Tribunal administratif N° 26582 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 février 2010 2e chambre Audience publique du 2 décembre 2010 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26582 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 février 2010 par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, assisté de Maître Guillaume Cavalin, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Brésil), de nationalité brésilienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l'Immigration du 20 juillet 2009 lui refusant l’autorisation de séjour sollicitée, ainsi que d’une décision confirmative de refus du même ministre datée du 9 novembre 2009, intervenue suite à un recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2010 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 mai 2010 par Maître Frank Wies pour compte de Madame … ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 juin 2010 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Frank Wies et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives.
Par courrier daté du 6 avril 2009 de l’association sans but lucratif CLAE Services (Comité de liaison des associations d’étrangers), mandatée à cet effet, adressé au ministre des Affaires Etrangères et de l'Immigration, Madame … fit solliciter une autorisation de séjour pour raisons exceptionnelles sur base de l’article 89 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 ».
Par décision du 20 juillet 2009, le ministre des Affaires Etrangères et de l'Immigration refusa de réserver une suite favorable à la demande d’autorisation de séjour aux motifs suivants :
«J'ai l'honneur d'accuser bonne réception de votre courrier du 06 avril 2009 concernant l'objet sous rubrique.
Je suis toutefois au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête. En effet, Madame … ne remplit pas les conditions exigées pour obtenir un titre de séjour dans le cadre de l'article 89, paragraphe (1), point 1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.
Conformément à l'article précité, un ressortissant d'un pays tiers, peut être autorisé à séjourner au Grand-Duché de Luxembourg pour motifs exceptionnels à condition qu'il rapporte la preuve par tout moyen qu'il a séjourné de façon continue sur le territoire et qu'il y a habituellement travaillé depuis au moins huit ans. Or, Madame … n'a pas apporté de preuves qu'elle a séjourné de manière continue et qu'elle a habituellement travaillé depuis au moins huit ans au pays. En effet, une simple affirmation que Madame … ait exercé une activité professionnelle est insuffisante aux termes de la loi.
Par ailleurs, la facture d'un billet pour un trajet aller simple à partir du Luxembourg vers … au Brésil laisse supposer que Madame … soit rentrée au Brésil en décembre 2006 avec sa fille.
A titre subsidiaire, Madame … ne remplit pas les conditions exigées pour entrer dans le bénéfice d'une des catégories d'autorisation de séjour prévues par l'article 38 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.
En application de l'article 101, paragraphe (1) de la loi précitée, l'autorisation de séjour lui est refusée.
En application de l'article 111, paragraphe (1) de cette même loi, elle est obligée de quitter le territoire dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente soit vers son pays d'origine, soit à destination d'un pays dans lequel elle est légalement autorisée à résider ».
Suite à un recours gracieux introduit le 11 septembre 2009, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », nouvellement compétent, confirma son refus par décision du 9 novembre 2009.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 février 2010, Madame … …a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 20 juillet et 9 novembre 2009.
Dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008 ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus de délivrance d’une autorisation de séjour, seul un recours en annulation a pu être valablement introduit, ledit recours en annulation étant encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, la demanderesse fait grief au ministre d’avoir estimé qu’elle ne rentrerait pas dans les conditions prévues par l'article 89 de la loi du 29 août 2008.
La demanderesse fait plaider qu’elle exercerait au Luxembourg une activité salariée depuis son arrivée au Luxembourg en 2000 en qualité de femme de charge et gardienne d’enfants, qui lui aurait permis de subvenir à ses besoins, ainsi qu’à ceux de sa fille durant toute la durée de son séjour à Luxembourg.
En droit, la demanderesse expose que le ministre aurait fait une erreur manifeste d’appréciation de sa situation en déduisant de l’achat d’un billet d’avion aller-simple à destination du Brésil en décembre 2006 qu’elle ne serait, en fait, pas rentrée au Luxembourg avant le mois de décembre 2008 et en constatant, en conséquence, l’absence de réalisation en son chef de la condition du séjour continu de huit ans sur le territoire luxembourgeois, telle que posée à l’article 89 de la loi du 29 août 2008 alors que, selon la demanderesse, l’achat de ce billet aller-simple aurait été motivé par la situation irrégulière dans laquelle elle se serait trouvée à l’époque et l’impossibilité qui en aurait découlé pour elle d’acheter un billet aller-
retour qui aurait nécessité la délivrance d’un visa. La demanderesse soutient avoir ainsi été, lors de son retour au Brésil en décembre 2006, dans l’ignorance du changement législatif qui serait intervenu deux ans après et constate que cette ignorance serait, maintenant, de nature à compromettre ses chances de bénéficier de la régularisation de sa situation.
