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27/09/2010 | LUXEMBOURG | N°26700

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 septembre 2010, 26700


Tribunal administratif Numéro 26700 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 mars 2010 1re chambre Audience publique du 27 septembre 2010 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19 L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26700 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 mars 2010 par Maître Olivier LANG, avocat à

la Cour, assisté de Maître Nuria ZURITA PERALTA, avocate, tous deux inscrits au tableau ...

Tribunal administratif Numéro 26700 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 mars 2010 1re chambre Audience publique du 27 septembre 2010 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19 L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26700 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 mars 2010 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, assisté de Maître Nuria ZURITA PERALTA, avocate, tous deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…à …(Iran), demeurant actuellement à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 5 février 2010 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2010 ;

Vu la constitution de nouvel avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mars 2010 par Maître Ardavan FATHOLAHZEDEH ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Betty SANDT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 mai 2010 ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH pour compte du demandeur au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2010 ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 juin 2010 ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH pour compte du demandeur au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2010 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries complémentaires à l’audience publique du 28 juin 2010.

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Le 26 janvier 2009, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection Le 3 février 2009, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Monsieur … fut entendu en date des 7 et 21 avril 2009 par un agent du ministère des Affaires étrangères sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Il fit encore l’objet d’une audition complémentaire en date du 9 juin 2009.

Par décision du 5 février 2010, expédiée par lettre recommandée le 10 février 2010, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, entretemps en charge du dossier, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur… que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée. Cette décision est libellée comme suit :

« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 26 janvier 2009.

En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 3 février 2009 et les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration datés des 7 et 21 avril 2009 et du 9 juin 2009.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté votre pays deux semaines avant d'arriver au Luxembourg. Un passeur vous aurait emmené à Macou, une ville à la frontière irano-turque. Vous auriez passé la frontière ensemble à pied. Un autre passeur vous aurait emmené à Istanbul où vous auriez attendu deux semaines caché dans une maison. Grâce à un faux passeport, vous auriez pu prendre un vol Istanbul / Paris. Là, le passeur aurait téléphoné à quelqu'un qui vous aurait emmené en voiture à Luxembourg. Le voyage ayant organisé par votre père, vous ignorez combien il a coûté.

Il résulte de vos déclarations à l'agent ministériel que vous auriez vécu en Iran avec vos parents et une de vos sœurs, l'autre ayant été assassinée par les forces de l'ordre en 1999. Elle aurait fait partie des étudiants défenestrés lors des manifestations estudiantines du 9 juillet 1999.

Vous-même auriez fait partie d'un mouvement étudiant, le DAFTAR TAHKIM VAHDAT DANESHDJOUIAN (Organisation de Coalition des Etudiants) dont le fondateur aurait été un certain…. Vous auriez cherché des informations sur le net pour le groupe. Ce groupe se serait réuni de temps en temps dans des parcs pour échanger ces informations. En 2006, vous auriez participé à une manifestation d'étudiants. Vous vous seriez bagarré avec une personne en civil qui aurait fait partie du service anti-émeute. Vous auriez été appréhendé par les forces de l'ordre et enfermé à la prison d'Evine pendant un an. Vous y auriez été maltraité. Après cette année, vous auriez été condamné à une peine de cinq années de prison ferme. Votre père aurait obtenu un droit de visite moyennant la mise en gage de l'acte de propriété de sa maison. En novembre 2008, vous auriez pu bénéficier d'un jour de sortie de prison, mais vous auriez dû signer un engagement à y revenir le lendemain. Votre père aurait alors organisé votre départ de sorte que vous n'êtes plus retourné en prison. Vous auriez quitté l'Iran en décembre 2008. Après votre départ, votre père aurait été interrogé à votre sujet. Vous ne savez pas grand-chose sur cet interrogatoire car votre mère n'en aurait pas beaucoup parlé pour ne pas vous inquiéter.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.

