Tribunal administratif Numéro 27369 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 octobre 2010 2e chambre Audience publique extraordinaire du 22 octobre 2010 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
______________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 27369 du rôle et déposée le 12 octobre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à la réformation d'une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 29 septembre 2010, ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 octobre 2010 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Khaldia Djeldjal, en remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 octobre 2010.
______________________________________________________________________________
Par arrêté du 29 septembre 2010, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, dénommé ci-après le « ministre », ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, aux motifs suivants :
« Vu les articles 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu mon arrêté d’interdiction d’entrée sur le territoire du 15 octobre 2009 ;
Vu le rapport N° JDA 8029-14 BIR du Service de Police Judiciaire du 29 septembre 2010 ;
Considérant que l’éloignement de l’intéressé vers le Maroc prévu pour le 18 août 2010 avait échoué en raison du comportement de l’intéressé ;
Considérant qu’une seconde tentative d’éloignement de l’intéressé était organisée pour le 29 septembre 2010 ;
- que l’intéressé s’est de nouveau opposé au moment de l’embarquement, de sorte que l’éloignement a dû être une nouvelle fois interrompu ;
Considérant que l’éloignement immédiat de l’intéressé est impossible en raison des circonstances de fait ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 octobre 2010, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 29 septembre 2010.
Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, dénommée ci-après la « loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, seul un recours en réformation a pu être introduit en l’espèce. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer avoir introduit une demande de protection internationale en date du 4 mai 2005 qui se serait soldée par une décision négative datée du 4 décembre 2008. Il ajoute qu’il aurait fait l’objet d’un arrêté de refus de séjour en date du 15 octobre 2009 et qu’à la même date, une première mesure de rétention administrative aurait été prise à son encontre par le ministre. Il fait encore exposer qu’au cours du mois de janvier 2010, après avoir été retenu pendant une période de trois mois au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, il aurait été libéré dudit centre pour être « immédiatement transféré dans un autre bloc du Centre Pénitentiaire en qualité de détenu », où il aurait purgé l’intégralité d’une peine d’emprisonnement de 6 mois qui lui aurait été infligée par défaut par le tribunal correctionnel de Luxembourg. Il fait ajouter qu’après avoir purgé sa peine d’emprisonnement, il aurait à nouveau été placé en rétention administrative en date du 13 juillet 2010 et qu’une mesure de rapatriement aurait échoué en date du 18 août 2010 en raison de son opposition à ladite mesure. A cette occasion, il aurait d’ailleurs été « roué de coups », tel que cela ressortirait d’un certificat médical daté du 19 août 2010, non versé en cause. A la suite de l’échec de ladite opération de rapatriement, il aurait à nouveau été transféré au « Centre Pénitentiaire » et « une série de mesures de placement » aurait à nouveau été prise à son encontre, Monsieur … reprochant dans ce contexte aux autorités luxembourgeoises de ne pas avoir pris en considération les mesures de placement antérieures qui lui auraient été infligées. D’après les explications fournies par le mandataire du demandeur, celui-ci aurait fait l’objet d’une mesure de prorogation d’une décision de rétention administrative en date du 13 septembre 2010 qui se serait basée sur une mesure de placement initiale du 18 août 2010. Actuellement, le demandeur déclare subir sa sixième mesure de rétention administrative, à savoir celle prise à son encontre en date du 29 septembre 2010.
En droit, le demandeur estime que la décision litigieuse du 29 septembre 2010 violerait l’article 120 de la loi du 29 août 2008, en se basant sur un arrêt de la Cour administrative du 2 avril 2008 [il s’agit en réalité d’un arrêt de la Cour administrative du 2 avril 2009 portant le numéro 25559C du rôle, tel que cela ressort des pièces versées par le demandeur ] suivant lequel la Cour aurait retenu que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ne constituerait une structure appropriée au sens de la loi du 29 août 2008 que jusqu’à la date du 1er octobre 2010. Le demandeur estime encore que la Cour aurait ainsi fixé un ultimatum au ministre afin que ce dernier crée un centre de rétention autonome tel que prévu par la loi. Toutefois, comme un tel centre n’existerait pas à l’heure actuelle, il y aurait lieu de considérer que la mesure de placement actuellement sous examen serait illégale.
Le délégué du gouvernement se réfère, quant aux faits de l’espèce, au dossier administratif qui aurait été déposé dans le cadre de l’instance contentieuse qui était pendante devant le tribunal administratif sous le numéro 27317 du rôle et au sujet duquel un jugement a été prononcé en date du 1er octobre 2010, de sorte qu’il échet de constater que dans le cadre de la présente instance, le délégué du gouvernement n’a versé ni le dossier administratif ni les pièces sur lesquelles il entend se baser à l’appui de sa défense, à l’exception des cinq pièces versées par lui avant le rapport à l’audience.
