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17/09/2010 | LUXEMBOURG | N°27285

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 septembre 2010, 27285


Tribunal administratif Numéro 27285 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 septembre 2010 Audience publique extraordinaire du 17 septembre 2010 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27285 du rôle et déposée le 8 septembre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître N

icky Stoffel, avocate à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembour...

Tribunal administratif Numéro 27285 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 septembre 2010 Audience publique extraordinaire du 17 septembre 2010 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27285 du rôle et déposée le 8 septembre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky Stoffel, avocate à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Sierra Leone), et être de nationalité sierra-léonaise, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du 7 septembre 2010 du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 septembre 2010 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Christian Barandao-Bakele, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 septembre 2010.

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En date du 16 décembre 2003, Monsieur … déposa une demande de reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971. Cette demande fut rejetée par une décision du 24 mars 2005 du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration. Cette décision fut confirmée sur recours gracieux en date du 2 mai 2005 ainsi que par un jugement du tribunal administratif du 27 octobre 2005 (n° 19914 du rôle).

Par un arrêté du 11 septembre 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration refusa l’entrée et le séjour sur le territoire à Monsieur ….

Par décision du 27 janvier 2009, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration rejeta une demande en obtention d’un statut de tolérance introduite le 22 décembre 2008 par le mandataire de Monsieur … et confirma cette décision sur recours gracieux en date du 12 février 2009. La décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 27 janvier 2009 fut confirmée par un jugement du tribunal administratif du 22 juillet 2009 (n° du rôle 25405).

Par décision du 30 janvier 2009, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit un itératif arrêté de refus de séjour lequel fut confirmé par le tribunal administratif dans un jugement du 1er juillet 2009 (n° de rôle 25404).

Par arrêté 7 septembre 2010, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-

après dénommé « le ministre », nouvellement compétent en la matière, ordonna la rétention administrative de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Cet arrêté a été notifié à l’intéressé en date du 7 septembre 2010 et est fondé sur les considérations et motifs suivants :

« Vu les articles 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu la décision de refus de séjour du 30 janvier 2009;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;

Considérant qu’en attendant le résultat des recherches quant à l’identité et à la situation de l’intéressé, l’éloignement immédiat de l’intéressé est impossible en raison de circonstances de fait ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 septembre 2010, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la prédite décision de rétention datée du 7 septembre 2010.

Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement en rétention, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir documenté les démarches accomplies en vue de procéder à son éloignement sinon de ne pas justifier des démarches qui auraient été entreprises dans les meilleurs délais et afin d’écourter au maximum sa privation de liberté. Il critique le ministre en ce qu’il se serait borné à énoncer dans sa décision être en attente du résultat des recherches quant à son identité sans faire état ni sans documenter les démarches qu’il estimerait requises et qu’il serait en train d’exécuter. Il en conclut que l’absence de diligences du ministre équivaudrait à un défaut de motivation entraînant l’annulation de la décision attaquée au motif de l’absence de la condition de « nécessité » qui permettrait la mesure de placement.

Le demandeur reproche encore au ministre l’insuffisance des démarches accomplies en vue de procéder à son éloignement depuis sa mise en rétention. Selon lui, le simple fait d’attendre le résultat des recherches quant à son identité serait insuffisant afin d’établir de véritables démarches concrètes, utiles et efficientes.

Il en conclut que les autorités ministérielles resteraient en défaut de démontrer qu’elles seraient effectivement en mesure de procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement puisqu’elles n’auraient pas réussi à obtenir un laissez-passer de la part des autorités diplomatiques compétentes.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne le moyen fondé sur l’absence de diligences suffisantes, l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 dispose que :

« (1) Lorsque l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 ou d’une demande de transit par voie aérienne en vertu de l’article 127 est impossible en raison des circonstances de fait, ou lorsque le maintien en zone d’attente dépasse la durée de quarante-huit heures prévue à l’article 119, l’étranger peut, sur décision du ministre être placé en rétention dans une structure fermée. (…) La durée maximale est fixée à un mois. (…) » Cette disposition permet au ministre, dans l’hypothèse où l’exécution d’une mesure d’éloignement est impossible en raison de circonstances de fait, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, étant précisé que le paragraphe 3 du même article permet au ministre de reconduire, en cas de nécessité, la décision de placement à trois reprises, chaque fois pour une durée maximale d’un mois.

Une impossibilité de procéder à l’éloignement immédiat d’un étranger est vérifiée notamment lorsque ce dernier ne dispose pas des documents d’identité et de voyage requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé et desdits documents. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention.

Il convient toutefois de rappeler qu’une mesure de rétention s’analyse en une mesure administrative privative de la liberté de mouvement de la personne concernée et qu’elle doit être limitée à la durée strictement nécessaire afin de permettre l’exécution d’une mesure d’éloignement. A cette fin, le ministre est dans l’obligation de faire entreprendre avec la diligence requise toutes les démarches nécessaires afin d’organiser cette mesure d’éloignement.

Cependant, en présence d’une personne démunie de documents de voyage et même de documents d’identité, le ministre doit d’abord faire procéder à une vérification de l’identité et de l’origine de la personne concernée et ensuite s’adresser aux autorités du pays d’origine afin d’établir l’identité de la personne concernée et d’obtenir la délivrance des documents de voyage.

