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29/09/2010 | LUXEMBOURG | N°26215

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 septembre 2010, 26215


Tribunal administratif N° 26215 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2009 1re chambre Audience publique du 29 septembre 2010 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26215 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2009 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …

, et Madame …, née le … , agissant tant en leur nom personnel qu’aux nom et pour le comp...

Tribunal administratif N° 26215 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2009 1re chambre Audience publique du 29 septembre 2010 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26215 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2009 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , et Madame …, née le … , agissant tant en leur nom personnel qu’aux nom et pour le compte de leurs enfants mineurs … , tous de nationalité brésilienne, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 26 septembre 2008 portant refus d’une autorisation de séjour ainsi qu’à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 2 septembre 2009 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2010 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Louis TINTI au nom des demandeurs au greffe du tribunal administratif le 25 janvier 2010 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 avril 2010.

En date du 7 décembre 1998, Monsieur … fit une première déclaration d’arrivée à la commune de …. La date d’arrivée de son épouse Madame … et de leurs deux enfants mineurs, ci-après dénommés avec Monsieur … « les consorts … » ; sur le territoire luxembourgeois ne ressort ni des pièces versées en cause ni des écrits des parties.

Le 15 septembre 2000, le ministre de la Justice prit à l’encontre des consorts … deux arrêtés de refus d’entrée et de séjour. Ces arrêtés furent notifiés aux consorts … le 18 septembre 2000 et ils furent reconduits au Brésil le même jour. Le 26 octobre 2000, ils firent l’objet d’un signalement en application de l’article 96 de la Convention d’application de l’accord de Schengen et, en date du 26 août 2009, le signalement du Système d’Information Schengen fut prolongé pour une nouvelle période de 3 ans. Le 28 août 2008, les consorts … déposèrent une demande d’autorisation de séjour qui leur fut refusée par décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 26 septembre 2008. Cette décision est libellée comme suit :

« […] J'ai l'honneur d'accuser réception de votre lettre du 28 août 2008 concernant l'objet sous rubrique, j'ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre demande alors que les personnes concernées sont sous le coup d'un arrêté de refus d'entrée et de séjour pris à leur encontre le 15 septembre 2000, notifié le 18 septembre 2000.

D'autant plus ils ont été signalés au Système d'information Schengen dès leurs rentrées au Brésil en date du 19 septembre 2000.

Par ailleurs, l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers subordonne la délivrance d'une autorisation de séjour à la possession de moyens d'existence personnels suffisants permettant à l'étranger d'assurer son séjour au Grand-Duché indépendamment de l'aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s'engager à lui faire parvenir.

Or, tel n'est pas le cas, alors que les intéressés ne sont pas en possession d'un permis de travail leur permettant d'acquérir légalement les moyens d'existence personnels.

Les intéressés sont par conséquent invités à quitter le pays sans délais, alors qu'ils y séjournent de manière irrégulière. […] » En date du 14 décembre 2008, les consorts … firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée. En date du 16 décembre 2008, le mandataire des consorts … fit parvenir au ministre des pièces supplémentaires à l’appui du recours gracieux précité.

Par décision du 2 septembre 2009, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, entretemps en charge du dossier, confirma la décision antérieure et ordonna aux consorts … de quitter le territoire dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision. Cette décision est libellée comme suit :

« […] J'ai l'honneur de me référer à votre recours gracieux du 14 décembre 2008, tel que complété par votre courrier du 16 décembre 2008 concernant l'objet sous rubrique.

Après avoir procédé au réexamen du dossier de vos mandants, je suis toutefois au regret de vous informer que je ne saurais réserver une suite favorable à votre demande et qu'à défaut d'éléments pertinents nouveaux je ne peux que confirmer ma décision du 26 septembre 2008 dans son intégralité.

En effet, l'arrêté de refus d'entrée et de séjour pris en date du 15 septembre 2000 continue à sortir ses effets alors qu'il n'a pas été rapporté, de même que le signalement fait en application de l'article 96 de la Convention d'application de l'Accord de Schengen qui peut être maintenu pendant dix ans. Même si on considère que conformément à l'article 112 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration la durée d'une interdiction d'entrée sur le territoire est limitée à 5 ans, l'interdiction d'entrée était valable en 2002 au moment du retour de vos mandants au Luxembourg.

