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11/08/2010 | LUXEMBOURG | N°27170

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 août 2010, 27170


Tribunal administratif Numéro 27170 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 août 2010 Audience publique du 11 août 2010 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27170 du rôle et déposée le 4 août 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Barbara NAJDI, avocat à la Cour, inscri

te au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Iraq)...

Tribunal administratif Numéro 27170 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 août 2010 Audience publique du 11 août 2010 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27170 du rôle et déposée le 4 août 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Barbara NAJDI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Iraq), de nationalité iraquienne, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 13 juillet 2010, ordonnant sa rétention au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 août 2010 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Barbara NAJDI et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 août 2010.

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Monsieur … avait déposé une demande de protection internationale auprès des autorités luxembourgeoises le 4 mai 2007. Cette demande fit l’objet d’une décision de refus de la part du ministre compétent en date du 4 décembre 2008. Après avoir été convoqué par les autorités luxembourgeoises en vue d’un retour volontaire le 21 janvier 2009, l’intéressé fut soumis à un test linguistique qui révéla qu’il ne serait pas iraquien mais bien algérien ou tunisien. Il fut convoqué une nouvelle fois en vue d’un retour volontaire le 16 février 2009 mais s’y opposa.

Par jugement du tribunal correctionnel de Luxembourg du 3 juin 2009, Monsieur … fut condamné par défaut du chef de vol à une peine d’emprisonnement de 6 mois.

Par arrêté du 15 octobre 2009, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-

après « le ministre », prononça une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois à l’encontre de Monsieur …. Par arrêté du même jour il ordonna son placement en rétention au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois au motif que son éloignement immédiat n’était pas possible en raison de circonstances de fait.

Le 12 novembre 2009, le ministre adressa aux autorités algériennes, tunisiennes et marocaines une demande d’identification de l’intéressé. Ces demandes n’ayant pas été suivies d’effet dans l’immédiat, le ministre prorogea l’arrêté de placement ci-avant visé du 15 octobre 2009, notifié à l’intéressé le 6 novembre 2009, une première fois le 4 décembre 2009, ainsi qu’une itérative fois le 4 janvier 2010 en motivant la nécessité de ces reconductions par le fait que l’identification de l’intéressé par les autorités algériennes, tunisiennes et marocaines était toujours en cours d’instruction.

Le 2 décembre 2009, la décision initiale de placement fut prorogée pour une nouvelle durée d’un mois.

Le 19 janvier 2010, Monsieur … fit l’objet d’un ordre d’écrou en exécution du prédit jugement correctionnel du 3 juin 2009, de sorte à être transféré du Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière au Centre pénitentiaire.

Le terme de son emprisonnement se situant au 18 juillet 2010, le ministre ordonna par arrêté du 13 juillet 2010 la rétention administrative de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

Cet arrêté est fondé sur les considérations et motifs suivants :

« Vu les articles 120 à 123 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu mon arrêté d’interdiction d’entrée sur le territoire du 15 octobre 2009 ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant que les autorités marocaines ont marqué leur accord de délivrance d’un laissez-passer en date du 31 mars 2010 ;

-

que l’éloignement de l’intéressé sera organisé dans les meilleurs délais ;

Considérant que l’éloignement immédiat de l’intéressé est impossible en raison de circonstances de fait ; ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 août 2010, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la prédite décision de rétention datée du 13 juillet 2010.

Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Il n’y a dès lors pas lieu d’examiner le recours subsidiaire en annulation, tel qu’il ressort du dispositif de la requête introductive d’instance.

Le recours en réformation, par ailleurs introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait plaider qu’il se trouverait à la disposition des autorités depuis le 6 novembre 2009, date de son premier placement en rétention, partant depuis plus 9 mois, et que les autorités auraient eu en conséquence plus de 9 mois pour organiser son retour. Or, le ministre ayant motivé sa décision par le fait que les autorités marocaines auraient marqué leur accord de délivrance d’un laissez-passer en date du 31 mars 2010, la décision déférée ne préciserait pas quelles mesures auraient depuis cette date été prises en vue de son éloignement, de sorte que cette décision serait dépourvue de fondement réel.

Il affirme qu’il ne saurait injustement subir les lenteurs administratives tant du côté marocain que du côté luxembourgeois.

Enfin, il affirme que sa rétention, constituant une privation de liberté, porterait hautement atteinte à sa dignité humaine.

Il découle de l’article 120, paragraphe (1), de la loi précitée du 29 août 2008 qu’une décision de rétention au sens de la disposition précitée présuppose qu’une mesure d’éloignement puisse être légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

Force est de constater en l’espèce que Monsieur … a fait l’objet en date du 4 décembre 2008 d’un refus de protection internationale, qui entraîne conformément à l’article 20 (2) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection l’obligation dans le chef de l’étranger de quitter le territoire et qui habilite le ministre, conformément à l’article 22 (1), tel que modifié en 2008, de la loi modifiée du 5 mai 2006, à l’éloigner du territoire.

Il reste dès lors à vérifier si l’autre condition imposée par l’article 120, paragraphe (1), de la loi précitée du 29 août 2008 à une mesure de placement est respectée, à savoir une impossibilité « en raison des circonstances de fait » de procéder à la mesure d’éloignement.

