Tribunal administratif Numéro 26567 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 février 2010 1re chambre Audience publique du 6 décembre 2010 Recours formés par la société anonyme …, …, contre une décision de l’administration communale de …, en présence de la société anonyme KKK, la société anonyme MMM et la la société anonyme FFF, en matière de marchés publics
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JUGEMENT
Vu la requête déposée le 4 février 2010 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 26567 du rôle, par Maître Charles KAUFHOLD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme …, établie et ayant son siège social à L- …, …, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de … du 30 novembre 2009, écartant l’offre déposée par la société demanderesse en date du 22 juin 2009 relative à un marché de travaux de gros œuvres et d’aménagements extérieurs de la Maison des Générations à … ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Yves TAPELLA, demeurant à Esch-sur-Alzette, du 5 février 2010, portant signification de ce recours à l’administration communale de …, à la société anonyme KKK, établie et ayant son siège social à L-…., inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg, sous le numéro … , à la société anonyme MMM, établie et ayant son siège social à L- … , inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …,ainsi qu’à la société anonyme FFF, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B40877;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 mai 2010, par Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, pour compte de l’administration communale de … ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 juin 2010, par Maître Charles KAUFHOLD, pour compte de la société anonyme …;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 juin 2010 par Maître Steve HELMINGER pour compte de l’administration communale de … ;
Vu les pièces versées en cause et plus particulièrement la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Matthieu GROETZINGER, en remplacement de Maître Charles KAUFHOLD, et Maître Steve HELMINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 octobre 2010.
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A la suite de la publication d’un avis d’adjudication de travaux de gros œuvres et de terrassement dans le cadre de la construction de la « Maison des Générations » à …, la société anonyme … s.a. , ci-après « la société … » soumit un dossier de soumission à l’administration communale de …, ci-après « la commune », en date du 22 juin 2009.
Après avoir remis son offre, la société … se vit adresser deux courriers successifs de la part du bureau d’études …, datés respectivement des 6 et 14 juillet 2009, dans lesquels ledit bureau d’études, chargé du contrôle des dossiers de soumission, lui demanda certaines précisions quant à son offre.
Ainsi, dans son courrier daté du 6 juillet 2009, le bureau d’études … demanda à la société … de lui fournir une analyse de prix concernant les positions pour lesquelles les prix offerts furent d’au moins 15% inférieurs à la moyenne, à savoir :
- 1.2.1.1 Terre arrable – stock provisoire - 1.2.1.2 Terre arrable – évacuation - 2.1.9 Porte métallique double T30-2 RS - 2.1.11 Porte métallique double T90-2 RS type 1 - 2.2.9 Porte métallique double T90-2 RS type 2.
Dans son courrier daté du 14 juillet 2009, le même bureau d’études demanda encore à la société … de lui faire parvenir les fiches techniques des produits offerts pour les positions suivantes :
- 2.1.3 et 2.2.3 Isolation plafond - de 2.1.8 à 2.1.11 et 2.2.9 Porte métallique - 2.1.15 et 2.2.13 Coffrage perdu isolant - 1.2.2.6 Kabeldurchführung (mit Anschlussflansch).
La société … s.a. prit position quant aux différentes demandes ainsi formulées par un courrier daté du 16 juillet 2009.
Dans son analyse du 10 septembre 2009 relative aux offres remises, le bureau d’études … retint notamment que les fiches techniques des portes métalliques, telles que fournies par la société …, ne permettraient pas de contrôler l’équivalence de celles-ci au produit de référence mentionné dans le bordereau de soumission.
Suite à cette analyse la société … se vit contacter par le bureau d’architecture XXX, lequel lui demanda de lui faire parvenir, outre un tableau d’analyse de prix, une attestation de la direction technique, ainsi qu’un rapport d’essai coupe-fumée pour la porte de la famille IDRA.
Par courrier du 2 octobre 2009, la société … fit parvenir lesdits documents au bureau d’architecture en question et confirma vouloir faire procéder, auprès d’un laboratoire certifié, à tous les tests complémentaires permettant de valider les portes proposées.
