Tribunal administratif N° 26495 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 janvier 2010 3e chambre Audience publique du 14 juillet 2010 Recours formé par Monsieur …, … (Allemagne) contre une décision du comité de direction de l’entreprise des Postes et Télécommunications en matière de discipline
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26495 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2010 par Maître Charles Unsen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à D-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du 15 octobre 2009 du comité de direction de l’entreprise des Postes et Télécommunications prononçant à son égard la sanction disciplinaire de la mise à la retraite d’office pour inaptitude professionnelle ou disqualification morale ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy Engel, demeurant à Luxembourg, du 20 janvier 2010, portant signification de ladite requête à l’entreprise des Postes et Télécommunications, établissement de droit public, représenté par son comité de direction actuellement en fonctions, établie et ayant son siège social à L-2020 Luxembourg, 8A, avenue Monterey ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2010 par Maître Patrick Kinsch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’entreprise des Postes et Télécommunications, notifié le même jour par acte d’avocat à avocat au mandataire de Monsieur … ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2010 par Maître Charles Unsen au nom de Monsieur …, notifié le 18 juin 2010 par acte d’avocat à avocat au mandataire de l’entreprise des Postes et Télécommunications ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2010 par Maître Patrick Kinsch au nom de l’entreprise des Postes et Télécommunications, notifié le 6 juin 20010 par acte d’avocat à avocat au mandataire de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jessica Jung, en remplacement de Maître Charles Unsen, et Maître Brice Olinger, en remplacement de Maître Patrick Kinsch, en leurs plaidoiries respectives.
Par décision du 15 octobre 2009, le comité de direction de l’entreprise des Postes et Télécommunications, ci-après désigné par « le comité de direction », prononça à l’encontre de Monsieur …, en application de l’article 38 de la loi modifiée du 10 août 1992 portant création de l’entreprise des postes et télécommunications, ci-après désignée par « la loi du 10 août 1992 », la sanction disciplinaire de la mise à la retraite d’office pour inaptitude professionnelle ou disqualification morale.
Le corps de ladite décision est libellé comme suit :
« Vu le rapport de l'instruction disciplinaire, dressé par l'Inspection Centrale en date du 12 août 2009, moyennant lequel il est établi que l'agent … est en violation des articles 9 § 1 et 10 § 1 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat;
Considérant le non respect de Monsieur … des règlements régissant le traitement des envois à réexpédier ;
Considérant qu'en date du 27 janvier 2009, Monsieur … était sur le lieu de travail en état d'ébriété et partant a enfreint les dispositions de la circulaire 61 du 13 septembre 2007 ;
Considérant que les manquements de Monsieur … sont à qualifier d'infractions particulièrement graves aux articles 9 § 1 et 10 § 1 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le Statut général des fonctionnaires de l'Etat;
Considérant que l'Entreprise des P&T ne saurait en aucun cas tolérer, sans compromettre sa bonne renommée et ses intérêts de service, de pareils écarts de conduite;
Considérant qu'en date du 14 août 2009, l'intéressé a été mis au courant des griefs retenus à sa charge, aux fins de le mettre en mesure de déployer ses moyens de défense éventuels, conformément aux exigences arrêtées au Statut général des fonctionnaires de l'Etat et à la loi du 10 août 1992 portant création de l'Entreprise des Postes et Télécommunications, telle qu'elle a été modifiée;
Considérant que l'agent … n’a pas usé de son droit de défense ;
Vu l'avis de la Commission disciplinaire du 17 septembre 2009;
Faisant application de l'article 38 de la loi modifiée du 10 août 1992 portant création de l'Entreprise des Postes et Télécommunications; (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2010, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du 15 octobre 2009 du comité de direction.
En vertu de l’article 40 de la loi du 10 août 1992, « l’agent frappé d’une sanction disciplinaire ou suspendu, peut, dans les trois mois de la notification de la décision, faire recours au tribunal administratif qui statue comme juge de fond ». Dès lors, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation. Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Le recours en réformation est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai légaux.
