Tribunal administratif Numéro 26527 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 janvier 2010 3e chambre Audience publique du 15 septembre 2010 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre de la Justice en matière d’inscription sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26527 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 janvier 2010 par Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 28 octobre 2009 portant rejet de sa demande d’admission sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 20 avril 2010 par le délégué du gouvernement ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Khaldia Djeldjal en remplacement de Maître Michel Karp et Monsieur le délégué du gouvernement Guy Schleder en leurs plaidoiries respectives.
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Par courrier du 1er septembre 2009, Monsieur … s’adressa au ministre de la Justice, désigné ci-après par « le ministre », afin d’être admis sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés, en précisant que ses compétences se situeraient « principalement dans les domaines de l’immobilier en général (évaluations, règlements de différents (sic) entre particuliers et professionnels) ainsi que dans celui du domaine maritime (évaluations, fortune de mer de bateaux de plaisance) ».
Par courrier du 1er octobre 2009, le ministre accusa réception de la demande d’inscription sur la liste des experts assermentés , dans la branche bâtiment, génie civil et construction, avec la spécialité domaine de l’immobilier et domaine maritime, en application de la loi du 7 juillet 1971 portant en matière répressive et administrative, institution d’experts, de traducteurs et d’interprètes assermentés et complétant les dispositions légales relatives à l’assermentation des experts, traducteurs et interprètes, désignée ci-après par « la loi du 7 juillet 1971 », et informa Monsieur … que le dossier serait transmis aux services du procureur général de l’Etat.
Par courrier non daté, un agent du ministère de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la recherche informa le ministre que Monsieur … possédait une qualification comme comptable, mais ne produirait aucun titre officiel de qualification dans le domaine du génie civil et du secteur maritime.
Par décision du 28 octobre 2009, le ministre refusa de faire droit à la demande de Monsieur …, aux motifs suivants :
« Je me réfère à votre demande en vue de votre d’amission sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés.
Après examen de votre dossier, il apparaît que vous possédez uniquement une qualification professionnelle comme comptable.
Je ne suis dès lors, pas en mesure de vous agréer en tant qu’expert dans le domaine de l’immobilier et du secteur maritime.
Par conséquent, j’ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 janvier 2010, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision précitée du 28 octobre 2009, portant rejet de sa demande d’admission sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés.
Ni la loi du 7 juillet 1971, ni aucune autre disposition légale, ne prévoyant un recours au fond en matière d’inscription sur les listes d’experts, de traducteurs et d’interprètes assermentés, seul un recours en annulation a pu être introduit par le demandeur. Le tribunal n’est partant pas compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre subsidiaire.
Le recours en annulation, introduit à titre principal, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur conteste qu’il ne possède qu’une qualification professionnelle de comptable. En effet, il travaillerait dans le domaine de l’expertise depuis 1983 en France et depuis 1994 au Luxembourg.
Le délégué du gouvernement rétorque que le demandeur ne disposerait que d’un certificat d’aptitude professionnelle en tant qu’aide comptable établi par le ministère de l’Education nationale français, mais qu’il ne produirait aucun titre officiel de qualification, ni dans le domaine du génie civil, ni dans le secteur maritime. Or, il serait légalement admissible que le ministre pose comme condition afin d’être inscrit sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés, que le candidat présente un diplôme d’études supérieures spécialisées dans la matière concernée. Dès lors, la décision litigieuse reposerait sur des critères objectifs tenant notamment aux qualifications professionnelles raisonnablement exigibles.
Aux termes de l’article 1er de la loi du 7 juillet 1971 « le ministre de la Justice peut, en matière répressive et administrative, désigner des experts, des traducteurs et des interprètes assermentés, chargés spécialement d’exécuter les missions qui leur seront confiées par les autorités judiciaires et administratives.
Il pourra les révoquer en cas de manquement à leurs obligations ou à l’éthique professionnelle ou pour d’autres motifs graves. La révocation ne pourra intervenir que sur avis du procureur général d’Etat et après que l’intéressé aura été admis à présenter ses explications ».
En matière d’inscription sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés, le ministre est donc juge de l’opportunité d’accorder, voire de refuser l’inscription, à condition que son appréciation repose sur des critères objectifs et s’opère d’une manière non arbitraire. Le juge de l’annulation vérifie à cet égard les faits formant la base de la décision administrative qui lui est soumise et examine si ces faits sont de nature à justifier la décision.
Cet examen amène le juge à vérifier si les faits à la base de la décision sont établis, cette vérification pouvant s’étendre le cas échéant au caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis, mais elle est cependant limitée aux cas exceptionnels où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par cette autorité.
Ainsi, loin d’être discrétionnaire, la faculté du ministre de désigner des candidats à figurer sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés, est liée par des critères objectifs, tenant, outre les besoins des destinataires des prestations de spécialistes assermentés en question, notamment aux qualifications professionnelles raisonnablement exigibles, ainsi qu’à l’honorabilité requise de la part d’un auxiliaire de la justice1.
En l’espèce, en vertu de la décision déférée le ministre refuse à Monsieur … l’inscription sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés dans le domaine de l’immobilier et du secteur maritime, au motif qu’il ne posséderait qu’une qualification professionnelle comme comptable, mais ne présenterait aucun titre officiel de qualification, ni dans le domaine du génie civil, ni dans le secteur maritime. Le délégué du gouvernement, pouvant compléter les motifs de la décision de refus au cours de la phase contentieuse2, explique que le demandeur ne serait pas détenteur d’un diplôme d’études supérieures spécialisées en matière de génie civil ou dans le domaine maritime.
