbation de la Convention européenne sur la computation des délais signée à Bâle, le 16 mai 1972 ; 2) modification de la législation sur la computation des délais, dans la mesure où ladite convention ne serait pas applicable en matière de rétention administrative. Selon le demandeur, le fait de calculer la durée de placement suivant les dispositions de la Convention de Bâle serait contraire à l’article 12 de la Constitution, ainsi qu’à l’article 5 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, dénommée ci-après « la CEDH ». Ainsi, le demandeur soutient qu’en application des dispositions de la Convention de Bâle, les délais ne commenceraient à courir qu’à compter de minuit du jour de la notification de la mesure de placement, de sorte que les heures de placement en rétention écoulées entre la notification de la décision et minuit ne seraient pas considérées et que la durée de placement pourrait donc excéder celle d’un mois, comme ce serait le cas en l’espèce, à savoir un mois et 6 heures. Le demandeur en conclut que la Convention de Bâle ne serait pas susceptible d’être appliquée pour calculer la durée de placement en rétention, mais que cette dernière serait à calculer par analogie aux dispositions de l’article 15 du Code pénal relatives à la durée d’emprisonnement et d’après lesquelles la durée d’un jour d’emprisonnement est de 24 heures et celle d’un mois d’emprisonnement de 30 jours.
Dans ce contexte, le demandeur, dans le dispositif de son mémoire en réplique, demande au tribunal de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle ayant la teneur suivante :
« L’application combinée des articles 120 de la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration et des articles 2 à 5 de la Convention de Bâle, aux termes desquels le délai d’un mois visé aux termes d’une mesure de rétention administrative commence à courir, à minuit, le jour de la notification de la décision de placement, respectivement de prorogation du placement, et qu’il expire, à minuit, le jour du mois subséquent dont la durée correspond à celle du jour de la notification, est-elle conforme à l’article 12 de la Constitution luxembourgeoise sinon à l’article 5 de la Convention européenne des Droits de l’Homme ? ».
Dans le même dispositif, le demandeur demande encore au tribunal d’ « écarter conformément à l’article 95 de la Constitution Luxembourgeoise que l’application combinée de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration et des articles 2 à 5 de la Convention de Bâle, aux termes desquels le délai d’un mois commence à courir à minuit, le jour de la notification de la décision de placement, respectivement de prorogation du placement, en raison de sa contrariété avec l’article 12 de la Constitution luxembourgeoise et l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme ».
Finalement, le demandeur sollicite de la part du tribunal de retenir que « l’application de la Convention de Bâle, aux termes desquels le délai d’un mois visé aux termes d’une mesure de rétention administrative commence à courir à minuit, le jour de la notification de la décision de placement, respectivement de prorogation du placement contrevient au principe d’un droit à un recours effectif au sens de l’article 13 de la CEDH, respectivement viole le principe de parallélisme des formes destinées à protéger les intérêts des administrés ».
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
En présence de plusieurs moyens invoqués par un demandeur, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis, mais il convient de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, l’examen des moyens tenant à la légalité externe devant précéder celui des moyens de la légalité interne.
Il convient de prime abord d’examiner la demande du demandeur à voir saisir la Cour constitutionnelle de la question de la « conformité de l’applicabilité de la Convention de Bâle » avec les dispositions de l’article 12 de la Constitution, telle que formulée dans le dispositif du mémoire en réplique, cette demande est à rejeter dans la mesure où le tribunal ne peut déférer à la Cour constitutionnelle que des questions portant sur la constitutionnalité d’une loi, mais non pas des questions portant sur la constitutionnalité de l’application d’une convention internationale. Il s’ensuit qu’en l’espèce, la question de la conformité de l’application d’une convention internationale à la Constitution ne peut pas être déférée par le tribunal à la Cour constitutionnelle, la question ainsi suggérée ne rentrant pas dans le champ de compétence de la Cour constitutionnelle.
En ce qui concerne la requête du demandeur, dans l’hypothèse où l’applicabilité de la Convention de Bâle serait retenue, de voir écarter l’application de ladite convention sur le fondement de l’article 95 de la Constitution, pour être contraire à l’article 12 de la Constitution et à l’article 5 CEDH, il y a lieu de souligner qu’au-delà du constat que l’article 95 de la Constitution ne permet aux cours et tribunaux d’écarter l’application que des arrêtés et règlements généraux et locaux en cas de non-conformité avec la Constitution, cette possibilité n’étant pas conférée à l’égard des conventions internationales, il convient de relever que le demandeur reste en défaut d’expliquer utilement son moyen et plus particulièrement d’exposer de quelle manière l’application de la Convention de Bâle serait contraire à l’article 12 de la Constitution ou à l’article 5 CEDH, un simple renvoi à ces articles étant insuffisant pour permettre tant à la partie étatique qu’au tribunal de comprendre utilement la portée du moyen que le demandeur a entendu invoquer. Le même raisonnement s’applique pour la demande du demandeur de voir écarter l’applicabilité de la Convention de Bâle pour contrevenir au principe d’un droit à un recours effectif au sens de l’article 13 CEDH, respectivement au principe du parallélisme des formes destinées à protéger les intérêts des administrés, étant donné qu’ici aussi il omet d’exposer de quelle manière l’application de la Convention de Bâle serait contraire à l’article 13 CEDH ou encore au principe du parallélisme des formes. En effet, les moyens simplement suggérés d’un demandeur, sans être soutenus effectivement, ne sont pas à prendre en considération par le tribunal, étant donné qu’il ne lui appartient pas de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions. Il s’ensuit que les moyens afférents sont à rejeter.
