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15/09/2010 | LUXEMBOURG | N°27283

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 septembre 2010, 27283


Tribunal administratif Numéro 27283 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 septembre 2010 Audience publique du 15 septembre 2010 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27283 du rôle et déposée le 7 septembre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholah

zadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom...

Tribunal administratif Numéro 27283 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 septembre 2010 Audience publique du 15 septembre 2010 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27283 du rôle et déposée le 7 septembre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo), de nationalité kosovare, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du 19 août 2010 du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2010 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 septembre 2010.

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Il ressort des pièces versées qu’en date du 14 novembre 2005, Monsieur … déposa une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971. Cette demande fut rejetée par une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 7 janvier 2006, confirmée sur recours gracieux par une décision du 5 avril 2006. Cette décision fut définitivement confirmée par un arrêt de la Cour administrative du 1er mars 2007 (n° 22254C du rôle).

Le 18 juillet 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration retira l’attestation de tolérance préalablement accordée à Monsieur …. Cette décision fut confirmée par jugement du tribunal administratif du 22 avril 2009 (n° 24761 du rôle).

Par arrêté du 19 août 2010 du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-

après dénommé « le ministre », Monsieur … se vit refuser le séjour au Grand-Duché de Luxembourg, en application des articles 100, 103 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 ».

Par arrêté du même jour, le ministre ordonna la rétention administrative de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Cet arrêté a été notifié à l’intéressé en date du 31 août 2010 et est fondé sur les considérations et motifs suivants :

« Vu les articles 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu la décision de refus de séjour du 19 août 2010 ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;

Considérant qu’un accord de réadmission a été donné par les autorités onusiennes en date du 14 juillet 2008 ;

Considérant qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé est impossible en raison de circonstances de fait ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 septembre 2010, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la prédite décision de rétention datée du 19 août 2010.

Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement en rétention, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Le recours subsidiaire en annulation doit dès lors être déclaré irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre d’avoir prononcé une mesure de placement à son égard qui selon lui devrait rester une mesure d’exception alors que le ministre aurait pu procéder à son refoulement, en application de la loi du 10 janvier 2003 portant approbation - de l'Accord entre le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg, le Gouvernement du Royaume de Belgique et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas et le Gouvernement fédéral de la République Fédérale de Yougoslavie relatif à la reprise et la réadmission de personnes qui ne remplissent pas ou ne remplissent plus les conditions d'entrée ou de séjour sur le territoire de l'autre Etat contractant; - du Protocole sur l'application de l'Accord entre le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg, le Gouvernement du Royaume de Belgique et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas et le Gouvernement fédéral de la République Fédérale de Yougoslavie relatif à la reprise et la réadmission de personnes qui ne remplissent pas ou ne remplissent plus les conditions d'entrée ou de séjour sur le territoire de l'autre Etat contractant, signés à Belgrade, le 19 juillet 2002, ci-après dénommée la « loi du 10 janvier 2003 ».

Le demandeur reproche encore au ministre d’être resté en défaut de démontrer qu’il a entrepris les démarches utiles et nécessaires pour son éloignement et qu’il est en train d’exécuter la mesure de placement en vue de son éloignement très rapide.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne le moyen fondé sur la loi du 10 janvier 2003 quant à la possibilité de refoulement du demandeur sans mesure de placement, il échet de constater que la seule existence d’un accord de réadmission – fût-il actuellement applicable au regard de l’inexistence de l’un des Etats signataires, la République fédérale de Yougoslavie n’existant plus depuis le 4 février 2003 - n’est pas de nature à permettre automatiquement et immédiatement le transfert d’un étranger vers son pays d’origine, un accord de réadmission ne constituant que le cadre juridique à une procédure permettant, sous réserve du respect de certaines conditions et de l’accomplissement de certaines formalités, le transfert d’un étranger vers son pays d’origine. Il convient de prime abord d’établir l’identité et de la nationalité de la personne à reprendre, et ensuite introduire une demande de reprise formelle auprès des autorités diplomatiques compétentes, laquelle doit faire l’objet dans un certain délai d’une réponse positive. Ce n’est qu’une fois une telle réponse positive émise par les autorités diplomatiques compétentes que la partie requérante est habilitée à demander la délivrance d’un laissez-passer, délivrance également soumise à un certain délai, la reprise devant finalement être effectuée dans les trente jours de la délivrance du laissez-passer » (cf. T.A. du 11 juillet 2007 numéro 23.152 du rôle).

