Tribunal administratif Numéro 26957 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 mai 2010 3e chambre Audience publique du 20 octobre 2010 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26957 du rôle et déposée le 31 mai 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Iran), de nationalité iranienne, demeurant à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 14 avril 2010 ayant déclaré non fondée sa demande en obtention d’une protection internationale, et tendant, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 juillet 2010 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Sousie Schaul en leurs plaidoiries respectives.
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Le 10 juin 2009, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une première demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Il fut entendu en date du même jour par un agent de la police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur son itinéraire de voyage suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Il fut en outre entendu les 2 et 11 novembre 2009, ainsi que le 14 décembre 2009 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 14 avril 2009, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 10 juin 2009.
En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains le rapport du Service de Police judiciaire du 16 juin 2009 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration daté des 2 novembre, 11 novembre, 2 décembre et 14 décembre 2009.
Il ressort du rapport du Service de Police judiciaire que vous auriez quitté l'Iran une première fois en 2003. Vous seriez allé en Angleterre où vous auriez déposé une demande d'asile qui aurait été rejetée. Vous auriez cependant vécu et travaillé en Angleterre de 2003 à 2007. Votre mère étant tombée malade, vous seriez rentré volontairement en Iran en 2007.
Dans vos déclarations à l'agent ministériel, vous précisez qu'à votre retour en Iran, vous auriez été questionné sur vos opinions politiques et qu'on vous aurait présenté une photo du Prince REZA à côté d'un homme dont le visage n'était pas net et qu'on vous aurait demandé si c'était vous. Après plusieurs convocations et le payement d'une amende pour avoir quitté l'Iran clandestinement, on vous aurait interdit de quitter l'Iran encore une fois.
Le 18 mai 2009, vous auriez quitté l'Iran une seconde fois. Vous seriez allé de Téhéran à Ouroumieh pour prendre contact avec un passeur. Vous seriez passé alors en Turquie via les villes de Salmas et de Van. Le passeur vous aurait remis pour cela un passeport falsifié. Vous auriez dû attendre une semaine à Istanbul avant de pouvoir prendre place dans un camion qui vous aurait amené à Luxembourg.
Il résulte de vos déclarations à l'agent ministériel que vous avez donné d'abord un faux nom à votre arrivé au Luxembourg. Votre véritable identité serait …. Le passeur vous aurait conseillé de vous présenter ici sous une fausse identité pour ne pas être renvoyé en Angleterre.
Vous exposé (sic) que vous seriez homosexuel. Vous auriez commencé à avoir des problèmes pendant vos études secondaires car vous auriez eu une relation avec un professeur.
Cela se serait su et vous auriez été mis à la porte du lycée sans possibilité de poursuivre vos études dans un autre lycée. Après ça, vous auriez commencé à travailler dans l'atelier de confection de votre frère. Vous auriez effectué votre service militaire de 1993 à 1995. Vous auriez été affecté dans l'armée des Pasdarans ce qui, précisez-vous, n'était pas un choix de votre part. Vous ne disposeriez cependant pas d'un livret de fin de service militaire car vous ne l'auriez pas demandé, étant parti en Angleterre entretemps. A cette époque, vous vous seriez intéressé au « Parti Azerbaïdjan », un groupe culturel qui défendait la langue et la culture azérie. Cet intérêt pour ce mouvement vous aurait valu des ennuis et c'est pour cette raison que vous seriez parti en Angleterre en 2003.
A votre retour en Iran en 2007, vous auriez eu un problème à cause d'un tatouage que vous vous seriez fait faire en Angleterre. La brigade des mœurs vous aurait arrêté et placé en garde à vue. Votre famille aurait payé une caution de 250.000 tomans pour que vous puissiez être libéré et vous auriez dû vous engager à enlever le tatouage.
A ce moment-là, vous auriez fait la connaissance d'un certain …, le fils d'une famille que vos parents connaissaient. Vous auriez sympathisé avec … qui était dépressif après une tentative de suicide. … vous aurait expliqué qu'il avait divorcé de son épouse parce qu'il aurait été homosexuel. Vous auriez tenté de le faire renoncer à ses idées suicidaires mais au début, vous ne lui auriez pas confié que vous étiez homosexuel aussi. Après avoir vu une émission littéraire à la télévision, vous auriez entrepris d'écrire votre histoire. Finalement, vous auriez écrit deux récits qui parlaient de la vie des homosexuels en Iran en général. Un jour, alors que vous seriez parti acheter de l'alcool, vous auriez vu de loin le père de … avec des policiers. En vous voyant, il aurait crié « c'est lui ! » et les policiers se seraient jetés sur vous. Vous pensez qu'… aurait répété vos discussions à son père mais vous précisez que vous n'auriez jamais confié à … que vous étiez homosexuel. La police vous aurait emmené au poste et serait allée perquisitionner chez vous. Elle aurait trouvé toutes les histoires que vous auriez écrites concernant des gays. Votre mère aurait mis en gage le titre de sa propriété pour que vous soyez rapidement libéré. Vous ajoutez que celle-ci aurait essayé de récupérer ce titre de propriété mais on le lui aurait refusé. Vous précisez que les autorités iraniennes sauraient que vous êtes parti au Luxembourg après votre départ.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.