Il convient ensuite d’examiner le moyen fondé sur une notification tardive de l’arrêté de prorogation de placement litigieux, le demandeur soutenant en substance que la durée de la mesure de placement d’un mois devrait être calculée sur base de l’article 15 du Code pénal.
En vertu de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, lorsque l’exécution d’une mesure d’éloignement est impossible notamment en raison des circonstances de fait, l’étranger peut être placé en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois. Le même article prévoit en outre que pareille décision de placement peut, en cas de nécessité, être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois.
La reconduction d’une mesure de placement est soumise à la condition que la durée du placement initial ou prorogé n’ait pas encore expiré, de sorte qu’il y a lieu de vérifier si la mesure de prorogation de placement du 19 octobre 2010 n’avait pas encore expiré au moment de la notification de l’arrêté de prorogation en date du 22 novembre 2010.
Il est vrai que la loi du 29 août 2008 ne prévoit pas de dispositions spécifiques pour la computation du délai légal d’un mois prévu par son article 120.
Cependant, la Cour administrative a retenu dans un arrêt du 7 mai 20091 que, eu égard au droit commun de la computation des délais, réglementé par les dispositions de la Convention de Bâle, la détermination de la durée maximale d’un mois fixée par l’article 120 précité n’est pas à faire par analogie aux dispositions de l’article 15 du Code pénal.
Ainsi, la Cour administrative a plus particulièrement décidé qu’au regard des dispositions de l’article 1er de la Convention de Bâle, suivant lequel « la présente Convention s’applique à la computation des délais en matière civile, commerciale et administrative, y compris la procédure relative à ces matières (…) », la computation de tous les délais en matière administrative, fût-ce un délai de rétention administrative, est réglée par les dispositions de la Convention de Bâle et de celles de la loi d’approbation de ladite convention.
Suivant les principes dégagés par la Cour administrative, s’agissant plus particulièrement d’un délai exprimé en mois, il convient de retenir qu’en application de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 et des articles 2 à 5 de la Convention de Bâle, le délai d’un mois commence à courir à minuit le jour de la notification de la décision de placement, respectivement de la prorogation de la décision de placement initiale.
Il se dégage des éléments du dossier que l’arrêté de prorogation de placement du 19 octobre 2010 a été notifié au demandeur en date du 22 octobre 2010 à 09.30 heures du matin.
La notification de l’arrêté de prorogation incriminé est intervenue le 22 novembre 2010 à 14.35 heures soit avant l’expiration le 22 novembre 2010 à minuit de la durée maximale du premier arrêté de prorogation, c’est-à-dire endéans le délai légal, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.
En ce qui concerne le moyen tiré de la prétendue inertie du ministre et par conséquent de l’absence de « nécessité absolue » en résultant, il appartient au tribunal d’analyser si le 1 Cour adm. 7 mai 2009, n°25699C du rôle, www.ja.etat.lu ministre a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’une nécessité rende la prorogation de la décision de placement inévitable. S’il est certes vrai que le libellé de l’article 120 (3) de la loi du 29 août 20082 ne prévoit plus explicitement, contrairement à l’article 15 (2) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers, loi actuellement abrogée et remplacée par celle précitée du 29 août 2008, une « nécessité absolue », mais seulement une « nécessité », il n’en demeure pas moins que le fait de priver un étranger de sa liberté pendant une période d’un mois renouvelable, en l’absence de toute incrimination et, a fortiori, de toute condamnation pénale préalable, en dehors des garanties prévues par le Code d’instruction criminelle, apparaît incontestablement comme une prérogative exorbitante3 dont l’application doit demeurer exceptionnelle et qui ne saurait être prorogée que lorsque des circonstances particulièrement graves ou autrement justifiées la rendent nécessaire4.
Dès lors, le tribunal vérifie si l’autorité compétente a veillé à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer un éloignement dans les meilleurs délais, en vue d’éviter que la décision de placement ne doive être prorogée. Etant relevé qu’une mesure de rétention est indissociable de l’attente de l’exécution d’un éloignement d’un étranger non autorisé à séjourner légalement sur le territoire luxembourgeois, il incombe à l’autorité administrative de faire état et de documenter les démarches qu’elle estime requises et qu’elle est en train d’exécuter, afin de mettre le tribunal en mesure d’apprécier si un éloignement valable est possible et est en voie d’organisation, d’une part, et que les autorités luxembourgeoises entreprennent des démarches suffisantes en vue d’un éloignement ou transfert rapide du demandeur, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté, d’autre part.
