La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/08/2010 | LUXEMBOURG | N°27161

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 août 2010, 27161


Tribunal administratif Numéro 27161 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 août 2010 Audience publique du 11 août 2010 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008)

______________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27161 du rôle et déposée le 2 août 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour

, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …...

Tribunal administratif Numéro 27161 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 août 2010 Audience publique du 11 août 2010 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008)

______________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 27161 du rôle et déposée le 2 août 2010 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Iran), de nationalité iranienne, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 27 juillet 2010, ordonnant sa rétention au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 août 2010 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 5 août 2010 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH au greffe du tribunal administratif ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 août 2010.

______________________________________________________________________________

En date du 27 avril 2009, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.

Par décision du 4 janvier 2010, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée.

Par arrêté du 27 juillet 2010 du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-

après désigné « le ministre », Monsieur … se vit refuser le séjour au Grand-Duché de Luxembourg, en application des articles 100, 103 et 109 à 115 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, au motif qu’il n’était ni en possession d’un passeport en cours de validité, ni d’un visa en cours de validité, qu’il ne justifiait de l’objet et des conditions du séjour envisagé, ni ne justifiait de ressources personnelles suffisantes au sens de la loi, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’une autorisation de travail.

Par arrêté du même jour, soit le 27 juillet 2010, le ministre ordonna la rétention administrative de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Cet arrêté est fondé sur les considérations et motifs suivants :

« Vu les articles 120 à 123 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu la décision de refus de séjour du 27 juillet 2010 ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;

Considérant qu’en attendant le résultat des recherches quant à l’identité et à la situation de l’intéressé, l’éloignement immédiat de l’intéressé est impossible en raison de circonstances de fait ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 août 2010, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la prédite décision de rétention datée du 27 juillet 2010.

Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Il n’y a dès lors pas lieu d’examiner le recours subsidiaire en annulation, tel qu’il ressort du dispositif de la requête introductive d’instance.

Le recours en réformation, par ailleurs introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que l’autorité ministérielle, au travers de la décision déférée, resterait en défaut « de démonter qu’elle est en mesure d’exécuter effectivement l’éloignement très rapide du requérant », le demandeur argumentant à cet effet que la rétention administrative trouverait sa justification légale uniquement lorsque le ministre serait raisonnablement en mesure d’éloigner l’intéressé dans un délai raisonnable.

Or en l’espèce, il estime qu’il ne saurait en tout état de cause pas être éloigné, les autorités iraniennes refusant prétendument systématiquement d’émettre des laissez-passer, de sorte que cette condition ferait défaut.

Monsieur … reproche ensuite au ministre de rester en défaut de démonter qu’il aurait entrepris en temps utile des démarches pour procéder à son éloignement et qu’il serait actuellement en train d’exécuter « la mesure de placement en vue d’un éloignement très rapide du requérant ».

Il affirme à cet égard avoir révélé sa véritable identité à la police et qu’il lui aurait encore fourni les pièces y relatives, de sorte que tout retard prétendument justifié par l’établissement de son identité serait inacceptable.

Il découle de l’article 120, paragraphe (1), de la loi précitée du 29 août 2008 qu’une décision de rétention au sens de la disposition précitée présuppose qu’une mesure d’éloignement puisse être légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

Force est de constater en l’espèce que Monsieur … a fait l’objet d’un refus de séjour en date du 27 juillet 2010 pris sur base des articles 100, 103 et 109 à 115 de la loi du 29 août 2008, -

refus de séjour non entrepris en l’état actuel du dossier - qui entraîne conformément à l’article 111, paragraphe (1) de la même loi l’obligation dans le chef de l’étranger de quitter le territoire et qui habilite le ministre, conformément aux articles 111, paragraphe (3), et 124, paragraphe (1), de la même loi, à le renvoyer dans son pays d’origine, respectivement à prendre des mesures coercitives pour procéder à son éloignement.

Il reste dès lors à vérifier si l’autre condition imposée par l’article 120, paragraphe (1), de la loi précitée du 29 août 2008 à une mesure de placement est respectée, à savoir une impossibilité « en raison des circonstances de fait » de procéder à la mesure d’éloignement.

Force est à cet égard de constater que le demandeur se trouvant en situation irrégulière au Luxembourg, est démuni de tout passeport en cours de validité et que nonobstant ses affirmations, un doute persiste quant à son identité réelle, le demandeur étant tantôt connu sous l’identité de …, né le … à …, tantôt sous celle de …, né le … à … ; il ne résulte par ailleurs d’aucun élément soumis au tribunal que le demandeur ait effectivement communiqué aux autorités des pièces permettant d’établir son identité.

Or, l’absence de documents d’identité ainsi que l’organisation des modalités juridiques et pratiques inhérentes au rapatriement du demandeur nécessitant un certain délai, permettent d’estimer valablement que l’exécution immédiate de la mesure d’éloignement était impossible à la date de la décision de rétention.

En effet, à défaut de papiers de légitimation et de voyage dans le chef du demandeur, le ministre se voit effectivement dans l’impossibilité d’une exécution immédiate de la mesure d’éloignement, situation pour laquelle le législateur lui a conféré un délai initial maximal d’un mois pour obtenir de la part des autorités étrangères concernées les documents de voyage nécessaires.