En effet, je relève que vous vous dites homosexuel mais que vous n'auriez eu jamais de relations homosexuelles en Iran. En ce qui concerne les récits que vous auriez écrits, je relève que ces histoires sont restées dans vos affaires personnelles et n'ont jamais été publiées ni distribuées. Ainsi, même si la police les a confisquées, elles ne peuvent pas être assimilées à des actes de prosélytisme.
Or, il résulte des renseignements en notre possession et plus particulièrement de différents rapports du Home Office que l'homosexualité n'est pas poursuivie par les autorités iraniennes tant qu'elle se déroule à huis clos et que les personnes ne se livrent pas au prosélytisme. Même le fait de vivre avec un homme sous le même toit n'entraîne ni commentaire ni répression. L'homosexualité serait courante en Iran et, pratiquée avec discrétion, elle resterait impunie. Le dernier rapport du Home Office, de 2010 confirme cette position en soulignant qu'il n'y a plus eu d'exécution d'homosexuels depuis 2005.
Je relève aussi qu'après votre arrestation et après la mise en gage par votre mère du titre de sa propriété, vous avez été relâché. Il est peu probable qu'on vous ait relâché si votre comportement avait entraîné une sanction grave. Ceci me conforte dans l'idée que les histoires trouvées chez vous ne pouvaient pas être assimilées à du prosélytisme et que votre crainte d'être tué en cas de retour en Iran n'est pas fondée.
Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays.
Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Ils ne justifient pas non plus la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
La présente décision vaut ordre de quitter le territoire (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 mai 2010, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 14 avril 2010, par laquelle il s’est vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale, et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à son égard l’ordre de quitter le territoire.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, un recours en réformation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée.
Le recours en réformation est recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.
Le demandeur, de nationalité iranienne, déclare avoir déposé une première demande de protection internationale en 2003 en Angleterre, demande qui aurait cependant fait l’objet d’un rejet. Il serait retourné volontairement en Iran en 2007 et aurait déposé une demande de protection internationale devant les autorités luxembourgeoises en date du 10 juin 2009.
En droit, il reproche au ministre une appréciation erronée des faits.
Il précise être homosexuel et soutient en tant que tel justifier d’une crainte fondée de persécution en raison de son appartenance à un groupe social vulnérable.
Il prétend avoir subi de graves persécutions en Iran et déclare craindre d’en subir en cas de retour dans son pays d’origine.
Face à l’affirmation du ministre qu’il n’aurait jamais eu de relations homosexuelles en Iran, le demandeur fait valoir que dans son pays d’origine, il aurait connu un professeur avec lequel il aurait eu une relation, que cette relation aurait été divulguée et que, de ce fait, il ne lui aurait pas été possible de continuer ses études et que, d’autre part, le professeur aurait perdu son emploi.
Le demandeur évoque encore avoir été arrêté par la brigade des mœurs à cause d’un tatouage qu’il avait sur son bras droit et qu’à cette occasion, il aurait également été questionné sur des livres qu’il avait achetés. Le demandeur en conclut qu’en Iran, il n’aurait pas la liberté de se faire tatouer et qu’il appartiendrait au bon vouloir de la brigade des mœurs de décider quel genre de livres il serait autorisé à lire.
Le demandeur déclare encore avoir été arrêté en raison de propos tenus à son sujet par le père d’un ami, dénommé …. La police aurait perquisitionné chez lui et elle aurait trouvé des récits qu’il aurait écrits concernant des homosexuels. A cet égard, il précise que ses œuvres contiendraient des idées contraires au régime islamique et permettraient de l’incriminer comme étant homosexuel. Le demandeur conclut qu’en raison de son homosexualité sa vie serait en danger en Iran.
Il soutient que le seul fait qu’il soit homosexuel entraînerait des violations graves de ses droits fondamentaux, étant donné que l’homosexualité serait interdite en Iran.