Dans son mémoire en duplique, l’entreprise des Postes et Télécommunications, ci-
après désignée par « l’entreprise des P & T », a soulevé l’irrecevabilité du mémoire en réplique du demandeur, déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2010, dans la mesure où celui-ci ne lui a été notifié que le 18 juin 2010, soit plus d’un mois après le dépôt et la notification du mémoire en réponse en date du 19 avril 2010.
Vu l’article 5 (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, qui dispose que « le demandeur doit fournir une réplique dans le mois de la communication de la réponse », et vu l’article 5 (6) de la même loi, en vertu duquel « les délais prévus aux paragraphes 1 et 5 sont prévus sous peine de forclusion », il appartient au tribunal de vérifier si le mémoire en réplique du demandeur répond aux exigences de délai ainsi imposées, étant précisé que les dispositions prévisées sont à considérer comme étant d’ordre public dans la mesure où elles touchent à l’organisation juridictionnelle et qu’une violation doit être soulevée d’office par le tribunal.
Au vu de l’article 5 de la loi précitée du 21 juin 1999, la fourniture du mémoire en réplique dans le délai d’un mois de la communication du mémoire en réponse inclut – implicitement, mais nécessairement – l’obligation de le déposer au greffe du tribunal et de le communiquer à la partie, voire aux parties défenderesses dans ledit délai d’un mois (cf. trib.
adm. 23 février 2005, n° 18555 du rôle, Pas. adm. 2009, V° Procédure contentieuse, n° 604 et autres références y citées).
En l’espèce, le mémoire en réponse de l’entreprise des P&T a été déposé au greffe du tribunal administratif et notifié au mandataire du demandeur en date du 19 avril 2010, de sorte que le délai pour répliquer a couru à partir de cette date. Force est cependant de constater que le mémoire en réplique du demandeur, s’il a été déposé le 19 mai 2010, soit endéans le délai légal, soit moins d’un mois à partir du 19 avril 2010, n’a été notifié au mandataire de l’entreprise des P&T qu’en date du 18 juin 2010, de sorte que ledit mémoire en réplique est à écarter des débats pour ne pas avoir été communiqué dans le délai d’un mois.
Le mémoire en duplique de l’entreprise des P & T, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 6 juillet 2010, qui ne constitue que la réponse au mémoire en réplique du demandeur, doit encourir le même sort.
Il convient encore de préciser que les pièces déposées ensemble avec le mémoire en duplique ne sont cependant pas à écarter dans la mesure où le délai de forclusion prévisé n’est prévu que pour les mémoires et non pas pour les pièces, qui peuvent, au regard des dispositions de l’article 8 (6) de la loi du 21 juin 1999, précitée, être déposées jusqu’avant le rapport à l’audience.
Quant à la régularité formelle de la décision litigieuse, le demandeur invoque une insuffisance de motivation, en reprochant au comité de direction de ne pas avoir précisé en quoi son comportement serait d’une gravité telle qu’il justifie la sanction appliquée, de ne pas avoir précisé de quelle manière son comportement compromettrait la bonne renommée et les intérêts du service de l’entreprise des P & T, et, enfin, de ne pas avoir précisé en quoi il serait professionnellement inapte ou moralement disqualifié. Le rapport de l’instruction disciplinaire dressé par l’Inspection centrale en date du 12 août 2009, sur lequel se base la décision litigieuse, n’aurait par ailleurs pas été annexé à la décision et son contenu ne serait pas repris dans ladite décision, et, enfin, la décision n’indiquerait pas le taux d’alcool relevé par le test afférent ayant été effectué, ni ne préciserait-elle le nombre d’envois à réexpédier stockés par le demandeur.
D’autre part, le demandeur fait état de ce qu’il n’aurait pas été informé qu’une instruction disciplinaire a été ordonnée à son égard, conformément à l’article 32 de la loi du 10 août 1992 et soutient qu’il ne se dégagerait pas des pièces annexées à la décision litigieuse qu’une telle information ait eu lieu.
Il soulève les mêmes griefs à l’encontre de la décision de l’Inspection centrale intervenue après l’instruction de l’affaire.