La demanderesse expose également que le ministre, en refusant d’avoir égard aux attestations testimoniales de ses employeurs comme preuve de son travail habituel depuis son arrivée en 2000 au Luxembourg, méconnaîtrait les motivations qui auraient conduit le législateur à adopter l’article 89 de la loi du 29 août 2008, à savoir la régularisation des personnes qui auraient travaillé de manière irrégulière sur le territoire luxembourgeois et qui, en raison de leur situation irrégulière, n’auraient pas pu obtenir de contrat de travail ou n’auraient pas pu obtenir de certificat de résidence auprès de leur mairie ou auraient été payées de la main à la main et, donc, n’auraient pas pu obtenir de bulletins de salaire de sorte qu’en n’ayant pas pris en considération les attestations testimoniales de ses employeurs, le ministre aurait violé ledit article 89 puisque, selon elle, elle aurait dû se voir accorder une autorisation de séjour pour des motifs exceptionnels sur base dudit article.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que son recours laisserait d’être fondé.
Selon le délégué du gouvernement, le ministre n’aurait pas fait d’erreur manifeste d’appréciation en décidant que la demanderesse n’aurait pas fourni la preuve d’un séjour continu pendant huit ans sur le territoire luxembourgeois au motif qu’aucun élément versé au dossier n’attesterait sa présence au Luxembourg entre la date de son départ au Brésil le 12 décembre 2006 et celle de son retour le 20 décembre 2008, telle qu’attestée par le tampon d’entrée apposé par les autorités douanières à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle (France).
Quant à l’argumentation de la demanderesse relative au fait que le ministre se serait supposément abstenu de prendre en considération les attestations testimoniales pour prendre sa décision, le délégué du gouvernement relève que la décision ministérielle du 9 novembre 2009 ferait, précisément, état des attestations testimoniales pour en conclure qu’elles ne seraient pas probantes quant au travail régulier et habituel de la demanderesse pendant huit ans sur le territoire luxembourgeois.
La demanderesse fait alors exposer qu’elle ne conteste pas avoir passé deux courts séjours dans son pays d’origine mais elle verserait des pièces supplémentaires de nature à attester de sa présence sur le territoire luxembourgeois pendant la période déterminée comme suspecte par le ministre. Elle donne également à considérer que l’intention du législateur aurait été de régulariser la situation de personnes faisant preuve d’une intégration de fait en raison d’un séjour « prolongé » sur le territoire luxembourgeois et non en raison d’une simple computation des jours de présence de ces personnes sur ledit territoire de sorte qu’elle considère que la condition de séjour continu pendant huit ans sur le territoire luxembourgeois telle que posée par l’article 89 de la loi du 29 août 2008 serait remplie dans son chef.
La demanderesse fait encore exposer qu’en exigeant des preuves écrites sur le nombre d’heures prestées, la rémunération perçue et la durée de ses activités, le ministre aurait vidé l’article 89 de la loi du 29 août 2008 de sa substance dès lors que cette preuve serait impossible à rapporter du fait du caractère irrégulier des circonstances dans lequel le travail serait presté alors que, selon la demanderesse, ledit article permettrait de rapporter la preuve du travail habituel par « tout moyen » et que rien n’aurait empêché le ministre de faire procéder à l’audition de ses employeurs au cas où il aurait estimé que les attestations versées ne rapporteraient pas à suffisance la preuve de son séjour continu et de son travail habituel au Luxembourg depuis au moins huit ans.
Enfin, la demanderesse fait exposer que dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement ajouterait une condition qui ne serait pas prévue par l’article 89 de la loi du 29 août 2008 en exigeant que la demanderesse rapporte la preuve d’un travail habituel et « régulier » alors que cet article exigerait uniquement la preuve d’un travail « habituel depuis au moins huit années ».
Le délégué du gouvernement duplique en affirmant que malgré la production de nouvelles pièces justificatives, la preuve d’un séjour continu et d’un travail habituel sur le territoire luxembourgeois pendant une période de huit ans ne serait pas rapportée en l’espèce par la demanderesse.
Quant au moyen principalement invoqué par la demanderesse selon lequel le ministre lui aurait à tort refusé une autorisation de séjour au motif qu’elle ne rentrerait pas dans les conditions prévues par l'article 89 de la loi du 29 août 2008, il y a lieu de relever que l’article 89 de la loi du 29 août 2008 dispose comme suit : « (1) Sous réserve que sa présence n’est pas susceptible de constituer un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, et sous condition de n’avoir pas utilisé des informations fausses ou trompeuses relatives à son identité et de faire preuve d’une réelle volonté d’intégration, une autorisation de séjour peut être accordée par le ministre au ressortissant de pays tiers au regard des motifs exceptionnels suivants: 1. il rapporte la preuve par tout moyen qu’il a séjourné de façon continue sur le territoire et qu’il y a habituellement travaillé depuis au moins huit ans, ou 2. il rapporte la preuve qu’il a accompli sa scolarité dans un établissement scolaire au Grand-Duché de Luxembourg depuis au moins six ans, sous la condition d’introduire sa demande dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire. (2) Les personnes autorisées au séjour en vertu du paragraphe (1) qui précède, se voient délivrer un titre de séjour pour travailleur salarié, s’ils remplissent les conditions de l’article 42, paragraphe (1), points 3 et 4. (3) Les personnes autorisées au séjour en vertu du point 2 du paragraphe (1) qui précède, se voient délivrer le titre de séjour prévu à l’article 79 s’ils poursuivent des études ou une formation professionnelle ».