Je relève d'abord que vous aviez dit pouvoir fournir votre livret de famille mais que ce document n'est jamais parvenu au ministère. Par contre, vous avez remis aux autorités luxembourgeoises un permis de conduire qui, soumis à authentification, s'est avéré être un faux.

En effet, il résulte du rapport de la police du 14 septembre 2009 que les bords de votre permis de conduire, au lieu d'être coupés nettement à la machine, ont été coupés aux ciseaux de façon irrégulière. De plus, il y a des bulles d'air entre le papier et le revêtement plastifié ce qu'on ne trouve pas dans un permis authentique et qui dénote une fabrication artisanale.

De plus, vous invoquez avoir été condamné à une peine de cinq ans de prison ferme mais rien n'étaye cette affirmation. Or, vous auriez dû au moins pouvoir présenter une convocation au Tribunal révolutionnaire car les autorités iraniennes notifient les convocations aux personnes concernées. En effet, un rapport de 2008 de l'APCI (Advisory Panel on Country Information), cité dans le rapport Home Office 2009 précise : « A Copy of the document must be served on the defendant or a family member and signed by both the serving Bailiff and the récipient to show the date of service." Le meme rapport du Home Office relève aussi un peu plus loin : "The Attorney at Law explained that summonses can be issues by the Civil-, Criminal- or Revolutionary Court.

A western embassy confirmed that there are different kinds of summonses and added that summonses are also issued by the Secret Service." En ce qui concerne le groupe auquel vous dites appartenir, le DAFTAR TAHKIM VAHDAT DANESHDJOUIAN, il ne s'agit nullement d'un petit groupe d'amis qui se réunissent pour discuter mais de l'organisation estudiantine la plus connue d'Iran. Cette organisation a été crée en 1979 comme organisation islamiste conservatrice destinée à combattre les groupes d'étudiants démocrates. Ce groupe, auquel appartenait … est responsable de l'attaque de l'ambassade des Etats-Unis en novembre 1979. Même si cette organisation est devenue pro-

KHATAMI en 1997, et est à ce titre considérée actuellement comme un mouvement d'opposition, il semble peu probable que vous en fassiez partie. Tout au plus peut-on vous considérer comme sympathisant de cette organisation. Quoiqu'il en soit, les activités que vous dites avoir eu pour votre petit groupe d'étudiants étaient très limitées puisque vous vous limitiez à échanger des informations trouvées sur le net entre vous lors de réunions informelles et sporadiques dans des parcs publics.

Finalement, tout en condamnant ce qui serait arrivé à votre sœur, je constate que cela ne vous concerne pas directement et ne saurait suffire à vous octroyer la protection internationale.

Ainsi, votre récit présente un manque de crédibilité certain et ne dénote qu'un sentiment d'insécurité qui n'est pas susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, le manque de crédibilité des faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permet pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. Votre récit ne justifie donc pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

La présente décision vaut ordre de quitter le territoire. […] » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 mars 2010, Monsieur… a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 5 février 2010, par laquelle il s’est vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale, et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à son égard ordre de quitter le territoire.

1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi modifiée du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, un recours en réformation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée, lequel recours est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Monsieur … expose les faits et rétroactes de sa demande en obtention d’une protection internationale et reproche au ministre de s’être livré à une appréciation erronée des faits d'espèce, en ce sens que ce serait à tort que le ministre est arrivé à la conclusion que ces mêmes faits ne constitueraient pas dans son chef une crainte justifiée de persécution.

A ce sujet, il rappelle être de nationalité iranienne et avoir dû quitter l'Iran au vu de ses craintes permanentes de persécution qui y auraient rendu sa vie intolérable ; il affirme encore avoir effectivement subi de graves persécutions en Iran, de sorte à éprouver de fortes craintes d'en subir à nouveau en cas de retour dans son pays d'origine.