Par courrier électronique du 5 octobre 2009, le bureau d’architecture XXX demanda encore à la société … de fournir certaines précisions quant au rapport d’essai coupe-fumée concernant le test d’une porte de modèle IDRA 1B 120-M.
Dans son rapport du 6 octobre 2009, le bureau SSS, chargé par le bureau d’architecture XXX de vérifier le niveau de sécurité des différentes portes coupe-feu, souligna ne pas être en mesure de certifier la conformité des portes proposées par la société … aux exigences du cahier des charges.
Tout comme le bureau SSS, le bureau d’architecture XXX, dans ses évaluations provisoires des 29 septembre et 7 octobre 2009, souligna ne pas être en mesure de certifier la conformité des portes offertes par la société … aux exigences du cahier des charges.
En date du 9 octobre 2009, la commune, arrivant à la conclusion que les trois offres les moins chères, dont celle de la société …, devraient être écartées, étant donné que seul le soumissionnaire classé au quatrième rang aurait soumis une offre conforme au cahier des charges, contacta la Commission des soumissions afin de se voir délivrer un avis relatif à l’adjudication de la soumission litigieuse.
Dans son avis du 21 octobre 2009, la Commission des soumissions avisa favorablement le rejet de l’offre de la société …, ainsi que de la société classée troisième, pour non-conformité technique de ces deux offres.
Par courrier daté au 28 octobre 2009, la commune, tout en suivant l’avis de la Commission des soumissions, informa la société … que son offre n’avait pas été retenue, étant donné qu’elle ne correspondrait pas aux exigences du cahier des charges et ne répondrait pas aux dispositions de la législation sur les marchés publics.
Par courrier du 10 novembre 2009 adressé au bourgmestre de la commune de …, la société … contesta le rejet de son offre et sollicita un rendez-vous en vue d’obtenir des précisions quant à la motivation de ce refus.
En date du 30 novembre 2009, la commune confirma sa décision dans les termes suivants :
« Par la présente, et conformément au règlement grand-ducal portant exécution de la loi sur les marchés publics, nous sommes au regret de vous informer que nous maintenons notre position quant à la passation du marché à l’entreprise KKKs.a..
En effet, ni les points formulés dans votre lettre d’objection en date du 10 novembre 2009, ni vos explications lors de l’entrevue en date du 30 novembre 2009 nous ont fourni le moindre élément qui nous aurait amené à changer notre avis.
Ainsi, et en application de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, nous vous informons que vous avez la possibilité d’introduire un recours en annulation auprès du tribunal administratif contre la décision d’adjudication par requête signée d’un avocat à la cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 février 2010, inscrite sous le numéro 26567 du rôle, la société … a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision de l’administration communale de … du 30 novembre 2009.
a) Quant à la recevabilité :
La loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics ne conférant pas compétence au tribunal pour statuer en tant que juge de fond en la présente matière, seul un recours en annulation est possible contre la décision querellée.
En l’espèce, la commune conteste la recevabilité ratione temporis du recours en annulation introduit à titre principal, au motif que l’offre de la société demanderesse n’aurait pas été rejetée par le courrier attaqué, lequel ne constituerait qu’une simple lettre d’information, mais par le courrier daté au 28 octobre 2009, courrier qui n’aurait cependant pas été entrepris par la requérante. Elle en conclut que le recours n’aurait pas été introduit dans le délai de 3 mois prévu pour introduire un recours contentieux devant les juridiction administratives.
La commune fait en outre valoir que même à supposer que le recours tel qu’introduit par la société demanderesse devrait être déclaré recevable ratione temporis par le tribunal, celui-ci ne saurait cependant pas se prononcer sur la légalité de la décision datée du 28 octobre 2009 rejetant l’offre de la société …, dans la mesure où il ne pourrait se prononcer que sur la légalité des décisions administratives dont il est saisi par voie de recours.