L’entreprise des P & T rétorque que la décision critiquée relaterait expressément les faits reprochés au demandeur, à savoir d’avoir présenté un état d’ébriété sur son lieu de travail le 27 janvier 2009, constituant entre autres une infraction à la circulaire interne n° 61 du 13 septembre 2007, et, deuxièmement, de ne pas avoir respecté les règlements régissant le traitement des envois à réexpédier. Elle souligne encore que la décision ferait référence à l’avis de la commission disciplinaire du 17 septembre 2009, qui aurait été annexé à ladite décision, ainsi qu’au rapport de l’instruction disciplinaire du 12 août 2009, qui aurait été communiqué au demandeur en date du 14 août 2009. Tant l’avis de la commission disciplinaire que le rapport de l’instruction disciplinaire analyseraient de manière détaillée les faits reprochés au demandeur.
Quant à la question du respect de l’article 32 de la loi du 10 août 1992, l’entreprise des P & T expose que par courrier du 20 avril 2009, remis au demandeur le 12 mai 2009, le chef de l’Inspection centrale l’aurait informé qu’une instruction disciplinaire avait été ouverte à son encontre.
En vertu de l’article 39 de la loi du 10 août 1992, « la décision qui inflige une sanction disciplinaire est motivée et arrêtée par écrit (…) ».
Dans la mesure où la décision du comité de direction se réfère tant à l’avis de la commission disciplinaire du 17 septembre 2009, qui d’ailleurs était joint au courrier du 16 octobre 2009 par lequel la décision du comité de direction a été notifiée au demandeur, qu’au rapport de l’instruction disciplinaire du 12 août 2009, qui a été expédié au demandeur par courrier du 14 août 2009 et qui partant était à la disposition du demandeur au moment de la réception de la décision litigieuse, il convient, afin d’examiner le respect de l’obligation de motivation découlant de l’article 39, précité, de se référer non seulement au libellé de la décision elle-même, mais également au contenu de l’avis de la commission disciplinaire et du rapport de l’instruction disciplinaire.
Le tribunal est amené à retenir que la décision litigieuse, prise ensemble avec l’avis précité, le rapport de l’instruction disciplinaire, ainsi que les explications fournies au cours de la présente instance par l’entreprise des P & T est motivée à suffisance de droit. En effet, les faits reprochés sont relatés, à savoir le fait que le remplaçant du demandeur aurait, en date du 12 janvier 2009, trouvé une soixantaine d’envois à réexpédier datés depuis le 31 décembre 2008, et, d’autre part, le fait qu’un test d’alcool effectué le 27 janvier 2009 sur son lieu de travail aurait démontré que le demandeur se serait trouvé en état d’ébriété. La décision précise encore quelles dispositions légales le demandeur a ainsi enfreintes, et fait état de ce que ces manquements compromettent la bonne renommée de l’entreprise des P & T et les intérêts du service.
C’est à tort que le demandeur soutient que la décision ne préciserait pas en quoi son comportement serait d’une gravité telle qu’il justifie la sanction appliquée, dans la mesure où, indépendamment du caractère fondé des considérations sur lesquelles le comité de direction s’est basé, il se dégage de la lecture de la décision critiquée, de l’avis de la commission disciplinaire ainsi que du rapport de l’instruction disciplinaire que les faits reprochés sont considérés comme des manquements graves, compte tenu notamment des antécédents du demandeur et de son désintérêt pour la procédure disciplinaire tel qu’il a été retenu contre lui.
Il a encore été précisé dans le rapport de l’instruction disciplinaire que le comportement du demandeur nuit à la renommée de l’entreprise des P & T. Quant au taux d’alcoolémie détecté, s’il n’est pas indiqué dans la décision elle-même, il figure dans le rapport de l’instruction disciplinaire et était d’ailleurs parfaitement connu du demandeur puisqu’il a signé en date du 27 janvier 2009 le procès-verbal relatif à l’éthylotest dans lequel était indiqué le taux d’alcoolémie détecté. La conclusion retenue par le comité de direction que ces faits constituent un cas de disqualification morale ou une inaptitude professionnelle a encore été expliquée à suffisance de droit, étant précisé que cette conclusion constitue une appréciation du comité, qui découle de l’exposé des reproches soulevés à l’encontre du demandeur combiné aux dispositions légales ou règlementaire dont la violation lui est reprochée. Pour le surplus, il convient de souligner que le reproche du demandeur relève plus de la remise en cause du bien-fondé de cette conclusion, que de l’indication des motifs justifiant cette conclusion.
