Tribunal administratif Numéro 27506 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 novembre 2010 1re chambre Audience publique du 29 novembre 2010 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 27506 du rôle et déposée le 22 novembre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigeria), de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d'une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 8 novembre, lui notifiée le 17 novembre 2010, ordonnant sa rétention au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 2010 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en ses plaidoiries à l’audience publique du 29 novembre 2010.
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En date du 24 août 2005, Monsieur … introduisit une demande de reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, laquelle fut déclarée non fondée par décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 15 mai 2006, confirmée sur recours gracieux le 26 juin 2006.
Un recours contentieux dirigé contre ces deux décisions ministérielles de refus fut définitivement rejeté par arrêt de la Cour administrative du 15 février 2007 (numéro 22327C du rôle).
Par courrier de son mandataire du 20 mars 2007, Monsieur … sollicita une tolérance sur la base de l’article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.
Par décision du 11 avril 2007, le ministre accorda à Monsieur … un statut de tolérance valant jusqu’au 30 juin 2007.
Par courriers de son mandataire des 25 juin et 7 septembre 2007, Monsieur … sollicita le renouvellement du statut de tolérance. Par décision du 2 octobre 2007, le ministre refusa de faire droit à cette demande au motif que l’intéressé ne présentait pas de pathologie empêchant le rapatriement dans son pays d’origine. Le recours contentieux introduit contre cette décision ministérielle de refus fut définitivement rejeté par un arrêt de la Cour administrative du 23 octobre 2008 (numéro 24572C du rôle).
Par courriers de son mandataire des 29 octobre et 10 novembre 2008, Monsieur … sollicita derechef une tolérance. En date du 17 novembre 2008, le ministre informa le mandataire de Monsieur … que le dossier de l’intéressé serait soumis à la direction de la Santé conformément aux articles 130 et 132 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration. En date du 6 août 2009, le médecin délégué du service médical de l’immigration du ministère de la Santé émit un avis négatif en retenant que l’intéressé ne remplissait pas les conditions médicales pour bénéficier d’un sursis à l’éloignement.
Par décision du 17 septembre 2009, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, entretemps en charge du dossier, se référa à l’avis précité pour, d’une part, refuser à l’intéressé un sursis à l’éloignement et, d’autre part, rejeter sa demande en obtention d’une tolérance au sens de l’article 22 de la loi du 5 mai 2006, tout en l’invitant à quitter le territoire luxembourgeois dans un délai d’un mois à compter de la date de la notification de la décision ministérielle en question, à savoir le 21 septembre 2009.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2009, Monsieur … fit introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle du 17 septembre 2009 en question.
Par jugement du 2 juin 2010, le tribunal déclara le recours non justifié, jugement confirmé en appel par arrêt de la Cour administrative du 7 octobre 2010 (n° 27509C du rôle).
En date du 8 novembre 2010, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-
après « le ministre », prit un arrêté ministériel refusant le séjour sur le territoire luxembourgeois à Monsieur … et lui ordonnant de quitter le territoire sans délai, et par arrêté du même jour, lui notifié le 17 novembre 2010, le ministre ordonna la rétention administrative de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Cet arrêté est fondé sur les considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu la décision de refus de séjour du 8 novembre 2010 ;
Considérant que l'intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;
Considérant qu'un laissez-passer sera demandé dans les meilleurs délais auprès des autorités nigérianes ;
Considérant qu'en attendant l’émission de ce document de voyage, l'éloignement immédiat de l'intéressé est impossible en raison de circonstances de fait ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 novembre 2010, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la prédite décision de rétention datée du 8 novembre 2010.
Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation.
Le recours en réformation, par ailleurs introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
A l’appui de son recours, Monsieur …, après avoir rappelé qu’il s’est vu définitivement refuser tant le statut de réfugié que le statut de tolérance au Luxembourg, affirme avoir perdu un œil au Nigéria du fait de persécutions y subies, de sorte qu’il devrait suivre un traitement approprié au Luxembourg, le traitement nécessaire n’étant pas disponible dans son pays d’origine.