Avant tout progrès en cause, il échet de rappeler que la lettre émanant de l'administration informant un soumissionnaire que son offre a été écartée, ne contient pas d'élément décisionnel propre, mais ne constitue qu'une lettre d'information relativement la décision prise. Ce constat reste cependant sans incidence préjudiciable quant à la recevabilité du recours, du moment que lors de l'introduction du recours, la décision d'écarter l'offre du soumissionnaire n'a pas reçu d'autre matérialisation que le courrier d'information et que le recours doit être considéré comme étant dirigé, d'une part, contre la décision portant rejet de l'offre du soumissionnaire, telle qu'elle s'est matérialisée par le courrier d'information, et, d'autre part, contre la décision portant adjudication du marché à un concurrent1.
Par ailleurs, il y a lieu de souligner que le courrier incriminé du 30 novembre 2010 constitue la réponse de la commune au courrier lui adressé par la demanderesse en date du 10 novembre 2010.
Dans cet ordre d’idées, il y a lieu de rappeler qu’un recours adressé par un administré à l'autorité-même qui a pris l'acte et dont l'impétrant espère que, mieux informée, elle acceptera de reconsidérer le problème, est à qualifier de recours gracieux, ou de recours à l'autorité mieux informée2.
En l’espèce, le courrier du 10 novembre 2010 adressé à l’autorité soumissionnaire par la demanderesse comportait un double volet à savoir d’une part, la contestation de la demanderesse quant à l’attribution de l’offre à la société anonyme KKKs.a. et d’autre part, des explications supplémentaires, assorties d’une demande de rendez-vous afin de connaître la position de la commune sur les explications ainsi fournies, de sorte à être à qualifier de recours gracieux, recours par ailleurs introduit dans le mois suivant la décision d’attribution de l’offre à la société anonyme KKKs.a..
Or, la réclamation faite dans les trois mois contre une décision administrative a pour effet de reporter le point de départ du délai du recours contentieux à la date de la notification de la nouvelle décision statuant sur cette réclamation3.
La décision du 30 novembre 2009 ayant été notifiée à la demanderesse au plus tôt le 1er décembre 2009, le recours en annulation tel qu’introduit par la société … est à déclarer recevable ratione temporis.
En ce qui concerne l’affirmation de la commune selon laquelle le tribunal ne saurait se prononcer sur la légalité de la décision du 28 octobre 2009 rejetant l’offre de la requérante, au motif que le recours a été dirigé contre la seule décision du 30 novembre 2009, il y a lieu de rappeler qu’une décision, sur recours gracieux, purement confirmative d'une décision initiale, tire son existence de cette dernière et, dès lors, les deux doivent être considérées comme formant un seul tout. Il s'ensuit qu'un recours introduit en temps utile contre la seule décision 1 Trib. adm. 26 février 2004, n°16952 du rôle, Pas. adm. 2009, V° Marchés publics, n°122 2 Trib. adm. 18 février 2004 n°16938 du rôle, Pas. adm. 2009, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 125 3 Trib. adm. 24 mars 2005 n°18640 du rôle, Pas. adm. 2009, V° Procédure contentieuse, n°191 confirmative est valable4 et qu’en l’espèce le tribunal peut de ce fait se prononcer sur la légalité du refus de la commune d’attribuer le marché litigieux à la société ….
Le recours principal en annulation ayant ainsi été introduit dans les formes et délais de la loi est recevable.
Il n’y a dès lors pas lieu d’examiner le recours subsidiaire en réformation.
b) Quant au fond A l’appui de son recours, la société demanderesse rappelle les faits et rétroactes à la base de sa demande.