C’est encore à tort que le demandeur fait valoir que le contenu du rapport de l’Inspection centrale n’est pas indiqué dans la décision critiquée, ni n’était-il annexé à ladite décision. En effet, la loi du 10 août 1992 prévoit uniquement en son article 36 que la décision de l’Inspection centrale de saisir le comité ou la commission disciplinaire doit être communiquée à l’intéressé, mais elle n’impose pas que le rapport de l’Inspection centrale soit annexé à la décision finale du comité de direction ou que le contenu en soit repris dans la décision du comité de direction prononçant une sanction disciplinaire.
Il suit des considérations qui précèdent que le reproche tenant à une motivation insuffisante de la décision litigieuse laisse d’être fondé.
Quant au moyen tiré d’une prétendue violation de l’article 32 de la loi du 10 août 1992, qui dispose in fine que « l’inspection centrale informe l’agent présumé fautif des faits qui lui sont reprochés avec indication qu’une instruction disciplinaire est ordonnée », le tribunal est amené à constater qu’il ressort des pièces versées au dossier que le demandeur a été averti par un courrier du 20 avril 2009 du chef de service de l’Inspection centrale des faits lui reprochés et du fait que l’Inspection centrale procéderait à une instruction disciplinaire à son encontre. Il convient de relever qu’il se dégage d’un accusé de réception du 12 mai 2009 que le demandeur a reçu la prédite lettre. Contrairement aux reproches afférents du demandeur, il n’est pas requis que des justificatifs de cette information soient annexés à la lettre par laquelle la décision ayant prononcé la sanction disciplinaire lui est notifiée. Le moyen afférent est partant à rejeter.
Enfin, c’est à tort que le demandeur soulève les mêmes griefs tenant en substance à un défaut de motivation par rapport à la décision de l’Inspection centrale de saisir la commission disciplinaire. Au-delà du constat que la loi du 10 août 1992 ne requiert pas que la décision de l’Inspection centrale de saisir la commission disciplinaire soit spécialement motivée, et au-
delà de la question du caractère justifié du reproche tenant à une prétendue motivation insuffisante, le demandeur reste en défaut de justifier en quoi un tel vice attaché à la décision de l’Inspection centrale, qui n’a pas fait l’objet du présent recours et qui d’ailleurs n’est pas susceptible d’un recours dans la mesure où elle constitue une étape intermédiaire et préparatoire dans la phase de l’instruction disciplinaire et non pas une décision finale, puisse affecter la légalité de la décision critiquée à travers le présent recours.
Le demandeur soutient ensuite que l’entreprise des P & T n’aurait pas été en droit de notifier la décision litigieuse pendant qu’il se serait trouvé en état d’incapacité de travail, dans la mesure où, de ce fait, il se serait trouvé sous l’effet d’une protection spéciale. Il souligne, par ailleurs, qu’il aurait été en état d’incapacité de travail également au début de la procédure disciplinaire diligentée contre lui.
L’entreprise des P & T rétorque que la décision critiquée ne serait pas intervenue dans un contexte de droit du travail du secteur privé, de sorte que la protection pendant la période de maladie ne s’appliquerait pas dans le cadre du droit disciplinaire de la fonction publique. Il ajoute que dans la mesure où il ne s’agit pas d’une révocation, la décision critiquée aurait en tout état de cause pu être notifiée au demandeur même si le droit privé du droit de travail lui était applicable.
En vertu de l’article 24 de la loi du 10 août 1992 « le régime des agents de l’entreprise [des P & T] est un régime de droit public. Les dispositions actuelles et futures du statut général, des régimes des traitements, indemnités et pensions, de la législation sur les fonctionnaires et employés de l’Etat s’appliquent en principal et accessoires, modalités, délais et recours aux agents respectifs de l’entreprise, sauf les dérogations y apportées par la présente loi », et en vertu de l’article 42 de la même loi, « pour tout ce qui n’est pas prévu dans le présent chapitre concernant la discipline, les dispositions de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat sont applicables ».
