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13/09/2010 | LUXEMBOURG | N°27273

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 septembre 2010, 27273


Tribunal administratif Numéro 27273 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 septembre 2010 Audience publique extraordinaire du 13 septembre 2010 Recours formé par Monsieur … …, alias … …, Schrassig contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27273 du rôle et déposée le 2 septembre 2010 au greffe du tribunal administra

tif par Maître David Travessa Mendes, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des av...

Tribunal administratif Numéro 27273 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 septembre 2010 Audience publique extraordinaire du 13 septembre 2010 Recours formé par Monsieur … …, alias … …, Schrassig contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27273 du rôle et déposée le 2 septembre 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître David Travessa Mendes, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, alias … …, né le à … (Iran), de nationalité iranienne, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d'une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 3 août 2010, ordonnant sa rétention au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 septembre 2010 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 7 septembre 2010 par Maître David Travessa Mendes au greffe du tribunal administratif au nom du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 septembre 2010 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nadine Reiter, en remplacement de Maître David Travessa Mendes, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 septembre 2010.

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En date du 20 février 2003, Monsieur … …, alias … …, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande d’asile.

Par décision du 27 mai 2003, le statut de réfugié lui fut accordé.

Etant donné qu’il s’est avéré que Monsieur … …, alias … …, avait indiqué une fausse identité et que dès lors son récit ne pouvait être considéré comme crédible, le statut de réfugié lui fut retiré par décision ministérielle du 17 juin 2010.

Par arrêté du 3 août 2010 du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, dénommé ci-après « le ministre », Monsieur … se vit refuser le séjour au Grand-Duché de Luxembourg, en application des articles 100, 103 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 », au motif qu’il n’était ni en possession d’un passeport en cours de validité, ni d’un visa en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’une autorisation de travail.

Par arrêté du même jour, soit le 3 août 2010, le ministre ordonna la rétention administrative de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Cet arrêté est fondé sur les considérations et motifs suivants :

« Vu les articles 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu la décision de refus de séjour du 3 août 2010 ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant qu’une demande de laissez-passer sera adressée aux autorités iraniennes dans les meilleurs délais ;

Considérant qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé est impossible en raison de circonstances de fait ».

Les deux arrêtés précités furent notifiés à l’intéressé en date du 3 août 2010.

Par courrier du 12 août 2010, le ministre s’adressa à l’Ambassade de la République Islamique d’Iran afin de voir délivrer un laissez-passer à Monsieur … en vue de son éloignement vers l’Iran.

Par arrêté du 31 août 2010, le ministre prorogea pour une nouvelle durée d’un mois le placement de l’intéressé au Centre de séjour en se prévalant du fait que l’intéressé sera présenté en date du 13 septembre 2010 à l’ambassade iranienne, de sorte que l’éloignement immédiat de l’intéressé n’était toujours pas possible en raison de circonstances de fait.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2010, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle de placement ci-avant visée du 3 août 2010.

Le délégué du gouvernement fait valoir que le tribunal ne saurait plus actuellement utilement faire droit à la demande de réformation lui adressée, étant donné que le demandeur ne se trouve plus placé en rétention sur base de la décision ministérielle litigieuse qui n’était valable que jusqu’au 3 septembre 2010 et qu’une décision de prorogation de la mesure de placement a été prise en date du 31 août 2010.

Le mandataire du demandeur déclare en termes de plaidoiries vouloir maintenir le recours en réformation, mais qu’il entend le limiter aux moyens de légalité.

Encore que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal ne saurait en effet plus utilement ordonner, par réformation de l’arrêté ministériel déféré, la libération immédiate de l’intéressé, étant donné que celui-ci, tel que relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, ne se trouve plus actuellement en placement par application dudit arrêté ministériel dont les effets ont cessé le 3 septembre 2010. Le recours en réformation est néanmoins recevable dans la limite des moyens de légalité invoqués, et il est à déclarer sans objet pour autant qu’il conclut à la libération du demandeur.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que l’application de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 violerait tant l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme consacrant le principe du droit à la liberté, que l’article 18 de cette même convention. D’autre part, l’article 12 de la Constitution préciserait que nul ne pourrait être arrêté ou placé que dans les cas prévus par la loi et dans les formes qu’elle prescrit.

Le demandeur relève encore que l’arrêté déféré mentionnerait qu’une demande de laissez-

passer serait adressée aux autorités iraniennes dans les meilleurs délais, mais qu’au jour de l’introduction de la requête aucun laissez-passer n’aurait été délivré et qu’aucun laissez-passer ne sera délivré. Il en conclut qu’il ne saurait être privé de sa liberté et que dans ce contexte son maintien en rétention relèverait plus de l’abus de droit que d’une saine application des articles 120 à 123 de la loi du 29 août 2008.

Finalement, le demandeur explique être père d’un enfant né le 3 juin 2004 à Luxembourg pour lequel il disposerait d’un droit de visite et d’hébergement usuel, de sorte que la décision déférée violerait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que l’article 9 de la Convention de New York relative aux droits de l’enfant.