L’article 89 précité fixe un certain nombre de critères dans une perspective de régularisation des personnes en séjour irrégulier prolongé. Afin de pouvoir bénéficier de cette autorisation de séjour pour motifs exceptionnels, les critères énumérés doivent être remplis et leur appréciation en reste subjective (doc. parl. n° 5802, Session ordinaire 2007-2008, p. 79).
Le paragraphe (1) point 1. de l’article précité exige la condition cumulative du séjour continu sur le territoire et d’un travail habituel depuis au moins huit ans.
Quant à la première condition posée par cet article d’un séjour continu sur le territoire luxembourgeois depuis au moins huit ans, il ressort des pièces du dossier administratif qu’une incertitude subsiste quant à la présence de la demanderesse sur le territoire luxembourgeois pendant la période déterminée comme suspecte par le ministre, à savoir la période couvrant la date de son départ vers le Brésil le 12 décembre 2006 et celle de son retour le 20 décembre 2008 telle qu’attestée par le tampon d’entrée apposé par les autorités douanières à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle.
Il échet de constater que cette incertitude n’est pas levée par la production de nouvelles pièces et attestations au cours de la phase contentieuse telles qu’une attestation d’un centre de planning familial de consultation d’un médecin de ce centre par la demanderesse durant la période du 25 octobre 2000 au 2 janvier 2009, diverses factures du magasin IKEA toutes établies le 4 avril 2009 sur base de tickets de caisse délivrés respectivement en date des 12 juillet 2008, 13 septembre 2007 et 3 mars 2008 ainsi qu’une fiche d’inscription scolaire pour l’année scolaire 2006/2007 établie au nom de … ……, fille de la demanderesse.
Force est en effet au tribunal de constater à l’instar du délégué du gouvernement que l’attestation d’un centre de planning familial de consultation d’un médecin de ce centre par la demanderesse durant la période du 25 octobre 2000 au 2 janvier 2009 n’est pas de nature à constituer une preuve non contestable de la présence de la demanderesse sur le territoire luxembourgeois pendant une période continue de huit ans ni encore moins pendant la période déterminée par le ministre comme étant suspecte au motif que l’inscription dans le fichier patient d’un médecin ne démontre pas la présence continue de ce patient sur le territoire luxembourgeois ; la production de diverses factures du magasin IKEA toutes établies le 4 avril 2009 sur base de tickets de caisse délivrés respectivement en date des 12 juillet 2008, 13 septembre 2007 et 7 mars 2008 n’est pas non plus de nature à attester de manière irréfutable la présence de la demanderesse sur le territoire luxembourgeois pendant une période continue de huit ans ni encore moins pendant la période déterminée par le ministre comme étant suspecte en ce que les tickets de caisse n’étant pas établis nominativement, il n’est pas prouvé que c’est la demanderesse qui aurait elle-même effectué ces achats d’ameublement et enfin, la fiche d’inscription scolaire pour l’année scolaire 2006/2007 établie au nom de … ……, fille de la demanderesse qui, selon une mention figurant sur cette fiche, aurait dû être retournée au titulaire de classe le 15 septembre 2006 et aurait dû faire l’objet d’une confirmation d’entrée en classe de l’élève par l’apposition de la signature dudit titulaire de classe alors que cette fiche est restée vierge de toute confirmation d’entrée en classe et de signature, n’emporte pas non plus la conviction du tribunal de la présence de la demanderesse sur le territoire luxembourgeois pendant une période continue de huit ans ni encore moins pendant la période déterminée par le ministre comme étant suspecte alors qu’il en aurait, par exemple, été autrement de la production d’une fiche d’inscription de ladite élève pendant les années scolaires en question confirmant, ainsi, la fréquentation régulière par l’élève de l’établissement scolaire dans lequel elle aurait été inscrite.
Force est alors au tribunal de constater que sur base des pièces soumises à l’examen du tribunal la première condition posée par l’article 89 paragraphe (1) point 1. de la loi du 29 août 2008 d’un séjour continu pendant au moins huit ans au Luxembourg n’est pas remplie en l’espèce de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner plus en avant la deuxième condition posée par ledit article 89 paragraphe (1) point 1 relatif à un travail continu pendant au moins huit ans au Luxembourg au motif que ces deux conditions sont cumulatives et que la seule non-
réalisation de l’une d’entre elles entraîne ipso facto la non-application de cet article.
Au vu de ce qui précède, le recours est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Françoise Eberhard, premier juge Anne Gosset, juge, et lu à l’audience publique du 2 décembre 2010 par le premier vice-président, en présence du greffier Patricia Rego s.Rego s.Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 décembre 2010 Le Greffier du Tribunal administratif 6