Tribunal administratif N° 26480 et 26904 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 12 janvier resp. 11 mai 2010 1re chambre Audience publique du 1er décembre 2010 Recours formé par Monsieur …, …, et consorts, contre des décisions du directeur de l’administration des Contributions directes et de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts sur le revenu des personnes physiques d’impôt commercial communal
________________________________________________________________________
JUGEMENT
1.
Vu la requête, inscrite sous le numéro 26480 du rôle, déposée le 12 janvier 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître James JUNCKER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, gérant de sociétés, demeurant à L-…, de Monsieur …, gérant de sociétés, demeurant à L-… et de Monsieur …, gérant de sociétés, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision implicite de rejet du directeur de l’administration des Contributions directes de leur réclamation à l'encontre du bulletin d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriété ainsi que du bulletin de la base d'assiette globale et de l'impôt commercial communal de l'année 2007 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2010 ;
Vu le mémoire en réplique déposé par Maître James JUNCKER au greffe du tribunal administratif le 11 mai 2010 par les demandeurs ;
2.
Vu la requête, inscrite sous le numéro 26904 du rôle, déposée le 11 mai 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître James JUNCKER au nom de Monsieur …, de Monsieur … et de Monsieur …, préqualifiés, tendant à la réformation, sinon à l’annulation du bulletin d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriété ainsi que du bulletin de la base d'assiette globale et de l'impôt commercial communal de l'année 2007 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 septembre 2010 ;
Vu le mémoire en réplique déposé par Maître James JUNCKER au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2010 par les demandeurs ;
1. + 2. Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître James JUNCKER et Monsieur le délégué du gouvernement Claude LICK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 novembre 2010.
___________________________________________________________________________
En date du 14 janvier 2009, le bureau d’imposition d’…, section des personnes physiques du service d’imposition de l’administration des Contributions directes émit un bulletin d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés ainsi qu’un bulletin de l’impôt commercial pour l’année 2007 relatifs à un terrain initialement détenu en copropriété par Messieurs …, … et … et ensuite vendu par ceux-ci.
Par courrier daté du 17 février 2009 adressé au directeur de l’administration des Contributions directes, les trois susdits contribuables introduisirent une réclamation contre le bulletin d’imposition de l’impôt commercial communal établi le 14 janvier 2009 par le bureau d’imposition d’….
A défaut de réaction leur parvenue de la part du directeur de l’administration des Contributions directes, désigné ci-après « le directeur », Messieurs …, … et … firent introduire, par requête inscrite sous le numéro 26480 du rôle et déposée le 12 janvier 2010 au greffe du tribunal administratif, un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision implicite de rejet du directeur de l’administration des Contributions directes portant rejet de leur réclamation.
Par requête déposée le 11 mai 2010, inscrite sous le numéro 26904 du rôle, les requérants ont encore fait déposer un second recours, formulé à titre subsidiaire par rapport au recours enrôlé sous le numéro 26480, tendant à la réformation, sinon à l’annulation du bulletin d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriété ainsi que du bulletin de la base d'assiette globale et de l'impôt commercial communal de l'année 2007.
Il convient dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de joindre les deux recours pour les toiser par un seul et même jugement.
Quant au rôle n° 26480 La partie étatique oppose de prime abord aux demandeurs l’irrecevabilité de leur recours pour avoir été introduit à l’encontre d’une prétendue décision implicite du directeur, pareille décision n’existant pas, alors que le recours aurait dû être introduit directement contre les bulletins d’imposition ayant fait l’objet de la réclamation.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant tranché les mérites d’une réclamation contre un bulletin d’imposition.
Aux termes du prédit article 8 paragraphe 3, point 3, lorsqu’une réclamation au sens du § 228 AO a été introduite et qu’aucune décision définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande, le réclamant peut considérer la réclamation comme rejetée et il peut interjeter recours devant le tribunal administratif contre la décision qui fait l’objet de la réclamation ; dans ce cas le délai de recours de trois mois ne court pas.
Il s’ensuit qu’en cas de silence du directeur des contributions suite à une réclamation, le recours est à diriger, non pas contre une décision implicite de rejet du directeur, mais contre la décision qui a fait l'objet de la réclamation, c'est-à-dire le bulletin d'impôt attaqué1.