Quant à la condition imposée d’être titulaire d’un diplôme d’études supérieures spécialisées dans la matière dans laquelle l’inscription sur la liste en tant qu’expert est sollicitée, le tribunal constate qu’elle est objectivement justifiée dans la mesure où le diplôme d’enseignement supérieur spécialisé constitue un moyen d’appréciation approprié de la compétence des candidats à l’inscription sur la liste des experts3.
Plus particulièrement quant à la qualification du demandeur dans le domaine de l’immobilier, il ressort des pièces versées en cause qu’il ne dispose que de certificats attestant sa présence lors de différentes formations, mais d’aucun diplôme d’enseignement supérieur spécialisé attestant ses qualifications dans le domaine concerné.
En ce qui concerne les qualifications du demandeur dans le domaine maritime, le tribunal est amené à constater qu’il est certes titulaire d’un certificat professionnel d’aptitude au métier d’expert en plaisance maritime. Ledit certificat ne renseigne cependant pas à suffisance sur les qualifications du demandeur dans le domaine maritime, étant donné que d’une part il n’émane pas d’une institution officielle, mais a été signé par une société de droit 1 cf. trib. adm. 17 mai 1999, n°11018 du rôle, Pas. adm. 2009, V° Experts, n° 2 et autres références y citées.
2 cf. CA 20 octobre 2009, n° 25738C du rôle, disponible sur : www.ja.etat.lu 3 cf. trib. adm. 17 mai 1999, n°11018 du rôle, Pas. adm. 2009, V° Experts, n° 3 et autres références y citées.
privé, la société ICM, par la Chambre syndicale des experts maritimes indépendants, par la Chambre syndicale des professionnels de la maintenance maritime ainsi que par le demandeur lui-même, et d’autre part, il ne s’analyse pas en un diplôme d’enseignement supérieur spécialisé en la matière.
Le demandeur fait valoir qu’il aurait travaillé dans le domaine de l’expertise depuis 1983 en France et depuis 1994 au Luxembourg. Même, si le demandeur n’a pas précisé davantage son moyen, le tribunal est amené à admettre qu’il a entendu se prévaloir, à l’appui de sa demande, de son expérience professionnelle. Si une qualification non sanctionnée par des diplômes, mais reposant sur une expérience professionnelle largement reconnue peut constituer un critère d’appréciation en vue de l’inscription sur la liste des experts assermentés, il faut encore que le candidat établisse, pièces à l’appui, qu’il dispose de l’expérience professionnelle alléguée.
En l’espèce, le tribunal constate de prime abord que le demandeur verse en cause deux pièces, à savoir un document intitulé « Arson Prévention Prévenir l’incendie volontaire », ainsi qu’un document émis par la « CNPP », intitulé « Déroulement de la journée d’examen du 17 octobre 2002 », sur lesquelles ne figure ni le nom du demandeur, ni aucune indication ou référence par rapport au demandeur, de sorte qu’aucun lien entre ces pièces et le demandeur ne peut être constaté et que ces pièces ne peuvent pas servir à établir une expérience professionnelle de celui-ci. Par ailleurs, le demandeur verse en cause une liste intitulée « Techniciens-experts – session 2004 du 6 au 10 décembre 2004 Liste des experts stagiaires », une liste intitulée « Evènement catastrophique du 1, 2, 3 & 4 décembre 2003 Experts intervenants pour le compte du … », ainsi qu’un courrier de la Chambre des experts du Grand-Duché de Luxembourg du 9 mars 2009, attestant que le demandeur est membre effectif de ladite chambre depuis le 10 juin 2005. S’il ressort de ces pièces que le demandeur a exercé des activités en rapport avec des expertises, elles sont cependant insuffisantes pour établir concrètement une quelconque expérience professionnelle du demandeur en tant qu’expert dans le domaine du génie civil ou maritime, dans la mesure où ces documents ne comportent aucune indication sur la nature du travail effectué par le demandeur, sur le domaine dans lequel il est intervenu, ainsi que sur la durée pendant laquelle il a exercé ces activités, ni ne précisent-elles en quelle qualité le demandeur est intervenu. Dès lors, le demandeur reste en défaut d’établir qu’il dispose d’une expérience professionnelle en tant qu’expert dans le domaine du génie civil ou maritime en vue de son inscription sur la liste des experts assermentés.
Par conséquent, il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu retenir que, compte tenu des pièces versées en cause par le demandeur, celui-ci ne présentait pas la qualification professionnelle requise pour permettre son inscription sur la liste des experts assermentés en matière de génie civil et en matière maritime. Ainsi, le ministre, n’a pas excédé les limites de son pouvoir d’appréciation dans le cadre des attributions lui conférées par la loi du 7 juillet 1971 et il a donc légalement pu refuser l’inscription de Monsieur … sur la liste des experts concernée.
Le recours est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le dit non justifié, partant en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
Martine Gillardin, vice-président, Françoise Eberhard, juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 15 septembre 2010 par le vice-président, en présence du greffier Luc Rassel.
s. Luc Rassel s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16.09.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 5