Les dispositions de la loi 10 août 1992, ensemble celles de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après désigné par « le statut général », consacrent un régime spécial des agents publics, par rapport au droit du travail applicable dans le secteur privé, plus particulièrement en matière de discipline. L’article L.
121-6 du Code du travail, prévoyant une protection spéciale des salariés contre une mesure de licenciement en cas d’incapacité de travail, n’est pas applicable dans le domaine de la fonction publique. D’autre part, ni les dispositions de la loi du 10 août 1992, ni celles du statut général ne prévoient une disposition analogue à celle de l’article L. 121-6 du Code du travail.
Il s’ensuit qu’à défaut de disposition interdisant de prononcer une mesure disciplinaire pendant qu’un agent public se trouve en incapacité de travail, voire d’engager des poursuites disciplinaires à son encontre, le demandeur ne saurait utilement reprocher au comité de direction d’avoir pris la décision litigieuse ou d’avoir chargé l’Inspection centrale d’une instruction disciplinaire pendant qu’il était en incapacité de travail.
Le moyen afférent est partant à rejeter comme étant non fondé.
Le demandeur conteste enfin le bien-fondé de la décision entreprise.
A cet égard, il souligne qu’aucune pièce ne démontrerait qu’il aurait consommé des boissons alcooliques sur son lieu de travail et qu’en dehors de son aveu concernant une dizaine de lettres, il ne résulterait pas des pièces de la cause, à l’exception d’une dénonciation d’un collègue, qu’il aurait stocké durant de nombreux jours des courriers à réexpédier.
Quant à la réalité des reproches soulevés à l’égard du demandeur, force est de constater qu’il se dégage de l’avis de la commission disciplinaire qu’à l’audience du 17 septembre 2009, le demandeur a admis qu’il s’était présenté sur son lieu de travail en état d’ébriété et que l’éthylotest réalisé a été positif. Il se dégage d’ailleurs d’un procès-verbal établi suite audit test, signé le 27 janvier 2009 par le demandeur lui-même, que le test était positif et que le taux d’alcoolémie constaté était de 0,97 ‰.
Quant au défaut de traitement des envois à réexpédier, le demandeur a reconnu partiellement les faits en ce qu’il admet avoir stocké des envois à réexpédier de quelques jours, ainsi que cela résulte de ses explications fournies devant la commission disciplinaire et qui ont été actées dans l’avis de la commission. Pour le surplus, il affirme que cette façon de procéder serait pratique courante. Or, suivant les règles internes, à savoir la règlementation intitulée « Buch für Briefträger » prise en son article AP8, tel qu’elle est versée aux débats par la partie défenderesse, il aurait dû traiter les envois au début ou à la fin de chaque tournée. Il s’ensuit que si le demandeur a contesté la réalité du reproche que des courriers à réexpédier auraient été stockés par lui pendant plusieurs semaines, il a pourtant admis ne pas avoir respecté la règlementation interne à ce titre, qui exige que les courriers à réexpédier soient traités le jour même. Le non-respect de la règlementation interne en matière de traitement d’envois à réexpédier se trouve dès lors également vérifié.
Il résulte des considérations qui précèdent que la réalité des faits ayant conduit aux deux reproches soulevés à l’encontre du demandeur est à considérer comme avérée.
Subsidiairement, le demandeur invoque l’article 53 du statut général en faisant état de ce qu’il serait fonctionnaire depuis le 19 juillet 1979 et qu’il aurait accompli ses fonctions sans avoir fait l’objet de la moindre remarque ou observation de la part de ses supérieurs voire de la part des usagers des services postaux. Il ajoute que les reproches soulevés actuellement à son encontre n’auraient pas non plus provoqué des plaintes de la part des usagers des services postaux. Il reproche à la commission disciplinaire d’avoir retenu les trois mesures disciplinaires prises à son encontre depuis 2007 pour appuyer la décision litigieuse, alors qu’il aurait fallu prendre en compte ces mesures dans la mesure où elles démontreraient son état psychologique faible et l’état de détresse dans lequel il se trouverait depuis près de trois ans.
