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15/09/2010 | LUXEMBOURG | N°26607

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 septembre 2010, 26607


Tribunal administratif Numéro 26607 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 février 2010 3e chambre Audience publique du 15 septembre 2010 Recours formé par Madame …, contre une décision du ministre de la Justice en matière d’inscription sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26607 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 février 2010 par Maître Jean-Paul Rippinge

r, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M...

Tribunal administratif Numéro 26607 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 février 2010 3e chambre Audience publique du 15 septembre 2010 Recours formé par Madame …, contre une décision du ministre de la Justice en matière d’inscription sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 26607 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 février 2010 par Maître Jean-Paul Rippinger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 27 janvier 2010 portant rejet de sa demande d’admission sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2010 par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Véronique Achenne en remplacement de Maître Jean-Paul Rippinger et Monsieur le délégué du gouvernement Guy Schleder en leurs plaidoiries respectives.

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Par courrier du 26 novembre 2009, Madame … s’adressa au ministre de la Justice, désigné ci-après par « le ministre », afin d’être admise sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés, en précisant qu’elle serait titulaire d’un diplôme de professeur de langue française délivré par l’université de Sarajevo et reconnu au Luxembourg et que sa langue maternelle serait le serbo-croate.

Par courrier du 4 décembre 2009, le ministre accusa réception de la demande d’inscription sur la liste des experts assermentés, en tant que traducteur-interprète, en application de la loi du 7 juillet 1971 portant en matière répressive et administrative, institution d’experts, de traducteurs et d’interprètes assermentés et complétant les dispositions légales relatives à l’assermentation des experts, traducteurs et interprètes, désignée ci-après par « la loi du 7 juillet 1971 », et informa Madame … que le dossier serait transmis aux services du procureur général de l’Etat.

Par décision du 27 janvier 2010, le ministre refusa de faire droit à la demande de Madame …, aux motifs suivants :

« Je me réfère à votre demande en vue de votre d’amission sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés.

Après examen de votre dossier, il apparaît que vous ne disposez pas de diplôme spécialisé d’interprète ou de traducteur dans la langue serbo-croate pour laquelle vous avez introduit votre demande, alors que le ministère exige un diplôme pour les demandes d’admission sur la liste des traducteurs et interprètes assermentés.

Vous ne disposez pas non plus d’un diplôme d’études post-secondaires qui a pu vous préparer à l’exercice de la profession de traducteur et d’interprète qui serait complété d’une expérience professionnelle largement reconnue dans le domaine de la traduction et de l’interprétariat pour la langue visée.

Par conséquent, j’ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 février 2010, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du 27 janvier 2010, portant rejet de sa demande d’admission sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés.

Ni la loi du 7 juillet 1971, ni aucune autre disposition légale, ne prévoyant un recours au fond en matière d’inscription sur les listes d’experts, de traducteurs et d’interprètes assermentés, seul un recours en annulation a pu être introduit par la demanderesse.

Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse soutient qu’elle remplirait les conditions pour être admise sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés. Ainsi, elle serait de nationalité luxembourgeoise et d’origine bosniaque, elle aurait suivi les cours de la faculté de philosophie de Sarajevo de 1985 à 1991 et aurait obtenu un diplôme de professeur de langue française et de littérature. En 2009, elle aurait suivi les cours de formation d’interprète interculturel auprès de l’association ASTI. Elle parlerait très bien le français et maîtriserait sa langue maternelle le serbo-croate. Elle soutient que très peu d’interprètes inscrits au tribunal d’arrondissement posséderaient son niveau.

Le délégué du gouvernement répond que si la demanderesse disposait d’une qualification d’enseignement supérieur en lettres françaises, elle ne produirait pas de titre de qualification officiel de traducteur ou d’interprète et elle ne disposerait pas non plus d’une expérience largement reconnue comme traducteur ou interprète. Or, il serait légalement admissible que le ministre pose comme condition afin d’être inscrit sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés, que le candidat présente un diplôme d’études supérieures spécialisées dans la matière concernée. En effet, l’inscription sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés serait réservée aux personnes présentant les qualités requises pour pouvoir agir comme expert et, en ce qui concerne les traducteurs et interprètes il serait requis que la personne concernée puisse traduire avec toutes les nuances et interpréter les dépositions des témoins où chaque mot aurait son importance. Dès lors, la décision litigieuse reposerait sur des critères objectifs tenant notamment aux qualifications professionnelles raisonnablement exigibles.

Aux termes de l’article 1er de la loi du 7 juillet 1971 « le ministre de la Justice peut, en matière répressive et administrative, désigner des experts, des traducteurs et des interprètes assermentés, chargés spécialement d’exécuter les missions qui leur seront confiées par les autorités judiciaires et administratives.