Force est de constater qu’en l’espèce, les autorités ministérielles ont obtenu l’accord des autorités de l’UNMIK qui est la première étape nécessaire en vue du rapatriement du demandeur puisque la seule existence d’un accord de réadmission n’est pas de nature à induire une possibilité effective et immédiate de transfert, de sorte que le moyen soulevé quant à la possibilité de refoulement du demandeur sans mesure de placement laisse d’être fondé.

En ce qui concerne le moyen fondé sur l’absence de diligences suffisantes, l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 dispose que :

« (1) Lorsque l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 ou d’une demande de transit par voie aérienne en vertu de l’article 127 est impossible en raison des circonstances de fait, ou lorsque le maintien en zone d’attente dépasse la durée de quarante-huit heures prévue à l’article 119, l’étranger peut, sur décision du ministre être placé en rétention dans une structure fermée. (…) La durée maximale est fixée à un mois. (…) » Cette disposition permet au ministre, dans l’hypothèse où l’exécution d’une mesure d’éloignement est impossible en raison de circonstances de fait, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, étant précisé que le paragraphe 3 du même article permet au ministre de reconduire, en cas de nécessité, la décision de placement à trois reprises, chaque fois pour une durée maximale d’un mois.

Une impossibilité de procéder à l’éloignement immédiat d’un étranger est vérifiée notamment lorsque ce dernier ne dispose pas des documents d’identité et de voyage requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé et desdits documents. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention.

Il convient toutefois de rappeler qu’une mesure de rétention s’analyse en une mesure administrative privative de la liberté de mouvement de la personne concernée et qu’elle doit être limitée à la durée strictement nécessaire afin de permettre l’exécution d’une mesure d’éloignement. A cette fin, le ministre est dans l’obligation de faire entreprendre avec la diligence requise toutes les démarches nécessaires afin d’organiser cette mesure d’éloignement.

Cependant, en présence d’une personne démunie de documents de voyage, le ministre doit d’abord faire procéder à une vérification de l’identité et de l’origine de la personne concernée et ensuite s’adresser aux autorités du pays d’origine afin d’établir l’identité de la personne concernée et d’obtenir la délivrance des documents de voyage.

Il n’est pas contesté en cause que le demandeur se trouve en situation irrégulière au Luxembourg et qu’il est démuni de documents de voyage valables pour permettre son éloignement immédiat vers son pays d’origine. De ce seul fait, l’exécution immédiate d’une mesure d’éloignement est à considérer comme étant impossible, de sorte que les autorités compétentes ont valablement pu ordonner son placement en rétention et entreprendre différentes démarches dans le cadre de l’organisation matérielle de son rapatriement, au vu de l’accord de reprise d’ores et déjà émis par les autorités du pays d’origine du demandeur.

En l’espèce, force est de constater que s’il ne ressort, certes, pas des pièces du dossier la date précise à laquelle les autorités ministérielles ont saisi les autorités du pays d’origine du demandeur de la demande de rapatriement, il n’en reste pas moins que la décision critiquée fait état d’un accord de réadmission donné par les autorités du pays d’origine du demandeur en date du 14 juillet 2008. Ainsi, sur base de cet accord de réadmission, le rapatriement du demandeur interviendra dans un délai de dix-sept jours après le placement en rétention du demandeur intervenu le 31 août 2010 soit à la date du 17 septembre 2010 bien qu’initialement prévu le 16 septembre 2010 tel que cela ressort des pièces du dossier mais reporté à la date du 17 septembre 2010 selon les explications non contestées fournies lors des plaidoiries par le délégué du gouvernement.