En effet, si l’article 4 (1) figurant sous la section 1 « des recours en matière administrative dévolus en première instance au tribunal administratif » de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif prévoit certes que « dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le tribunal administratif que sous forme de recours contre une décision administrative, lorsqu'un délai de trois mois s'est écoulé sans qu'il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées peuvent dès lors considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif », de sorte qu’en application de cette disposition le silence maintenu par le directeur par rapport à la réclamation du contribuable devrait être considéré comme décision implicite de refus susceptible d’être déférée au tribunal, les dispositions de l'article 4 (1) précitées ne sont cependant pas applicables en matière fiscale2.
Cette interprétation de la loi de 1996 est confortée par les travaux préparatoires suivant lesquels « par opposition au domaine administratif, le silence de l'administration [des Contributions] n'est pas à considérer comme le rejet de la demande. … Il en résulte également que dans ce cas le recours est dirigé non pas contre une décision implicite de rejet, mais contre la déclaration [sic] initiale contre laquelle la réclamation avait été interjetée3 ».
C’est dès lors à tort que les demandeurs ont voulu déférer au tribunal une prétendue décision implicite de refus du directeur, pareille décision n’existant pas.
Il s’ensuit que le recours introduit par les demandeurs est à déclarer irrecevable.
Cette conclusion n’est pas énervée par les explications avancées par les demandeurs selon lesquelles leur recours serait dirigé « explicitement, du moins implicitement également contre le bulletin d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriété de l'année 2007 et le bulletin de la base d'assiette globale et de l'impôt commercial communal de l'année 2007 », la requête ne visant explicitement tant dans ses moyens que dans son dispositif qu’une décision implicite du directeur, les demandeurs ayant de surcroît affirmé dans le corps de leur requête que « à ce jour, et alors que plus de six mois se sont écoulés depuis ladite réclamation, aucune décision n’a été prise à ce sujet par Monsieur le Directeur des Contributions Directes, de sorte que nous sommes en situation de réponse négative implicite ».
En effet, il y a lieu de rappeler à ce sujet que l'objet de la demande, consistant dans le résultat que le plaideur entend obtenir, est celui circonscrit dans le dispositif de la requête introductive d'instance4, étant donné que les termes juridiques employés par un professionnel de la postulation sont à appliquer à la lettre, ce plus précisément concernant la nature du recours introduit, ainsi que son objet, tel que cerné à travers la requête introductive 1 Trib. adm. 25 novembre 1998, n° 10308 à 10311, Pas. adm. 2009, V° Impôts, n° 611.
2 Trib. adm. 16 juin 1999, n° 11052 et trib. adm. 29 mars 2000, n° 11211, non publiés.
3 Cf. doc. parl. 3940A2, amendements adoptés par la commission des institutions et de la révision constitutionnelle, p.5, ad (3) 3).
4 Voir trib. adm., 21 novembre 2001, n° 12921, Pas. adm. 2009, V° Procédure contentieuse, n° 262.
d'instance5, le juge n’étant pas habilité à faire droit à des demandes qui n’y sont pas formulées sous peine de méconnaître l’interdiction de statuer ultra petita.
Il résulte dès lors des développements qui précèdent que le recours enrôlé sous le numéro 26480 encourt l’irrecevabilité.
Au vu de l’issue du litige, la demande des parties requérantes destinée à obtenir pour chacun d’eux une indemnité de procédure est à rejeter.
Quant au rôle n° 26904 Comme relevé ci-avant, les demandeurs ont encore déposé le 11 mai 2010 un recours inscrit sous le numéro 26904, formé à titre subsidiaire, tendant à la réformation, sinon à l’annulation du bulletin d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriété ainsi que du bulletin de la base d'assiette globale et de l'impôt commercial communal de l'année 2007.
La partie étatique reproche à ce recours de faire double emploi avec celui enrôlé sous le numéro 26480, de sorte qu’il devrait être déclaré irrecevable.
Or, force est de constater que si le premier recours vise - comme retenu ci-avant à tort - une décision implicite de refus du directeur, le présent recours a pour objet deux bulletins d’impôts, de sorte à avoir un objet différent de celui déclaré ci-avant irrecevable et à ne pas faire double emploi : le moyen afférent d’irrecevabilité est à rejeter.