Le demandeur souligne encore qu’il faudrait prendre en compte les circonstances dans lesquelles les faits lui reprochés se seraient produits, en soulignant qu’en date du 26 janvier 2009, il aurait participé à une fête qui se serait poursuivie jusque tard dans la nuit et lors de laquelle il aurait consommé des boissons alcooliques, consommation qui serait liée à son état psychologique dépressif dû au stress professionnel et personnel depuis plusieurs années. Il souligne que le lendemain, il aurait effectué sa tournée sans incident et que ce serait à son retour au bureau de poste qu’il lui aurait été imposé de subir un éthylotest, mesure à laquelle il aurait coopéré. En ce qui concerne le stockage des envois à réexpédier, il s’agirait d’une pratique qui serait largement répondue au sein de la profession.
Enfin, le demandeur soutient que la mesure prise à son encontre serait largement disproportionnée par rapport à ses agissements, tout en soulignant que l’article 47 du statut général prévoirait d’autres sanctions pouvant être appliquées dont les conséquences seraient moins dramatiques pour lui. A cet égard, il souligne qu’il devrait assumer seul la charge financière de sa famille, son épouse étant occupée à l’éducation de son enfant, et qu’il devrait pour le surplus assumer le remboursement d’un crédit d’habitation d’un montant mensuel de 1800 € ainsi que d’un crédit relatif à l’achat d’une voiture d’un montant mensuel de 450 €.
L’entreprise des P & T fait valoir que le demandeur aurait fait l’objet de trois sanctions disciplinaires en l’espace de deux ans, à savoir en date du 9 août 2007, la sanction disciplinaire de l’amende de deux dixièmes d’une mensualité brute du traitement de base, le 6 novembre 2008, la sanction disciplinaire de la totalité d’une mensualité brute de traitement de base, et, enfin, le 19 février 2009, la sanction disciplinaire d’un dixième d’une mensualité brute de traitement. Les trois sanctions disciplinaires ainsi prononcées n’ayant pas conduit à l’effet escompté, la commission disciplinaire aurait proposé dans son avis du 17 septembre 2009 d’infliger la sanction actuellement prononcée. Les écarts de conduite du demandeur ne pourraient être tolérés, d’autant plus qu’ils se seraient répétés sur une période restreinte.
L’entreprise des P & T donne encore à considérer que le demandeur aurait été invité à présenter ses moyens de défense dans les dix jours de la réception du rapport de l’instruction, possibilité dont il n’aurait pas fait usage. Le demandeur aurait par ailleurs été invité par courriers du 13 février 2009 et du 3 mars 2009 à prendre rendez-vous avec le service des affaires sociales et la santé au travail. Pourtant, ces courriers seraient restés sans réponse. Ces éléments démontreraient le désintérêt du demandeur par rapport à la procédure disciplinaire diligentée contre lui.
La partie défenderesse conclut ainsi que la sanction infligée serait proportionnée par rapport aux faits reprochés en ce qu’il s’agirait de la quatrième sanction disciplinaire en l’espace d’une période très brève et que le demandeur ne se serait jamais intéressé aux procédures disciplinaires diligentées contre lui.
Ces infractions disciplinaires répétées ébranleraient la confiance d’un employeur public de la même façon qu’elles ébranleraient la confiance d’un employeur privé.
Quant aux explications du demandeur en ce qui concerne son état d’ébriété constaté le 27 janvier 2009 à 12.30 heures, l’entreprise des P & T soutient que soit le demandeur aurait avancé des explications mensongères en ce qu’il aurait consommé des boissons alcoolisées pendant les heures de travail, sans quoi le taux d’alcoolémie constaté aurait été sensiblement moindre, soit ses déclarations correspondraient à la réalité, mais alors, eu égard à la diminution du taux d’alcoolémie dans le sang de 0,1 ‰ par heure après l’arrêt de la consommation de boissons alcooliques, à 6.00 heures du matin, lorsque le demandeur aurait commencé son service, il aurait dû avoir un taux d’alcoolémie de l’ordre de 1,6 ‰, correspondant à un état d’ivresse manifeste. En ce faisant, le demandeur aurait discrédité l’entreprise des P & T auprès des usagers. Tout en admettant que le comportement d’un travailleur pendant sa vie privée n’aurait en principe pas à intéresser son employeur, l’entreprise des P & T fait valoir qu’il en serait différemment lorsque la vie privée se prolonge par des effets inévitables au cours de la journée de travail.