En droit, elle souligne que ses produits répondraient aux normes indiquées dans le cahier des charges et ceci conformément à l’article 163 (1) du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics. Dans cet ordre d’idées, la demanderesse affirme avoir apporté toutes les garanties requises quant à l’exigence de coupe-fumée des modèles de portes figurant dans son offre. Ainsi, elle précise avoir annexé à son courrier adressé en date du 2 octobre 2009 au bureau d’architecture XXX, un rapport d’essai coupe-fumée effectué sur un type de porte de la famille IDRA, porte qui correspondrait précisément au modèle de porte devant être utilisé dans le cadre des travaux visés par le marché litigieux. La demanderesse fait plaider que la société DDD FRANCE à laquelle elle aurait demandé d’établir le rapport d’essai en question, aurait certifié que « les blocs porte de type VISUAL et IDRA équipés de joints fumés froids en EPDM, sont conformes à la norme européenne EI-S sur le coupe-fumée ».
Elle souligne que malgré le fait qu’elle aurait rapporté tous les éléments de garantie de conformité des portes à la norme européenne sur les coupes-fumée, le bureau d’architecture XXX lui aurait, dans son courriel du 5 octobre 2009, néanmoins posé la question de savoir si le rapport d’essai coupe-fumée concernant une porte de type IDRA 1B 120-M, tel que produit par la demanderesse, pouvait être transposé à des portes de type IDRA 1B 120-Z, question dont la réponse serait évidemment positive dans la mesure où le processus de fabrication, ainsi que les matériaux utilisés seraient absolument identiques.
La demanderesse en conclut que ce serait à tort que la commune a préféré attribuer le marché à une société dont l’offre aurait été supérieure de 41.006,32,- euros à la sienne et ceci en raison d’une soi-disant non-conformité des portes métalliques, portes qui n’auraient d’ailleurs représenté que 9.738,- euros sur un marché total avoisinant les 3 millions d’euros.
4 Trib. adm. 24 janvier 2007 n°21688 du rôle, Pas. adm. 2009, v° Procédure administrative non contentieuse, n°72 La commune, de son côté, fait plaider que la partie demanderesse n’aurait pas établi la conformité des portes métalliques coupe-feu aux exigences du bordereau. Ainsi, elle affirme que le rapport d’essai versé par la demanderesse porterait sur un autre modèle de porte que celui devant être utilisé dans le cadre des travaux litigieux. Dans cet ordre d’idées, elle souligne que les architectes du bureau XXX auraient retenu dans leur évaluation provisoire du 29 septembre 2009 que tant les valeurs isolantes, que les valeurs acoustiques des portes proposées par la demanderesse seraient inférieures aux exigences du bordereau. En ce qui concerne la conformité desdites portes en matière du comportement au feu/étanchéité, la commune rappelle que le bureau de contrôle SSS aurait retenu, au vu des pièces du dossier, ne pas pouvoir confirmer la conformité des portes litigieuses à celles exigées par le cahier des charges. De même, elle fait plaider que le constat dudit bureau de contrôle n’aurait pas été contredit par la documentation supplémentaire versée par la demanderesse, documentation montrant a priori la conformité aux critères de coupe-fumée du matériel des portes offertes, étant donné que cette documentation porterait sur des essais effectués sur des portes à matériel identique, mais à chambranles différents à ceux exigés par le cahier des charges, ainsi qu’à un seul panneau et non pas à doubles panneaux tels qu’exigés par le cahier des charges.
Par ailleurs, la commune souligne que le certificat confirmant la conformité des portes offertes par la demanderesse à la norme européenne EI-S sur le coupe-fumée, établi par DDD FRANCE, fabricant desdites portes, ne saurait ni valoir, ni convaincre, étant donné que ce fabricant aurait tout intérêt à certifier la conformité de son produit. De même, elle affirme que si une telle conformité existerait, ledit fabricant disposerait certainement et nécessairement d’un certificat établi par un bureau de contrôle agréé et indépendant.