Le délégué du gouvernement soulève encore l’irrecevabilité du recours pour autant qu'il est dirigé contre les bulletins d'établissement des revenus d'entreprises collectives et de copropriétés ainsi que contre le bulletin portant calcul de la base d'assiette globale de l'année 2007, étant donné que la réclamation introduite par devant le directeur était exclusivement dirigée contre le seul bulletin de l'impôt commercial communal. Les demandeurs, pour leur part, contestent l’irrecevabilité opposée à leur recours en affirmation que leur réclamation viserait « indubitablement l'imposition de leur copropriété dans son intégralité et en tous ses éléments », de sorte que leur recours devrait également être recevable à cet égard.
Comme indiqué ci-avant, les demandeurs ont adressé en date du 17 février 2009 une réclamation au directeur, libellée comme suit :
« Monsieur le Directeur, Nous nous référons à l'imposition de l'année 2007 au cours duquel notre copropriété a réalisé une plus-value sur vente d'un terrain sis à ….
La déclaration provenant de plus-values réalisées lors de la cession d'immeubles du patrimoine privé a été envoyée ensemble avec la déclaration pour l'établissement en commun des revenus d'entreprises collectives et de copropriétés de l'année 2007 au bureau d'imposition d'….
5 Trib. adm., 16 juin 2005, n° 19368, Pas. adm. 2009, V° Procédure contentieuse, n° 263.
Le bureau d'imposition a établi le bulletin d'imposition de l'impôt commercial communal en date du 14 janvier 2009 en fixant l'impôt commercial communal à payer à.29.955,00 €.
Or nous sommes d'avis que le revenu réalisé au cours de l'année 2007 par notre copropriété correspond à une plus-value de vente de terrain détenu en privé par le biais d'une copropriété.
Nous vous adressons donc par la présente notre réclamation officielle contre le bulletin d'imposition de l'impôt commercial communal établi par le bureau d'imposition d'… en date du 14 janvier 2009 et vous demandons de bien vouloir imposer le revenu en question sous forme de plus-value réalisée sur un terrain détenu en patrimoine privé.
Dans l'attente de vous lire, veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l'expression de nos sentiments distingués. (…) » Il résulte de ce courrier que seul le bulletin d'imposition de l'impôt commercial communal était visé par les réclamants, ceux-ci n’y ayant mentionné ni explicitement, ni implicitement le bulletin d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés.
Or, même si aucun formalisme particulier n’est imposé aux contribuables en ce qui concerne la forme de l’introduction de leur réclamation, néanmoins faut-il que le contribuable fasse preuve d’un minimum de diligences concernant la formulation du contenu de la requête, de sorte que celui qui en est saisi soit en mesure de la qualifier utilement notamment quant à son objet et quant à sa portée. En effet le paragraphe 249, alinéa 2 AO requiert que la formulation de la réclamation fasse ressortir que le contribuable se considère lésé par le bulletin d’impôt en cause, cette question n’étant pas anodine, puisque le directeur saisi d’une réclamation est habilité à réformer la décision lui soumise non seulement dans le sens voulu par le contribuable, mais également in pejus. A cet égard, outre de conditionner la recevabilité du recours au vu de l’interdiction figurant à l’article 58 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, (« les demandes nouvelles n'ayant pas figuré dans la réclamation sont prohibées […] en revanche, les moyens nouveaux sont admis ») faite au contribuable de formuler au stade contentieux d’autres demandes que celles formulées au stade pré-contentieux, à savoir devant le directeur, l’exigence de l’identification précise du bulletin soumis à la compétence du directeur s’avère être une mesure protectrice des intérêts du contribuable.
Force est encore de constater que le recours enrôlé sous le numéro 26904 ne vise quant à lui pas le seul bulletin d'imposition de l'impôt commercial communal, mais, comme indiqué ci-avant, également « le bulletin d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriété ainsi que du bulletin de la base d'assiette globale et de l'impôt commercial communal de l'année 2007 », sans que ce bulletin qui n’ait préalablement été déféré au directeur.
Or, aux termes de l’article 58 précité, des demandes nouvelles n'ayant pas figuré dans la réclamation ne sont pas admissibles en cours d'instance, une « demande nouvelle » constituant une demande qui diffère de la réclamation - la demande initiale - par son objet, par sa cause ou par les personnes entre qui elle est engagée6.