Il convient encore de préciser qu’en l’espèce, le tribunal n’est pas saisi d’une mesure de prorogation d’une décision de placement, mais d’une première mesure de placement, telle que visée à l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008. S’il est vrai qu’une décision de placement peut être reconduite en cas de nécessité, conformément aux termes de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, l’argument consistant à soutenir qu’une telle nécessité ferait défaut en l’espèce tombe à faux en présence d’une décision de placement initiale pour laquelle l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 n’impose pas une telle condition de nécessité.

Il n’est pas contesté en cause que le demandeur se trouve en situation irrégulière au Luxembourg et qu’il est démuni de documents de voyage et d’identité valables pour permettre son éloignement immédiat vers son pays d’origine. De ce seul fait, l’exécution immédiate d’une mesure d’éloignement est à considérer comme étant impossible, de sorte que les autorités compétentes ont valablement pu ordonner son placement en rétention afin d’entreprendre différentes démarches et notamment afin de procéder à l’identification et l’établissement du pays d’origine du demandeur et ensuite s’adresser aux autorités du pays d’origine afin d’établir l’identité et se faire délivrer des documents de voyage.

En l’espèce, force est de constater qu’il ressort des pièces du dossier que les autorités ministérielles ont sollicité dès le 10 février 2009 un entretien entre le demandeur et un représentant de l’Ambassade du Sierra Leone en vue du rapatriement du demandeur. Les démarches entreprises ont échoué suite à la déclaration de Monsieur … selon laquelle il serait ressortissant de Tanzanie et non du Sierra Leone. Il ressort également des pièces du dossier que devant le refus persistant du demandeur de coopérer en vue d’établir son identité puisqu’il s’est soustrait de manière itérative au test linguistique, les autorités ministérielles se sont vu contraintes d’entreprendre des démarches auprès d’autres autorités diplomatiques. Ainsi, en date du 9 septembre 2010, soit deux jours après la mise en exécution de la mesure de placement le 7 septembre 2010, une demande d’identification a été introduite auprès des autorités diplomatiques nigérianes avec transmission des données personnelles et d’une photo d’identité du demandeur.

Au vu des diligences ainsi concrètement entreprises par les autorités luxembourgeoises, le reproche d’un défaut de diligences formulé par le demandeur à l’appui de son recours laisse d’être fondé.

Le demandeur soutient ensuite que son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière constituerait un traitement dégradant, constitutif d’une atteinte intolérable à sa liberté, et partant contraire aux articles 3 et 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, ci-après dénommée « CEDH », au motif que le régime auquel il est soumis serait identique voire largement similaire à celui des détenus de droit commun, à l’exception du droit illimité à la correspondance et de la dispense de l’obligation de travail, tout en précisant qu’il serait autorisé à téléphoner seulement une seule fois par mois. Il serait ainsi privé de sa liberté de circulation, alors qu’il n’aurait commis aucune infraction pénale, hormis le fait de se trouver en séjour illégal sur le territoire. Il ajoute dans ce contexte que le règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires s’appliquerait au Centre de séjour provisoire par application de l’article 5 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière.

Force est de constater à cet égard qu’il n’est pas contesté en cause que le demandeur est placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière qui est situé au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig.

Les modalités de la rétention dans ledit centre résultent en leurs grandes lignes du régime spécifique tel qu’instauré par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, règlement qui renvoie en son article 5 directement pour toutes les questions qu’il ne règle pas lui-même au règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires. L’assimilation dans ses grandes lignes, excepté les dispositions spécifiques figurant à l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 20 septembre 2002, du régime de rétention à celui des détenus de droit commun, si elle peut prêter à discussion, ne permet cependant pas de conclure de ce seul chef à une violation de l’article 3 de la CEDH.

En effet, le placement en rétention administrative au Centre de séjour ne saurait, en tant que tel, être considéré comme dégradant, inhumain ou humiliant si les conditions légales prévues pour ordonner un tel placement sont par ailleurs remplies. Il s’ensuit que l’argumentation du demandeur consistant à affirmer que la rétention constituerait dans son chef un traitement dégradant au motif qu’il n’aurait commis aucune infraction, hormis celle de se trouver en séjour illégal sur le territoire, ne saurait être accueillie.

Dans la mesure où le demandeur se limite en l’espèce à affirmer de manière générale que la rétention serait vécue par lui comme un traitement dégradant, sans préciser en quoi les modalités de la rétention constituent pour lui un traitement dégradant, le moyen du demandeur est à rejeter pour ne pas être fondé. Il convient encore de relever que la seule affirmation selon laquelle le demandeur serait privé de sa liberté de circulation est insuffisante à cet égard.

Quant au moyen tiré d’une atteinte à la liberté, telle que protégée par l’article 5 de la CEDH, cette disposition prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Il convient encore de préciser que le terme d’expulsion utilisé à l’article 5 est à entendre dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement d’une personne se trouvant en séjour irrégulier dans un pays. Le fait même d’être retenu ne saurait dès lors être remis en cause par le demandeur au regard des dispositions de la CEDH. Par ailleurs, le seul fait par le demandeur d’alléguer qu’il est retenu dans les mêmes conditions qu’un délinquant de droit commun ne saurait suffire à lui seul, à défaut d’autres éléments, afin d’établir que sa rétention serait effectuée en violation des dispositions de la CEDH invoquées. Le moyen afférent est partant à rejeter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, vice-président, Anne Gosset, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 17 septembre 2010 par le premier vice-président, en présence du greffier Patricia Rego.

s.Rego s.Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 septembre 2010 Le Greffier du Tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 27285
Date de la décision : 17/09/2010

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2010-09-17;27285 ?

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