Le fait d’être placé en garde à vue en raison d’un tatouage et en raison de ses choix littéraires, respectivement en raison de son homosexualité constituerait une « accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme » au sens de l’article 31 (1) b) de la loi du 5 mai 2006. Le demandeur souligne que suite à son arrestation, le domicile de sa mère aurait fait l’objet d’une perquisition et que cette dernière aurait dû mettre en gage le titre de sa propriété pour le faire libérer et que les autorités auraient refusé de lui rendre ce titre. Les autorités auraient également exigé que le demandeur se rende à la justice iranienne. Le demandeur donne à considérer que dès son retour en Iran, il serait recherché par les autorités pour avoir fui clandestinement le pays et pour être homosexuel. Le risque d’un emprisonnement, voire de subir la peine de mort serait d’après le demandeur à qualifier d’acte de persécution au sens de l’article 31, 2 c) de la loi du 5 mai 2006. La perquisition et les arrestations arbitraires qu’il aurait subies en raison de son tatouage et en raison de livres qu’il avait achetés, seraient également des mesures judiciaires discriminatoires au sens de l’article 31, 2 d) de la même loi. Le fait d’avoir été frappé par deux agents lors de sa seconde interpellation serait à qualifier d’une violence physique au sens de l’article 31, 2 a) de la même loi.
Quant à la situation générale en Iran, le demandeur cite divers articles pour conclure à la présence d’agents des services de renseignement partout en Iran et à la privation des droits les plus élémentaires. Il cite ensuite un article publié par la Fédération internationale des Ligues des Droits des l’Homme faisant état d’exécutions en Iran, ainsi qu’un rapport d’Amnesty International de 2009, un rapport de l’organisation suisse d’aides aux réfugiés et divers autres articles de presse sur la situation des homosexuels en Iran. Il fait encore valoir que les lois de la république islamique d’Iran prévoiraient la peine de mort notamment pour des actes d’homosexualité, ceci en vertu de l’article 110 du Code pénal islamique.
Le demandeur souligne encore que la mise en cause des droits civils et politiques constituerait une persécution.
Il précise que la loi traditionnelle en Iran serait fondée sur le coran, et que les textes religieux musulmans qui concernent l’homosexualité condamneraient les relations entre personnes du même sexe. Outre l’application de la loi de la charia à l’égard des homosexuels, l’homosexualité serait perçue par les autorités étatiques comme une sexualité « déviante » qui serait criminalisée et qui serait incompatible avec le percept des religions dominantes. Le risque d’une condamnation en Iran serait donc avéré.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en soutenant que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur.
Il souligne d’une part que les problèmes du demandeur rencontrés pendant sa scolarité dateraient des années 1992/1993, de sorte que ces faits seraient trop anciens pour être pris en considération, à les supposer établis. Le délégué du gouvernement donne encore à considérer que le demandeur aurait reconnu lors de son audition qu’il aurait pu poursuivre ses études et que son père ne l’y aurait pas autorisé.
Quant à l’arrestation du demandeur et son placement en garde à vue en raison d’un tatouage à son retour d’Angleterre, le représentant étatique estime que cet incident serait insuffisant pour lui conférer le statut de réfugié. En ce qui concerne la deuxième arrestation qui aurait été provoquée par le père d’un ami homosexuel que le demandeur aurait connu mais auquel il n’aurait pas révélé son homosexualité, et quant au fait que les policiers l’auraient frappé à cette occasion et auraient perquisitionné son domicile, le représentant étatique souligne que le demandeur resterait vague quant au rôle joué par le père de son ami …. Il serait par ailleurs peu crédible que le père d’… ait dénoncé son propre fils aux autorités pour incriminer le demandeur comme étant un homosexuel. Ces affirmations du demandeur seraient encore moins crédibles dans la mesure où le dénommé … aurait ignoré que le demandeur est homosexuel. Quant à la perquisition domiciliaire et quant aux écrits trouvés par les policiers, le délégué du gouvernement relève que ces récits n’auraient été ni divulgués, ni publiés.
Enfin, le représentant étatique soutient qu’il résulterait des rapports du Home Office britannique que l’homosexualité ne serait pas poursuivie par les autorités iraniennes.
En ce qui concerne l’arrestation du demandeur suite à la perquisition à son domicile, le représentant étatique souligne qu’il ne serait pas crédible que le demandeur ait été relâché après quelques heures si vraiment il risquerait une condamnation à mort du fait de son homosexualité.
Il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur fait état à juste titre de raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécution du fait de son appartenance à un certain groupe social au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
Le demandeur fait en effet état de risques de persécutions dans son pays d’origine en raison de son homosexualité.