Plus particulièrement, en matière de bulletins d’impôts, les seuls causes possibles des litiges se situent dans l’affirmation de l’imposabilité du contribuable, le montant de la cote d’impôt fixée ou encore le montant de la base d’imposition établie par bulletin séparé7, l’objet étant, comme en matière de contentieux administratif de droit commun, le ou les actes déférés.
Dès lors, un recours dirigé contre un bulletin d’imposition déterminé est irrecevable omisso medio si ledit bulletin et les contestations formulées n'ont pas été soumis préalablement pour examen et décision au directeur8. En l’espèce, le recours tel que dirigé contre le bulletin d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriété, bulletin n’ayant pas été préalablement soumis au directeur, doit être déclaré irrecevable.
Comme rappelé ci-avant sous le rôle n° 26480, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant tranché les mérites d’une réclamation contre un bulletin d’imposition, respectivement, en cas de silence perdurant plus de 6 mois à partir de la réclamation, contre la décision qui fait l’objet de la réclamation restée sans suites ; dans ce cas le délai de recours de trois mois ne court pas.
Le tribunal est dès lors compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre le bulletin d'imposition de l'impôt commercial communal, ledit recours, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, étant dans cette mesure recevable.
Il n’y a dès lors pas lieu d’analyser le recours en annulation, introduit à titre subsidiaire.
Quant au fond, les demandeurs critiquent l’administration des Contributions directes pour avoir taxé d'opération de nature commerciale et donc de bénéfice commercial sur base de l'article 14 de la loi de l'impôt sur le revenu une opération immobilière effectuée au cours de l'année 2007 concernant leur patrimoine immobilier privé.
Ils soulignent que contrairement à l’appréciation de l’administration des Contributions directes, l'opération en question constituerait une opération de gestion de patrimoine privé ; à ce propos, s’emparant de l’article 14 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après « LIR », ils estiment que les conditions cumulatives y renseignées ne seraient pas réunies, les demandeurs en particulier affirmant que l’opération immobilière en question serait à considérer comme un acte occasionnel relevant de la gestion de fortune privée, alors que le critère de la permanence de l'activité indépendante ferait défaut.
Ils exposent encore ne faire aucune publicité personnelle concernant leur patrimoine immobilier privé et n'avoir de ce fait pas l'intention d'entrer en relation d'affaire avec un nombre indéterminé de personnes concernant le patrimoine en question, de sorte que le critère de la participation à la vie économique ferait également défaut.
6 Voir Jean Olinger, La procédure contentieuse en matière d’impôts directs, Etudes fiscales, 81-85, n° 213, p.141.
7 Ibidem, n° 214, p.142.
8 Voir trib. adm. 6 août 1997, n° 9574, Pas. adm. 2009, V° Impôts, n° 607.
Toujours dans le même ordre d’idées, ils relèvent que l'immeuble dont litige ne serait pas à considérer comme objet de spéculation, ledit immeuble ayant en effet été acquis le 14 mars 2005 et revendu le 19 novembre 2007, de sorte à échapper à la qualification d’objet de spéculation tel que défini à l’article 99bis LIR.
Le délégué du gouvernement, de son côté, après avoir rappelé qu'en date du 14 mars 2005, les demandeurs avaient acheté, chacun pour un tiers, un terrain de 6,93 ares, sis à …, au prix de 123.946,76 euros, terrain qu’ils ont revendu le 19 novembre 2007 à une société ….
pour un montant de 581.250 euros, de sorte à engranger un bénéfice de 457.303,24 euros, estime que les conditions de l’article 14 LIR seraient au contraire remplies.
A cet égard, il expose que comme les demandeurs ont agi pour leur propre compte et à leurs propres risques et périls, le critère de l'indépendance se trouverait vérifié en l'espèce ;
par ailleurs, compte tenu du bénéfice réalisé, le critère du but de lucre ne saurait pas non plus être contesté.
Quant au critère de la participation à la vie économique générale, la partie étatique estime que celui-ci serait également donné en l'espèce, étant donné que le terrain aurait été spécialement acheté dans le but de le revendre et donc de l'échanger contre de l'argent, qu'il y ait eu de la publicité ou non étant sans importance à cet égard.