Il convient cependant de souligner que la rétention, mesure privative de liberté, n’est légitimée que par le fait qu’elle est prise en vue de l’éloignement d’un étranger en séjour irrégulier, mais elle ne saurait en aucun cas être utilisée en vue de soumettre par la privation de liberté une personne peu coopérative jusqu’à ce qu’elle consente à être rapatriée1. Or, à cet égard, si la certitude quant à l’aboutissement effectif de la mesure d’éloignement n’est pas une prémisse conditionnant la validité d’une mesure de prorogation d’un placement, la justification d’une mesure de rétention ne saurait cependant être retenue en présence d’éléments concordants dont il ressort que les autorités auraient raisonnablement dû anticiper l’impossibilité de l’exécution de la mesure d’éloignement. : en d’autres termes, l’aboutissement de l’éloignement doit pouvoir bénéficier d’une prévisibilité minimale.

Or, à cet égard, si le demandeur affirme qu’aucune tentative de rapatriement forcé d’un ressortissant iranien n’aurait abouti à ce jour, au vu du refus des autorités iraniennes de délivrer des laissez-passer à des personnes éloignées contre leur gré, ou du moins involontairement, le délégué du gouvernement a confirmé cette affirmation, en admettant que toutes les tentatives de rapatriement vers l’Iran auraient, à ce jour, été vouées à l’échec, tout en soulignant cependant que d’autres pays y seraient déjà parvenus.

Dès lors, en l’espèce, en présence des précédentes tentatives de refoulement infructueuses d’autres ressortissants iraniens, les autorités luxembourgeoises, instruites par les échecs antérieurs de leurs tentatives d’éloignement, ne sauraient se prévaloir d’une expectative raisonnable de voir aboutir le rapatriement forcé de Monsieur ….

Il convient encore de rappeler qu’une mesure de rétention s’analyse en une mesure administrative privative de la liberté de mouvement de la personne concernée et qu’elle doit être limitée à la durée strictement nécessaire afin de permettre l’exécution d’une mesure d’éloignement. A cette fin, le ministre est dans l’obligation de faire entreprendre avec la diligence requise toutes les démarches nécessaires afin d’organiser cette mesure d’éloignement.

Il résulte à cet égard du dossier administratif versé en cause que les seules démarches entreprises par le ministre se résument à l’envoi d’un transmis le 27 juillet 2010 par le ministre à la police judiciaire, priant celle-ci, outre de notifier la décision de rétention et l’arrêté de refus de séjour au demandeur, d’ « enquêter sur l’intéressé et de me tenir rapport », étant souligné qu’il ne résulte pas du dossier administratif quelle aurait été la date de la tenue de cette enquête, de sa portée - ainsi que son utilité par rapport à l’éloignement du demandeur - et de son résultat. Il convient encore de souligner que la seule autre pièce figurant au dossier, à savoir une « fiche de suivi individuel » rédigée en date du 6 août 2010 ne saurait être prise en compte en tant que démarche en vue de l’éloignement du demandeur, les indications y contenues, outre la mention « Rien de nouveau à signaler », telles que l’indication que le demandeur serait sociable et présenterait un bon état d’hygiène, étant étrangères, sinon inutiles par rapport à l’organisation du rapatriement forcé du demandeur.

Il ne ressort dès lors pas du dossier administratif versé en cause que les autorités luxembourgeoises aient accompli après cette date, et en particulier depuis la date de la décision déférée, une quelconque autre démarche en vue d’organiser le rapatriement du demandeur.

Or il appartient en tout état de cause au ministre de veiller à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer le transfert de la personne retenue dans les meilleurs 1 Trib. adm. 26 novembre 2007, n° 23666, Pas. adm. 2009, Vo Etrangers, n° 552.

délais, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté qui doit demeurer exceptionnelle.

Il en résulte que le retard accumulé dans le traitement du dossier sous examen, à la date où le tribunal est amené à statuer, est imputable aux autorités luxembourgeoises, celles-ci ayant omis, en l’état actuel du dossier, de faire une quelconque démarche depuis le 27 juillet 2010.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’envoi en date du 11 août 2010 d’un courrier à l’ambassade d’Iran sollicitant l’identification de Monsieur … - et ce d’autant plus que le demandeur maintient de manière non contestée par la partie étatique avoir fourni les documents attestant de son identité dès avril 2010 à la police luxembourgeoise -, initiative devant être considérée comme intervenue in tempore suspecto, à savoir quelques heures avant l’audience.

Comme le tribunal statuant dans le cadre d’un recours en réformation est appelé à apprécier la décision déférée au jour où il statue, il y a lieu de constater que la décision de rétention déférée du 27 juillet 2010 ne remplit plus les conditions imposées par l’article 120, paragraphe (1), de la loi précitée du 29 août 2008, l’impossibilité d’un éloignement immédiat, certes patente au jour de la prise de la décision litigieuse, laissant d’être établie au jour du présent jugement.

Le tribunal est partant amené à réformer la décision querellée et à ordonner la libération immédiate du demandeur, sans qu’il y ait lieu de prendre position par rapport aux autres moyens et arguments invoqués.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation, met fin à la décision du ministre du 27 juillet 2010 et ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur … ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 août 2010 par :

Marc Sünnen, premier juge, Thessy Kuborn, juge, Anne Gosset, juge en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11.08.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 27161
Date de la décision : 11/08/2010

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2010-08-11;27161 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award