Finalement, la commune souligne que même si les portes ne devaient présenter qu’un poste somme tout modeste d’un point de vue financier, il s’agirait néanmoins d’un poste d’une extrême importance pour garantir la sécurité des futurs utilisateurs de la Maison des Générations, de sorte que ce serait à bon droit qu’elle a évincé l’offre de la requérante pour non-conformité à ce seul poste du cahier des charges.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse souligne que tant le bureau de contrôle SSS, que le bureau … se seraient contentés de retenir qu’ils ne sauraient vérifier la conformité des portes offertes aux exigences du cahier des charges, de sorte que ce serait à tort que la commune a retenu que lesdites portes ne seraient pas conformes à ces exigences. De même, elle souligne que le bureau … aurait retenu que l’analyse des prix telle que fournie par la demanderesse ne serait pas tout à fait conforme à la législation en vigueur, de sorte que ce serait à tort que la commune affirme que ladite analyse des prix ne serait pas conforme aux exigences légales.
La demanderesse rétorque par ailleurs que le bureau d’architecture XXX, de son côté, aurait retenu que les portes litigieuses répondraient en tous points aux exigences coupe-feu et coupe-fumée du cahier des charges, de sorte qu’il serait incompréhensible que la commission des soumissions avait, dans son avis du 21 octobre 2009, décidé d’écarter son offre tout en se déclarant incompétente pour vérifier une telle conformité.
La demanderesse fait encore plaider que toutes les références de la commune quant aux valeurs isolantes et acoustiques des portes en question seraient à écarter, étant donné que son offre aurait été rejetée au seul motif que la conformité des portes métalliques coupe-feu n’aurait pas pu être établie.
En ce qui concerne le certificat de conformité délivré par le fabricant des portes en question, la demanderesse souligne que ce serait à tort que la commune dénie toute crédibilité à ce certificat, étant donné qu’en cas d’incident causé par un défaut technique desdites portes, la responsabilité du fabricant pourrait être recherchée.
En ce qui concerne l’argument de la commune selon lequel le rapport d’essai aurait porté sur une porte à un seul panneau et avec des chambranles différents que ceux exigés, par le cahier des charges, la demanderesse fait remarquer que le rapport d’essai coupe-fumée présenté concernerait une porte témoin de la gamme IDRA, et affirme que toutes les portes de cette gamme seraient conçues selon les mêmes caractéristiques, de sorte à conclure que si la porte témoin répond aux exigences de coupe-fumée, toutes les autres portes répondraient également à ces exigences.
La demanderesse fait encore plaider que la commune aurait écarté son offre, qui aurait cependant été la plus avantageuse économiquement, sans juger nécessaire d’attendre les conclusions quant à la conformité des portes litigieuses à la norme coupe-fumée de l’organisme agréé engagé par ses soins.
Finalement, la demanderesse souligne que les portes litigieuses ne représenteraient que 0,33% de la valeur totale du marché litigieux, de sorte à ne pas constituer une non-conformité substantielle susceptible de conduire au rejet de son offre.
La commune fait dupliquer que ni le bureau d’architecture XXX, ni le bureau de contrôle SSS, ni le bureau d’études … n’auraient été en mesure de garantir avec certitude que les portes métalliques proposées par la demanderesse soient conformes aux exigences de coupe-fumée telles que prévues par le cahier des charges.
Elle rappelle en outre que aucune des portes proposées par la demanderesse ne correspondrait à celle ayant fait l’objet des rapports d’essai versés en cause. Elle souligne par ailleurs qu’il suffirait de faire une analyse comparative des différents rapports et certificats d’essai communiqués par la partie demanderesse pour constater que le matériel utilisé pour chaque type de porte coupe-feu présente des caractéristiques fonctionnelles et performances ignifuges propres.
La commune insiste encore sur l’absence de valeur probante de l’attestation produite par la société DDD FRANCE au motif qu’une certification ne pourrait être délivrée que par des organismes certificateurs indépendants à la fois des entreprises et des pouvoirs publics, de sorte que DDD FRANCE, en sa double qualité de fabricant et de distributeur des modèles de portes litigieux ne saurait être qualifié pour délivrer en tout en toute impartialité un agrément et garantir la conformité de ses propres produits aux exigences européennes en matière de coupe-
feu. Dans le même ordre d’idées, la commune fait remarquer que le rapport d’essai annexé par DDD FRANCE à son attestation se rapporterait de nouveau à un autre type de porte que celles proposées par la requérante.