La partie étatique souligne encore que comme les demandeurs auraient liquidé, endéans un délai de seulement trente-deux mois, la totalité du patrimoine immobilier de la copropriété, le critère de permanence se trouverait lui aussi vérifié, d'une part, par la courte période de détention de l'objet vendu, et, d'autre part, par l'intention de répéter l'activité si l'occasion s'en présente, cette intention étant à elle-seule suffisante, alors que le caractère de permanence n'impliquerait pas nécessairement que l'activité se répète réellement.
Dès lors, elle en conclut que l'activité déployée par les demandeurs ne pourrait plus être regardée comme simple accessoire d'une jouissance des fruits d'un patrimoine immobilier privé dont la substance est conservée, étant donné qu’ils auraient manifestement recherché une exploitation de la substance de leur patrimoine à travers la copropriété par transfert d'éléments substantiels de leur fortune, ladite conclusion étant encore renforcée par le fait que les trois demandeurs seraient commerçants, qu'ils seraient associés-gérants à parts égales de la société …, acquéreuse du terrain litigieux, qu'ils s'adonneraient de manière régulière à des opérations immobilières à caractère commercial et que le patrimoine de la copropriété n'aurait pas servi à dégager des revenus de location.
L’article 14, alinéa 1er LIR invoqué de part et d’autre dispose qu’est à considérer comme bénéfice commercial, le revenu net provenant d’une entreprise commerciale, industrielle, minière ou artisanale, l’entreprise commerciale étant définie comme « toute activité indépendante à but de lucre exercée de manière permanente et constituant une participation à la vie économique générale… ». Le tribunal doit dès lors examiner la transaction immobilière litigieuse ci-dessus décrite sous l’angle de vue de l’existence cumulative des quatre critères de la loi dont l’existence simultanée définit l’entreprise commerciale et exclurait, le cas échéant, la thèse soutenue par les demandeurs de la simple gestion de la fortune privée.
Il résulte des éléments de fait de la cause que parmi les critères de la loi, il convient d’examiner en premier lieu celui de la permanence de l’activité litigieuse, la délimitation entre l’activité commerciale et la simple gestion du patrimoine privé impliquant une appréciation de l’activité développée par le contribuable à la lumière de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce.
Il résulte à ce sujet des travaux préparatoires de la loi du 4 décembre 1967 concernant l’article 14 LIR que « le caractère de permanence n’implique pas nécessairement que l’activité se répète. Pour qu’il y ait permanence, il suffit que l’activité ait lieu avec l’intention de la répéter si l’occasion s’en présente et de constituer de la sorte une source de revenu sur la base d’opérations répétées9 », le même commentaire de l’article 14 précisant que « le caractère de permanence sépare l’activité commerciale … d’actes similaires isolés qui ont lieu dans le cadre de l’administration du patrimoine privé du contribuable ».
Force est à ce sujet de constater qu’en l’espèce, encore qu’il s’agisse, du moins au vu des éléments concrets communiqués au tribunal - le tribunal ne s’étant vu communiquer ni le dossier fiscal des demandeurs ni celui de la société acquéreuse - d’une opération unique, la partie étatique affirme néanmoins que le critère de permanence serait donné en l’espèce, en soutenant, en substance, par la courte période de détention de l'objet vendu et par l'intention imputée aux demandeurs de répéter l'activité si l'occasion s'en présente, intention tirée du fait que les trois demandeurs seraient commerçants et associés-gérants à parts égales de la société …, acquéreuse du terrain litigieux et qu'ils s'adonneraient de manière régulière à des opérations immobilières à caractère commercial.
Or, si la requête introductive d’instance identifie certes les trois demandeurs comme étant tous les trois des gérants de sociétés et qu’il ressort de l’acte de vente relatif à l’opération immobilière incriminée que la vente a eu lieu entre les trois demandeurs et leurs épouses, d’une part, et la société …, représentée par les trois demandeurs en leurs qualités respectifs de gérants de celle-ci, d’autre part, aucun pièce communiquée au tribunal ne permet, au-delà de ce constat, de vérifier l’affirmation selon laquelle les demandeurs seraient coutumiers de ce genre d’opérations immobilières, cette affirmation étant par ailleurs formellement contestée par les demandeurs qui expliquent, non sans pertinence, que le seul fait qu’ils travaillent chacun ut singuli dans le secteur immobilier, ne saurait établir à lui seul ce critère de permanence.