Plus précisément, il expose qu’en 1999 sa sœur aurait été assassinée par les forces de l’ordre lors de manifestations estudiantines. Il se serait inscrit à l’Université de Téhéran en 2004 pour des études d’ingénierie civile faisant ainsi connaissance de beaucoup d’autres étudiants d’idéologie libérale par laquelle il se serait senti rapidement attiré. Le 7 décembre 2004 il aurait décidé de participer à une manifestation promue par des étudiants lors de laquelle il aurait été interpellé et emprisonné pour deux ans. Pendant son emprisonnement il aurait été isolé, torturé soumis à des traitements inhumains et dégradants et privé des droits les plus élémentaires et des garanties procédurales minimales. Les atrocités subies lui auraient laissé de très graves séquelles de nature psychiatrique et qui s’avèreraient insurmontables à l’heure actuelle. Il relate que son père aurait réussi à lui obtenir un jour de permission en contrepartie d’une mise en gage d’une de ses maisons et qu’il aurait profité de l’occasion pour prendre la fuite.

Concernant son activité politique en Iran, le demandeur fait plaider qu’il aurait intégré un groupe d’amis et d’étudiants composé d’une vingtaine d’étudiants de l’Université de Téhéran et qui aurait été rattaché à la plus grande organisation estudiantine existante en Iran, connue sous la dénomination « Daftar Tahkim Vahdat Daneshdjouian », et considérée comme un mouvement d’opposition. Même s’il admet ne pas avoir été haut placé dans la hiérarchie du groupe, son rôle au sein du groupe aurait consisté à rechercher des informations nécessaires qui auraient alors été diffusées lors des rassemblements sauvages organisés dans des parcs. Il fait finalement plaider que les conservateurs actuellement au pouvoir contrôleraient à la fois le Parlement, les forces de répression et l’appareil judiciaire et essayeraient tout pour barrer la route au modernisme.

En droit le demandeur fait plaider que les notions de « situation générale du pays d’origine » et « situation particulière du demandeur » seraient liées et relèveraient l’une de l’autre, de sorte que la loi du 5 mai 2006 imposerait au ministre de prendre en compte le contexte général et la situation particulière du demandeur qui s’inscrirait dans ce contexte. D’autre part, ce serait à tort que le ministre estime que le demandeur devrait établir concrètement que sa situation individuelle serait telle qu’elle laisse supposer une crainte fondée de persécution, dans la mesure où la loi prévoirait un partage de la charge de la preuve en cette matière en ce sens que ce serait l’instruction que le ministre est chargée de mener qui doit révéler s’il existe une crainte fondée de persécution dans le chef du demandeur. Il estime que l’assassinat de sa sœur serait à qualifier de crainte fondée par association. Il estime que les mauvais traitements subis seraient à qualifier de tortures au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, de sorte qu’il serait en droit d’invoquer l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 et de bénéficier de la présomption que ces persécutions se reproduiront en cas de retour dans son pays d’origine. En effet, comme il se serait évadé de prison il serait certain qu’il serait immédiatement arrêté et à nouveau emprisonné, non seulement pour finir de purger sa peine, mais également pour s’être évadé de prison.

Quant au reproche du ministre que son récit présenterait un manque de crédibilité, le demandeur fait valoir qu’il aurait présenté tous les éléments pertinents de preuve à sa disposition.

L’allégation du ministre que son permis de conduire constituerait un faux est réfutée par le demandeur au motif que s’il serait vrai qu’il aurait découpé au ciseau les bords de son permis de conduire pour le faire entrer aisément dans son portefeuille, les bulles d’air qui intrigueraient le ministre auraient manifestement dû se créer suite à ce découpage. Il critique le ministre d’autre part en ce que ce dernier ne lui aurait pas permis de prendre position par rapport à ces dernières critiques, de sorte à violer ses droits de la défense qui lui seraient garantis en cours de procédure par la procédure administrative non contentieuse au sens de la loi de 1978 et du règlement de 1979. Il estime que le ministre devrait suivre la procédure d’inscription en faux conformément aux dispositions de l’article 311 du nouveau code de procédure civile à défaut de quoi il appartiendrait au tribunal d’en tirer les conséquences.