En ordre subsidiaire, en ce qui concerne la nouvelle demande en obtention d'une autorisation de séjour, je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête. Monsieur … et Madame … ne remplissent pas les conditions exigées pour obtenir un titre de séjour dans le cadre de l'article 89, paragraphe (1), point 1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.

Conformément à l'article précité, un ressortissant d'un pays tiers peut être autorisé à séjourner au Grand-Duché de Luxembourg pour motifs exceptionnels à condition qu'il rapporte la preuve par tout moyen qu'il a séjourné de façon continue sur le territoire et qu'il y a habituellement travaillé depuis au moins huit ans. Or, Monsieur … et Madame … n'ont pas apporté de preuves qu'ils ont séjourné de manière continue et qu'ils ont habituellement travaillé depuis au moins huit ans au pays. En effet, votre simple affirmation que Monsieur … et Madame … aient exercé une activité professionnelle est insuffisante aux termes de la loi.

A titre tout à fait subsidiaire, Monsieur … et Madame … ne remplissent pas les conditions exigées pour entrer dans le bénéfice d'une des catégories d'autorisation de séjour prévues par l'article 38 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.

En application de l'article 101, paragraphe (1) de la loi précitée, l'autorisation de séjour leur est refusée.

Par conséquent, après vérification expresse des éléments prévus à l'article 103 de la loi précitée et en application de l'article 111 de la même loi, vos mandants sont obligés de quitter le territoire dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente, soit vers leur pays d'origine, soit à destination d'un pays dans lequel ils sont légalement autorisés à résider. […] » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2009, les consorts … ont fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 26 septembre 2008 et 2 septembre 2009.

Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Force est au tribunal de constater de prime abord que la décision de refus précitée du 26 septembre 2008 fut prise en application de la loi du 28 mars 1978 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ci-après dénommée « la loi du 28 mars 1978 », entre temps abrogée par la loi du loi du 29 août 2008 sur la libre circulation et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 », tandis que la deuxième décision du 2 septembre 2009 rendue sur recours gracieux, confirmative quant au refus d’octroyer aux demandeurs un titre de séjour, est basée sur la loi du 29 août 2008 précitée. Il s’en suit, que la deuxième décision, si elle aboutit certes au même résultat que la première décision de refus, ne saurait être considérée comme décision purement confirmative, étant donné que les motifs se fondent sur une cause - la législation en vigueur - et partant sur des considérations différentes. Partant, une éventuelle annulation de la première décision déférée du 28 septembre 2008, ne saurait donner satisfaction aux demandeurs étant donné que la deuxième décision déférée du 2 septembre 2009 produirait tous ses effets et maintiendrait le refus initial. Il découle des ces considérations que le tribunal limitera l’analyse à la légalité de la décision du 2 septembre 2009.

Force est de constater d’autre part, que dans le cadre d'un recours en annulation, le tribunal statue par rapport à la décision administrative lui déférée sur base des moyens invoqués par la partie demanderesse tirés d'un ou de plusieurs des cinq chefs d'annulation énumérés à l'article 2 (1) de la loi du 7 novembre 1996, de sorte que son pouvoir de contrôle est essentiellement limité dans la mesure des griefs invoqués, eux-mêmes conditionnés par l'intérêt à agir existant dans le chef du recourant à la base de la requête introduite.1 A l’appui de leur recours, les consorts … font plaider avoir été reconduits au Brésil au courant du mois de septembre 2000 en exécution d’un arrêté de refus d’entrée et de séjour, mais être revenus au Luxembourg en 2002 où ils vivraient sans discontinuité depuis lors. Leur enfant … serait actuellement inscrit en 3e année d’études primaire après avoir suivi l’éducation précoce et l’éducation préscolaire. Tant Madame que Monsieur … auraient la possibilité de travailler telle que documentée par les contrats de travail versés. Ils font en outre valoir que les attestations testimoniales versées témoigneraient d’un degré d’intégration évident et de leur respect pour l’ordre public luxembourgeois.