Au vu des diligences entreprises par les autorités ministérielles, le moyen du défaut de diligences formulé par le demandeur à l’appui de son recours laisse d’être fondé.

Le demandeur soutient ensuite que son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière constituerait un traitement dégradant, constitutif d’une atteinte à sa liberté, et partant contraire aux articles 3 et 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, ci-après dénommée « la CEDH », au motif qu’il serait retenu et incarcéré au Centre Pénitentiaire alors qu’il n’aurait commis aucune infraction à la loi pénale.

Il relève ensuite qu’il ne peut être répondu que par la négative à la question de savoir si dans l’esprit du législateur le Centre pénitentiaire de Schrassig est à retenir comme étant une structure fermée telle que prévue à l’article 120 de la loi du 29 août 2008 car si cela avait été le cas, une telle disposition aurait été expressément prévue dans le texte de loi. Il ajoute que les autorités administratives seraient invitées à pourvoir à la création d’un établissement spécialisé à ce genre de situations qui, de par leurs particularités, se distingueraient fondamentalement du cas d’un criminel et en conclut qu’il ne serait pas acceptable de faire supporter au demandeur les conséquences de la carence de l’infrastructure adéquate appropriée à sa situation en lui infligeant un traitement dégradant.

Force est de constater à cet égard qu’il n’est pas contesté en cause que le demandeur est placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière qui est situé au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig.

Les modalités de la rétention dans ledit centre résultent en leurs grandes lignes du régime spécifique tel qu’instauré par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, règlement qui renvoie en son article 5 directement pour toutes les questions qu’il ne règle pas lui-même au règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires. L’assimilation dans ses grandes lignes, excepté les dispositions spécifiques figurant à l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 20 septembre 2002, du régime de rétention à celui des détenus de droit commun, si elle peut prêter à discussion, ne permet cependant pas de conclure de ce seul chef à une violation de l’article 3 de la CEDH.

En effet, le placement en rétention administrative au Centre de séjour ne saurait, en tant que tel, être considéré comme dégradant, inhumain ou humiliant si les conditions légales prévues pour ordonner un tel placement sont par ailleurs remplies. Il s’ensuit que l’argumentation du demandeur consistant à affirmer que la rétention constituerait dans son chef un traitement dégradant au motif qu’il n’aurait commis aucune infraction, hormis celle de se trouver en séjour illégal sur le territoire, ne saurait être accueillie.

Dans la mesure où le demandeur se limite en l’espèce à affirmer de manière générale que la rétention serait vécue par lui comme un traitement dégradant, sans préciser en quoi les modalités de la rétention constituent pour lui un traitement dégradant, le moyen du demandeur est à rejeter pour ne pas être fondé. Il convient encore de relever que la seule affirmation selon laquelle le demandeur serait privé de sa liberté de circulation est insuffisante à cet égard.

Quant au moyen tiré d’une atteinte à la liberté, telle que protégée par l’article 5 de la CEDH, cette disposition prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Il convient encore de préciser que le terme d’expulsion utilisé à l’article 5 est à entendre dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement d’une personne se trouvant en séjour irrégulier dans un pays. Le fait même d’être retenu ne saurait dès lors être remis en cause par le demandeur au regard des dispositions de la CEDH. Par ailleurs, le seul fait par le demandeur d’alléguer qu’il est retenu dans les mêmes conditions qu’un délinquant de droit commun ne saurait suffire à lui seul, à défaut d’autres éléments, afin d’établir que sa rétention serait effectuée en violation des dispositions de la CEDH invoquées. Le moyen afférent est partant à rejeter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, vice-président, Anne Gosset, juge, et lu à l’audience publique du 15 septembre 2010 à 17.00 heures par le premier vice-président, en présence du greffier Patricia Rego.

s.Rego s.Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 septembre 2010 Le Greffier du Tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 27283
Date de la décision : 15/09/2010

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2010-09-15;27283 ?

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