Concernant la prétendue absence de preuves et le manque de crédibilité de son récit en rapport avec son emprisonnement, le demandeur estime ne pas pouvoir fournir des preuves documentant son emprisonnement et d’éventuelles convocations et que les documents cités par le ministre à cet égard n’en stipuleraient pas le contraire.

Finalement, le demandeur fait plaider qu’il aurait expliqué avec suffisamment de précision tant son rôle au sein de l’organisation estudiantine que la structure de cette dernière et que des évènements qui se seraient déroulés avant sa naissance, ne lui seraient pas opposables.

Quant à la protection subsidiaire, il réaffirme que l’environnement serait devenu invivable en Iran, de sorte qu’il y serait exposé, en cas de retour, à des atteintes graves.

Le délégué du gouvernement souligne principalement le fait que le ministre a émis des doutes sur la véracité du récit du demandeur et fait valoir que le demandeur se serait engagé à verser le livret de famille, ce qu’il n’aurait jamais fait. Les copies versées ne prouveraient pas son identité et le seul document qui pourrait en effet confirmer l’identité du demandeur serait son permis de conduire qui aurait été expertisé comme falsifié par le Service de Police du Findel, les allégations selon lesquelles le demandeur aurait lui-même coupé les coins du permis de conduire étaient oiseuses. Il fait valoir en outre que la procédure d’inscription en faux serait lourde et risquerait d’allonger inutilement la procédure d’asile. Finalement, le dépôt d’une plainte pour faux et usage de faux n’apporterait rien de plus au dossier de protection internationale.

Quant au récit proprement dit du demandeur, le délégué du gouvernement fait valoir qu’il ne saurait emporter la conviction du tribunal dans la mesure où le demandeur aurait fait partie d’un petit groupe d’amis qui se réunissait pour discuter de politique et s’échanger de la documentation trouvée sur internet. L’affiliation de ce groupe à l’organisation estudiantine précitée serait peu vraisemblable. Finalement, l’arrestation du demandeur ne serait pas documentée, alors qu’il résulterait du rapport de l’ « Advisory Panel on Country Information » du 23 septembre 2008 que les « legal notice » et les « summons » seraient remises aux concernés sinon à leur famille. Ces faits seraient d’ailleurs confirmés par les rapports du « Home office » d’août 2009 et de janvier 2010.

Le tribunal a ré-ouvert les débats quant à la question soulevée par le demandeur, à savoir la nécessité de procéder à une inscription de faux, et afin de permettre à la partie étatique de l’informer quant au dépôt éventuel d’une plainte pénale.

Il résulte à cet égard des explications étatiques que la partie étatique n’a ni engagé la procédure en inscription de faux, ni déposé de plainte, la partie étatique estimant que la procédure en inscription de faux, serait, outre d’être lourde et longue, et partant susceptible d’allonger inutilement la procédure contentieuse, inutile, au vu, d’une part, du risque d'aboutir finalement à un classement sans suite par le Parquet et, d’autre part, des conclusions incontournables de l’expertise du Service de police du Findel, la partie étatique soulignant que le but de la procédure ne serait pas, in fine, d'intenter un procès pénal au demandeur ni de le faire condamner.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi modifiée du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Il se dégage à ce propos du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit du demandeur ne serait pas crédible en son ensemble sur base de quatre éléments distincts ; il s’appuie d’abord sur le fait que le livret de famille n’a pas été versé en original, ainsi que, en deuxième lieu, sur une expertise effectuée par la police grand-ducale pour soutenir que le permis de conduire présenté par le demandeur comme étant le sien à l’appui de la demande de protection internationale est un faux, sur l’absence de documents prouvant son arrestation et son emprisonnement, et, finalement, en quatrième lieu, sur les descriptions du groupe d’étudiant auquel le demandeur allègue avoir fait partie.