En droit, les consorts … font valoir que ce serait à tort que le ministre aurait retenu que les arrêtés de refus d’entrée et de séjour précités continueront à sortir leurs effets, étant donné que l’article 112 de la loi du 29 août 2008 applicable au cas d’espèce conformément à l’article 160 de cette même loi, limiterait une interdiction d’entrée sur le territoire à une durée maximale de cinq ans. Ils en concluent que les arrêtés de refus d’entrée et de séjour leur notifiés le 18 septembre 2000 seraient dépourvus d’effets au jour de leur demande de séjour, à savoir le 28 août 2008. Ils expliquent à cet égard que le recours sous analyse serait un recours en annulation, de sorte qu’il y aurait lieu de se placer au jour de la formulation de la demande de séjour pour apprécier si les conditions légales d’un titre de séjour étaient données et non au moment de leur arrivée au Luxembourg en 2002. Ils estiment d’autre part que le fait de ne pas avoir été en possession d’un visa valable et de s’être trouvés en séjour irrégulier au Luxembourg au moment de l’introduction de la demande de séjour précitée ne saurait se trouver valablement à la base de la décision litigieuse, étant donné que ce serait précisément afin de régulariser leur situation qu’ils auraient soumis au ministre la demande litigieuse.

Le délégué du gouvernement fait de prime abord valoir que le moyen précité ne serait dirigé que contre la décision déférée du 2 septembre 2009. Quant aux effets des arrêtés de refus d’entrée et de séjour, il estime qu’ils auraient été pris en vertu de l’article 2 de la loi du 28 mars 1978, de sorte à ne pas avoir été limités dans le temps, et, faute d’avoir été rapportés, ils continueraient à sortir leurs effets à l’heure actuelle. D’autre part, les demandeurs affirmeraient eux-mêmes être retournés sur le territoire luxembourgeois en 2002, donc à une date où les arrêtés précités auraient été valables. Il en conclut que les demandeurs auraient admis avoir violé les arrêtés précités. Par ailleurs, ils n’auraient pas introduit de recours contre les arrêtés précités, et ils se seraient maintenus sur le territoire luxembourgeois pendant six ans sans entamer la moindre démarche afin de régulariser leur situation.

Aux termes de l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 : « L’entrée et le séjour au « Grand-Duché de Luxembourg » pourront être refusés à l’étranger :

- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, 1 Cf TA 21 juin 1999, n°10874 du rôle, Pas. adm. 2009, v° Recours en annulation, page 633, n° 13, confirmé par Cour administrative 15 février 2000, n° 11420C du rôle.

- qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. » Force est de constater en premier lieu que contrairement à l’article 112 de la loi du 29 août 2008, limitant une interdiction d’entrée et de séjour sur le territoire luxembourgeois à une durée maximale de cinq ans, aucune disposition de la loi du 28 mars 1972 ne limite la validité des arrêtés de refus d’entrée et de séjour dans le temps.

D’un autre côté, s’il est exact qu’aux termes de l’article 160 alinéa de la loi du 29 août 2008 : « La présente loi est applicable aux demandes d’autorisation de séjour introduites avant l’entrée en vigueur de la présente loi et dont l’instruction est pendante », de sorte que la décision intervenue suite la demande de séjour des demandeurs a obligatoirement été prise sur base de la loi du 29 août 2008, du moins en ce qu’elle est intervenue sur recours gracieux et après l’entrée en vigueur de la loi du 29 août 2008, à savoir le 1er octobre 2008, il n’en demeure pas moins que les actes administratifs ayant acquis autorité de chose décidée, ou qui ont fait l’objet d’un recours contentieux aboutissant à une décision judiciaire ayant acquis autorité de chose jugée, demeurent valables et exécutoires et ne sont partant pas remis en cause par une législation postérieure soumettant des actes administratifs similaires à des conditions différentes. En l’espèce, les arrêtés d’entrée et de séjour du 15 septembre 2000, dont la légalité ne saurait faire l’objet d’une analyse dans le cadre du présent recours faute d’avoir été déférés au tribunal administratif dans le cadre de la requête introductive d’instance, ont acquis l’autorité de chose décidée et n’ont pas, selon la législation leur applicable, à savoir la loi du 28 mars 1978, été limités dans le temps, de sorte qu’ils demeurent applicables à l’heure actuelle.

