Tribunal administratif N° 26264 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 octobre 2009 2e chambre Audience publique du 15 juillet 2010 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de statut de tolérance
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26264 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2009 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Serbie), de nationalité serbe, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 18 septembre 2009 ayant déclaré sans objet sa demande en obtention du statut de tolérance, confirmée, sur recours gracieux, par une décision du même ministre du 20 octobre 2009 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 janvier 2010 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Dorma Barandao, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Madame le délégué du gouvernement Sousie Schaul en leurs plaidoiries respectives.
Par jugement du tribunal administratif du 2 octobre 2000, la demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié, introduite par Monsieur … en date du 1er octobre 1998, a été définitivement rejetée, aucune voie de recours n’ayant été dirigée contre ledit jugement de première instance.
Par courrier du 11 octobre 2000, Monsieur … fut invité à quitter le territoire luxembourgeois dans le mois à partir de la notification du courrier en question à laquelle il fut procédé en date du 20 octobre 2000.
Par arrêté du 11 septembre 2001, le ministre de la Justice refusa l’entrée et le séjour à Monsieur …, en l’invitant par ailleurs à quitter le pays dès la notification dudit arrêté, ayant eu lieu en date du 13 septembre 2001, le procès-verbal de la notification portant en outre l’indication qu’il a été refoulé vers Belgrade en Serbie en date du même jour, à la suite de son refus de quitter volontairement le territoire luxembourgeois.
Déclarant être revenu au Luxembourg fin octobre 2002, Monsieur … fit introduire par le biais de son mandataire de l’époque, par courrier du 13 novembre 2002, une demande tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour au Luxembourg, en déclarant vouloir y prendre un emploi. Cette demande fut toutefois rejetée par un courrier du ministre de la Justice du 25 novembre 2002, au motif qu’au jour de son rapatriement vers Belgrade, à savoir en date du 13 septembre 2001, un refus d’entrée et de séjour lui aurait été notifié et que celui-
ci serait toujours en vigueur, de sorte qu’il ne serait pas en mesure de faire droit à sa demande tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour.
Par un courrier d’un nouveau mandataire de Monsieur … daté du 24 décembre 2007, une nouvelle demande tendant à la délivrance d’une autorisation de séjour « à titre humanitaire » voire en délivrance d’un statut de tolérance fut introduite auprès du ministre des Affaires Etrangères avec l’indication que depuis son arrivée en 1999 (sic), Monsieur … aurait noué « de fortes attaches avec le Grand-Duché de Luxembourg » et qu’il aurait toujours « observé un comportement respectueux envers les lois de son pays d’accueil ». Par le même courrier, Monsieur … a fait déclarer qu’il se trouverait « dans l’impossibilité de retourner au Monténégro (sic) ».
Par décision du 7 février 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration refusa de faire droit à la demande précitée du 24 septembre 2007, tant en ce qui concerne la demande tendant à la délivrance d’un titre de séjour qu’en ce qui concerne la reconnaissance d’un statut de tolérance, cette dernière demande ayant été refusée au motif que Monsieur … « a déjà fait l’objet d’un retour forcé sous escorte policière en septembre 2001 ».
Par courrier du 7 mai 2008, le mandataire de l’époque de Monsieur … fit introduire un recours gracieux contre la décision précitée du 7 février 2008, qui fut toutefois rejeté par une décision confirmative du ministre des Affaires Etrangères et de l’Immigration du 15 mai 2008 « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».
A la suite de l’introduction d’un recours contentieux contre les décisions ministérielles précitées des 7 février et 15 mai 2008, par lesquelles ont été refusés tant la délivrance d’une autorisation de séjour à titre humanitaire qu’un statut de tolérance, le tribunal administratif, par un jugement du 19 janvier 2009 (n° 24739 du rôle) confirma les décisions en question en rejetant le recours ainsi introduit. Une requête d’appel introduite à l’encontre de ce jugement du 19 janvier 2009 fut rejetée par un arrêt de la Cour administrative du 9 juin 2009 (n°25419C du rôle).
Par courrier d’un nouveau mandataire de Monsieur … du 11 septembre 2009, l’octroi d’un statut de tolérance fut une nouvelle fois sollicité auprès du ministre des Affaires Etrangères et de l’Immigration, cette demande ayant toutefois été rejetée par une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, dénommé ci-après le « ministre », du 18 septembre 2009, libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre courrier daté au 11 septembre 2009 reçu par nos services en date du 14 septembre 2009 dans lequel vous sollicitez une tolérance pour le compte de Monsieur ….