Force est cependant de constater que confronté à la qualification de faux documents retenue par le ministre dans la décision déférée du 5 février 2010, le demandeur, outre de verser une déclaration sur l’honneur, a émis des contestations formelles dans le cadre de sa requête introductive d’instance. Le demandeur a proposé dans ce contexte que dans l’hypothèse où le ministre persistait dans ses allégations de faux, des poursuites pénales soient engagées ou que le ministre suive la procédure d’inscription en faux.

Le faux en écriture ne se présumant pas et l’article 19 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives prévoyant expressément la possibilité d’une demande en inscription de faux contre une pièce produite, il y a lieu de constater en l’espèce que confronté aux contestations du demandeur, le délégué du gouvernement s’est limité à affirmer que l’expertise de la police grand-ducale serait suffisante pour démontrer de manière convaincante que le permis de conduire incriminé serait un faux, mais n’a pas pour autant formulé une demande en inscription de faux qui aurait permis au tribunal d’engager la procédure spécifique afférente prévue à l’article 19 prévisé aboutissant le cas échéant à un jugement sur le faux par le tribunal compétent en la matière. Bien au contraire, force est de constater que la partie étatique s’est refusée à engager des poursuites pénales ou la procédure d’inscription de faux, en affirmant que le Gouvernement émettrait des réserves quant à l'utilité de suivre une procédure en inscription de faux.

Il s’ensuit qu’en l’état actuel du dossier, il n’appartient pas au tribunal de retenir la qualification de faux document par rapport à la pièce litigieuse et il doit considérer le document en question comme non énervé en sa force probatoire, à défaut par la partie étatique d’avoir engagé la procédure spécifique afférente prévue à l’article 19 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, prévoyant expressément la possibilité d’une demande en inscription de faux contre une pièce produite.1 Dans ces circonstances, le premier et principal élément retenu par le ministre pour mettre en doute la crédibilité du récit du demandeur - le caractère falsifié du permis de conduire - est à écarter pour ne pas être vérifié à suffisance en fait et en droit.

Si, comme relevé ci-avant, la partie étatique émet des doutes quant à l’utilité de ladite procédure, il convient de souligner cependant qu’il s’agit d’une procédure d’ordre public que celui qui prétend qu’une pièce produite est fausse doit suivre2 ; il convient par ailleurs de relever que le juge administratif n’est en tout état de cause pas habilité pour statuer, fût-ce par voie incidente, sur des questions échappant à sa compétence d’attribution et de trancher la question du caractère falsifié de la pièce incriminée, de sorte qu’il aurait en tout état de cause été obligé de surseoir à statuer et de renvoyer les parties devant le tribunal compétent3, à savoir les juridictions judiciaires seules compétentes de statuer sur l’existence de faux, soit par une action répressive, soit par la procédure de faux civil4.

1 Voir notamment trib. adm. 11 mars 2009, n° 25031, trib. adm. 20 avril 2009, n° 24838, trib. adm.10 juin 2009, n° 25047.

2 Diekirch, 5 décembre 1934, Pas. 13, p.340.

3 Voir F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 259.

4 M. Leroy, Contentieux administratif, 3e éd., p.602.

Si le tribunal peut certes suivre la partie étatique en ses préoccupations quant aux délais inhérents à la poursuite d’une telle procédure, notamment au vu des exigences de célérité imprimées à la procédure de protection internationale, il y a lieu de souligner qu’il n'appartient en tout état de cause au juge ni de suspendre l'exécution de la loi, ni de se substituer au législateur, fût-ce pour remédier à des conséquences indésirables que l'application de la loi peut entraîner5.

Or, les délais inhérents à la poursuite de la procédure d’inscription de faux ne sauraient être considérés comme déraisonnables compte tenu du caractère gravissime d’une accusation de faux en écriture : il convient dès lors, lorsqu’une partie argue une pièce de faux, de permettre à la partie qui l’a produite de la retirer, sinon de déclarer, après mure réflexion, qu’elle entend néanmoins s’en servir, ce choix n’étant pas anodin compte tenu des sanctions pénales attachées au faux et à l’usage de faux.