Il conteste à ce sujet l’avis médical sur lequel le ministre s’est basé pour lui refuser un sursis à l’éloignement et se prévaut, pour sa part, d’un certificat médical dont il ressortirait qu’il devrait absolument bénéficier d’un suivi médical déterminé.
Il affirme enfin qu’il entendrait solliciter le sursis à l’éloignement afin de poursuivre son traitement au Luxembourg et qu’il déposerait dans les plus brefs délais un recours contre le refus de séjour lui opposé.
Il se dégage de l’article 120, paragraphe (1), de la loi précitée du 29 août 2008 que lorsque l’exécution d’une mesure d’éloignement en application notamment des articles 111, 116 à 118 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée.
Il en découle qu’une décision de rétention au sens de la disposition précitée présuppose qu’une mesure d’éloignement puisse être légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.
Force est de constater en l’espèce que Monsieur … a fait l’objet d’un refus de séjour en date du 8 novembre 2010 pris sur base des articles 100 et 109 à 115 de la loi du 29 août 2008, -
refus de séjour non entrepris en l’état actuel du dossier - qui entraîne conformément à l’article 111, paragraphe (1) de la même loi l’obligation dans le chef de l’étranger de quitter le territoire et qui habilite le ministre, conformément aux articles 111, paragraphe (3), et 124, paragraphe (1), de la même loi, à le renvoyer dans son pays d’origine, respectivement à prendre des mesures coercitives pour procéder à son éloignement.
Il reste dès lors à vérifier si l’autre condition imposée par l’article 120, paragraphe (1), de la loi précitée du 29 août 2008 à une mesure de placement est respectée, à savoir une impossibilité « en raison des circonstances de fait » de procéder à la mesure d’éloignement.
Force est à cet égard de constater que le demandeur se trouvant en situation irrégulière au Luxembourg, est démuni de toute pièce d’identité et de voyage. Or, l’absence de documents d’identité ainsi que l’organisation des modalités juridiques et pratiques inhérentes au rapatriement du demandeur nécessitant un certain délai, permettent d’estimer valablement que l’exécution immédiate de la mesure d’éloignement est impossible. En effet, à défaut de papiers de légitimation et de voyage dans le chef du demandeur, le ministre se voit effectivement dans l’impossibilité d’une exécution immédiate de la mesure d’éloignement, situation pour laquelle le législateur lui a conféré un délai initial maximal d’un mois pour obtenir de la part des autorités étrangères concernées les documents de voyage nécessaires.
L’arrêté ministériel déféré indique à ce sujet expressément en tant que motif qu'un laissez-
passer sera demandé aux autorités nigérianes et qu'en attendant l'émission de ce document, l'éloignement immédiat de l'intéressé n’est pas possible.
Or, il convient à ce égard de constater, à l’instar de la partie étatique, que le demandeur ne formule aucune critique par rapport à la mesure de rétention, ni ne formule un quelconque moyen en fait ou en droit tiré du cadre légal afférent, le demandeur, en particulier, n’ayant pas contesté le respect des conditions légales auxquelles une telle mesure est soumise, l’invocation d’une maladie ou infirmité, si elle est éventuellement susceptible d’être invoquée, comme le demandeur l’a déjà fait infructueusement, dans le cadre d’une demande en obtention d’un sursis à l’éloignement ou d’une autorisation de séjour pour raisons médicales, étant en particulier per se étrangère au cadre de la rétention.
Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée dans la mesure où Monsieur … reste en défaut de formuler utilement un quelconque moyen de légalité, voire seulement d’invoquer une quelconque base légale susceptible d’étayer ses prétentions.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 novembre 2010 par :
Marc Sünnen, premier juge, Claude Fellens, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier Arny Schmit.
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