Quant aux conditions générales des homosexuels en Iran, le tribunal ne saurait partager la position étatique, en ce qui concerne les risques encourus par des homosexuels, qui se fonde sur une appréciation trop optimiste du rapport du Home Office de la UK Border Agency cité par le ministre. Il se dégage en effet des pièces versées en cause que les rapports sexuels entre homosexuels sont incriminés en Iran, et punis par la peine de mort, ceci en vertu des articles 108 et suivants du Code pénal iranien (cf. notamment point 21.10 du rapport du Home Office de janvier 2010). Il se dégage certes du rapport précité du Home Office que si depuis 1979 un nombre très important de personnes homosexuelles ont été exécutées, seulement peu de cas où des homosexuels ont été accusés ont été rapportés les dernières années (cf. points 21.04., 21.25., 21.27., 21.28, et 21.29 du prédit rapport). Il ressort encore certes dudit rapport que les homosexuels peuvent vivre leur orientation sexuelle tant qu’elle se déroule en privé.
Néanmoins, compte tenu du fait que l’homosexualité reste pénalisée et est de surcroît punie de la peine capitale, le tribunal ne saurait rejoindre le ministre dans son appréciation que la situation des homosexuels en Iran ne soit pas telle à pouvoir générer une crainte fondée de persécution. Il convient encore d’ajouter que d’après le même rapport, l’homosexualité ne peut être vécue ouvertement en Iran, dans la mesure où elle est en plus socialement désapprouvée (21.45 du prédit rapport). Il s’ensuit que la situation en Iran est telle que le risque pour un homosexuel ayant pratiqué des actes d’homosexuels de subir la peine capitale ne peut être exclu et reste réel.
Quant à la situation particulière du demandeur, il convient de prime abord de retenir qu’au vu des attestations testimoniales versées par lui, et en l’absence de contestations de la partie étatique à ce sujet, son homosexualité ne saurait être mise en doute.
Le tribunal est amené à retenir que le vécu du demandeur est tel que c’est à juste titre qu’il fait état d’une crainte de persécution en raison de son homosexualité. En effet, même s’il est vrai que d’après ses propres déclarations, à part une relation avec un professeur en 1992/1993, le demandeur n’a pas eu de relations avec une personne du même sexe en Iran et plus particulièrement qu’il n’en n’a pas eus avec le dénommé … dont le père a provoqué sa deuxième arrestation, il n’en reste pas moins qu’en l’espèce, il est raisonnable d’admettre que l’homosexualité du demandeur est connue ou du moins suspectée par les autorités iraniennes, compte tenu des écrits traitant des homosexuels qui ont été trouvés lors de la perquisition effectuée à l’occasion de sa deuxième arrestation. Dans la mesure où le demandeur a été arrêté quelques jours, d’ailleurs pour une raison qui d’après ses déclarations lors de ses auditions ne lui a même pas été dévoilée, et que son domicile a été perquisitionné suite à une simple dénonciation du père de son ami …, et dans la mesure où le demandeur est de toute manière connu des autorités puisqu’il a fui l’Iran déjà une première fois et a de ce fait été interrogé à son retour en Iran, le risque de poursuites en raison de son orientation sexuelle suite à la découverte de ces écrits est d’autant plus réel.
Il ressort des considérations qui précèdent que les incidents avec les autorités ainsi mis en avant par le demandeur, ensemble la situation générale des homosexuels en Iran permettent de confirmer le bien-fondé et l’actualité des craintes de persécution dont fait état le demandeur, de sorte que c’est à tort que le ministre a rejeté sa demande en reconnaissance du statut de réfugié et que la décision litigieuse encourt la réformation.
En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder le bénéfice de la protection subsidiaire, il n’y a pas lieu de prendre position par rapport à ce volet de la décision entreprise et aux moyens afférents, étant donné que le tribunal a déjà retenu ci-avant que le demandeur fait valoir une crainte fondée d’être victime de persécutions au sens de la loi du 5 mai 2006, en cas de retour en Iran.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 14 avril 2010 est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire.
Dans la mesure où le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que le demandeur est fondé à se prévaloir du statut de réfugié et que la décision de refus de la protection internationale est à réformer dans cette mesure, il y a lieu d’annuler l’ordre de quitter le territoire tel que contenu dans la décision ministérielle déférée du 14 avril 2010.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 14 avril 2010 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, déclare le recours justifié, partant, par réformation de la décision ministérielle du 14 avril 2010, reconnaît à Monsieur … le statut de réfugié et renvoie l’affaire devant le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration pour exécution ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, annule l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle du 14 avril 2010 ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Martine Gillardin, vice-président, Françoise Eberhard, premier juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 20 octobre 2010 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20.10.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 10