En ce qui concerne les charges financières dont fait état le demandeur, la partie défenderesse fait état, d’une part, de ce que le demandeur n’a pas usé de son droit de présenter des observations au cours de la procédure disciplinaire, et, d’autre part, souligne que le demandeur bénéficiera d’une pension.
Dans le cadre d’un recours en réformation, le tribunal est amené à apprécier les faits commis par le demandeur en vue de déterminer si la sanction prononcée par l’autorité compétente a un caractère proportionné et juste, en prenant notamment en considération la situation personnelle et les antécédents éventuels du demandeur1.
En effet, en vertu de l’article 53 du statut général, l’application des sanctions se règle notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé.
En l’espèce, il est reproché au demandeur d’avoir stocké des envois à réexpédier, alors que suivant les règles internes, à savoir la règlementation intitulée « Buch für Briefträger » prise en son article AP8, précitée, il aurait dû traiter les envois au début ou à la fin de chaque tournée. De l’autre côté, le demandeur s’est vu reprocher de s’être présenté en état d’ébriété à son lieu du travail, ceci en violation de la circulaire n° 61 du 13 septembre 2007.
C’est à juste titre que le comité de direction a retenu ces faits comme constituant des violations des articles 9, paragraphe 1er et 10, paragraphe 1er du statut général, en ce que, d’une part, le demandeur ne s’est pas conformé à la règlementation interne, qui s’impose à lui comme étant à assimiler à un ordre reçu d’un supérieur, et, d’autre part, il a nui à la bonne renommée de l’entreprise des P & T, en ne traitant pas immédiatement des envois à réexpédier, causant ainsi des retards dans l’acheminement du courrier, et en se présentant lors de sa tournée en état d’ébriété, peu importe d’ailleurs si cet état est le résultat d’une consommation pendant son temps libre. Que le stockage d’envois à réexpédier au lieu de les traiter immédiatement est une pratique courante, comme le soutient le demandeur, est irrelevant et n’est pas de nature à anéantir ou à excuser le non respect de la règlementation interne par le demandeur. Pareillement, même si le demandeur a pu terminer sa tournée le 27 janvier 2009 sans incident, il n’en reste pas moins que la circonstance qu’il a effectué son service en état d’ébriété n’est certainement pas passée inaperçue par les usagers des services postaux.
La partie défenderesse soutient que la gravité des faits serait corroborée, d’une part, par les antécédents du demandeur, en l’occurrence trois sanctions disciplinaires prononcées entre août 2007 et février 2009 et, d’autre part, par le fait que celui-ci se serait complètement désintéressé de la procédure disciplinaire diligentée contre lui pour ne pas avoir présenté ses observations au cours de la procédure disciplinaire bien qu’il ait été invité à ce faire.
Le tribunal constate que s’il est vrai que le demandeur a fait l’objet de trois sanctions disciplinaires en l’espace de moins de deux ans, les manquements reprochés ont tous eu trait au non-respect de ses obligations en cas d’incapacité de travail et sont partant sans relation avec les faits actuellement reprochés. Même s’il est vrai qu’à l’instar des faits actuellement sous examen, les manquements antérieurs dénotent une approche pour le moins laxiste par rapport aux obligations générales incombant au demandeur, il n’en reste pas moins qu’ils ne sont pas en relation directe avec son aptitude professionnelle ou sa qualification morale et ne sauraient dès lors difficilement corroborer des manquements que le comité de direction a qualifié de disqualification morale ou d’inaptitude professionnelle. Au-delà de ces trois sanctions pour des faits que le demandeur explique de plus par un état psychologique faible dans lequel il se trouverait depuis environ trois ans, le dossier personnel du demandeur ne fait pas état d’antécédents particuliers, étant précisé que le demandeur est entré aux services de l’entreprise des P & T le 19 juillet 1979.