La même conclusion s’impose encore en ce qui concerne les allégations d’irrégularité de la partie étatique relatives au livret de famille produit en cause par le demandeur, et ce d’autant plus que ces allégations, d’une part, ne reposent non seulement sur aucune expertise, mais sur des allégations non circonstanciées, à savoir qu’il s’y trouverait plus de mentions que dans un livret de famille classique, reposent sur l’opinion privée d’une traductrice qui n’a aucune valeur probante.

En ce qui concerne la question de savoir si en toutes circonstances des documents relatifs à l’arrestation et l’emprisonnement d’une personne sont émises par les autorités iraniennes, force est au tribunal de constater que les différents rapports cités par les parties ne permettent pas de trancher en définitive la question, de sorte qu’il y lieu de conclure que le doute doit profiter au demandeur et que ce seul élément n’est pas de nature à ébranler la crédibilité de l’ensemble de son récit.

En ce qui concerne finalement l’affirmation non autrement circonstanciée selon laquelle le demandeur serait à qualifier tout au plus comme sympathisant de l’organisation estudiantine précitée, force est de constater que cette circonstance n’est pas suffisante pour mettre en doute sa participation à des manifestations contres les éléments politiques actuellement au pouvoir et son arrestation et emprisonnement subséquents.

Dans ces circonstances, les éléments retenus par le ministre pour mettre en doute la crédibilité du récit de Monsieur… sont à écarter pour ne pas être vérifiés à suffisance en fait et en droit.

Le tribunal constate par ailleurs que le ministre a mis en doute le récit du demandeur, sans pour autant se prononcer, sur la raison qui d’après le demandeur l’a effectivement amené à quitter son pays d’origine, à savoir la crainte de persécution et de mauvais traitements. Ainsi, la décision intervenue est exclusivement basée sur un manque de crédibilité du récit du demandeur et manque de faire une analyse de la situation concrète du demandeur.

5 Voir en ce sens Cour adm.13 juillet 2006, n° 21143C, Pas. adm. 2009, V° Lois et règlements, n° 69.

Or, à défaut d’éléments suffisants permettant de douter de la crédibilité du récit du demandeur il y a lieu de conclure, d’un côté, que tant des membres de sa famille, notamment sa sœur, que le demandeur ont été victimes de persécutions de la part des autorités iraniennes en raison de leurs opinions politiques, et, de l’autre côté, qu’aucun élément du dossier ne permet au tribunal de conclure qu’il existe de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront plus, de sorte qu’il existe en l’espèce un indice sérieux de la crainte fondée du demandeur d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent et en l’état du dossier et des moyens échangés de part et d’autre que le demandeur prétend à juste titre à la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef et que la décision déférée encourt la réformation en ce sens, sans qu’il n’y ait lieu d’analyser plus en avant les autres moyens du demandeur.

L’analyse de la demande subsidiaire en obtention de la protection subsidiaire et du refus afférent du ministre devient, au vu de la conclusion ci-avant, surabondante.

2.

Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi modifiée du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 12 février 2009 a pu valablement être dirigé contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en annulation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre prise dans le cadre de la procédure accélérée vaut ordre de quitter le territoire.

Dans la mesure où le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs sont fondés à se prévaloir de la protection internationale et que la décision de refus de la protection internationale est à réformer dans cette mesure, il y a lieu d’annuler l’ordre de quitter le territoire tel que contenu dans la décision ministérielle déférée.

Par ces motifs;

le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 5 février 2010 portant refus d’un statut de réfugié et d’une protection subsidiaire, au fond, le déclare justifié, partant, par réformation, accorde à Monsieur … le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, reçoit encore en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire, au fond, le déclare justifié, partant, annule l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle déférée, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 septembre 2010 par :

Marc Sünnen, premier juge, Claude Fellens, premier juge, Thessy Kuborn, juge, en présence du greffier Arny Schmit.

s. Arny Schmit s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 septembre 2010 Le Greffier du Tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 26700
Date de la décision : 27/09/2010

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2010-09-27;26700 ?

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