En ce qui concerne le moyen de la demanderesse selon lequel une prétendue non-
conformité des portes proposées, au vu de leur faible valeur financière par rapport au montant total du marché litigieux, ne saurait constituer une non-conformité substantielle susceptible de conduire au rejet de son offre, la commune rappelle que la mise en place de portes coupe-feu constituerait une mesure majeure de conception des bâtiments et un moyen fondamental de lutte contre les incendies, de sorte que ce serait à bon droit que l’offre de la société … fut évincée.
L’article 163 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics dispose que :
« (1) Les spécifications techniques figurent dans le cahier spécial des charges propre à chaque marché et comprennent les normes, les normes européennes, l'agrément technique européen ainsi que les spécifications techniques communes.
(2) Sans préjudice des règles techniques nationales obligatoires, pour autant que celles-ci soient compatibles avec le droit communautaire, ces spécifications techniques sont définies par les pouvoirs adjudicateurs par référence à des normes nationales transposant des normes européennes ou par référence à des agréments techniques européens ou par référence aux spécifications techniques communes ».
Par ailleurs, l’article 71 du même règlement grand-ducal dispose que :
« Le pouvoir adjudicateur examine et vérifie les dossiers de soumission quant à leur conformité technique et à leur valeur économique, notamment quant au bien-fondé des prix et quant à l'exactitude des calculs. Les offres qui ne satisfont pas aux conditions du cahier des charges ou dont les prix sont reconnus inacceptables sont éliminées. En cas de besoin, il est fait appel à des experts ».
Il appartient dès lors au pouvoir adjudicateur, en l’espèce l’administration communale de …, de fixer les normes techniques par références à des normes européennes dans le cahier des charges et au soumissionnaire, en l’espèce la société …, de remettre une offre en tous points conforme aux normes techniques ainsi fixées.
En l’espèce, il résulte des pièces versées en cause et plus particulièrement des différents extraits du cahier des charges que pour la position 2.1.8 des portes métalliques simples de type T30-1 RS et que pour la position 2.1.10 des portes métalliques simples de type T90-1RS furent exigées par la commune, positons pour lesquelles la société … a choisi le modèle de porte IDRA EI 1205. Il résulte également des pièces versées en cause, que la société demanderesse reste en défaut de rapporter la preuve de la conformité de la porte ainsi proposée aux normes techniques fixées par le cahier des charges, étant donné qu’elle se contente de verser des 5 Pièces 15 et 23 versées par la demanderesse rapports d’essai relatifs à un modèle de porte IDRA 60/120, ainsi qu’à un modèle de porte IDRA 1B 1206, c’est-à-dire des modèles de portes a priori différentes à celle qu’elle a proposé dans son offre.
En ce qui concerne les positions 2.1.9 et 2.1.11. du cahier des charges7, la commune a exigé un modèle de porte métallique double T 30-2 RS et un modèle de porte métallique double T90-2 RS type 1, la société … ayant opté pour ces positions pour un modèle de porte métallique IDRA EI 120 2B. De nouveau, la demanderesse reste en défaut de verser un rapport d’essai susceptible de démontrer la conformité de ladite porte aux normes fixées par le cahier des charges, étant donné qu’elle se contente de verser des rapports d’essai effectués sur d’autres modèles de portes, à savoir le modèle IDRA 60/120, le modèle IDRA 2B 120 et IDRA 2B 120-18.
Finalement, en ce qui concerne la position 2.2.9 du cahier des charges9, l’administration communale de … exigea une porte métallique double T 90-2 RS, exigence que la demanderesse entendait remplir en proposant le modèle de porte métallique IDRA EI 120 2B, tout en versant des rapports d’essai concernant des portes de modèles IDRA 60/120, IDRA 2B 120 et IDRA 2B 120-110.