La présente pour vous informer que votre demande est sans objet étant donné que le bénéfice d'une tolérance est uniquement accordé selon l'article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et des formes complémentaires de protection aux personnes déboutées d'une protection internationale. Or, votre mandant ne peut pas être considéré comme une telle personne.
En effet, il ressort du dossier administratif de votre mandant que ce dernier a déposé une demande d'asile le 1er octobre 1998, demande dont il a été définitivement débouté le 2 octobre 2000. Il a été rapatrié de force sous escorte policière en date du 13 septembre 2001.
En date du 7 février 2008 une demande d'autorisation de séjour lui fût refusée sur base de l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers, refus qui fût confirmé par arrêt de la Cour administrative en date du 9 juin 2009. Votre mandant est à considérer comme ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier au Luxembourg.
Par ailleurs, l'arrêt en question confirme les juges en premier instance (sic) en ce qu'ils retiennent que les faits invoqués par le demandeur « n'étaient pas suffisantes (sic) pour établir que l'intéressé serait exposé à un traitement ou une peine qui s'analyserait en un traitement inhumain ou dégradant ». L'article 129 de la loi du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l'immigration n'est donc pas applicable en l'espèce.
Par conséquent, aucune suite ne sera donc réservée à votre demande. » Un recours gracieux introduit en date du 5 octobre 2009 contre la décision ministérielle précitée du 18 septembre 2009 fut rejeté par une décision du ministre du 20 octobre 2009 « à défaut d’éléments pertinents nouveaux », et notamment avec l’indication que Monsieur … « a déjà été rapatrié en 2001 », ce qui démontrerait « à suffisance que son rapatriement est matériellement possible ».
Par arrêté du 10 décembre 2009, le ministre refusa le séjour à Monsieur …, aux motifs qu’il n’était pas en possession d’un passeport en cours de validité, qu’il ne justifiait pas l’objet et les conditions du séjour envisagé et qu’il n’était pas non plus en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’une autorisation de travail.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2009, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 18 septembre et 20 octobre 2009 déclarant sa demande en délivrance d’un statut de tolérance comme étant sans objet.
Aucun recours au fond n’étant prévu en matière de statut de tolérance tel que réglementé par l’article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre desdites décisions ministérielles.
Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, Monsieur …, tout en reconnaissant avoir fait l’objet d’un éloignement forcé vers le Monténégro (sic) en date du 13 septembre 2001 à la suite du rejet de son recours contentieux par le tribunal administratif ayant ainsi confirmé définitivement la décision ministérielle par laquelle le statut de réfugié politique lui a été refusé, du fait qu’aucune voie de recours n’a été dirigée contre ledit jugement, soutient avoir été obligé de revenir au Luxembourg du fait des persécutions qu’il risquerait d’encourir dans la région de la République serbe dont il serait originaire, à savoir la région du Sandjak, notamment en raison de son appartenance à la communauté des musulmans et de sa qualité de déserteur de l’armée serbe, ce qui serait d’ailleurs confirmé par le fait que lors de son retour forcé au « Monténégro », il y aurait trouvé une convocation devant le tribunal militaire serbe émise au cours de l’année 2003.
Au vu des faits ainsi exposés, le demandeur soutient être confronté à une impossibilité matérielle de pouvoir retourner dans son pays d’origine de nature à justifier la délivrance d’un statut de tolérance en sa faveur.
Monsieur … estime encore craindre « une condamnation par un tribunal militaire à une peine disproportionnée par rapport à la gravité » de l’infraction commise par lui du fait d’avoir déserté de l’armée yougoslave, en ajoutant qu’il risquerait également des traitements qu’il qualifie de discriminatoires, qui risqueraient de lui être infligés en prison, en attirant l’attention du tribunal sur le fait que la situation des minorités en Serbie resterait préoccupante.
En conclusion, Monsieur … estime que l’impossibilité de l’exécution matérielle de son éloignement vers son pays d’origine serait motivée à suffisance de droit par un emprisonnement « injustifié », par des tortures ou peines et traitements inhumains ou dégradants ainsi que par des menaces contre sa vie qu’il risquerait d’encourir en cas de retour dans son pays d’origine. Il fait encore état de ses « fortes attaches » avec le Grand-Duché de Luxembourg notamment du fait que son frère jumeau y serait établi légalement depuis 1999 et qu’il y serait bien intégré.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 22 de la loi du 5 mai 2006 : « (1) Si la demande de protection internationale est définitivement rejetée au titre des articles 19 et 20 qui précèdent, le demandeur sera éloigné du territoire (…) (2) Si l’exécution matérielle de l’éloignement s’avère impossible en raison de circonstances de fait indépendantes de la volonté du demandeur, le ministre peut décider de tolérer l’intéressé provisoirement sur le territoire jusqu’au moment où les circonstances de fait auront cessé ».