C’est partant à bon droit que le ministre a pu retenir que les demandeurs sont revenus sur le territoire luxembourgeois en violation des arrêtés de refus d’entrée et de séjour et qu’ils y séjournent en conséquence de manière illégale, et, de ce fait leur a refusé l’autorisation de séjour sollicitée. En effet, aux termes de l’article 100 de la loi du 29 août 2008 : « Le séjour est refusé au ressortissants de pays tiers : a) qui ne remplit pas ou plus les conditions fixées à l’article 34 ; […] ». L’article 34 de la loi du 29 août 2008, auquel renvoie l’article 100 précité, prévoit de son côté que le ressortissant de pays tiers « a le droit d’entrer sur le territoire et d’y séjourner […] s’il remplit les conditions suivantes : […] 3. ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire […] » , sorte que le moyen afférent laisse d’être fondé étant donné que les demandeurs font l’objet au moment où la décision déférée a été prise d’un arrêté d’interdiction d’entrée et de séjour.

En deuxième lieu les demandeurs estiment qu’en application de l’article 113 de la Convention d’Application de l’Accord de Schengen les données, relatives aux étrangers signalés y seraient conservées pendant dix ans au maximum et qu’il s’agirait d’un simple outil technique à la disposition des Etats membres sans pour autant produire un quelconque effet juridique, de sorte à ne pas pouvoir être invoqué comme motif à la base d’une décision de refus de séjour. Ils estiment d’autre part que leur signalement au sein du Système d’Information Schengen ne saurait produire un quelconque effet juridique étant donné que les arrêtés de refus d’entrée et de séjour auraient cessé d’être valables après cinq ans.

A cet égard le délégué du gouvernement estime que les demandeurs auraient fait l’objet d’un tel signalement en date du 26 octobre 2000 et que l’article 113 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen disposerait que de tels signalement pourraient être maintenus pendant une période de dix ans, de sorte qu’il serait évident que le signalement des demandeurs continuerait à porter ses effets jusqu’à aujourd’hui.

Force est de constater que l’article 100 précité de la loi du 29 août 2008 fixant les conditions de refus de séjour renvoie, tel qu’analysé ci-avant, à l’article 34 de la même loi qui dispose que le ressortissant d’un pays tiers : « a le droit d’entrer sur le territoire et d’y séjourner […] s’il remplit les conditions suivantes : […] 2. ne pas faire l’objet d’un signalement aux fins de non-admission sur base de l’article 96 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985 et être signalé à cette fin dans le Système d’Information Schengen (SIS) ; […] ». Il s’ensuit que dans la mesure où la validité du signalement des demandeurs dans le Système d’Information Schengen ne saurait être étudiée dans le cadre du présent recours, faute d’être déférée, la décision de refus du ministre sous analyse a été valablement prise sur base du signalement des demandeurs dans le Système d’Information Schengen.

En outre, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation des fait en retenant qu’ils ne rempliraient pas les conditions exigées pour entrer dans le bénéfice d’une des catégories d’autorisation prévues par l’article 38 de la loi du 29 août 2008. En effet, cet article permettrait la délivrance d’un titre de séjour pour raisons privées telles que plus amplement explicitées à l’article 78 (1) a) de la loi du 29 août 2008, disposition qui exclurait l’obligation du ressortissant de pays tiers de justifier de disposer de ressources suffisantes telles que définis par le règlement grand-ducal. Cette obligation serait en effet expressément limitée aux points b), c) et d) de l’article 78 (1) précité. Les demandeurs en déduisent que remplirait les conditions fixées à l’article 78 (1) a) l’étranger qui, bien que ne justifiant pas de ressources suffisantes légalement acquises, rapporte la preuve qu’il a la possibilité d’en disposer. En l’espèce, cette possibilité serait implicitement donnée par le fait qu’ils vivraient au Luxembourg depuis de nombreuses années sans jamais avoir requis l’aide publique et par les contrats de travail versés en cause.