Dans cet ordre d’idées, il y a lieu de souligner qu’en présence d’une personne démunie de documents de voyage et même de documents d’identité, le ministre doit d’abord faire procéder à une vérification de l’identité et de l’origine de la personne concernée et ensuite s’adresser aux autorités du pays d’origine afin d’établir l’identité de la personne concernée et de se faire délivrer des documents de voyage. La nécessité d’accomplir ces démarches supplémentaires entraîne forcément une extension du délai requis pour organiser la mesure d’éloignement et partant de la durée admissible de la mesure de rétention, ceci étant vrai a fortiori dans une situation comme, en l’espèce, où la personne concernée non seulement n’entreprend elle-même aucune démarche afin de contribuer à l’émission des documents de voyage par les autorités de son pays d’origine, mais fait preuve d’un manque de collaboration évident, étant précisé que le demandeur est également connu sous un alias.
Il n’est pas contesté en cause que le demandeur se trouve en situation irrégulière au Luxembourg et qu’il est démuni de documents de voyage valables pour permettre son éloignement immédiat vers son pays d’origine. Il est encore constant en cause que le demandeur est connu sous plusieurs identités, à savoir sous le nom de … d’une part et sous le nom de … d’autre part.
2 «La décision de placement visée au paragraphe (1) qui précède, peut en cas de nécessité être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».
3 Voir en ce sens Juris-Classeur, 2002, V° Libertés publiques et droits politiques, Fasc.700, n° 27.
4 Cf. trib. adm. 6 novembre 2002, n° 15509 du rôle, confirmé par Cour adm. 21 novembre 2002, n° 15593C du rôle, Pas.adm. 2009, V° Etrangers, n° 607.
En ce qui concerne les diligences concrètement accomplies par les services compétents, il ressort des éléments du dossier administratif que suite à la première mesure de placement en rétention datée du 22 septembre 2010, le ministre a transmis, le 4 octobre 2010, la fiche de renseignements contenant les données personnelles, les photos d’identité et un jeu d’empreintes du demandeur au consulat de la République d’Algérie afin de voir procéder à son identification. Il ressort encore de différentes notes du dossier administratif datées notamment du 19 et du 21 octobre 2010 que les services nationaux compétents se sont adressés au consulat d’Algérie en vue de connaître l’avancement du dossier du demandeur afin de pouvoir procéder à son éloignement. Suite à la première prorogation de la mesure de placement, notifiée au demandeur le 22 octobre 2010, les autorités luxembourgeoises ont une nouvelle fois relancé le consulat d’Algérie en date du 16 novembre 2010, et se sont enquis sur l’état d’avancement du dossier.
Sur base des développements qui précèdent, il y a lieu de retenir que les démarches concrètement accomplies par les services du ministère compétent sont à considérer comme correspondant à des efforts raisonnables en vue d’obtenir les documents sollicités et d’établir l’identité du demandeur, sans que le ministre ne puisse être contraint d’user d’autres moyens diplomatiques. Un manque de diligences de nature à infirmer la nécessité d’une prorogation de la mesure de rétention ne peut pourtant être valablement retenu en l’espèce, de sorte que tant le reproche d’un défaut de diligences formulé par le demandeur, que le moyen relatif à une prétendue absence de nécessité absolue de prorogation de la mesure de placement laissent d’être fondés.
En ce qui concerne le moyen du demandeur relatif au fait que le ministre resterait en défaut d’établir qu’il serait effectivement en mesure de procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement, il est également à rejeter à défaut de l’existence d’une condition légale afférente.
Concernant le moyen relatif à une prétendue violation de l’article 5 de la CEDH, le paragraphe 1, point f.) dudit article 5 dispose que « toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (… ) f.) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours ».
Il convient de relever que ladite disposition prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.
Il convient encore de préciser que le terme d’expulsion utilisé à l’article 5 est à entendre dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement d’une personne se trouvant en séjour irrégulier dans un pays5. Le fait même d’être retenu ne saurait dès lors être remis en cause par le demandeur au regard des dispositions de la CEDH. Le moyen afférent est partant à rejeter.
Quant à la question posée par le demandeur de savoir si le Centre de séjour correspond à une structure fermée, telle que prévue à l’article 120 de la loi du 29 août 2008, il y a lieu de souligner que la Cour administrative a retenu, dans son arrêt du 15 octobre 2010, n°27345C du rôle, que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière est à qualifier de structure fermée répondant en son principe aux exigences de l’article 120, 5 cf. trib. adm. 25 janvier 2006, no 20913 du rôle, Pas. adm. 2009, Vo Etrangers, n° 502 paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 en attendant la mise en place d’un nouveau Centre de rétention dont les travaux sont actuellement en cours.
Au vu de cette décision de principe ainsi adoptée par la Cour administrative et en l’absence de critiques soumises au tribunal quant aux modalités de rétention concrètes appliquées au cas d’espèce du demandeur, le moyen tiré de la violation de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 est à rejeter comme n’étant pas fondé, tout comme la demande visant un transfert vers une autre structure fermée.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Françoise Eberhard, premier juge Anne Gosset, juge, et lu à l’audience publique du 6 décembre 2010 par le premier vice-président, en présence du greffier Patricia Rego.
s.Rego s.Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 décembre 2010 Le Greffier du Tribunal administratif 9