Or à cet égard, il échet de constater l’existence d’une impossibilité effective d’éloigner le demandeur, au moment de la prise de la décision déférée au tribunal, à savoir le 13 juillet 2010, le demandeur ne disposant à cette date pas encore du laissez-passer permettant son retour au Maroc, ledit document n’ayant été émis que le 3 août 2010.

Or, l’absence de documents d’identité ainsi que l’organisation des modalités juridiques et pratiques inhérentes au rapatriement du demandeur nécessitant un certain délai, permettent d’estimer valablement que l’exécution immédiate de la mesure d’éloignement est impossible. En effet, à défaut de papiers de légitimation et de voyage dans le chef du demandeur, le ministre se voit effectivement dans l’impossibilité d’une exécution immédiate de la mesure d’éloignement, situation pour laquelle le législateur lui a conféré un délai initial maximal d’un mois pour obtenir de la part des autorités étrangères concernées les documents de voyage nécessaires.

Il convient toutefois de rappeler qu’une mesure de rétention s’analyse en une mesure administrative privative de la liberté de mouvement de la personne concernée et qu’elle doit être limitée à la durée strictement nécessaire afin de permettre l’exécution d’une mesure d’éloignement. A cette fin, le ministre est dans l’obligation de faire entreprendre avec la diligence requise toutes les démarches nécessaires afin d’organiser cette mesure d’éloignement.

Or, dans ce contexte, en ce qui concerne les démarches effectuées depuis la prise de la décision déférée, à savoir depuis le 13 juillet 2010, il y a lieu de constater que le ministre a pris contact le même jour avec les autorités consulaires marocaines en vue de l’établissement d’un laissez-passer au profit du demandeur, le ministre ayant encore relancé les autorités consulaires marocaines en date du 2 août 2010, date à laquelle il lui fut répondu que le laissez-passer devrait lui être adressé dans les prochains jours, ces démarches n’étant pas spécifiquement critiquées par le demandeur.

Il s’avère cependant que le demandeur critique de manière générale le fait que le ministre n’ait pas entrepris de démarche précise entre le 31 mars 2010, date de l’accord des autorités marocaines en vue de la délivrance d’un laissez-passer et le 13 juillet 2010, c’est-à-dire pendant la période précédant la prise de la décision actuellement déférée au tribunal.

Or, un laissez-passer étant de manière générale établi pour une période déterminée - le laissez-passer émis en l’espèce n’étant ainsi valable que pour la durée d’un mois -, il aurait été prématuré, voire imprudent d’en solliciter concrètement la délivrance à une date où le demandeur, a priori, ne pouvait pas encore faire l’objet d’un éloignement, étant donné qu’il était encore incarcéré au Centre pénitentiaire où il purgeait sa peine d’emprisonnement.

Force est dès lors de constater qu’en ce qui concerne la période précédant la décision de rétention actuellement déférée, aucun reproche ne saurait être fait au ministre qui, pendant cette période, a déployé des diligences suffisantes afin de déterminer le véritable pays d’origine de l’intéressé en prenant contact avec les différentes autorités étrangères susceptibles d’entrer en ligne de compte à partir du test linguistique effectué, et une fois la nationalité effective du demandeur déterminée, a contacté les autorités marocaines compétentes en vue de préparer l’éloignement futur du demandeur, tout en attendant que le demandeur se trouve concrètement à sa disposition du fait de sa rétention au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour entamer les démarches finales permettant son rapatriement, à savoir l’obtention de papiers de voyage et ensuite l’organisation pratique de son rapatriement.

Quant à d’éventuelles lenteurs administratives du côté marocain invoquées à l’appui du recours, force est de constater qu’elles ne sont pas imputables à l’auteur de la décision litigieuse, de sorte que l’arrêté ministériel sous examen ne saurait être affecté dans sa légalité par lesdites lenteurs.

Quant à l’affirmation du demandeur, non autrement circonstanciée en fait et en droit, selon lesquelles la privation de liberté subie serait contraire à sa dignité humaine, il convient de retenir qu’un tel moyen, à défaut de toute précision, n’est pas de nature à énerver la régularité de la décision litigieuse, des moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement, n’étant en effet pas à prendre en considération par le tribunal, étant donné qu’il n'appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, de sorte qu’il y a lieu de rejeter le moyen A titre superfétatoire, si l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme dispose certes que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants », une rétention au Centre de séjour ne saurait, en tant que telle, être considérée comme dégradante, inhumaine ou humiliante si les conditions légalement prévues sont remplies1.

Dès lors que le demandeur se limite à affirmer de manière générale que la rétention serait vécue par lui comme traitement dégradant, et à défaut par lui d’indiquer concrètement en quoi ce traitement serait inhumain ou dégradant pour sa personne, le moyen du demandeur est à rejeter pour ne pas être fondé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut de tout autre moyen soulevé en cause que le recours sous analyse n’est justifié en aucun des moyens et est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu d’analyser le recours en annulation introduit à titre subsidiaire ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 août 2010 par :

Marc Sünnen, premier juge, Thessy Kuborn, juge, Anne Gosset, juge en présence du greffier Judith Tagliaferri.

1 cf. trib. adm. 28 février 2002, n° 14590 du rôle, Pas. adm. 2009, Vo Etrangers, n° 501.

s. Judith Tagliaferri s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11.08.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 27170
Date de la décision : 11/08/2010

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2010-08-11;27170 ?

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