Le délégué du gouvernement fait valoir qu’une autorisation de séjour sur base de l’article 38 de la loi du 29 août 2008 n’aurait rien à voir avec une autorisation de séjour pour raisons privées en vertu de l’article 78 de la même loi et que cet article imposerait en son paragraphe (1) a) à l’étranger de rapporter la preuve qu’il peut vivre de ses seuls ressources.

Force est au tribunal de constater que les demandeurs ont introduit une demande d’autorisation de séjour sur base des articles 89 et 78 de la loi du 29 août 2008.

Aux termes de l’article 89 précité : « (1) Sous réserve que sa présence n’est pas susceptible de constituer un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, et sous condition de n’avoir pas utilisé des informations fausses ou trompeuses relatives à son identité et de faire preuve d’une réelle volonté d’intégration, une autorisation de séjour peut être accordée par le ministre au ressortissant de pays tiers au regard des motifs exceptionnels suivants:

1. il rapporte la preuve par tout moyen qu’il a séjourné de façon continue sur le territoire et qu’il y a habituellement travaillé depuis au moins huit ans, ou 2. il rapporte la preuve qu’il a accompli sa scolarité dans un établissement scolaire au Grand-Duché de Luxembourg depuis au moins six ans, sous la condition d’introduire sa demande dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire.

(2) Les personnes autorisées au séjour en vertu du paragraphe (1) qui précède, se voient délivrer un titre de séjour pour travailleur salarié, s’ils remplissent les conditions de l’article 42, paragraphe (1), points 3 et 4.

(3) Les personnes autorisées au séjour en vertu du point 2 du paragraphe (1) qui précède, se voient délivrer le titre de séjour prévu à l’article 79 s’ils poursuivent des études ou une formation professionnelle. » L’article 42 (1) de cette même loi dispose en ses points 3 et 4:« 1) L’autorisation de séjour est accordée par le ministre au ressortissant de pays tiers pour exercer une activité salariée telle que définie à l’article 3, si les conditions suivantes sont remplies:

3. il dispose des qualifications professionnelles requises pour l’exercice de l’activité visée;

4. il est en possession d’un contrat de travail conclu pour un poste déclaré vacant auprès de l’Administration de l’Emploi dans les formes et conditions prévues par la législation afférente en vigueur. » L’article 78 (1) de la loi du 29 août 2008 dispose : « A condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques et qu’ils disposent de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées:

a) au ressortissant de pays tiers qui rapporte la preuve qu’il peut vivre de ses seules ressources; […] ».

Force est partant de constater que l’article 89 de la loi du 29 août 2008 exige le respect de l’article 42 (1) points 3 et 4, de sorte qu’à défaut pour les demandeurs de remplir les conditions annoncées ci-dessus, c’est à bon droit que le ministre a conclut qu’ils ne sauraient bénéficié d’une autorisation de séjour sur cette base. D’autre part, en vertu de l’article 78 (1) de la loi précitée, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées à l’étranger qui rapporte la preuve qu’il peut vivre de ses seuls ressources. Aux termes du paragraphe (2) de l’article 78 de la loi du 29 août 2008, les personnes visées à ses points b), c) et d) du 1er paragraphe de ce même article doivent également justifier disposer de ressources suffisants telles que définies par règlement grand-ducal. Il s’ensuit que contrairement à l’interprétation proposée par les demandeurs, les articles précités disposent qu’est susceptible de se voir accorder une autorisation de séjour pour raisons privées, l’étranger qui rapporte la preuve qu’il peut vivre de ses seuls ressources. S’il est exact que l’article 7 du règlement grand-ducal du 5 septembre 2008 définissant les critères de ressources et de logement prévus par la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommé « le règlement grand-ducal du 5 septembre 2008 », ne vise que les points b), c) et d) de l’article 78 de la loi du 29 août 2008, on ne saurait en déduire qu’il suffirait à l’étranger entendant solliciter une autorisation de séjour sur base de l’article 78 (1) a) de la loi du 29 août 2008 de rapporter la preuve qu’il a la possibilité de disposer de ressources personnelles suffisantes. En effet, si l’article 78 (2) de la loi du 29 août 2008 dispose que l’étranger doit pouvoir « vivre de ses seules ressources », qui ne sont certes pas définies, il n’en demeure pas moins que cet article ne concerne pas l’étranger salarié, situation explicitement visée par l’article 38 (1) a) de la loi précitée, ni l’étranger exerçant une profession indépendante, situation visée par l’article 38 (1) b) de la loi. En effet, admettre que l’article 78 (1) a), qui exige seulement la preuve que l’étranger puisse vivre de ses seules ressources, soit également, à lui seul, applicable à la situation de l’étranger salarié, reviendrait à vider les articles 38 (1) a) et 42 et suivants de tout sens, puisque dans ce cas là il suffirait qu’un étranger, voulant bénéficier d’une autorisation de séjour pour activité salariée, rapporte la preuve qu’il peut vivre de ses seuls ressources, à l’exclusion des conditions inscrites aux articles 38 (1) a) et 42 et suivants, et en particulier des conditions d’accès au marché d’emploi luxembourgeois. Or, en l’espèce, les demandeurs se prévalent de l’existence de contrats de travail, situation visée uniquement à l’article 38 (19 a) et 42 et suivants de la loi, sans remplir les conditions y posées, de sorte que le refus ministériel ne saurait emporter de critiques pour leur avoir l’autorisation sollicité sur base des dispositions précitées.