Il pourra les révoquer en cas de manquement à leurs obligations ou à l’éthique professionnelle ou pour d’autres motifs graves. La révocation ne pourra intervenir que sur avis du procureur général d’Etat et après que l’intéressé aura été admis à présenter ses explications ».

En matière d’inscription sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés, le ministre est donc juge de l’opportunité d’accorder, voire de refuser l’inscription, à condition que son appréciation repose sur des critères objectifs et s’opère d’une manière non arbitraire. Le juge de l’annulation vérifie à cet égard les faits formant la base de la décision administrative qui lui est soumise et examine si ces faits sont de nature à justifier la décision.

Cet examen amène le juge à vérifier si les faits à la base de la décision sont établis, cette vérification pouvant s’étendre le cas échéant au caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis, mais elle est cependant limitée aux cas exceptionnels où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par cette autorité.

Ainsi, loin d’être discrétionnaire, la faculté du ministre de désigner des candidats à figurer sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés, est liée par des critères objectifs, tenant, outre les besoins des destinataires des prestations de spécialistes assermentés en question, notamment aux qualifications professionnelles raisonnablement exigibles, ainsi qu’à l’honorabilité requise de la part d’un auxiliaire de la justice1.

En l’espèce, en vertu de la décision déférée le ministre refuse à Madame … l’inscription sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés au motif qu’elle ne disposerait pas d’un diplôme spécialisé d’interprète ou de traducteur dans la langue serbo-

croate.

Quant à la condition imposée d’être titulaire d’un diplôme d’études supérieures spécialisées dans la matière dans laquelle l’inscription sur la liste en tant qu’expert, traducteur ou interprète est sollicitée, le tribunal constate qu’elle est objectivement justifiée dans la mesure où le diplôme d’enseignement supérieur spécialisé constitue un moyen d’appréciation approprié de la compétence des candidats à l’inscription sur la liste des experts2.

Plus particulièrement quant à la qualification de la demanderesse, le tribunal est amené à constater qu’il ressort des pièces versées en cause que si la demanderesse est en effet titulaire d’un diplôme émis par l’université de Sarajevo lui attestant le titre de professeur de langue française et de littérature, elle ne dispose pas d’un titre ou d’un diplôme d’études supérieures spécialisées d’interprète ou de traducteur. Or, la possession d’un diplôme attestant la maîtrise d’une langue et de connaissances en littérature n’atteste pas pour autant la capacité de traduire et d’interpréter fidèlement notamment des textes ou des déclarations simultanément de cette langue vers une autre langue.

1 cf. trib. adm. 17 mai 1999, n°11018 du rôle, Pas. adm. 2009, V° Experts, n° 2 et autres références y citées.

2 cf. trib. adm. 17 mai 1999, n°11018 du rôle, Pas. adm. 2009, V° Experts, n° 3 et autres références y citées.

Si la demanderesse se prévaut encore d’un certificat émis par l’association ASTI du 14 décembre 2009 et attestant sa participation à la « formation initiale d’interprète interculturel, dans le cadre du projet partenariats pour l’intégration interculturelle », le tribunal constate que d’un côté, ledit certificat ne précise pas sur quelles langues cette formation initiale d’interprète interculturel a porté et, d’un autre côté, ledit certificat ne correspond pas à un diplôme d’études supérieures spécialisé dans la matière de traduction ou d’interprétation.

Enfin, une qualification non sanctionnée par des diplômes, mais reposant sur une expérience professionnelle largement reconnue peut constituer un critère d’appréciation en vue de l’inscription sur la liste des experts assermentés, à condition que le candidat établisse, pièces à l’appui, qu’il dispose de l’expérience professionnelle alléguée. Or, en l’espèce, la demanderesse ne justifie pas d’une telle expérience professionnelle en tant que traducteur ou interprète.

Par conséquent, il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu retenir que compte tenu des pièces versées en cause par la demanderesse, celle-ci ne présentait pas la qualification professionnelle requise pour permettre son admission sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés. Ainsi, le ministre n’a pas excédé les limites de son pouvoir d’appréciation dans le cadre des attributions lui conférées par la loi du 7 juillet 1971 et il a donc légalement pu refuser l’inscription de Madame … sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés.

Le recours est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le dit non justifié, partant en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

Martine Gillardin, vice-président, Françoise Eberhard, juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 15 septembre 2010 par le vice-président, en présence du greffier Luc Rassel.

s. Luc Rassel s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16.09.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 4


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 26607
Date de la décision : 15/09/2010

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2010-09-15;26607 ?

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