Etant donné que les différents rapports d’essai tels que produits par la demanderesse se rapportent tous à d’autres modèles de portes que celles contenues dans son offre, l’administration communale de …, tant par l’intermédiaire du bureau …, que par l’intermédiaire du bureau d’architecture XXX s’est adressée à trois reprises à la demanderesse, afin d’obtenir des informations supplémentaires, sans que pour autant la société … ne soit capable de lui fournir les garanties de conformité requises, à savoir un rapport d’essai effectué sur les modèles de portes proposées et certifiant leur conformité aux normes européenne de coupe-
fumée.
Ainsi, le bureau d’architectes XXX a-t-il retenu dans son avis du 27 juillet 2009 que « Les fiches techniques remises après demande par courrier pour les portes coupe-feu Pos.
2.1.8 – 2.1.11 et 2.2.9 ne donnent aucune information quant à la conformité du produit par rapport aux équipements et performances, notamment la qualité coupe-feu demandées. Sur base des informations transmises par le soumissionnaire, nous ne sommes pas en mesure d’attester l’équivalence des produits « DDD Idra » proposés aux produits de référence ».
De même, le bureau …, dans son analyse des offres reçues du 10 septembre 2009, a retenu que : « Les fiches techniques des portes métalliques (pos. 2.1.8 à 2.1.11 et 2.2.9) ne permettent pas de contrôler si celles-ci sont équivalentes au produit de référence mentionné comme exemple dans le bordereau de soumission ».
6 Pièces 16 à 18 et pièces 24 à 26 versées par la demanderesse 7 Pièces n°19 et 27 versées par la partie demanderesse 8 Pièces n° 20 à 22 et 28 à 30 versées par la demanderesse 9 Pièce n° 31 de la partie demanderesse 10 Pièces n° 32 à 34 versées par la demanderesse Finalement, le bureau de contrôle SSS, de son côté, a retenu dans son avis du 6 octobre 2009 que : « In Bezug der Gleichwertigkeit des Rauch- und Brandschutzes stellen wir fest, dass die Ausschreibung nach DIN 4102 (Brandschutz) und DIN 18095-3 (Rauchschutz) erfolgte, die angebotenen Brandschutztüren jedoch nach EN 13501-2 als EI-120 ohne Rauchschutz geprüft sind.
Da prinzipiell die Prüfanforderungen vergleichbar sind, jedoch die angebotenen Türen entweder nicht auf das Prüfkriterium des rauchschutzes hin geprüft sind bzw. dies nicht erfüllen, können wir keine Gleichwertigkeit bestätigen ».
S’il est vrai, comme le fait remarquer à juste titre la société demanderesse, que tant le bureau d’études …, que le bureau de contrôle SSS et le bureau d’architecte XXX, se sont limités à retenir qu’il n’est pas possible d’établir la conformité des portes offertes avec les normes européennes en matière de coupe-fumée et de coupe-feu, sans pour autant exclure une telle conformité, il n’en reste pas moins que la demanderesse reste en défaut, et ceci même lors de la procédure contentieuse, de rapporter la preuve de cette conformité aux exigences du cahier des charges.
La société …, de son côté, s’est contentée de verser un certificat établi par le producteur-même des portes litigieuses et d’affirmer que comme le rapport d’essai coupe-
fumée présenté concernerait une porte témoin de la gamme IDRA répondant aux exigences techniques européennes de coupe-fumée, les portes proposées répondraient nécessairement aussi à ces exigences, étant donné que toutes les portes de la gamme IDRA seraient conçues selon les mêmes caractéristiques.
Or, dans la mesure où la société DDD FRANCE est le fabricant-même des portes proposées par la demanderesse dans le cadre du marché litigieux, c’est à juste titre que la commune a retenu que le directeur technique de ladite société, lequel a établi le certificat en question, ne saurait être considérée comme présentant l’objectivité nécessaire pour délivrer un tel certificat, de sorte que le certificat émanant du producteur-même des portes, ne saurait apporter les garanties nécessaires quant à la conformité des portes litigieuses aux normes techniques européennes sur le coupe-fumée.