Les demandeurs estiment finalement que la décision déférée serait contraire à l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant étant donné qu’… serait scolarisé au Luxembourg et que les deux enfants y seraient enracinés et aux articles 3 et 23 du pacte relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ainsi qu’à son esprit dans la mesure où elle empêcherait … de poursuivre son éducation. Ils en concluent que la décision ministérielle serait disproportionnée dans ses effets en raison du fait qu’ils se trouveraient sur le territoire Luxembourgeois depuis 2002.

Le délégué du gouvernement fait valoir que l’intérêt supérieur de l’enfant serait consacré de matière trop vague par les dispositions de la Convention internationale des droits de l’enfant, de sorte que ne saurait en déduire un droit absolu à naître, vivre et mourir dans le même pays. D’autre part, il pourrait « être dans l’intérêt supérieur de l’enfant à grandir dans de pays différents – cela contribue fortement à l’ouverture de l’esprit ainsi qu’à l’enrichissement de la culture générale d’une personne. » Il en conclut qu’on ne saurait reprocher au ministre d’avoir violé les dispositions précitées. Concernant la prétendue violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, le délégué du gouvernement estime que les dispositions seraient rédigées de manière tellement vague que ne saurait en déduire une violation du fait du refus sous analyse.

Force est de constater à cet égard que les dispositions tirées de la Convention relative aux droits des enfants ne tiennent pas en échec les dispositions légales relatives aux conditions d'entrée et de séjour au Luxembourg, de même qu'aucune d'elles ne confère un droit subjectif à un enfant l'autorisant à séjourner dans un pays de son choix en raison de la considération que son droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, ainsi que son droit à l'éducation, tells que consacrés par les articles 3 et 14 de ladite convention, y seraient mieux garantis que dans son pays d'origine,2 de sorte que le moyen afférent laisse d’être fondé.

La conclusion retenue ci-avant au sujet de la Convention relative aux droits des enfants s’impose également aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et notamment à l’article 23 disposant : « Tout enfant, sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’origine nationale ou sociale, la fortune ou la naissance, a droit, de la part de sa famille, de la société et de l’Etat, aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur. » 2 Cf CA 10 avril 2008, n° 23943C du rôle, Pas. adm. 2009, v° Droits de l’homme, page 211, n° 40 et les references y citées.

Il s’ensuit que la légalité de la décision ministérielle litigieuse n’est pas utilement énervée par les moyens présentés par les demandeurs, de sorte que leur recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 septembre 2010 par :

Marc Sünnen, premier juge, Claude Fellens, premier juge, Thessy Kuborn, juge en présence du greffier assumé Michèle Feit.

s. Michèle Feit s. Marc Sünnen 9


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 26215
Date de la décision : 29/09/2010

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2010-09-29;26215 ?

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