Il s’ensuit que le bénéfice du statut de tolérance est réservé aux demandeurs de protection internationale déboutés dont l’éloignement se heurte à une impossibilité d’exécution matérielle, impossibilité dont ils ne sont pas responsables.
Il s’ensuit encore que le statut de tolérance constitue par définition une mesure provisoire, temporaire, destinée à prendre fin en même temps que les circonstances de fait empêchant le rapatriement du demandeur de protection internationale débouté auront cessé.
Force est de constater qu’il se dégage des dispositions légales contenues à l’article 22 précité que l’une des conditions qui se trouve à la base de la reconnaissance d’un statut de tolérance en faveur d’un étranger se trouvant sur le territoire luxembourgeois constitue le fait qu’il doit être débouté d’une demande d’asile. Partant, seul un étranger débouté d’un statut de protection internationale qui, par la suite, ne peut être rapatrié vers son pays d’origine en raison de circonstances entraînant une impossibilité d’exécution matérielle de la mesure d’éloignement prise à son encontre, peut bénéficier d’un statut de tolérance. Ces circonstances faisant obstacle à l’exécution matérielle de la mesure d’éloignement doivent partant être constatées au moment où le demandeur d’asile a été définitivement débouté de sa demande tendant à la reconnaissance d’un statut de protection internationale. Le demandeur de protection internationale qui, à la suite du rejet définitif de sa demande, a été rapatrié vers son pays d’origine ou y est retourné volontairement, ne se trouve partant plus dans l’hypothèse visée par l’article 22 précité, même dans l’hypothèse dans laquelle il est par la suite revenu volontairement au Luxembourg.
En l’espèce, il ressort des pièces et éléments du dossier et il est par ailleurs constant en cause pour ne pas être contesté par le demandeur, que celui-ci a été rapatrié non pas au Monténégro, mais à Belgrade en Serbie en date du 13 septembre 2001 à la suite du rejet de son recours, par le jugement précité du tribunal administratif du 2 octobre 2000, dirigé contre une décision du ministre de la Justice du 2 juin 2000 par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande tendant à se voir reconnaître un statut de réfugié.
Il se dégage encore d’un courrier du mandataire de l’époque du demandeur, du 13 novembre 2002, que Monsieur … déclare être revenu volontairement au Luxembourg à la fin du mois d’octobre 2002, sans qu’il ne ressorte d’un quelconque élément du dossier ni n’est d’ailleurs allégué par le demandeur que par la suite de son retour volontaire au Luxembourg, celui-ci y aurait posé une nouvelle demande tendant à la reconnaissance d’un statut de protection internationale.
Il s’ensuit que du fait du rapatriement du demandeur vers son pays d’origine à la suite du rejet définitif de sa demande d’asile et de ce que par la suite, après son retour au Luxembourg, il n’y a plus introduit une nouvelle demande de protection internationale, le demandeur ne se trouve plus visé par le champ d’application de l’article 22 de la loi du 5 mai 2006, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a déclaré sa demande en reconnaissance d’un statut de tolérance comme étant sans objet, tel que retenu dans ses décisions actuellement sous examen des 18 septembre et 20 octobre 2009, sans qu’il y ait lieu de prendre position par rapport aux autres éléments exposés par le demandeur quant à ses craintes de persécutions qu’il risquerait d’encourir en cas de retour dans son pays d’origine, ces éléments étant non seulement étrangers au champ d’application de l’article 22 de la loi du 5 mai 2006, mais ont encore fait l’objet du jugement précité du tribunal administratif du 2 octobre 2000.
Le tribunal n’est pas non plus amené à prendre position par rapport aux arguments développés par le demandeur quant à l’article 129 de la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration et quant aux articles 3 et 5 de la Convention européenne des droits de l’homme développés dans le cadre de l’opposition du demandeur à une éventuelle mesure d’éloignement prise à son encontre, étant donné que lesdites dispositions de droit national et international sont également étrangères à la matière régie par l’article 22 de la loi du 5 mai 2006, qui a exclusivement trait à la reconnaissance d’un statut de tolérance au cas où l’exécution matérielle de l’éloignement d’un demandeur d’asile débouté s’avère être impossible pendant une période déterminée.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Catherine Thomé, premier juge, Thessy Kuborn, juge, et lu à l’audience publique du 15 juillet 2010 par le premier vice-président, en présence du greffier assumé Patricia Rego.
s. Patricia Rego s. Carlo Schockweiler 6