En ce qui concerne l’affirmation de la demanderesse selon laquelle les portes contenues dans son offre répondraient nécessairement aux mêmes exigences que celles ayant fait l’objet des différents rapports d’essai, force est au tribunal de constater qu’il résulte des différentes rapports et certificats d’essai versés par la société …, que les portes mises à l’essai présentent un certain nombre de différences techniques.
Ainsi, et à titre d’exemple, il résulte des rapports d’essai effectués par l’institut GIORDANO sur les portes de modèle IDRA 1B 120 – AFO CIECA et IDRA 2B 120 – AFO VETRATA11 que la première porte est une porte à ventail unique verré, alors que la deuxième porte est une porte à deux ventraux dont seule la secondaire est vitrée. Par ailleurs il résulte de 11 Pièces n° 17 et 21 versées par la demanderesse ces deux rapports d’essai que seule la deuxième porte semble être équipée de verre résistant au feu.
Si ces différences techniques n’excluent pas que les différents modèles de portes répondent aux mêmes normes de sécurité, il n’en reste pas moins qu’en-dehors des affirmations et assurances fournies par le soumissionnaire et le producteur, le respect par les portes proposées de ces normes de sécurité reste en défaut d’être positivement établi.
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à tort que la société demanderesse affirme avoir rapporté la preuve de la conformité des portes qu’elle a offertes avec les exigences telles que formulées dans le cahier des charges.
En ce qui concerne le moyen de la partie demanderesse selon lequel une prétendue non-
conformité des portes proposées, au vu de leur faible valeur financière par rapport au montant total du marché litigieux, ne saurait en tout état de cause constitué une non-conformité substantielle susceptible de conduire au rejet de son offre, tout critère d'attribution retenu dans un cahier des charges lie le pouvoir adjudicateur, c'est-à-dire que ledit pouvoir adjudicateur est obligé d'examiner toutes les offres par rapport à chacun des critères y énoncés et ne saurait ni ajouter d'autres critères ni dispenser un ou plusieurs des soumissionnaires desdits critères.
Admettre le contraire et autoriser que le commettant ne respecte pas les règles du jeu qu'il a lui-
même fixées impliquerait une mise en cause des règles de la concurrence loyale et de l'égalité des soumissionnaires12. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que la non-conformité d'un seul des matériaux offerts à l'une des exigences du cahier des charges doit entraîner le rejet de l'offre dans son ensemble13, et ce d’autant plus lorsque comme en l’espèce la non-conformité a trait à des questions impérieuses de sécurité, de sorte que le moyen consistant dans l’affirmation que la non-conformité des portes, au vu de leur faible valeur financière par rapport au marché global, ne serait pas substantielle et ne justifierait dès lors pas le rejet de l’offre telle que formulée par la requérante est également à rejeter.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le recours en annulation tel qu’introduit par la société anonyme … s.a. est à déclarer non fondé.
Compte tenu de l’issu du litige la demande en versement d’une indemnité de procédure de 5.000,- euros, telle que formulée par la société anonyme … s.a. sur la base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, est à déclarer non fondée.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
12 Trib. adm. 16 février 2009, n°24469 et 24475 du rôle, Pas. adm. 2009, V° Marchés publics, n°39 13 Cour adm. 7 mars 2006, n°19441C du rôle, Pas. adm. 2009, V° Marchés publics, n°61 reçoit le recours principal en annulation contre la décision de l’administration communale de … du 30 novembre 2009 en la forme ;
au fond le déclare non fondé et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu d’analyser le recours subsidiaire en réformation ;
rejette la demande en indemnité de procédure formulée par la société anonyme … s.a. ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 décembre 2010 par :
Marc Sünnen, premier juge, Claude Fellens, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier Arny Schmit.
s. Arny Schmit s. Marc Sünnen 13