Il convient de surcroît de souligner, outre que la partie étatique n’a fourni au tribunal aucun élément concret permettant de vérifier la réalité de cette allégation, qu'il convient d'analyser les opérations litigieuses en elles-mêmes, et non de les voir à la lumière d'autres opérations que le contribuable a pu accomplir dans le passé10.
Il s’ensuit qu’en l’état actuel d’instruction du dossier et des éléments communiqués en cause par l’Etat au tribunal que ce dernier ne saurait partager l’analyse de l’administration des Contributions directes concluant à la permanence de l’activité commerciale imputée aux trois demandeurs.
La même conclusion s’impose par ailleurs en ce qui concerne le critère de la 9 Projet de loi n° 5714, commentaire des articles, p. 18.
10 Voir CdE 1er février 1978, n° 6389 : « Le comité du contentieux apprécie les opérations effectuées durant les années litigieuses et non celles qui appartiennent à un passé plus au moins éloigné ».
participation à la vie économique générale, critère qui implique que le contribuable prenne part, d’une façon perceptible au public intéressé, à l’échange général des biens et prestations et qu’il soit prêt à entrer en relation d’affaires avec un nombre indéterminé de personnes, compte tenu naturellement de l’étendue et du genre de son entreprise et de sa propre capacité de prestation. Ainsi, le commerçant prend part au trafic économique général en approvisionnant le marché en biens pour lesquels il existe un besoin et en les échangeant contre des équivalents en nature ou en argent. Cet élément de la participation est à apprécier dans chaque cas d’espèce en considération du but recherché ainsi que de la nature des opérations exécutées11.
Or, en l’espèce, comme relevé ci-avant, le seul indice avancé en appui de ce critère par la partie étatique réside en l’affirmation non autrement documentée que les demandeurs seraient coutumiers, à titre professionnel, de ce genre d’opération immobilière.
Il s’ensuit qu’en l’état actuel du dossier le tribunal ne saurait considérer la plus-
value dégagée de l’opération immobilière en question comme constituant un bénéfice commercial, sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage si les autres conditions prévues par l’article 14 LIR sont données en l’espèce, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l'une de ces conditions entraîne l'inapplicabilité dudit article.
En application des développements qui précèdent, par réformation des bulletins déférés et compte tenu du silence du directeur des Contributions directes, il y a lieu de renvoyer l'affaire au bureau compétent afin de procéder à l’imposition conformément au dispositif du présent jugement ensemble les motifs à sa base.
Les demandeurs sollicitent encore chacun la condamnation de l’Etat à une indemnité d’un montant de 1.000.- euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, demande que l’Etat ne conteste ni en son principe, ni en son montant.
Compte tenu des éléments d’appréciation en possession du tribunal, des devoirs et degré de difficulté de l’affaire ainsi que du montant réclamé par chaque demandeur, et au vu de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, il y a lieu d’évaluer ex æquo et bono l’indemnité à allouer à chacune des parties de Maître James JUNCKER un montant de 500.- euros.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
joint les recours introduits sous les numéros 26480 et 26904 du rôle ;
déclare le recours introduit sous le numéro 26480 du rôle irrecevable ;
11 Trib. adm. 21 juin 2000, n° 11582, Pas. adm. 2009, V° Impôts, n° 78.
rejette partant la demande en obtention d’une indemnité de procédure formulée par les demandeurs dans ce même rôle ;
condamne le demandeur aux frais de ce rôle ;
déclare le recours en réformation formulé à titre principal sous le numéro 26904 du rôle recevable en la pure forme ;
le déclare cependant irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre le bulletin d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriété de l’année 2007;
pour le surplus et quant au fond le dit justifié ;
partant et par réformation du bulletin d'imposition de l'impôt commercial communal de l’année 2007 dit que la plus-value dégagée de l’opération immobilière litigieuse relative à un terrain sis à … ne constitue pas un bénéfice commercial au sens de l’article 14 LIR ;
renvoie l’affaire devant le directeur en vue de sa transmission au bureau d'imposition compétent ;
dit qu’il n’y a pas lieu d’analyser le recours subsidiaire en annulation ;
condamne l’Etat à payer à chacun des demandeurs une indemnité de procédure d’un montant de 500.- euros ;
condamne l’Etat aux frais de ce rôle.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er décembre 2010 par :
Marc Sünnen, premier juge, Claude Fellens, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier assumé Michèle Feit.
s. Feit s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1.12.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 10