Il échet toutefois de constater que conformément à l’article 8, paragraphe (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives « l’autorité qui a posé l’acte visé par le recours dépose le dossier au greffe sans autre demande ». Ladite disposition légale ne prévoyant aucune dérogation y afférente, il y a lieu d’en conclure que dans le cadre de chaque instance contentieuse, « l’autorité qui a posé l’acte », c'est-
à-dire en l’espèce le gouvernement, est obligé de déposer l’intégralité du dossier administratif au greffe du tribunal, sans que ladite autorité ne puisse se dérober à l’obligation légale ainsi prévue en se référant à un dossier administratif qui aurait été versé dans le cadre d’une autre instance contentieuse pendante ou ayant été pendante devant le même tribunal.
Par ailleurs, suivant le paragraphe (2) du même article 8 de la loi précitée du 21 juin 1999 « les pièces dont la partie défenderesse [à savoir en l’espèce l’Etat] [entend] se prévaloir sont énoncées dans [son mémoire en réponse] et déposées au greffe ensemble avec [ledit mémoire] ».
Conformément à ladite disposition légale, la partie défenderesse, à savoir en l’espèce l’Etat, au cas où elle entend appuyer son argumentation sur des pièces et documents, est obligée de les déposer au greffe du tribunal administratif ensemble avec son mémoire en réponse.
Il suit des éléments et considérations qui précèdent qu’à défaut par l’Etat d’avoir versé dans le cadre de la présente instance tant le dossier administratif que les pièces sur lesquelles il entend se baser, le tribunal ne se trouve pas en possession d’une quelconque pièce versée par l’Etat – à l’exception de celles versées avant l’audience de l’accord du demandeur – et ce dernier n’est pas autorisé, suivant ce qui précède, à se référer à des pièces ou éléments invoqués dans d’autres instances contentieuses même si celles-ci avaient trait à des litiges comprenant les mêmes parties à l’instance que celles qui font partie de la présente instance. Le tribunal jugera partant de la pertinence du moyen en droit invoqué dans le cadre de la présente instance sans consulter les pièces qui se trouvent le cas échéant en possession de l’Etat, aucun reproche ayant trait à une éventuelle violation des droits de la défense de la partie demanderesse n’ayant été soulevé en cause par le mandataire de celle-ci, une telle violation ne pouvant d’ailleurs pas non plus être constatée en l’espèce.
Au-delà de cette question d’ordre procédural, le délégué du gouvernement soutient que l’Etat se serait trouvé dans l’obligation de prendre plusieurs mesures de placement successives à l’encontre du demandeur en raison de ce que celui-ci se serait opposé à plusieurs reprises à son rapatriement, de sorte que le demandeur ne saurait se « prévaloir de sa propre turpitude ».
En ce qui concerne le caractère approprié du Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, le délégué du gouvernement se réfère à l’article 16.1 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays en séjour irrégulier, dénommée ci-après la « Directive Retour », qui prévoirait la possibilité de placer des étrangers en situation irrégulière même dans un établissement pénitentiaire au cas où un Etat membre ne disposerait pas d’un centre de rétention spécialisé. Le représentant étatique se réfère encore à l’article 120 de la loi du 29 août 2008 qui fait référence à une « structure fermée » en soutenant que cette notion répondrait à celle utilisée par la Directive Retour, alors même que l’article 120 en question aurait été voté par la Chambre des Députés antérieurement à l’adoption de la directive en question.
En conclusion à cette argumentation, le délégué du gouvernement soutient que le gouvernement luxembourgeois serait autorisé à placer des étrangers se trouvant en situation irrégulière au centre pénitentiaire à condition qu’ils se trouvent dans une unité séparée de celle des détenus et des prisonniers de droit commun.
Pour le surplus, le représentant étatique soutient qu’un nouveau centre de rétention serait en « phase d’achèvement », de sorte qu’à l’heure actuelle les étrangers se trouvant en situation irrégulière devraient pouvoir être provisoirement retenus au centre pénitentiaire suivant les modalités ci-avant détaillées jusqu’à « la mise en service opérationnelle » du nouveau centre de rétention.
Il échet tout d’abord de relever que le raisonnement juridique de la partie demanderesse se fonde sur un jugement rendu par le tribunal administratif en date du 4 octobre 2010 sous le numéro 27321 du rôle et que ce jugement, sur appel introduit par l’Etat, a été réformé par un arrêt de la Cour administrative du 15 octobre 2010 ayant retenu que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière est à qualifier de structure fermée répondant en son principe aux exigences de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 en attendant la mise en place d’un nouveau centre de rétention dont les travaux sont actuellement en cours.
Au vu de cette décision de principe ainsi adoptée par la Cour administrative et en l’absence de critiques soumises au tribunal quant aux modalités de rétention concrètes appliquées au cas d’espèce du demandeur, le moyen tiré de la violation de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Aucun autre moyen n’ayant été invoqué en cause, il y a lieu de rejeter le recours sous examen comme n’étant pas justifié.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Marc Feyereisen, président, Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 22 octobre 2010 heures à 11.00 heures par le premier vice-président délégué à cette fin, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
Judith Tagliaferri Marc Feyereisen 5