Le délégué du gouvernement estime que la mesure de placement se justifierait au vu des diligences ministérielles effectuées et que des contacts fructueux auraient été pris avec l’ambassade iranienne en vue de l’établissement d’un laissez-passer. Il fait en outre valoir que le droit de garde et d’hébergement du requérant à l’égard de sa fille ne lui aurait été accordé que provisoirement en attendant le résultat d’une enquête sociale et que la mère de l’enfant se serait également vu retirer le statut de réfugié, de sorte qu’elle fera également l’objet d’une mesure d’éloignement si le tribunal administratif confirme la décision de retrait précitée.

Aux termes de l’article 120, paragraphes (1) et (3) de la loi du 29 août 2008 :

« (1) Lorsque l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 ou d’une demande de transit par voie aérienne en vertu de l’article 127 est impossible en raison des circonstances de fait, ou lorsque le maintien en zone d’attente dépasse la durée de quarante-huit heures prévue à l’article 119, l’étranger peut, sur décision du ministre être placé en rétention dans une structure fermée. (…) La durée maximale est fixée à un mois. (…) (3) La décision de placement visée au paragraphe (1) qui précède, peut, en cas de nécessité être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois. » L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet au ministre dans l’hypothèse où l’exécution d’une mesure d’éloignement est impossible en raison de circonstances de fait, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, étant entendu que le paragraphe (3) du même article permet au ministre de reconduire, en cas de nécessité, la décision de placement à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois.

Force est de constater que le ministre est dans l’impossibilité de procéder à l’éloignement immédiat d’un étranger notamment lorsque ce dernier ne dispose pas des documents d’identité et de voyage requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour la durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée à trois reprises en cas de nécessité.

Il convient toutefois de rappeler qu’une mesure de rétention s’analyse en une mesure administrative privative de la liberté de mouvement de la personne concernée et qu’elle doit être limitée à la durée strictement nécessaire afin de permettre l’exécution d’une mesure d’éloignement. A cette fin, le ministre est dans l’obligation de faire entreprendre avec la diligence requise toutes les démarches nécessaires afin d’organiser cette mesure d’éloignement.

En l’espèce, il y a lieu de constater sur base des pièces versées au dossier que le ministre a déployé toutes les diligences nécessaires pour voir délivrer dans les meilleurs délais un laissez-

passer au demandeur par les autorités iraniennes, de sorte qu’aucun reproche afférent ne saurait être retenu à son égard. En effet, les autorités luxembourgeoises ont contacté l’ambassade iranienne en date du 12 août 2010 afin de se voir délivrer un laissez-passer et il ressort des explications du délégué du gouvernement, non contestées de la part du demandeur, que ce dernier sera présenté à l’ambassade iranienne à Bruxelles en date du 13 septembre 2010, de sorte que le moyen afférent laisse d’être fondé.

Quant au moyen basé sur une violation de l’article 5 respectivement de l’article 18 de la Convention européenne des droits de l’homme, force est de constater que l’article 5 en son paragraphe 1 point f) prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours. Le terme d'expulsion doit être entendu dans son acception la plus large et vise toutes les mesures respectivement d'éloignement et de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays,1 situation vérifiée en l’espèce, de sorte que le moyen afférent laisse d’être fondé.

1 Voir TA 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2009, v° Etrangers, n° 502 et les références y citées En outre, force est de constater que le moyen basé sur une prétendue violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme respectivement de l’article 9 de la Convention de New York sur les droits de l’enfants laisse également d’être fondé, étant donné que si ce moyen est le cas échéant susceptible d’être utilement invoqué dans le cadre d’un recours contre une décision d’éloignement, ce moyen ne saurait être invoqué dans le cadre d'un recours visant exclusivement la décision de placement.2 Finalement, concernant une prétendue violation de l’article 12 de la Constitution, force est de constater que le placement d’un étranger en situation irrégulière en vue de son éloignement n’est pas à confondre avec l’arrestation d’une personne soubçonnée d’avoir commis une infraction, de sorte que cette disposition n’est pas applicable en matière de rétention administrative en ce qu’elle dispose : « Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l’arrestation, ou au plus tard dans les vingt-quatre heures. – Toute personne doit être informée sans délai des moyens de recours légaux dont elle dispose pour recouvrer sa liberté ». D’autre part, tel qu’il a été retenu ci-avant, la décision déférée a été prise en conformité avec les dispositions légales et règlementaires en vigueur, de sorte que la disposition de l’article 12 de la Constitution selon laquelle : « Nul ne peut être arrêté ou placé que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit » n’a pas été violée en l’espèce.

Le demandeur n’ayant pas invoqué de dispositions légales ou réglementaires qui auraient été concrètement violées en l’espèce par le ministre, le recours laisse partant d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

déclare le recours en réformation sans objet dans la mesure où il tend à voir ordonner la libération du demandeur ;

le déclare recevable pour le surplus ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, vice-président, Claude Fellens, premier juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 13 septembre 2010 par le premier vice-président, en présence du greffier assumé Anne-Marie Wiltzius, greffier de la Cour administrative.

2 Voir TA 8 octobre 2003, n° 17024 du rôle, Pas. adm. 2009, v° Etrangers, n° 504 et les references y citées.

s.Anne-Marie Wiltzius s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 septembre 2010 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 27273
Date de la décision : 13/09/2010

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2010-09-13;27273 ?

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