1 Cf. TA 1er juillet 1999, n° 10936 du rôle, Pas. adm. 2009, V° Fonction publique, n° 233.
Si notamment le courrier du 21 janvier 2009, dans lequel l’inspecteur principal a proposé à ses supérieurs d’entamer des poursuites disciplinaires en raison des faits constatés le 12 janvier 2009 en rapport avec des envois à réexpédier non traités immédiatement, fait état d’incidents antérieurs de ce genre et reproche également de manière générale au demandeur de ne pas apporter des soins à un bonne qualité de travail, ces allusions ne sont précisées par aucun incident concret, de sorte qu’à part les trois non-respects des obligations en matière d’incapacité de travail, le comité de direction n’a fait état que de deux incidents, qui sont certes rapprochés dans le temps, mais qui ne sont pas corroborés par d’autres incidents antérieurs du même genre. Ces deux incidents, si leur gravité ne saurait être déniée, ne sont, à défaut d’autres éléments permettant de retenir qu’il ne s’agit pas d’incidents isolés, mais plutôt d’exemples d’un comportement général du demandeur, pas suffisamment graves pour justifier l’application de la sanction disciplinaire de la mise à la retraite pour disqualification morale ou inaptitude professionnelle. Le seul fait que le demandeur n’a pas jugé utile de présenter ses moyens de défense au cours de la procédure disciplinaire ne permet pas non plus de justifier l’application de la sanction retenue en l’espèce.
Eu égard à l’absence de poursuites disciplinaires antérieures pendant la carrière longue du demandeur, à part trois sanctions en raison d’un non-respect des obligations en matière d’incapacité de travail, qui ne permettent ni de retenir une inaptitude professionnelle ni ne sont susceptibles de dénoter une disqualification morale, et eu égard au fait que le comité de direction n’a fait état que de deux incidents, le tribunal est amené à retenir que la sanction disciplinaire de la mise à la retraite d’office pour inaptitude professionnelle ou disqualification morale prononcée par le comité de direction est disproportionnée.
Il y a dès lors lieu de prononcer une peine plus appropriée aux circonstances de la cause, celle de la sanction disciplinaire immédiatement inférieure à celle retenue, prévue à l’article 47.8 du statut général, à savoir l’exclusion temporaire des fonctions avec privation de la rémunération pour une durée de trois mois.
L’indemnité de procédure de 1.000 euros réclamée par le demandeur de façon erronée sur le fondement de l’article 210 du Nouveau Code de Procédure civile, mais prévue par l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, précitée, est à rejeter, les conditions n’en étant pas remplies.
Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de faire masse des frais et de les imposer à raison de deux tiers au demandeur et d’un tiers à l’entreprise des Postes et Télécommunications.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;
écarte des débats le mémoire en réplique de Monsieur … déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2010, ainsi que le mémoire en duplique de l’entreprise des Postes et Télécommunications déposé au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2010 ;
reçoit le recours en réformation introduit à titre principal en la forme ;
au fond, déclare le recours en réformation partiellement justifié ;
partant, par réformation de la décision du comité de direction de l’entreprise des Postes et Télécommunications du 15 octobre 2009, prononce à l’encontre de Monsieur … la sanction disciplinaire prévue à l’article 47, point 8 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, à savoir l’exclusion temporaire des fonctions avec privation de la rémunération pour une durée de trois mois ;
renvoie l’affaire devant le comité de direction de l’entreprise des Postes et Télécommunications ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure introduite par Monsieur … ;
fait masse des frais et les impose à raison de deux tiers au demandeur et d’un tiers à l’entreprise des Postes et Télécommunications.
Ainsi jugé par :
Martine Gillardin, vice-président, Françoise Eberhard, juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 14 juillet 2010 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Martine Gillardin Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16.07.2010 Le Greffier du Tribunal administratif 11